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La Femme de l'éclusier, tome 2
La Femme de l'éclusier, tome 2
La Femme de l'éclusier, tome 2
Livre électronique311 pages9 heures

La Femme de l'éclusier, tome 2

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À propos de ce livre électronique

Près de vingt années ont passé depuis que Marguerite a choisi de changer de vie, laissant le pire derrière elle. Du moins l’espère-t-elle!

Entourée de son mari, Joffre, de leurs enfants Grégory, Béatrice et Hélène, elle cuisine des pâtisseries pour le magasin des Fredette et file enfin le parfait bonheur. Lorsqu’elle reçoit la visite inattendue d’une femme mystérieuse et qu’une ancienne amie revient à Saint-Ours après plusieurs années d’absence, elle est pour le moins déstabilisée…

Quand Béatrice et Hélène, qui étudient à Saint-Hyacinthe pour devenir enseignantes, rencontrent leurs futurs maris, Marguerite se réjouit à l’idée d’être grand-mère. De son côté, Edmond verra sa tranquillité perturbée par une lettre trouvée au grenier de la maison qu’il partage avec Gracia et Wilbrod.

Retrouvez ces personnages plus vrais que nature, ainsi le curé Marcel, les commerçants Bertrande et Pierre-Noël ainsi qu’une foule d’autres; suivez-les dans les paysages bucoliques bercés par la rivière Richelieu.

Un roman rempli d’amour, de courage et d’espoir par l’auteure de La forge des Maheu, Une bottine et un cœur sur une patte, La vieille laide et La veuve de Labelle.
LangueFrançais
Date de sortie7 sept. 2022
ISBN9782898274152
La Femme de l'éclusier, tome 2
Auteur

Lucy-France Dutremble

Lucy-France Dutremble est née sur la rue Royale, devenu le boulevard Fiset, à Sorel-Tracy. Elle a travaillé en secrétariat avant de donner naissance à ses deux enfants, puis dans la domaine de la restauration. Auteure de huit romans, elle se consacre aujourd’hui à sa passion pour l’écriture.

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    Aperçu du livre

    La Femme de l'éclusier, tome 2 - Lucy-France Dutremble

    Note de l’auteure

    Bonjour, je suis heureuse de vous retrouver pour ce deuxième tome, car dernièrement, Marguerite et sa famille m’ont avisée que depuis la fin du tome 1, leur histoire était loin d’être terminée, qu’ils avaient plein de choses à me raconter concernant les années qui venaient de défiler à toute vitesse.

    1951

    Marguerite et Joffre s’étaient mariés au mois de juillet de l’été 1947. À la suite de leur union était né Grégory Saint-Martin, le 4 juin 1948. Joffre travaillait toujours sur la ferme des Allaire et s’entendait bien avec Edmond et Wilbrod, le grand-père et le père de Marguerite. Hélène et Béatrice aimaient leur beau-père, qui leur portait autant d’attention qu’à son fils Grégory.

    Âgé de soixante-seize ans, Edmond vivait des jours paisibles avec Yolaine, Gracia, Wilbrod et son petit-fils Jules, dans la maison bâtie de ses mains en 1894. Il appréciait l’aube quand il se retrouvait devant un café brûlant, avant de se rendre sur le pacage pour sa petite marche quotidienne et jaser avec les hommes, tout en les aidant aux mini-travaux, comme balayer l’allée de béton et disperser le foin que Joffre lançait de la trappe du grenier.

    Julien-Charles, le frère de Marguerite, marié à Marjorie, faisait tourner la terre de son beau-père Calixte avec son beau-frère Léon, tout en initiant ses garçons Michel et Louis.

    À l’église Immaculée-Conception, le prélat de la paroisse Rodolphe Arpin avait laissé sa cure en 1949 pour vivre ses dernières années de sacerdoce au Séminaire de Saint-Hyacinthe, alors qu’il venait de coiffer ses quatre-vingts ans. Choisi par le diocèse, malgré les protestations du vicaire Alphonse Ayot, qui aurait souhaité succéder au curé Arpin après avoir été à son service durant plusieurs années, Marcel Allaire avait quitté Saint-Joseph-de-Soulanges pour s’installer au presbytère de Saint-Ours, non loin de sa famille, qu’il affectionnait. Alors qu’il était jeune prêtre, les enfants aimaient bien le côtoyer, vu qu’il s’intéressait aux sports, comme aux parties de balle-molle, les samedis et dimanches après-midi, et qu’il chaussait les patins pour glisser sur la glace gelée de la rivière ou sur la longue patinoire de la grande cour d’école avec eux.

    Au magasin des Fredette, Marguerite était à la direction de la pâtisserie depuis un an, tandis que Bertrande s’occupait de la clientèle et que son mari Pierre-Noël voyait aux commandes et à la comptabilité.

    Victime du grand succès de sa pâtisserie, Marguerite avait engagé Solange Latraverse pour la seconder. Cette dernière logeait dans l’appartement adjacent au commerce, l’ancien petit nid de sa patronne, où elle y était demeurée avec les filles après le décès de son mari Alain.

    Au printemps 1947, le médecin de l’hôpital du Sacré-Cœur avait surnommé Murielle Larouche « la miraculée de la tuberculose ». À la suite de son congé de l’établissement, elle était allée visiter ses parents pour apprendre que ces derniers voyaient sa fille Béatrice sur une base régulière. Elle avait quitté Saint-Ours en colère en claquant la porte et n’y était jamais retournée.

    Voilà, j’ai repris ma plume avec bonheur pour renouer avec ces familles attachantes qui vont me guider pour la suite. Je ne vous cache pas que je suis curieuse, tout comme vous.

    Bonne lecture,

    Lucy-France

    Chapitre 1

    La vie continue

    En ce matin de juillet 1951, Joffre s’était levé en retard et Marguerite l’avait talonné pour préparer le déjeuner.

    — Mon père doit achever le train, y est six heures et demie.

    — Sûrement. En plus, on a une grosse journée aujourd’hui.

    — Ça arrive jamais que tu sois en retard. Je vais appeler m’man pour pas qu’elle s’inquiète. Prends quand même le temps de déjeuner, c’est important.

    En s’adressant doucement à son fils, elle ajouta :

    — Grégory, viens manger tes céréales, mon garçon. Faut aller porter les desserts à la pâtisserie avant l’ouverture, je vais te laisser chez ta gardienne après.

    — Oui ! répondit le bambin de trois ans en s’assoyant sur le banc d’appoint sur la chaise à côté de son père.

    — Je veux l’école avec amis, m’man !

    — Dans trois ans, mon amour, promit sa mère avec un trémolo dans la gorge. Ça passe trop vite, mautadine.

    — On pourrait faire une petite sœur ou un petit frère à Grégory, ma belle, risqua Joffre, déterminé.

    Il lui sourit en versant du lait dans son café.

    — J’ai trente-six ans, il est un peu tard pour avoir un autre enfant, Joffre.

    — On pourrait en avoir au moins deux autres…

    — Les filles sont pas intéressées de rester à la maison pour garder. On peut pas les forcer à sortir du lit à sept heures, elles sont paresseuses le matin. Hélène laisserait pas son travail d’été à la centrale téléphonique, non plus, pour s’occuper de Grégory. Je veux qu’elles profitent de leurs vacances avant de retourner à l’École Normale à Saint-Hyacinthe. Deux maîtresses d’école ! Je me demande bien où elles vont enseigner à la fin de leurs cours.

    Elle poursuivit en se rapprochant de son mari :

    — J’aime travailler à la pâtisserie, je trouverais ça difficile de tout recommencer, avec un bébé naissant.

    — C’est un fait, constata son mari tout en tartinant son pain de beurre d’arachide et de confiture. Viens plus près, ma femme.

    Marguerite s’installa sur ses genoux et passa ses bras autour de son cou, devant le sourire moqueur de leur garçon.

    — Je vais lui couper les cheveux ce soir, ils sont bien trop longs, constata Marguerite en regardant la tignasse blonde frisée de son fils. Il me semble qu’il y a pas longtemps, il était si petit, renchérit-elle, nostalgique.

    D’un pas lent, Edmond rejoignit sa femme, qui grattait la poêle du déjeuner pendant que Gracia levait les œufs au poulailler. Il étira le bras pour prendre une tasse dans l’armoire, mais elle lui glissa des mains pour se fracasser sur le plancher. Il devint colérique et se tourna vers sa femme, qui le regardait, sans rien dire.

    — Torvisse de maudite arthrite !jura-t-il en allant chercher le balai dans la penderie.

    — C’est pas grave, Edmond. Y a trop de tasses dans cette armoire. Ça en fait une de moins et c’est tant mieux ! le rassura Yolaine en riant.

    — C’est ça la vieillesse, ça. Faut pas faire comme si on le savait pas, non plus.

    — Bien oui, mon vieux bougonneux. Tu ne devrais pas te lamenter, t’es encore un homme en forme. À notre âge avancé, faut apprendre à vivre avec nos p’tites douleurs.

    — Je sais ben, mais quand je te regarde, je vois la même femme que j’ai connue en 1934. Tu t’es jamais plainte d’un mal de tête, torvisse !

    Si les rides s’étaient creusées au fil des ans, l’amour n’avait pas d’âge. Yolaine appréciait son mari. Oui, elle paraissait en pleine forme, mais elle avait aussi de petits bobos, invisibles aux yeux de tous. Elle s’inquiétait des douleurs dans son bras gauche et parfois, elle avait l’impression de manquer d’air. Un jour, l’un des deux s’en irait et Dieu seul savait lequel partirait le premier. La vie était belle, mais parfois injuste.

    Ce matin-là, le soleil brillait, les fleurs égayaient les parterres en laissant échapper leurs doux parfums.

    — Y en reste moins devant, ma femme, mentionna Edmond en jetant les morceaux de porcelaine dans la poubelle.

    — C’est justement, arrête d’avoir des pensées négatives, faut vivre comme si on n’allait jamais mourir.

    — T’as ben raison, toi. Je vais aller laver le char. Wilbrod est ben occupé avec les foins, y aura pas le temps de le faire pour la messe demain. Si j’étais plus riche, j’en aurais un flambant neuf. Y a pogné la bébite à fer, y est rouillé de partout.

    — Tant qu’il ne nous lâchera pas, on va le garder. Si on achetait une voiture de l’année, elle nous mènerait aux mêmes endroits : à l’église, au magasin des Fredette, au bureau de poste, des fois à Saint-Hyacinthe, à Sorel et à Sainte-Anne chez les parents de Gracia.

    — T’as encore raison, Yolaine, l’approuva son mari en s’installant à la table avec une nouvelle tasse remplie de café et son paquet de cigarettes.

    — Certain que j’ai raison, Edmond ! renchérit-elle en déposant un cendrier devant lui.

    Il se leva, prit le flacon de cognac dans la bonnetière et aromatisa son café noir, devant le regard étonné de sa femme, qui venait de lever les yeux sur les aiguilles de l’horloge.

    — Tu ne trouves pas qu’il est tôt pour ça ? Le vicaire Ayot l’a encore répété la semaine dernière dans son sermon que l’alcool ne mène nulle part.

    — Ça adonne ben, j’ai pas à aller nulle part.

    Yolaine pouffa, s’empara à son tour de la bouteille et ajouta quelques larmes dans sa tasse de thé. Elle regarda son mari surpris.

    — Qu’est-ce tu fais là, toi ?

    — Chut ! On le dira pas à personne. Je vais la serrer avant que Gracia revienne du poulailler.

    — Ratoureuse ! Je vais aller voir les hommes. On devrait avoir une bonne récolte cette année. Wilbrod a fait bénir les graines de semences par Marcel au mois de mars.

    — Bien oui, à la fête de Saint-Joseph. Flâne avec moi, un peu. Les dépendances peuvent t’attendre, elles se sauveront pas.

    — OK. J’irai plus tard. Aujourd’hui, l’ouvrage est plus facile que quand j’aidais mon père Antonin dans le rang du Ruisseau. On avait pas d’eau dans la maison ni dans les bâtiments. On avait juste celle du puits. Elle était ben dure à boire, elle nous tombait dans l’estomac comme une roche. Vu que j’avais pas de frères, le vieux m’obligeait à travailler d’un soleil à l’autre. Des voisins venaient lui donner un coup de main quand c’était le temps des fenaisons et faire boucherie au mois de décembre. Quand il faisait canicule, j’étais ben content, on arrêtait à midi.

    — C’était de grosses journées, dans le temps.

    — Oui. Ma saison préférée a toujours été le printemps. Je partais avec lui ouvrir la cabane à sucre, pis je faisais le tour de l’érablière en raquettes pour ramasser l’eau dans les chaudières de zinc. On faisait quasiment une cérémonie avec ma mère quand elle nous coupait une tranche de pain qu’on trempait dans notre première récolte de sirop. Mon père se vidait de la crème fraîche dans le milieu de son assiette. Ça faisait comme une toile d’araignée dans son sirop.

    — Le mien faisait la même chose, dit Yolaine en lui souriant.

    Gracia entra avec un panier rempli d’œufs et se dirigea vers le comptoir pour les déposer dans un grand bol en verre.

    — Fait beau, je vais mettre mon chapeau de paille pour aller travailler dans le jardin avant de préparer le dîner.

    — Laisse faire le dîner, Gracia, je vais faire des tapettes de steak haché avec de la sauce brune. J’ai déjà épluché les carottes, le navet et les patates. Profite de la chaleur !

    Les deux hommes venaient de terminer de nettoyer l’étable et de nourrir les animaux. Il n’était que dix heures et Joffre sentait des tiraillements dans son estomac depuis une heure.

    — J’ai déjà une fringale, le beau-père.

    — Y est juste dix heures, tornon ! As-tu mangé à ta faim à matin ?

    — Bien oui, Marguerite m’a fait un gros déjeuner comme d’habitude. J’ai toujours faim ces temps-ci. C’est rendu que j’ai de la misère à attacher mes pantalons.

    — Marguerite est une bonne cuisinière, aussi, c’est dur de résister.

    — Ouin, surtout pour les desserts.

    — Ha ! Ha ! Va falloir que tu coupes le sucré, mon gendre.

    — Elle ne devrait pas en laisser sur le comptoir quand elle remplit son panier pour aller les porter à la pâtisserie. C’est tentant un carré aux dattes, une tarte au citron ou un mille-feuille fourré de crème fouettée. Sans compter que je dîne ici tous les midis et que votre femme et votre belle-mère font bien à manger. Comment dire non à ces bons plats préparés avec amour ?

    — Ah ! ça, c’est bien vrai. Je vais aller à la maison chercher des galettes au gruau avec une pinte de lait ben frette. Ça va te soutenir jusqu’à tant que le clocher de l’église chantonne l’angélus.

    — Bonne idée, l’approuva Joffre en s’emparant du grand balai.

    — Tu peux mettre les bidons de lait sur le bord du chemin aussi… Ti-Bleu va les ramasser dans pas long. S’ils sont pas là, y va continuer jusqu’à la Coopérative centrale, pis on va rester avec. Faut pas gaspiller.

    Après avoir déposé les bidons dans la boîte arrière de son vieux camion, Joffre revint vers l’étable et grimpa dans la tasserie en fredonnant. Sur le bord de la traque, il s’empara de la fourche et commença à jeter du foin aux vaches. Il entendit un grognement et, en se retournant, il vit un homme étendu par terre, le visage enfoui dans la paille. Il descendit l’échelle à toute allure et courut vers la maison de son beau-père.

    En le voyant entrer, Wilbrod, qui prenait des verres de plastique dans l’armoire, pouffa.

    — T’as faim pis c’est vrai, toi !

    — C’est pas ça, il y a un gars couché dans la tasserie, le beau-père ! lança-t-il à bout de souffle.

    — Hein ? Ben voyons !

    — Je ne sais pas s’il est blessé… mais il n’est pas mort, je l’ai entendu se lamenter.

    Edmond et Yolaine se levèrent de table et se dirigèrent en vitesse vers la porte moustiquaire pour suivre Wilbrod jusqu’à l’étable.

    Ce dernier monta au grenier, où il vit l’homme inanimé. Il posa sa main sur le dos de celui-ci et eut un soupir de soulagement en sentant l’individu respirer.

    — Fais attention, prévint Gracia, plantée au bas de l’échelle. Il est peut-être dangereux.

    — Inquiète-toi pas, dans l’état qu’il est, je pense pas qu’il serait assez fort pour me sauter dessus.

    Wilbrod secoua l’inconnu, qui se tourna sur le dos en marmonnant. Il ouvrit les yeux et regarda le plafond en se demandant où il pouvait bien être. Il n’avait aucun souvenir d’avoir grimpé l’échelle et de s’être endormi sur le sol. Il ferma à nouveau les yeux et se mit à ronfler bruyamment.

    Armé d’un bout de bois, Edmond était resté dans la batterie avec Yolaine et Gracia. Wilbrod parlait, mais Joffre avait des difficultés à comprendre ce qu’il disait.

    — Tornon ! C’est Ti-Bonhomme, le quêteux. Ça faisait longtemps que je l’avais vu ici.

    — Bâtard ! s’écria Edmond en laissant tomber son bâton sur la terre battue. Fais attention pareil, mon gars, on sait jamais, il pourrait être dangereux pareil.

    — T’inquiète, p’pa, y est saoul ben raide. Un mendiant trouve toujours une place pour se faire sécher les pieds, ça adonne que c’était à notre tour de l’héberger, sans le savoir. Il a pas mal le teint terreux, aussi.

    Raoul Camiran parcourait les rangs du village depuis quarante ans. Il visitait les gens charitables qui lui servaient un repas et lui offraient un gîte pour passer la nuit. Au petit matin, il reprenait sa route pour une longue journée. Certains résidents écoutaient ses histoires sans queue ni tête. D’autres s’informaient auprès de ce porteur de nouvelles provenant des citoyens chez lesquels il s’était arrêté pour mendier. En échange de sa pitance et d’un lit de paille dans l’étable, le vagabond leur proposait de couper leur bois et de nettoyer les enclos de leur bétail.

    Après que Wilbrod l’eut brassé une seconde fois, l’homme mal vêtu se leva avec difficulté et balaya ses vieux vêtements avec ses mains aux ongles noircis. Il reconnut Wilbrod et le salua avec son sourire édenté, jauni.

    — Salut, monsieur Allaire, je suis votre honorable quêteux. On dirait que vous me reconnaissez pas ? J’ai pas changé tant que ça, à ce que je sache ! lança-t-il, pris d’un vertige.

    — Je t’ai reconnu, Ti-Bonhomme. On peut pas te manquer à l’odeur que tu dégages, répondit Wilbrod en arrêtant presque de respirer. Ça fait combien de temps que tu t’es pas lavé, pis que t’as pas nettoyé tes guenilles, Raoul ?

    — Vous savez comme moé que j’ai pas accès à des machines à linge, s’excusa le petit homme en passant sa main sur sa barbe grise moutonnée.

    — Ouin, c’est un fait, acquiesça Wilbrod, toujours en fixant les vêtements de l’homme.

    Raoul se pencha pour parler à Gracia, qui se tenait au bas de l’échelle.

    — Auriez-vous un quignon de pain pis du thé à me donner, pour l’amour du bon Dieu, madame Allaire ?

    — Vous savez bien que oui, monsieur Camiran, obtempéra Gracia en levant la tête vers le grenier de l’étable. Il reste des morceaux de bacon, des bines pis des patates rôties. Je vais vous faire griller une tranche de pain, avec ça.

    — Merci beaucoup, vous êtes une sainte femme.

    Le vagabond s’avança et descendit l’échelle lentement, suivi de Wilbrod.

    — Heille ! l’arrêta Edmond. Tu vas me faire le plaisir de te décrasser avant de mettre les pieds sur notre perron.

    La tristesse s’empara de Yolaine en voyant l’homme marcher en boitant. Elle avait juste envie de se rendre à la cuisine pour lui cuisiner un bon repas ; selon elle, le dernier devait dater de quelques jours. Elle le trouvait maigre et avec la poussière qui lui couvrait le visage, elle devinait son teint très pâle et les poches sombres sous ses yeux.

    — Je vais vous chercher une serviette et un pain de savon, monsieur, lui offrit Yolaine, prise de bonnes intentions. Vous allez voir en sortant, il y a une cuvette remplie d’eau à votre droite pour vous laver le visage et les mains.

    — Vous voulez que je me lave avec l’eau de votre cheval, madame ? Batinse ! Je suis pas un animal, vous saurez.

    Impatient, Edmond lui lança :

    — Cette eau-là est plus propre que la crasse que t’as sur le corps, Ti-Bonhomme. C’est à prendre ou à laisser. Tu veux manger, ou pas ?

    En regardant Joffre, qui n’avait pas encore parlé, Wilbrod le rassura :

    — Raoul est inoffensif, Joffre. T’as fait le saut quand tu l’as trouvé ? se moqua son beau-père en mettant la main sur son épaule.

    — J’ai été surpris. Je ne l’avais jamais vu ici depuis que je travaille pour vous.

    — Inquiète-toi pas, il vient quêter sa pitance ici depuis quelques mois. Il peut faire peur avec son accoutrement, mais c’est un bon vivant avec le cœur sur la main.

    Le mendiant s’était installé avec les hommes sur la galerie en soupirant de satisfaction. Il avait commencé à raconter sa visite au presbytère quand Gracia avait poussé la porte moustiquaire pour lui présenter une assiette appétissante remplie à rebord avec une tasse de café.

    — Merci, madame Allaire, Dieu vous le rendra.

    — Attendez pas trop, c’est pas très chaud, insista Gracia en tournant les talons pour rejoindre Yolaine à l’intérieur.

    L’homme mangeait vite, en léchant ses doigts à chaque bouchée.

    — Y a-tu de quoi de nouveau dans le boutte, Ti-Bonhomme ? s’informa Edmond, prêt à entendre ses commérages.

    — Comme je partais pour vous dire tout à l’heure : j’ai vu la nouvelle madame curé au presbytère hier matin.

    — Tu veux dire, la nouvelle ménagère du curé, celle qui a remplacé madame Vary ? demanda Wilbrod en allumant une cigarette. Elle peut pas être madame curé, y a pas le droit de se marier.

    — Je sais ben, je suis pas un épais. C’était une manière de parler. Oui, celle qui a remplacé madame Vary. A travaille pour votre gars Marcel pis le vicaire Ayot. Vous l’avez pas encore vue, coudon ? Vous allez pas souvent au presbytère, à ce que je vois.

    — Non. J’ai autre chose à faire que de me tenir au presbytère. Je vais à la messe tous les dimanches, c’est ben correct de même. J’en ai juste entendu parler.

    — C’est une saprée belle créature ! s’exclama Raoul en dessinant deux « S » avec ses mains. A s’appelle Françoise.

    — Calme-toi, le rappela à l’ordre Wilbrod en riant.

    — Ben là ! Un veuf comme moé privé de la bonté d’une créature, depuis que ma Martha est morte, ça m’empêche pas de voir clair pareil, tu sauras.

    — À t’entendre, elle a l’air jeune. Je croyais que quand les curés prenaient une nouvelle bonne à leur service, qu’elle devait pas être mariée pis qu’elle devait avoir au moins quarante ans ?

    — Je dirais environ trente ans. Vous demanderez à votre gars Marcel quand y va venir icitte, c’est lui qui l’a engagée. Y s’entendent ben tous les deux, y arrêtent pas de rire ensemble. Elle est toujours dans son bureau quand j’arrive par la porte de la cuisine en arrière. Depuis qu’elle travaille au presbytère, le vicaire Ayot est pas parlable. Je pense que la jalousie le tiraille.

    — Comment ça ? s’enquit Edmond en grattant une allumette sur la semelle de sa bottine.

    — Je vous l’ai dit tout à l’heure, monsieur Allaire : y est jaloux, le vicaire. Y est jaloux parce que le curé Marcel s’occupe moins de lui. Coudon, êtes-vous rendu dur de la feuille comme le père Fredette au magasin général ?

    Joffre, qui n’avait pas encore parlé, éclata de rire. Malgré son apparence douteuse, il voyait cet homme sans malice d’un œil bienveillant.

    — T’es qui toé ? Je t’ai jamais vu icitte ! questionna le clochard.

    — Joffre Saint-Martin, le gendre de monsieur Allaire, le mari de sa fille Marguerite.

    — La belle Marguerite qui travaille à la pâtisserie ? Eh ben !

    — Exactement. Je vois que vous la connaissez ? s’informa Joffre en détachant la ceinture de son pantalon. Les galettes étaient trop bonnes, j’ai presque vidé le pot.

    — Ben certain, pis est ben fine, votre femme. Elle me donne toujours une boîte remplie de galettes pis de carrés aux dattes quand je passe par le magasin.

    Edmond se leva et secoua sa pipe sur le coin de la marche de la galerie. Il se dirigea vers la porte et se retourna pour parler à son garçon.

    — Y est onze heures, je vais aller faire mon p’tit roupillon avant le dîner. Je vais laver le char après-midi.

    Wilbrod et Joffre se levèrent à leur tour en laissant Raoul seul.

    — Attendez, je vous ai pas raconté ma nouvelle histoire, celle du diable qui a des cornes en marshmallows.

    — Une autre fois, si tu veux, je dois aller à la coopérative chercher ma « paye de lait ».

    — OK. Avez-vous du bois à fendre ? J’aurais le temps de faire ça après-midi.

    — Ça va aller à l’automne. Depuis qu’on a l’électricité, on coupe juste les rondins nécessaires pour le four à pain, expliqua Wilbrod en descendant les marches.

    — Ben, je vais vous le couper pareil, y sera prêt pour l’automne, ça va vous faire une corvée de moins. Pis je prendrais ben quèques galettes au gruau pour faire la route, après, si votre femme en a de fait, comme de raison.

    En sortant de la Coopérative centrale, Wilbrod jeta un œil vers le terrain de croquet et vit le vieux médecin Poudrier qui marchait lentement. Il décida d’aller le saluer pour prendre de ses nouvelles, depuis le temps qu’il l’avait croisé.

    — Bonjour, Wilbrod, ça fait un bout ! lui sourit l’ancien praticien au dos courbé.

    — Comment allez-vous, docteur ? Je veux pas vous déranger…

    — Tu peux me tutoyer, Wilbrod… C’est bien correct, on a pas encore commencé la partie. Alcide est parti aux toilettes, c’est un pisse-minute, celui-là. Tu sais, à notre âge, la tuyauterie est

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