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Place des Érables, tome 6: Le nouveau rendez-vous du quartier
Place des Érables, tome 6: Le nouveau rendez-vous du quartier
Place des Érables, tome 6: Le nouveau rendez-vous du quartier
Livre électronique345 pages7 heures

Place des Érables, tome 6: Le nouveau rendez-vous du quartier

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À propos de ce livre électronique

Dans les années 1960, autour de la Place des Érables, des commerces comme le magasin de variétés de monsieur Méthot et le salon de coiffure d’Agathe Langevin sont emblématiques d’une vie de quartier typiquement montréalaise. Ce dernier tome est un rendez-vous à ne pas manquer avec toutes les familles du coin!




Dans le voisinage, la vie suit son cours, apportant son lot de bonheurs autant que de défis. Eugène vit difficilement sa convalescence auprès d’une Roberte pourtant attentionnée; Daniel songe à son avenir et jongle avec des enjeux familiaux parfois inquiétants, surtout en ce qui concerne sa petite Christine; Agathe voit son fils sombrer dans une vie qu’elle ne peut ni comprendre ni accepter.

De son côté, Arthur n’en peut plus de se languir de sa belle Anna qui s’attarde à Paris. Il tentera de savoir une fois pour toutes de quoi leur futur ensemble sera fait. La mère de Valentin Lamoureux, toujours aussi envahissante et méprisante, continue d’empoisonner la vie de Mado… sa relation avec son fiancé est-elle en danger? Rita, quant à elle, doit s’adapter tant bien que mal à certaines réalités qui influent sur ses perspectives d’avenir avec Mario. Comme quoi la vie n’est pas qu’un long fleuve tranquille!

Un vent de changement et de renouveau souffle cependant à la Place des Érables: un projet impliquera bientôt plusieurs membres de cette petite communauté tissée bien serrée…
LangueFrançais
Date de sortie9 nov. 2022
ISBN9782898274213
Place des Érables, tome 6: Le nouveau rendez-vous du quartier
Auteur

Louise Tremblay d'Essiambre

La réputation de Louise Tremblay-D'Essiambre n'est plus à faire. Auteure de plus d'une vingtaine d'ouvrages et mère de neuf enfants, elle est certainement l'une des auteures les plus prolifiques du Québec. Finaliste au Grand Prix littéraire Archambault en 2005, invitée d'honneur au Salon du livre de Montréal en novembre 2005, elle partage savamment son temps entre ses enfants, l'écriture et la peinture, une nouvelle passion qui lui a permis d'illustrer plusieurs de ses romans. Son style intense et sensible, sa polyvalence, sa grande curiosité et son amour du monde qui l'entoure font d'elle l'auteure préférée d'un nombre sans cesse croissant de lecteurs. Sa dernière série, MÉMOIRES D'UN QUARTIER a été finaliste au Grand Prix du Public La Presse / Salon du livre de Montréal 2010. Elle a aussi été Lauréate du Gala du Griffon d'or 2009 -catégorie Artiste par excellence-adulte et finaliste pour le Grand prix Desjardins de la Culture de Lanaudière 2009.

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    Aperçu du livre

    Place des Érables, tome 6 - Louise Tremblay d'Essiambre

    Partie 1

    Été 1970

    Chapitre 1

    « … Avec le temps

    Avec le temps, va, tout s’en va

    L’autre qu’on adorait, qu’on cherchait sous la pluie

    L’autre qu’on devinait au détour d’un regard

    Entre les mots, entre les lignes et sous le fard

    D’un serment maquillé qui s’en va faire sa nuit

    Avec le temps tout s’évanouit

    Avec le temps

    Avec le temps, va, tout s’en va… »

    ~

    Avec le temps, Léo Ferré

    Interprété par Léo Ferré, 1971

    Le mardi 23 juin 1970, tôt le matin, dans la cuisine des Méthot, transformée temporairement en chambre pour accueillir Eugène

    Les

    Les

    deux mains jointes à la hauteur de son cœur et un vague sourire flottant sur ses lèvres, Roberte pivota sur elle-même, visiblement très fière de son aménagement. Leur cuisine avait des allures de chambre de malade, certes, mais si peu ! Il fallait tout de même que la pièce reste fonctionnelle à la fois pour Eugène, qui entamait sa convalescence, et pour le reste de la maisonnée, à savoir pour Roberte elle-même, qui devait trottiner du matin au soir entre le commerce et le logement. Néanmoins, la pièce restait accueillante et c’était ce que Roberte avait souhaité. En cas de visite, la nouvelle disposition des meubles et la présence de rideaux de cretonne fleurie aux fenêtres, pour tamiser la lumière du jour, transformeraient la pièce en un endroit agréable où partager de bons moments, tout comme elle l’avait été à l’époque où toute la famille se retrouvait assise autour de la table en train de réinventer le monde.

    — Pis ça pourrait encore se réaliser aujourd’hui, parce qu’il reste assez de place pour rallonger la table, murmura la vieille dame, tout heureuse d’aller enfin chercher son mari à l’hôpital.

    Selon Roberte, pétrie de bonnes intentions, il ne manquait plus qu’un soupçon de bonne volonté pour que les Méthot père et fils se réconcilient une bonne fois pour toutes, afin que tous les membres de leur famille soient enfin réunis.

    — Ça serait donc plaisant de se retrouver tous ensemble chez nous, constata-t-elle en soupirant. Ouais, il va falloir que nos deux têtes dures apprennent à mettre un peu d’eau dans leur vin, cârosse ! J’ai dans l’idée que l’heure de la réconciliation a sonné, pis j’vas toute faire pour que ça se réalise !

    Mais Dieu que Roberte avait négocié serré avec son cher mari avant d’en arriver à ce jour où il pouvait enfin quitter l’hôpital !

    Un confortable fauteuil avait remplacé la vieille bergère tout usée qu’Eugène utilisait depuis des décennies et qu’il s’entêtait à garder. Ce nouveau meuble ajustable, un peu massif, Roberte en convenait, servirait de lit à Eugène, pour le temps que durerait sa convalescence, puisque le médecin lui interdisait formellement les escaliers. Il lui conseillait aussi fortement de dormir le haut du corps surélevé, et ce, pour plusieurs semaines encore.

    — Comme ça, votre cœur va moins se fatiguer, monsieur Méthot. Vous l’avez échappé belle, vous savez. Dorénavant, vous devrez vous ménager et je compte bien sur votre épouse pour vous avoir à l’œil !

    — J’suis capable de me surveiller tout seul, avait marmonné le commerçant de cette voix éteinte des grands malades, mais qui dégageait néanmoins une réelle mauvaise humeur.

    Au moment où cette conversation s’était tenue, cela faisait cinq jours qu’Eugène était aux soins intensifs, et malgré une sensation d’épuisement total qui le faisait somnoler comme un bébé, à toute heure du jour ou de la nuit, il commençait à trouver le temps long, ce qui jouait grandement sur son caractère prompt et fougueux.

    — Mes malades disent tous cela, qu’ils peuvent se débrouiller tout seuls, mais j’en doute, avait riposté le médecin, en faisant un clin d’œil qu’Eugène n’avait pas vraiment su interpréter.

    Pierre Granger était un jeunot qui ne plaisait pas tellement au vieux monsieur Méthot. Non seulement ce jeune docteur avait-il l’air d’un chanteur yé-yé, avec ses cheveux trop longs et sa barbichette blonde, ce qui, aux yeux du marchand, était tout à fait inconcevable pour quelqu’un qui portait le sérieux titre de médecin spécialiste, mais de surcroît, le cardiologue avait le verbe facile et la blague douteuse. Le malade, encore tout essoufflé par sa cavale jusqu’aux confins de son existence, n’arrivait jamais à avoir le dernier mot avec l’homme en sarrau blanc, et cela l’agaçait au plus haut point.

    — Vous n’êtes pas le premier à jouer les matamores avec moi, monsieur Méthot, avait ajouté le docteur Granger en refermant le dossier du malade, avant de le remettre à l’infirmière qui l’accompagnait toujours lors de ses visites. Et voyez-vous, la première nouvelle que j’en ai, c’est que ces patients supposément dociles et capables de s’arranger sans aide me reviennent victimes d’un second infarctus, ou affaiblis par un sérieux malaise. Je préfère donc m’en remettre à votre épouse qui, soit dit en passant, est tout à fait charmante. Je lui fais entièrement confiance pour veiller sur vous et pour voir à ce que vous suiviez mes recommandations à la lettre. C’est bien compris ?

    — Ben oui, j’ai compris, avait soupiré le vieil homme, incapable de soutenir très longtemps l’effort d’un affrontement, quel qu’il soit.

    — Merveilleux ! C’est rassurant de voir qu’en fin de compte, j’arrive toujours à bien m’entendre avec la plupart de mes patients, même les plus récalcitrants. Donc, selon ce que votre femme m’a dit de votre maison, pour l’instant, un lit d’hôpital installé dans votre salon serait l’idéal pour vous. Il serait possible d’en louer un ici, pour le temps où vous en aurez besoin. Nous faisons la livraison à l’aller comme au retour.

    Ce à quoi Eugène n’avait rien répliqué. Allez donc faire comprendre à ce médecin trop bavard qu’il n’y avait pas de salon chez lui, mais uniquement une immense cuisine qui faisait office de salle familiale et de salle à manger, et que si son épouse avait utilisé le mot « salon », c’était uniquement pour éviter une longue explication !

    Or, Eugène n’avait aucune envie de dormir bercé par le ronronnement capricieux de leur antique réfrigérateur. Roberte avait beau se plaindre du bruit désagréable, son mari lui avait toujours rétorqué qu’on ne changeait pas un appareil qui rendait encore de loyaux services, malgré un cliquetis étrange et quelque peu dérangeant. Quant à le faire réparer, le vieux commerçant le promettait depuis des années sans trouver le temps d’y voir réellement.

    Le vieil homme s’était donc contenté de fermer les yeux, et il avait attendu la visite de Roberte pour déverser ses griefs dans une oreille qu’il espérait plus compatissante.

    — Si tu m’aidais, il me semble que je pourrais monter dormir dans notre chambre. Qu’est-ce que t’en penses ? Les médecins exagèrent toujours un peu pour nous faire peur, c’est bien connu.

    — Non !

    — Comment ça, non ?

    — Parce que tu monteras pas dans notre chambre pour dormir. Pis non, les médecins exagèrent pas tant que ça. Tu t’es pas vu, mon pauvre Eugène ! L’autre matin, quand t’as eu ton attaque, tu faisais vraiment peur, avec ton nez pincé parce que t’avais mal, pis ta face toute grise parce que t’arrivais pas à respirer normalement. Si chambarder notre cuisine pour quelques semaines est le prix à payer pour que tu te remettes sur pied, c’est ce qu’on va faire. Pis avec un grand sourire, en plus, je t’en passe un papier ! J’suis passée à la pharmacie de l’hôpital pour savoir ce que ça coûterait de louer un lit, pis on m’a répondu que…

    — J’suis peut-être malade du cœur, mais j’ai encore toute ma tête ! avait interrompu Eugène avec l’énergie des quelques forces qu’il sentait lui revenir, un peu plus chaque jour. Il est pas question de faire entrer un lit d’hôpital dans la cuisine chez nous. J’suis quand même pas à l’article de la mort.

    — Ça, c’est toi qui le dis !

    À ces mots, Eugène avait poussé un soupir contrarié.

    — Gériboire, Roberte ! Après tout, c’est moi qui dois savoir comment je me sens, non ?

    Échaudée par l’infarctus de son mari qui lui avait fait appréhender le pire, et craignant une colère qui lui ferait monter le rouge aux joues et débattre le cœur, ce qui ne serait vraiment pas indiqué dans l’état où il se trouvait, Roberte avait rapidement obtempéré.

    — C’est vrai que t’as quand même l’air un peu mieux.

    — Ça fait plaisir de voir que tu l’as constaté… De toute façon, pas question que je reçoive de la visite dans un lit installé dans la cuisine. Là c’est vrai que j’aurais l’air d’un moribond, ou pire, d’un mort dans son cercueil. J’veux pas pantoute que nos petits-enfants prennent peur en voyant leur grand-père « amanché » comme un cadavre.

    — Ben dans ce cas-là, donne-moi jusqu’à demain pour essayer de trouver une autre solution, avait alors déclaré Roberte en se relevant du fauteuil où elle était assise.

    Elle avait fait deux pas devant elle, puis elle avait repris son sac à main, qu’elle avait déposé au pied du lit d’Eugène en arrivant.

    — Astheure, tu vas devoir m’excuser, mon homme, mais il faut que je m’en aille pour voir à la fermeture du magasin avec Maurice.

    Roberte s’était approchée de son mari et elle avait déposé un léger baiser sur sa joue.

    — On se reparlera de tout ça à ma prochaine visite.

    Ensuite, la vieille dame avait tapoté gentiment la main tavelée du marchand, puis elle était ressortie rapidement de la chambre pour se hâter vers l’ascenseur. Elle ne voulait surtout pas rater son fils, qui devait être à la veille d’arriver au commerce familial. S’il y en avait un capable de l’aider avec cette histoire de lit, c’était bien lui !

    En effet, depuis la crise cardiaque d’Eugène, Émilien passait faire un tour au magasin de variétés tous les jours après son travail, afin d’aider sa mère.

    En revanche, même si cela lui brûlait parfois le bout de la langue, Roberte n’en avait pas parlé à son mari, de peur que celui-ci se berce d’illusions, s’imaginant peut-être que son garçon allait changer d’avis et reprendre le commerce familial. Il n’en restait pas moins qu’Émilien lui donnait un sérieux coup de main. Avec Maurice, leur employé, qui avait accepté de bon cœur d’allonger ses heures d’ouvrage, Roberte s’en tirait, ma foi, pas trop mal. Le simple fait que son mari soit encore bien vivant suffisait à donner des ailes à la vieille dame.

    Ce fut donc après une courte discussion, alors qu’Émilien et elle rangeaient autour d’eux avant de verrouiller la porte du magasin jusqu’au lendemain, que son fils lui avait proposé la perle rare.

    — Un fauteuil ben confortable, pis qu’on peut ajuster avec une poignée pour en faire une sorte de chaise longue. Ça s’appelle un La-Z-Boy. C’est peut-être pas l’idéal pour dormir toute une nuit, mais comme papa peut pas s’allonger complètement, il me semble…

    — Il me semble à moi aussi que c’est une excellente idée ! avait alors interrompu Roberte, trop heureuse de voir poindre à l’horizon l’ombre d’une solution. De toute façon, on a pas vraiment le choix, puisque ton père refuse d’avoir un lit dans la cuisine, pis que le docteur, lui, veut pas qu’il monte l’escalier.

    Tout en parlant, la commerçante avait secoué vigoureusement sa belle tête blanche, avant de se diriger à l’autre bout de l’allée. Elle avait en main une boîte de céréales Corn Flakes qui avait abouti à côté des tomates en conserve.

    — Pis tu pourrais nous avoir ça dans combien de temps, un fauteuil de même ? avait-elle demandé, tout en se tournant vers Émilien.

    Roberte espérait ne pas s’être réjouie trop vite.

    — Selon le docteur Granger, ton père devrait sortir de l’hôpital mardi prochain avant le dîner. Ça va venir vite !

    — Pas de trouble, maman, j’en ai en stock !

    — Ah oui ? Ben coudonc… C’est quand même pratique, un magasin qui garde des meubles en inventaire, avait-elle souligné, tout en se disant qu’avec leur petit entrepôt, Eugène et elle n’auraient jamais pu se le permettre.

    — Il y a juste papa pour dire le contraire, avait alors spécifié malicieusement Émilien. Par contre, c’est plus dispendieux qu’un fauteuil ordinaire…

    — Ah oui ? Dispendieux comment ?

    Connaissant les usages de la famille, qui voulait que le moins cher payé soit toujours l’idéal, Émilien avait éludé la question par une proposition qui saurait plaire à sa mère.

    — Laisse-moi voir avec mon patron… Pour mes parents, j’vas demander à mon patron si je peux obtenir le prix consenti aux employés. Compte tenu de la situation, ça devrait même être assez facile de convaincre monsieur Garneau.

    À ces mots, Roberte avait froncé les sourcils et elle avait remis les céréales à leur place habituelle en soupirant. Tout dans son attitude disait qu’elle doutait des propos de son fils.

    — Tu peux faire ça, toi, obtenir un rabais, même si t’es pas le grand patron du magasin ? avait-elle demandé, de toute évidence sceptique, tout en dévisageant Émilien. Tu dirais pas ça juste pour me dorer la pilule, avant de me sortir un prix de fou ?

    — Ben non, voyons ! C’est comme ça que ça fonctionne dans les grandes compagnies. Tous les employés qui travaillent bien ont droit à certains avantages.

    — Eh ben… Tu vois, Émilien, j’aurais jamais cru que c’était possible, une affaire de même…

    — Pis moi, je m’en doutais un peu, rapport que ça rejoint tout ce que mes amis me racontaient à propos de leur job. Parce que j’ai pas pris ma décision d’aller travailler là sur un coup de tête, tu sauras. J’en ai parlé autour de moi, j’en ai longuement jasé avec mes amis, du temps que je travaillais encore avec toi pis popa.

    — Ah… Parce que tu parlais de ton travail chez nous avec tes amis ?

    — Pourquoi pas ?

    Roberte avait accueilli les propos de son fils en haussant les épaules.

    — Ouais, en effet… Pourquoi pas…

    Un petit malaise avait tout de même fait glisser un peu d’inconfort entre la mère et le fils, au souvenir de la discussion qui avait opposé Eugène à Émilien, le jour où ce dernier avait annoncé qu’il ne reprenait pas le commerce familial.

    Sur cette pensée, la vieille dame avait haussé les épaules une seconde fois, au moment où Émilien continuait, sur un ton nettement plus sérieux.

    — Tu sais, moman, c’était pas pour m’obstiner avec popa si j’ai fait le choix de pas accepter son offre. C’était parce que ça correspondait pas pantoute à nos préférences, à Gisèle pis moi.

    — Ça, on le sait, tu nous l’as dit.

    — C’est vrai. Mais ce que j’ai pas eu le temps d’ajouter, par exemple, parce que popa m’a mis à la porte comme un malpropre, c’est que pour ma femme pis moi, l’important, c’est pas d’être propriétaires d’une maison ou d’une entreprise. Non, c’est loin d’être essentiel dans notre vie. On est locataires, on a des boss tous les deux, pis ça nous convient tout à fait. En plus, Gisèle avait pas du tout envie de changer son travail de secrétaire juridique pour devenir vendeuse… Sa paye s’est bonifiée avec les années pis ça serait dur de battre ça… De toute façon, ce qu’on souhaite, c’est d’avoir la chance de voyager un peu partout dans le monde. T’avoueras avec moi que tenir un magasin comme le vôtre, ça nous aurait empêchés de réaliser notre rêve. C’est surtout ça qui a fait pencher la balance dans le sens contraire de ce que vous espériez, popa pis toi. On veut être libres comme l’air pour faire ce qui nous plaît, quand ça nous plaît, pis le plus rapidement possible, parce qu’on aimerait ben ça que notre fille puisse en profiter elle aussi, avant d’être devenue trop grande pour nous suivre.

    — Ben, t’aurais dû le dire, mon garçon, avait fait remarquer Roberte avec une certaine amertume dans la voix. J’suis à peu près certaine que ton père aurait pu comprendre un argument comme celui-là… À tout le moins, on aurait tenté de trouver un terrain d’entente. Après tout, on est pas manchots, Eugène pis moi, pis on est encore assez jeunes pour être capables de voir au magasin à l’occasion de vos voyages.

    — Peut-être pour un moment, oui, mais à long terme, on se serait retrouvés coincés dans une situation qui nous convenait pas. C‘est plate à dire, moman, mais vous serez pas éternels… De toute façon, de la manière que popa m’a traité, ça me tentait pas pantoute d’avoir l’air de le supplier pour quoi que ce soit…

    Puis, dans un souffle, Émilien avait ajouté :

    — Pis l’orgueil a fait le reste.

    À ces mots, Roberte avait approuvé, en secouant vigoureusement sa belle tête blanche.

    — Comme lui, finalement… Tel père, tel fils !

    — Si tu veux, oui… Sauf que pour popa, ça l’a mené tout droit à l’hôpital, tandis que chez nous, on se préparait à vous annoncer qu’on partait pour Paris en septembre prochain…

    — C’est un reproche ?

    — Ben non, voyons !

    Pas de doute possible, la sincérité d’Émilien était absolue et Roberte avait aussitôt regretté sa remarque.

    — Je le sais ben que popa a pas fait exprès pour avoir une crise de cœur, avait alors reconnu le jeune homme… Mais à cause de ça, j’sais plus tellement si ça serait une bonne affaire de partir aussi loin qu’en Europe. Avec une santé plus fragile…

    — Laisse faire la santé de ton père, j’suis là pour m’en occuper ! avait alors tranché Roberte, tout en redressant les épaules. Trouve-nous un fauteuil confortable à bon prix, pis considère que t’en auras fait beaucoup pour nous deux… Il faudrait pas rater un beau voyage comme celui-là pour probablement pas grand-chose. L’Europe, Paris… C’est un rêve pour ben du monde, pis ça a été longtemps le nôtre aussi, à ton père pis moi.

    À ce souvenir, Roberte s’était arrêtée un instant, songeuse, revoyant le bref séjour qu’elle avait jadis effectué avec son homme dans la Ville Lumière. On était alors en septembre et la semaine avait été comme un merveilleux rêve pour elle. Puis elle avait esquissé l’ombre d’un sourire, avant de revenir à son garçon.

    — Tu vois, malgré le magasin pis toutes ses contraintes, on est allés passer une belle semaine à Paris… Mais c’est pas de ça qu’on parle pour le moment. Dis-toi qu’avec ses nouveaux médicaments pis encore ben du repos, ton père devrait se remettre d’ici à l’automne, pis nous revenir aussi fringant qu’avant. C’est le docteur lui-même qui me l’a dit. Mais comme je le connais, je préfère qu’il soye pas mis au courant tusuite. Apprendre qu’un jour, plus rien va paraître de son « infractus », ça serait ben en masse pour qu’il retourne au magasin à partir de la semaine prochaine, pis c’est là qu’il pourrait mourir… Ouais, occupe-toi du fauteuil, pis pendant ce temps-là, moi, j’vas faire comprendre à Eugène qu’il a pas tellement le choix : ou il accepte de payer le prix qu’il faut pour le fauteuil, ou c’est un lit d’hôpital qui rentre dans notre cuisine. Un point c’est tout !

    Le lendemain soir, durant la visite de Roberte, la discussion avec Eugène avait été plutôt houleuse, mais la vieille dame avait tenu son bout. À force de devoir prendre de plus en plus de décisions toute seule, elle avait gagné en confiance et en arguments. En fin de compte, complètement épuisé, son mari avait rendu les armes.

    — Fais donc comme tu l’entends, ma femme. Ça me tente pas de « m’ostiner » avec toi. De toute façon, parti comme c’est là, j’ai plus grand-chose à dire dans ma propre vie, gériboire !

    L’aigreur entendue dans la réponse de son mari avait mis la vieille dame tout à l’envers, surtout quand il avait ajouté :

    — Pis disons que tu peux partir tusuite. Je me sens fatigué tout d’un coup.

    Roberte était revenue chez elle le cœur dans l’eau. La belle complicité qui l’avait unie à son mari avait-elle été emportée par la maladie ? Elle-même finirait-elle sa vie aux côtés d’un homme revanchard et insupportable ?

    Cette nuit-là, l’épouse d’Eugène avait bien mal dormi.

    Mais tout cela était maintenant derrière elle, et aujourd’hui, en ce beau mardi de juin, aux alentours de dix heures, elle prendrait un taxi pour se rendre à l’hôpital et elle demanderait au chauffeur de bien vouloir attendre quelques minutes pour que son mari revienne chez lui sans prendre de risques inutiles. Le médecin avait plutôt recommandé une ambulance, mais connaissant l’orgueil de son Eugène, Roberte avait insisté auprès du docteur Granger, lui expliquant que le pauvre homme aurait été humilié de rentrer chez lui sur une civière, sous les yeux de son voisin, le pharmacien Lamoureux, souvent attiré à la porte de son commerce quand certains bruits inhabituels agaçaient son oreille. Puis il y avait leur employé Maurice, qui se transformerait probablement en garde-chiourme envers le malade, ce qui risquait de provoquer des étincelles. Et cela, c’était sans compter les incontournables clients de leur magasin de variétés, car en fin d’avant-midi, ils étaient toujours plutôt nombreux à envahir le commerce pour des courses de dernière minute avant le repas du midi.

    — Si vous jugez que mon mari est assez fort pour revenir à la maison, il me semble que mon Eugène devrait être capable de marcher entre la porte de l’hôpital pis un taxi, non ? avait-elle donc conclu. Si c’est pas le cas, j’avouerais que je préférerais grandement que vous le gardiez encore pour quelques jours, parce que sinon, c’est moi que vous risquez de voir apparaître dans une ambulance !

    Encore une fois, Roberte avait gagné.

    Ce fut donc une femme pétillante de bonne humeur qui se présenta à la chambre du malade, en ce beau mardi matin d’été.

    Eugène attendait son épouse, assis dans le fauteuil en cuirette d’un brun douteux qui occupait un coin de la chambre. Le vieil homme, immobile, fixait le mur de briques de l’autre côté de la rue. Il avait revêtu les vêtements que son épouse lui avait apportés la veille au soir, et il semblait flotter dedans. Sa petite trousse de toilette était déjà sur son lit, prête à partir, elle aussi.

    De toute évidence, Eugène avait très hâte de quitter l’hôpital.

    Roberte s’arrêta un instant sur le seuil de la porte, se demandant à brûle-pourpoint à quoi son homme pouvait bien penser. À cette chance que la vie lui donnait de prendre un nouveau départ ? Le temps de se dire, attristée, qu’après plus de quarante-cinq ans de mariage, elle était encore incapable d’imaginer les pensées les plus intimes de son mari, puis elle entra dans la chambre en toussotant pour l’aviser de sa présence. Eugène tourna les yeux vers elle, et un large sourire illumina aussitôt son visage amaigri.

    — Mais t’es ben belle, à matin, ma Roberte !

    Cette dernière se mit aussitôt à rougir, toujours aussi sensible aux compliments de son homme.

    — Tu trouves ?

    — Et comment ! Avec ta belle robe à fleurs bleues, j’ai l’impression que tu t’es préparée pour aller danser.

    — Disons qu’aujourd’hui, c’est pas l’envie qui manque !

    Eugène ravala son sourire.

    — Comment ça ? demanda-t-il, en fronçant ses sourcils broussailleux qui semblaient encore plus fournis depuis qu’il avait perdu du poids et que son visage était émacié. C’est-tu parce qu’on est jamais allés danser, toi pis moi, pis que ça t’a manqué ?

    — Pantoute, mon homme ! Si j’avais eu le pied léger, comme ma mère disait, je t’aurais demandé de m’emmener au bal du samedi soir, au sous-sol de l’église, même si je savais que t’étais pas entiché de la musique forte. C’est une des premières choses que tu m’as dites, pis t’as pas eu besoin de te répéter. Non, si j’ai mis ma plus belle robe, à matin, c’est parce que j’suis heureuse.

    En quelques pas, Roberte avait rejoint Eugène. Elle posa une main fraîche sur la joue mal rasée de son homme et elle sentit son cœur se serrer. Alors, en grimaçant, parce que cela lui demandait un certain effort, elle arriva à s’accroupir devant lui, puis elle emprisonna l’une de ses mains osseuses entre les siennes et elle embrassa le bout de ses doigts.

    — La nuit dernière, expliqua-t-elle d’une voix émue, l’idée que j’aurais pu me retrouver veuve m’a traversé l’esprit, pis laisse-moi te dire que j’ai pas aimé ça pantoute.

    — Ben voyons donc ! C’est pas une petite faiblesse qui va avoir raison d’un homme comme…

    — Laisse-moi finir, Eugène ! Pis surtout, arrête de te croire invincible, parce que tu l’es pas. Pas plus que moi, d’ailleurs… Non, moi, vois-tu, je prends ton malaise pour un avertissement du Bon Dieu. On est plus des jeunesses, pis c’est ça qu’Il a voulu nous rappeler.

    — Ben tu iras dire ça à notre garçon, rétorqua le vieil homme avec aigreur. S’il avait voulu prendre notre place, aussi, on serait probablement pas ici…

    — Non ! Là, ça suffit !

    Le temps de prononcer ces quelques mots, et Roberte s’était relevée promptement, portée par une impatience toute légitime qui frôlait la colère et qui redonnait toute leur belle vigueur à ses jambes de vieille dame. D’un geste machinal, elle replaça les plis de sa robe, avant de tancer son mari avec l’index.

    — Écoute-moi ben, Eugène Méthot, parce que je me répéterai pas deux fois, pis ce que j’ai à te dire est ben important.

    Le ton était on ne peut plus décidé.

    Curieusement, depuis que Roberte avait eu la preuve qu’elle pouvait fort bien se débrouiller toute seule, et deux fois plutôt qu’une, parce que l’année précédente, elle avait pris les commandes du magasin durant un certain temps, son mari ayant été victime d’un tour de reins, elle n’avait plus l’intention de le laisser lui dicter l’attitude à adopter. Oh ! Elle ne s’amuserait pas à le contredire inutilement, la douceur étant l’une de ses belles qualités, mais au besoin, et sachant qu’elle avait raison, elle saurait faire entendre son point de vue sans craindre

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