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Du côté des Laurentides, tome 1: L'école de rang
Du côté des Laurentides, tome 1: L'école de rang
Du côté des Laurentides, tome 1: L'école de rang
Livre électronique318 pages5 heures

Du côté des Laurentides, tome 1: L'école de rang

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À propos de ce livre électronique

À l’automne 1931, la jeune Agnès Lafrance réalise son rêve: elle sera institutrice. Cependant, à son arrivée dans le village des Laurentides où on l’a assignée, elle déchante. Rien ne se passe comme elle l’avait imaginé… S’installant tant bien que mal dans son nouvel environnement, elle se console en songeant à l’immense bonheur de contribuer à l’éducation – et à la vie – de tous ces enfants qu’elle aime déjà.
Les liens créés avec Honorine Théberge, son époux Romuald et leurs enfants agiront comme un baume au milieu de la tourmente. Auprès d’eux, la jeune institutrice retrouvera un peu de la chaleur humaine et familiale qui lui manque cruellement. Mais à l’ombre des magnifiques Laurentides, Agnès vivra, au cours de cette première année d’enseignement, déceptions, suspense et tragédie… La joie, la solidarité et l’amour seront-ils suffisants pour lui donner la force de poursuivre son rêve?
Un nouveau roman bouleversant et réconfortant à la fois, qui gagnera instantanément le cœur des milliers de fans de Louise Tremblay d’Essiambre!
LangueFrançais
Date de sortie13 nov. 2019
ISBN9782897588298
Du côté des Laurentides, tome 1: L'école de rang
Auteur

Louise Tremblay d'Essiambre

La réputation de Louise Tremblay-D'Essiambre n'est plus à faire. Auteure de plus d'une vingtaine d'ouvrages et mère de neuf enfants, elle est certainement l'une des auteures les plus prolifiques du Québec. Finaliste au Grand Prix littéraire Archambault en 2005, invitée d'honneur au Salon du livre de Montréal en novembre 2005, elle partage savamment son temps entre ses enfants, l'écriture et la peinture, une nouvelle passion qui lui a permis d'illustrer plusieurs de ses romans. Son style intense et sensible, sa polyvalence, sa grande curiosité et son amour du monde qui l'entoure font d'elle l'auteure préférée d'un nombre sans cesse croissant de lecteurs. Sa dernière série, MÉMOIRES D'UN QUARTIER a été finaliste au Grand Prix du Public La Presse / Salon du livre de Montréal 2010. Elle a aussi été Lauréate du Gala du Griffon d'or 2009 -catégorie Artiste par excellence-adulte et finaliste pour le Grand prix Desjardins de la Culture de Lanaudière 2009.

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    Aperçu du livre

    Du côté des Laurentides, tome 1 - Louise Tremblay d'Essiambre

    Première partie

    Septembre et octobre 1931

    Chapitre 1

    Lettre d’Agnès à Marion

    « Chère amie,

    Moi qui déteste écrire, depuis toujours peut-être, je me retrouve avec une plume à la main et je suis tout énervée de pouvoir enfin rédiger cette lettre. C’est le monde à l’envers !

    Mais si je ne veux pas devenir complètement folle, je dois parler de ce que je vis ici, et ce n’est pas avec Fulbert ou avec mes parents que je peux le faire, car ils seraient morts d’inquiétude.

    Alors, j’ai pensé à toi, chère Marion.

    Je vais essayer de tout bien expliquer pour que tu puisses te faire une idée de l’endroit où je me suis retrouvée. Ensuite, je te parlerai des gens que je devrai côtoyer, ici à l’école, et un peu plus loin vers le sud, au village.

    Laisse-moi te dire, d’abord et avant tout, que c’est loin d’être le paradis que j’avais imaginé !

    Pas de comité d’accueil, hier à la gare, et pas d’amis ou de parents avec moi pour m’accompagner. J’ai voulu faire ma fine en disant qu’à partir de maintenant, j’étais enfin maîtresse de ma destinée, et c’est pourquoi j’ai décliné l’offre de matante Lauréanne qui aurait bien voulu voir à mon installation. J’aurais donc dû l’écouter et accepter sa proposition, parce que rien, jusqu’à maintenant, ne ressemble à l’idée que je m’étais faite.

    La première surprise que j’ai eue en arrivant en ce dimanche tout gris et frais, c’est d’apprendre qu’il y a une autre institutrice à Saint-Clément-des-Laurentides. On ne m’en avait jamais parlé. C’est elle qui m’attendait sur le quai de la gare. Elle s’appelle Irène Lajoie et laisse-moi te dire qu’elle n’a de joyeux que son nom. Elle doit avoir cent ans au minimum, et elle enseigne au village. C’est à elle que je devrai rendre des comptes, une fois par semaine. Et quand je dis des comptes, c’est vraiment le cas. Elle veut savoir exactement ce que j’ai dépensé, tant pour les besoins de la classe que pour mes besoins personnels, et elle veut suivre l’évolution de chacun des élèves. Elle a dit que c’était pour me donner un coup de main en cas de besoin, mais j’ai un peu de difficulté à le croire. Par contre, je ne suis pas du tout certaine que l’idée de me savoir surveillée ainsi me plaise beaucoup. Mais bon, je n’ai pas le choix, n’est-ce pas ? Personne ne me forçait la main lorsque j’ai signé mon contrat… J’aurais peut-être préféré, toutefois, qu’on me prévienne de la présence d’une autre institutrice.

    Donc, quand je suis arrivée à la gare, mademoiselle Lajoie a demandé à deux hommes qui flânaient par là de bien vouloir transporter ma caisse et ma valise à l’arrière de son bogey, et nous sommes parties sans plus de cérémonie.

    C’est en arrivant à ma petite école, peinte en rouge avec des volets blancs, et qui devra rester propre et pimpante, comme l’a spécifié mademoiselle Lajoie, que j’ai compris que je n’aurai ni électricité ni eau courante. Ça fait tellement longtemps que je suis habituée à toutes ces choses-là que je n’avais même pas pensé à me renseigner. Avoir su…

    Tous les matins, je dois donc aller dans une sorte de cabanon, à côté de l’école, pour puiser de l’eau. Te rends-tu compte ? Je n’ai jamais eu à faire ça, moi ! Irène Lajoie m’a assuré, avec un grand sourire, où j’ai pu constater qu’il lui manquait une dent, que même en hiver, je n’aurais aucune difficulté à m’approvisionner, parce que le puits ne gèle jamais, si on actionne la pompe quelques fois par jour. La belle affaire ! Ils n’auraient pas pu installer leur pompe dans l’école elle-même, non ? Même si je n’ai que quelques pas à faire, je n’aime pas ça.

    Dans le même cabanon, il y a une sorte de petit placard qui sert de toilettes, pour moi comme pour les élèves ; et le long du mur, quelqu’un a empilé dix cordes de bois pour que je puisse alimenter un énorme poêle en fonte qui trône dans un coin de la classe. À moi d’être économe sur le chauffage, car la provision de bûches est supposée suffire pour toute l’année scolaire. S’il en manque, ce sera à moi de payer de ma poche pour en avoir plus. Et ça vaut aussi pour la chaux que je dois mettre dans les latrines. Ces détails-là aussi m’ont été annoncés par mademoiselle Lajoie.

    Ouache ! Les latrines… Tu parles d’une corvée dégoûtante !

    Juste pour ça, j’avais déjà envie de faire demi-tour…

    Mais ce n’est pas tout !

    J’habite au-dessus de la salle de classe. Ça, je le savais. Mais je croyais que c’était un deuxième étage, comme à la maison de mes parents, quand on habitait à Sainte-Adèle-de-la-Merci, ou encore une sorte de logement, comme chez mononcle Émile, avec une ou deux pièces et surtout, une cuisine normale. Mais non ! Il n’y a qu’une grande pièce avec un lit dans un coin, une table et deux chaises au milieu, et une grosse armoire avec un peu de vaisselle dedans et quelques cintres pour que je puisse accrocher mon linge. Je vais donc dormir, manger et vivre dans le grenier. Nous ne sommes qu’en septembre, et la nuit dernière, j’ai eu froid… Qu’est-ce que ça va être en janvier ?

    Finalement, j’ai pris toute la soirée d’hier pour m’installer le mieux possible, et pour faire un grand dessin sur le tableau noir pour que ça soit joli quand les élèves vont arriver demain.

    Au début du rang, il y a quelques maisons et un des habitants avait entendu parler de moi, dans une réunion quelconque. Il est donc venu se présenter en soirée, hier, et il m’a aidée à monter ma caisse au grenier. Une chance qu’il a eu l’idée de venir me saluer parce que sinon, ma caisse serait toujours dans la classe. Il s’appelle Romuald Théberge. Je vais avoir deux de ses enfants dans ma classe. Une fille qui va être en septième année, et un garçon qui commence la première année.

    Comme je te l’ai écrit, le poêle qui est supposé être capable de chauffer tout le bâtiment est dans la classe, alors je dois descendre mes chaudrons si je veux faire cuire mon repas. Moyen aria, oui ! Et si je veux me laver à l’eau chaude, ou je monte une bassine à l’étage, ou je me lave dans la classe. C’est complètement ridicule ! Je n’aurai pas le choix, et je vais demander à mes parents de me procurer un paravent pour avoir au moins un peu d’intimité. Ils doivent venir me voir au début du mois d’octobre, j’ai donc le temps de leur écrire, car bien sûr, je n’ai pas le téléphone… Pour faire des appels, je vais devoir aller au bureau de poste…

    Je sens que je vais m’ennuyer de la ville et de toutes ces commodités qui font partie de ma vie depuis toujours.

    Heureusement, je vais être très occupée, puisque je vais enseigner à une trentaine d’enfants, de la première à la septième année. Comme ça, le temps devrait passer assez vite. Mademoiselle Lajoie m’a remis la liste des noms. Quand je vais avoir fini d’écrire ta lettre, je veux préparer un beau cahier avec le nom des élèves inscrit dedans. Un élève par page, et j’y ferai le suivi de ses travaux. Comme ça, la vieille Irène n’aura rien à me reprocher. Je sens qu’on ne s’entendra pas tellement bien, elle et moi. Elle a l’air d’une moyenne tatillonne… C’est une sorte de tante Félicité pour l’apparence, avec sa toque grise et ses robes longues, mais une sorte de Félicité Gagnon qui aurait des allures de sorcière, à cause de son humeur plutôt désagréable et de sa dent en moins. Peux-tu essayer de te l’imaginer ? On a passé à peine une heure ensemble, et elle m’énerve déjà !

    Par contre, j’ai rencontré le boulanger et son épouse, tôt ce matin. Ils s’appellent Omer et Gracia Dompierre, et ils sont très gentils. Je n’aurai pas leurs enfants dans ma classe, puisqu’ils habitent au village, mais ils m’ont quand même donné un pain tout chaud en disant que je n’avais qu’à aller les voir au besoin. Il y aura toujours du pain frais pour les institutrices, que m’a dit monsieur Omer. À un bon prix, que sa femme a ajouté. Le jeudi en fin d’après-midi, moyennant quelques sous, ils pourront aussi me vendre des fèves au lard. Je devrais avoir ça au fond de mon placard, un pot pour pouvoir m’en ramener. Sinon, j’en achèterai un au magasin général. Inutile de te dire que Fulbert ne m’a pas laissée partir au fin fond des campagnes sans me laisser pas mal d’argent, n’est-ce pas ? Alors, compte sur moi pour profiter d’un repas que je n’aurai pas à préparer, au moins une fois par semaine ! Et compte sur moi surtout pour ne rien dire à Irène Lajoie de ces achats faits avec l’argent de Fulbert. Ça ne la regarde pas.

    Il y a aussi le marchand général qui est plutôt gentil. Jonas Lacombe… Il me fait penser à mononcle Émile, car il sourit tout le temps et il dit « nom d’une pipe » à toutes les trois phrases. Et c’est un fameux vendeur ! Si je l’avais écouté, je serais ressortie de son magasin avec un plein sac de provisions. Je vais dire à mon père d’aller le voir, ça va peut-être lui donner des idées pour sa petite épicerie ! Jonas Lacombe m’a précisé qu’il était marié, mais je n’ai pas encore rencontré sa femme et je ne sais pas s’il a des enfants.

    Enfin, le village n’est pas trop loin. À peine vingt-cinq à trente minutes de marche. En hiver, peut-être que je vais trouver ça long, mais pour l’instant, c’est plutôt agréable, car la région est très belle. Je n’avais jamais connu les paysages de montagnes avant, et je dois avouer que ça me plaît beaucoup.

    C’est pas mal tout ce que je voulais t’apprendre. Tu seras probablement la seule à qui je vais avouer que je suis quand même un peu déçue par la tournure des événements, parce que j’ai ma fierté et qu’il n’est pas question du tout d’aller me plaindre à mes parents, ni à mon oncle et ma tante, et encore moins à Fulbert. En parlant de lui… Dans les conditions dans lesquelles je vis, je crois que je vais beaucoup m’ennuyer de mon fiancé.

    Même si je n’ai pas toujours été fidèle, côté écriture, j’espère sincèrement recevoir une lettre de ta part. Ça va me donner la sensation de garder un certain contact avec le monde moderne, pour le temps où je vais vivre ici !

    Et promis, je vais te répondre !

    En attendant, je t’embrasse, et dis bonjour à madame Éléonore pour moi.

    Ton amie, Agnès

    P.S. – Tu me diras comment ça va dans la cuisine du manoir depuis que votre cuisinière est mariée ! Est-ce que ça a changé quelque chose ? »

    Le mardi 8 septembre 1931, dans une des maisons au carrefour des deux routes, dans la cuisine des Théberge

    — Maman, maman… T’es où ?

    Entré en coup de vent dans la maison, un gamin d’au plus six ans, plutôt maigrichon, s’époumonait à appeler sa mère. La réponse lui parvint de l’étage.

    — J’suis en haut, dans la chambre des filles… Reste où tu es, Jean-Baptiste ! Je descends dans deux petites minutes.

    Le petit Jean-Baptiste était ce genre d’enfant qui ne tenait pas en place. Il venait de vivre sa première demi-journée d’école, et il avait hâte de tout raconter à sa mère qui, jusqu’à ce matin, avait été le centre de son univers. Voilà pourquoi, à la seconde où Honorine parut dans l’embrasure de la porte, Jean-Baptiste se précipita vers une femme assez grande et forte, aux joues rondes couperosées, et au sourire facile. Le bleu de ses yeux était un morceau de ciel d’été, qu’elle avait partagé avec son fils, et la profondeur de son regard charmait tous ceux qui avaient la chance de la croiser. Autrement, Honorine n’était pas une jolie femme. Massive et le cheveu filasse d’un brun terne, elle n’avait attiré aucun homme avant Romuald Théberge. En fait, soyons honnêtes, il n’y avait que Jean-Baptiste qui la trouvait belle comme un ange, et, présentement, il la dévorait des yeux.

    — Maman enfin ! Pourquoi t’étais en haut ?

    — Pour faire de la place dans les tiroirs de tout le monde. Après-midi, j’veux sortir les chandails de laine du gros coffre qui est dans ma chambre pour les faire aérer avant de les ranger.

    — Pourquoi tu sors les gilets ?

    — Parce que c’est l’automne, voyons ! Tu n’as pas remarqué qu’il commence à faire un peu plus froid, le matin ?

    — Ben…

    Comme le gamin ne semblait pas accorder beaucoup de crédit aux propos de sa mère, celle-ci se dépêcha d’ajouter.

    — Ce n’est pas sérieux, Jean-Baptiste ! Tu n’as vraiment pas remarqué, ce matin, en partant pour l’école, qu’il y avait même une petite gelée sur les brins d’herbe ?

    — Non, j’ai pas vu ça. Juliana marchait tellement vite que j’ai couru pour rester avec elle. Ça fait que j’ai rien vu pantoute, pis j’ai pas eu froid, non plus. Mais je pense aussi que j’étais un peu trop énervé pour penser à ça.

    — Et on dirait bien que ça ne t’a pas passé… T’es toujours aussi énervé !

    — Ben quoi ! T’aurais-tu oublié que c’était la première journée d’école de toute ma vie ?

    — Comment j’aurais pu oublier une affaire comme celle-là ? Ça fait un mois que tu nous rabats les oreilles avec ça, tous les jours.

    — C’est juste que je savais pas c’était quoi, l’école. Astheure, j’en parlerai pus tant que ça, parce que je l’ai vue, pis je trouve que ma classe est ben belle… Non, si j’suis énervé, à midi, c’est parce que tu prends toujours trop de temps quand t’es en haut.

    — Un peu de patience, mon beau Baptiste. Ça fait des années que je te dis que l’univers ne tourne pas juste autour de toi… Il faut savoir attendre, dans la vie, sinon, tu risques d’être bien malheureux… Maintenant, décroche de ma jupe, et laisse-moi passer. J’ai un repas à préparer avant que ton père et les deux grands me tombent dessus, affamés comme de coutume… Alors, mon garçon ? Comment t’as trouvé ça, l’école ?

    Tout en parlant, Honorine s’était dégagée et, s’approchant du comptoir en bois verni, elle avait choisi une bonne douzaine d’œufs dans le bol en faïence. Puis, elle avait sorti de la glacière le pot en fer-blanc qui contenait du lait frais et bien crémeux, et de l’armoire, un large bol en métal. Elle allait faire une omelette pour le repas du midi. Avec du pain frais et une motte de beurre, plus quelques tomates bien rouges, qu’elle avait cueillies un peu plus tôt dans le jardin, le repas allait être parfait.

    — L’école, c’est pas mal pantoute, tu sauras !

    Sous sa toison de boucles blondes indisciplinées, Jean-Baptiste était tout souriant, et surtout, très sûr de lui. Honorine prit le temps de répondre à son sourire, tant parce qu’elle était amusée par la réponse que par le fait qu’elle l’aimait beaucoup. Puis, elle se détourna pour commencer à casser les œufs.

    — Tu m’aurais dit le contraire que j’aurais été ben surprise, lança-t-elle par-dessus son épaule… T’es toujours content de tout, toi !

    — Mais là, c’est pas pareil.

    — Comment ça, pas pareil ?

    — Parce que la maîtresse est pas mal fine, pis quand le monde est gentil avec moi, c’est sûr que j’suis content… Elle a pas crié par la tête de personne, pis elle savait déjà nos noms presque par cœur quand on est arrivés.

    — Ah oui ? Vous êtes une bande de chanceux d’avoir une maîtresse qui connaît vos noms dès le premier jour ! Et elle, Jean-Baptiste, as-tu au moins appris comment elle s’appelait ?

    — Ben sûr, voyons ! Elle s’appelle Lafrance.

    Mademoiselle Lafrance.

    — C’est un très joli nom… Ça nous donne envie de voyager… Et son prénom, lui, est-ce que tu le connais ?

    — Ben là…

    Arrêté en plein élan par la question de sa mère, Jean-Baptiste fit de gros efforts pour se remémorer le prénom de son institutrice. Malheureusement, celui-ci s’était très bien caché dans sa tête, comme cela lui arrivait assez souvent avec les petits détails. Sourcils froncés, le gamin resta silencieux un bon quart de minute, ce qui, dans son cas, était une véritable prouesse, puis il ouvrit les bras en signe de reddition.

    — Je pense qu’elle l’a pas dit, conclut-il au bout de cette brève réflexion, tout en haussant les épaules.

    — Moi, vois-tu, je pense plutôt que t’étais un petit garnement trop excité pour retenir un mot nouveau, et que tu n’as pas bien écouté tout ce que l’institutrice a dit.

    Le jeune Jean-Baptiste poussa un long soupir.

    — Ouais, ça aussi, ça se peut, maman… Mais c’est pas bien grave, hein ? J’vas lui demander son prénom tusuite en arrivant après-midi, pis j’vas faire bien attention à sa réponse. Comme ça, je l’oublierai pas, pis j’vas pouvoir te le répéter quand j’vas revenir à la fin de la journée. Ça marche-tu ça ?

    — Et si je te disais que ça ne sera pas nécessaire de te démener comme ça ?

    — Comment ça, pas nécessaire ? C’est pas important le prénom de ma maîtresse ? Pourquoi tu l’as demandé, d’abord ?

    — Je n’ai jamais dit que ce n’était pas important. Au contraire, Jean-Baptiste, c’est essentiel de bien connaître le nom complet de ton professeur pour que tu puisses le répéter au besoin, si jamais quelqu’un te le demandait. Mais ça ne veut pas dire de l’appeler par son petit nom, par exemple !

    — Comment c’est qu’il faut que je l’appelle ?

    — Par son nom de famille, comme doit le faire un écolier bien élevé. C’est une marque de respect envers un supérieur. C’est un peu comme ça qu’elle s’est présentée, non, mademoiselle Lafrance ? Non, si je dis que ça ne sera pas nécessaire de lui demander son prénom, c’est parce que moi, je le sais, et que je peux te le dire. Ou encore, je pourrais le demander à Juliana.

    Encore une fois, Jean-Baptiste fronça les sourcils.

    — Ouais, Juliana a une bonne mémoire, elle… Mais toi, tu sais ça, le prénom de ma maîtresse ? Ça se peut pas !

    — Si je te dis que oui ?

    — Ben non, ça se peut pas ! Comment t’aurais pu apprendre ça ? T’étais pas là, dans la classe, toi, à matin !

    Devant cette réplique remplie de bon sens, Honorine hocha la tête. Il n’y avait pas à dire ! Si son fils avait de l’énergie à revendre, il avait tout autant d’intelligence et de discernement.

    — Bien sûr que je n’étais pas là, rapport que j’étais ici, à faire du ménage, et de la compote avec nos belles pommes rouges…

    — Me semblait aussi… Comment ça se fait, d’abord, que tu sais son prénom ? Pis c’est quoi le prénom de la maîtresse ? Pis comment ça se fait que toi tu le sais, pis pas moi ?

    Jean-Baptiste était un vrai moulin à paroles. À Saint-Clément-des-Laurentides, il n’y avait peutêtre qu’Honorine qui ne soit jamais étourdie par le verbiage incessant du petit garçon, et encore ! Cependant, comme toujours, elle lui répondit avec une patience infinie.

    — Parce que moi, vois-tu, j’écoute quand on me parle… Tu devrais essayer ça, mon fils, ça t’éviterait une couple de taloches, à l’occasion… Non, si je sais le prénom de la nouvelle institutrice, c’est grâce à ton père. Le curé a parlé d’elle à sa réunion des marguilliers, hier soir, et à son retour de la réunion, par politesse, ton père est allé se présenter à elle, avant de revenir ici. Pendant ce temps-là, toi, t’étais en haut en train de préparer tes affaires. Ta maîtresse, elle s’appelle Agnès Lafrance.

    À ce nom, le visage de Jean-Baptiste s’illumina comme une lampe qu’on aurait allumée, et son regard se mit à briller de plaisir.

    — Ben oui ! C’est en plein ça… Je m’en rappelle, maintenant ! Comment ça se fait que je l’avais oublié ?

    — Parce que ça t’arrive, des fois, de ne pas bien écouter.

    Devant ce reproche formulé maintes fois par jour, Jean-Baptiste haussa les épaules encore une fois. Ce n’était toujours pas de sa faute si ses oreilles à lui ne voulaient pas tout entendre !

    — Va falloir que tu fasses des efforts, maintenant que tu vas à l’école, ajouta Honorine, tout en battant vigoureusement les œufs avec une fourchette.

    — J’vas essayer, promis. Pis merci pour le prénom de ma maîtresse. J’aurai pas besoin de rien demander, quand j’vas retourner à l’école, pis elle pourra pas me disputer parce que j’ai pas trop bien écouté.

    Devant cette explication naïve, Honorine échappa un second sourire.

    — En attendant, qu’est-ce que tu dirais d’aller faire le tour de la maison en courant ? proposa-t-elle. Trois fois au moins ! Ça va te calmer un peu avant que ton père arrive. Tu le sais comment il haït ça t’entendre parler tout le temps.

    — Oui, je le sais. Ce que je comprends pas, par exemple, c’est pourquoi toi, tu réponds toujours à mes questions, pis que pâpâ lui, il…

    — Parce que c’est ça qui est ça ! coupa Honorine. Les mères ont une façon de faire, et les pères en ont une différente. Faut bien que les enfants finissent par apprendre le bon sens, d’une manière ou bien d’une autre… C’est pour ça, pour ne pas prendre de chance, que les mères parlent d’une façon et que les pères parlent autrement. Maintenant, chenaille, mon homme ! Laisse-moi préparer mon repas. Et n’essaye pas de me jouer un mauvais tour, mon sacripant ! J’vais te surveiller par la fenêtre. Il faut que je te voie passer au moins trois fois !

    — Un, deux, trois ?

    — En plein ça ! Un, deux, trois.

    Jean-Baptiste sortit de la cuisine en riant. On riait beaucoup avec maman, et s’il n’était pas le plus sage des petits garçons, elle lui expliquait les choses calmement, et elle finissait toujours par lui pardonner ses erreurs, même s’il lui arrivait, de temps en temps, à elle comme aux autres, de s’emporter et de lui parler un peu trop fort. Toutefois, jamais elle ne levait la main sur lui et quand il arrivait qu’elle ait haussé le ton sans raison valable, elle savait s’excuser. Alors, de toutes ses forces, le petit Baptiste, comme on le surnommait la plupart du temps, cherchait à lui faire plaisir, pour éviter les remontrances et surtout pour ne pas être privé de dessert trop souvent.

    Malgré tout, Dieu sait s’il en faisait des gaffes, Jean-Baptiste Théberge !

    Sa maman le disait en lui ébouriffant les cheveux, et son papa le criait, en lui donnant une taloche derrière la tête.

    En fin de compte, à bien y penser, rares étaient les journées où il ne se faisait pas gronder pour une affaire ou une autre.

    Jean-Baptiste se mit donc à courir avec l’énergie qu’il mettait en toutes choses. En tournant le coin de la maison, il croisa sa sœur qui revenait de l’école à son tour, et chaque fois qu’il passait devant la fenêtre de la cuisine, il lâchait un cri.

    — Coucou, maman, c’est moi ! Ça fait un…

    — Pis là, ça fait deux !

    — Pis là, ça fait… Ayoye !

    Tout à sa course, Jean-Baptiste regardait derrière lui pour crier à sa mère qu’il venait de terminer son troisième tour et qu’il en commençait un quatrième, parce qu’il n’était pas fatigué du tout, quand il avait buté sur son père. Ce dernier, qui sentait la moutarde lui monter au nez dès qu’il apercevait ce mouvement perpétuel qui était son fils, l’avait retenu par une oreille.

    — Ayoye !

    — Regarde où c’est que tu t’en vas, espèce de sans-dessein ! Quand on court, on garde les yeux par en avant, pas par en arrière !

    Jean-Baptiste arrêta aussitôt de gigoter. Son père n’était peut-être pas très grand, mais il avait une poigne de fer.

    En effet, Romuald Théberge était un petit homme, maigre à faire peur, qui n’avait de taille normale que les oreilles et le nez. Il compensait son physique ingrat par une fermeté démesurée et une grande gueule, comme on le disait à l’occasion dans son dos. À la maison, personne ne contestait son autorité.

    Devenu veuf à la naissance de son cinquième enfant, décédé lui aussi, Romuald avait vite compris qu’avec son métier, il allait devoir trouver une mère pour ses deux filles, Fernande et Juliana, et pour ses deux garçons, Fernand et Jérémie ; Fernande et Fernand étant des jumeaux, les aînés de la famille.

    De son côté, Honorine Langlois, qui avait coiffé sainte Catherine depuis plusieurs années déjà, ne demandait pas mieux que d’avoir une famille toute faite à s’occuper, d’autant plus que son vieux père venait de décéder, la laissant seule héritière d’un lopin de terre transformé depuis des lunes en verger luxuriant, et d’une maison, ma foi, plutôt jolie et bien entretenue. Ainsi, quand Romuald avait approché Honorine, un dimanche après la messe, conscient que dans sa condition de

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