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Du côté des Laurentides, tome 3: La maison du docteur
Du côté des Laurentides, tome 3: La maison du docteur
Du côté des Laurentides, tome 3: La maison du docteur
Livre électronique353 pages5 heures

Du côté des Laurentides, tome 3: La maison du docteur

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À propos de ce livre électronique

Après la tragédie qui a ébranlé le village et causé le décès de Bérangère, Agnès tâche de reprendre les rênes de sa vie. Sa correspondance avec Marion lui procure un soutien inestimable et lui permet de garder contact avec la vie au manoir et avec son amie qui, enfin, semble envisager l’avenir avec espoir.
Chez les Théberge, par contre, les tensions s’amplifient. Persuadés que Jérémie a causé l’incendie, les habitants s’en prennent à lui tandis que les proches du jeune homme tentent de le protéger; Juliana, de son côté, combat toujours un mal-être profond qui inquiète de plus en plus son entourage. Arrivera-t-elle à vaincre ses démons une fois pour toutes?
En attente d’une décision gouvernementale qui scellera leur avenir, Fulbert entame des démarches pour se rapprocher de sa belle, à Saint-Clément. Agnès et lui pourront-ils enfin s’unir pour la vie et s’installer au village? Si seulement la carrière de la jeune fiancée ne reposait pas entre les mains de fonctionnaires et de lois si rigides…
Savourez la conclusion émouvante d’une série aussi magnifique que son décor laurentien où l’amitié, l’entraide, la résilience et l’amour permettent de surmonter les mauvais coups du destin tout autant que d’apprécier petits et grands bonheurs. Un autre chef-d’œuvre de Louise
Tremblay d’Essiambre!
LangueFrançais
Date de sortie19 août 2020
ISBN9782897589561
Du côté des Laurentides, tome 3: La maison du docteur
Auteur

Louise Tremblay d'Essiambre

La réputation de Louise Tremblay-D'Essiambre n'est plus à faire. Auteure de plus d'une vingtaine d'ouvrages et mère de neuf enfants, elle est certainement l'une des auteures les plus prolifiques du Québec. Finaliste au Grand Prix littéraire Archambault en 2005, invitée d'honneur au Salon du livre de Montréal en novembre 2005, elle partage savamment son temps entre ses enfants, l'écriture et la peinture, une nouvelle passion qui lui a permis d'illustrer plusieurs de ses romans. Son style intense et sensible, sa polyvalence, sa grande curiosité et son amour du monde qui l'entoure font d'elle l'auteure préférée d'un nombre sans cesse croissant de lecteurs. Sa dernière série, MÉMOIRES D'UN QUARTIER a été finaliste au Grand Prix du Public La Presse / Salon du livre de Montréal 2010. Elle a aussi été Lauréate du Gala du Griffon d'or 2009 -catégorie Artiste par excellence-adulte et finaliste pour le Grand prix Desjardins de la Culture de Lanaudière 2009.

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    Aperçu du livre

    Du côté des Laurentides, tome 3 - Louise Tremblay d'Essiambre

    Première partie

    Hiver 1933

    Chapitre 1

    Lettre de Marion à Agnès

    « Très chère amie,

    Quel drame que celui que tu traverses présentement, et quelle tristesse de savoir ce qui est arrivé à Bérangère… Je t’offre toutes mes condoléances, chère Agnès. Bérangère n’était peut-être qu’une amie toute récente, je sais tout de même qu’elle était devenue plus qu’une connaissance pour toi et que tu l’appréciais beaucoup. Tu me l’as dit. Quant à moi, je la trouvais bien gentille. C’est pour cela que je tenais à te dire tout de suite que tu peux compter sur moi, sur mon amitié. À mes yeux, tu es comme une sœur, tu le sais, n’est-ce pas ? Et madame Éléonore aussi l’a compris depuis longtemps. Alors, devant mon désarroi, elle m’a chassée de la cuisine. En ce moment, je suis donc dans ma chambre, penchée sur mon papier à lettre afin de t’écrire tout de suite au lieu d’être restée dans la cuisine en train de préparer le dîner.

    La nouvelle de l’incendie nous est arrivée ce matin, un peu avant le dîner, alors que les cendres de la petite école devaient être encore chaudes. Vraiment, le téléphone nous permet en temps réel de partager nos joies et nos peines avec tous ceux que nous aimons, et c’est ce matin que j’en prends conscience.

    Toujours est-il que c’est ta tante Félicité qui a téléphoné au manoir pour nous faire part de la triste, que dis-je ! de la terrible nouvelle. Laisse-moi te dire que madame Éléonore était dans tous ses états quand elle est redescendue à la cuisine. Elle en avait les larmes aux yeux quand elle nous a raconté que tu avais appelé chez ton oncle Émile, depuis le presbytère, et ce, dès le petit matin, pour leur annoncer que la petite école rouge n’existait plus et que Bérangère était décédée dans l’incendie. J’ai su aussi que ton oncle et ta tante étaient partis dans l’heure pour te rejoindre à Saint-Clément-des-Laurentides. En ce moment même, ils doivent déjà être avec toi. Tant mieux. Il y a certains événements, comme celui qui vient de frapper ton village, qui se vivent plus facilement en compagnie des siens. Surtout qu’en ce moment, c’est d’un incendie dont nous parlons, et je sais que tu as déjà vécu pareil drame durant ton enfance. Ça doit être doublement difficile pour toi.

    Je ne peux m’empêcher de penser aux parents de Bérangère, même si je ne les connais pas. C’est certainement affreux pour eux de perdre une belle grande fille aussi gentille et lumineuse. Tu vois, c’est le mot qui me vient spontanément à l’esprit quand je pense à ta jeune amie : lumineuse ! C’est donc l’image d’une toute jeune femme souriante et resplendissante dont je garderai le souvenir.

    Je t’aime beaucoup, Agnès, et je partage ta tristesse. S’il y a quoi que ce soit que je puisse faire pour toi, tu n’as qu’à le dire.

    Maintenant, je vais profiter de cette lettre pour te parler de nos petites joies du quotidien. Même si ça peut te paraître déplacé, je crois au contraire que ça va t’aider à reprendre pied dans la réalité de tous les jours, car la vie continue malgré tout. Ça, c’est monsieur Tremblay qui l’a dit, tout à l’heure, avant de remonter à l’étage.

    Tout d’abord, les jumeaux !

    Imagine-toi donc que la petite Martine s’est mise à marcher, il y a de cela deux jours à peine. Probablement qu’elle en avait assez de tourner en rond autour des chaises qu’elle prenait comme appui depuis un bon moment déjà, mais la première chose qu’on a su, c’est qu’elle se dirigeait toute chancelante vers sa maman. C’est en riant que la mignonne petite fille s’est jetée sur sa mère en s’agrippant à sa jupe. Notre chère cuisinière s’est aussitôt mise à pleurer de joie. Puis, ses larmes ont redoublé quand elle a dit que bientôt, elle n’aurait plus de bébés. Une vraie fontaine qui n’arrêtait pas ! J’ai dû courir à l’autre bout du manoir pour demander à monsieur Tremblay de venir voir les prouesses de sa fille. Laisse-moi te dire que notre majordome m’a vite dépassée dans le corridor qui mène à l’escalier. Quand je suis entrée dans la cuisine à mon tour, c’était tout bonnement merveilleux de les voir s’extasier devant leur petite, comme si Martine était la première enfant au monde à savoir marcher.

    Quant à Martin, il ne semble pas pressé du tout de se tenir sur ses jambes. Chaque fois qu’on essaie de le mettre debout, il se met à gigoter comme un beau diable et quand on le dépose sur le plancher, il plie les genoux et il se dépêche de filer à quatre pattes jusqu’au bout de la cuisine, en riant à gorge déployée, comme s’il se moquait de nous. Par contre, il mange déjà tout seul avec sa petite cuillère, et très proprement, et il a commencé à dire quelques mots. Chaque fois que le petit garçon dit « mama », madame Éléonore se met à rougir de fierté. Tout comme son mari quand il entend prononcer le mot « papa ». En fait, tous les domestiques deviennent un peu gagas dès qu’il est question des bébés. Même notre jardinier Quincy se laisse prendre au jeu. L’autre jour, je l’ai surpris assis sur le plancher de la cuisine, en train de jouer avec les jumeaux. Avec une patience d’ange, il empilait des blocs en bois que les petits s’amusaient à faire dégringoler.

    Voilà pour les nouvelles de la cuisine.

    Si je monte à l’étage, maintenant, et que je pense aux parents de James, je peux t’annoncer sans me tromper que le vent a bel et bien tourné. Même monsieur O’Gallagher s’est mis à me sourire chaque fois que je le croise et il me salue toujours sur un ton gentil. Puis, James continue de revenir au manoir tous les vendredis, sans exception. C’est Adam et mademoiselle Tiffany qui vont le chercher à l’université ou chez sa tante, qui habite Montréal, dès qu’ils ont fini de travailler à l’entrepôt. Quant à monsieur O’Gallagher, il vient de s’acheter une autre auto, car il préfère ne pas avoir d’horaire fixe.

    Même si James doit étudier durant la fin de semaine et que je n’ai pas la chance de beaucoup le voir, il tient tout de même à être tout près de moi, au moins deux jours par semaine. Je me sens toute légère quand il est là, pas trop loin. Dès que je vais le voir, tout à l’heure, au moment du repas, je vais lui faire part du drame qui vous frappe.

    Ce qui me fait penser à ton fiancé, ce cher Fulbert.

    J’espère très sincèrement que si tu as besoin de sa présence, et te connaissant, ça risque bien d’être le cas, tu sauras le dire sans la moindre hésitation pour qu’il puisse être à tes côtés aussi longtemps qu’il le faudra.

    Et tant pis pour les messieurs du ministère !

    Ces gens-là ont tellement besoin de toi à Saint-Clément-des-Laurentides, surtout en ce moment, qu’ils ne peuvent te mettre à la porte pour une entorse comme celle-là à leur protocole un peu ridicule. D’un grand malheur, tu pourras peut-être tirer quelques bons arguments en ta faveur, et devenir ainsi la première institutrice de campagne à être mariée sans pour autant perdre son emploi. Pourquoi pas ?

    C’est ce que j’avais envie de t’écrire, en cet instant où tu occupes toutes mes pensées. Je déplore la distance qui nous sépare, car présentement, j’aimerais te prendre dans mes bras et te répéter que je t’aime beaucoup.

    C’est certain que tu resteras dans mes pensées durant les jours qui nous séparent d’une rencontre, et je t’embrasse très fort.

    Ton amie, Marion »

    Le dimanche 5 février 1933, dans la chambre d’Agnès

    Quand Agnès se glissa enfin sous ses draps, au beau milieu de la nuit, elle était frigorifiée et elle avait le cœur en lambeaux. Elle avait assisté au moment où le corps de Bérangère avait été retiré des décombres. Elle était étroitement blottie tout contre Honorine, une main sur la tête de Jean-Baptiste, qui se cachait les yeux dans un pan du manteau de sa mère, puis, vidée de ses larmes, Agnès était repartie. À pied, parce qu’elle n’avait pas envie de parler à qui que ce soit. Tout ce qu’elle souhaitait, c’était de retrouver la chaleur rassurante de sa propre demeure. Sans hésiter, elle avait remis sa robe de nuit, déposant sur les marches de l’escalier ses vêtements qui sentaient la fumée. Elle n’attendrait pas au lundi soir, le jour où elle s’obligeait à faire la corvée de la lessive, et elle les savonnerait durant la journée.

    Puis, Agnès se coucha. Elle espérait de toute son âme que le sommeil viendrait lui ravir les images qui tournoyaient en boucle dans sa tête.

    Malheureusement, sur le coup, elle n’arriva pas à se rendormir, malgré un état d’épuisement total. Elle s’agita un moment sous la couverture, souhaitant que la fatigue finisse par l’emporter. Ce fut long, mais ses paupières acceptèrent enfin de se fermer d’elles-mêmes. Cependant, dès qu’elle glissa enfin vers le sommeil, les cauchemars qui avaient souvent interrompu ses nuits d’enfant, à la suite de l’incendie de leur maison à Sainte-Adèle-de-la-Merci, revinrent en force, mélangeant allègrement les deux événements : le feu qui avait détruit la petite école rouge et celui qui avait emporté la maison de ses parents.

    Peu de temps après, Agnès s’éveilla en sursaut, le visage inondé de larmes, elle qui croyait bien sincèrement les avoir toutes épuisées. Par la fenêtre dont elle avait oublié de fermer les rideaux, elle constata qu’il faisait toujours nuit. Une main sur sa poitrine pour calmer son cœur en émoi, elle se recoucha et ferma les yeux pour tenter de se rendormir. En vain. Les flammes continuaient de valser derrière ses paupières closes. Après de longues minutes à se retourner entre ses draps, Agnès se releva, et en désespoir de cause, elle vint se réfugier dans la cuisine.

    Une fois la lumière ouverte, les fantômes reculèrent dans les recoins d’ombre et ils furent aussitôt moins envahissants. Il ne restait que sa peine.

    Agnès se fit un thé, qu’elle sirota à toutes petites gorgées en pensant à son amie Bérangère.

    Puis, ce fut le nom de Jérémie qui se greffa à sa détresse, et les larmes se remirent à couler de plus belle.

    Pourquoi, la nuit dernière, souriait-il ainsi ? Était-ce sa fascination pour le feu qui était poussée à son comble devant pareil incendie ?

    Ou était-ce autre chose ?

    Agnès secoua la tête dans un grand geste de négation. Même si Jérémie avait toujours dit qu’il détestait la petite école, parce qu’elle portait en elle de mauvais souvenirs qui lui revenaient parfois quand il y mettait les pieds, le jeune homme ne pouvait pas avoir pensé à la réduire en cendres. Après tout, il disait aussi que chez lui, il n’avait pas le droit d’allumer le poêle, ni de l’alimenter.

    — Mon père me l’a pas encore montré, lui avait-il confié, de sa grosse voix caverneuse. Pis j’ai pas le droit de toucher aux allumettes, parce que je pourrais me faire mal.

    Et quand Jérémie ne connaissait pas quelque chose, ou quand on lui interdisait de faire quelque chose, il s’en abstenait.

    Alors…

    Dès que l’aube glissa ses premières lueurs au-dessus de la montagne, Agnès s’habilla chaudement et sortit de chez elle. Elle eut aussitôt l’impression que le mercure avait chuté. Elle remonta le col de son manteau et cala sa tuque, se disant, néanmoins, que la chaleur intense de la nuit qu’elle avait passée à côté du brasier venait probablement fausser ses perceptions.

    Durant un court instant, elle resta immobile sur le bord de la chaussée, ne sachant vers où diriger ses pas. Puis, elle aperçut une faible lumière à la fenêtre de la cuisine du presbytère et elle s’y dirigea. Tout comme elle, monsieur le curé ne devait pas arriver à se rendormir. Peut-être serait-il content de ne pas être seul ? De plus, Agnès ressentait le besoin d’entendre la douceur réconfortante d’une voix familière, et il y avait un téléphone au presbytère. L’excuse pour oser déranger à une heure aussi indue était toute trouvée.

    — Venez, mademoiselle Lafrance. Entrez. Donnez-moi votre manteau.

    Le curé ne paraissait nullement surpris de voir Agnès. Même qu’il semblait heureux de cette visite.

    — Le sommeil est difficile à trouver, n’est-ce pas ?

    Sa question n’en était pas une. Agnès se contenta de hausser les épaules avant de retirer son manteau.

    — Si ça ne vous dérange pas, j’aimerais beaucoup appeler à Montréal, déclara-t-elle toutefois. Est-ce que je peux ? Je vous paierai les frais, bien entendu.

    Comme les parents d’Agnès étaient en visite chez leur fils Cyrille et que ce dernier n’avait pas encore le téléphone, elle appela donc chez son oncle Émile et ce fut finalement la voix de sa tante Lauréanne qui répondit, déclenchant une autre crise de larmes chez la jeune institutrice. À ce moment-là, son oncle reprit l’appareil. Il écouta la conversation en posant une oreille contre celle de Lauréanne, et il annonça à Agnès que son épouse et lui allaient prendre la route dès qu’ils seraient habillés.

    — Espère-nous, ma belle, on s’en vient. Nom d’une pipe ! C’est pas dit qu’on va te laisser toute seule après un grand drame comme celui-là. Calcule deux, trois heures environ, selon l’état des chemins, pis on est là. À tantôt.

    À la simple pensée qu’elle pourrait bientôt se blottir contre sa tante, Agnès se sentit réconfortée. Elle raccrocha en essuyant ses dernières larmes du revers de la main.

    — Mononcle et matante s’en viennent, fit-elle tout simplement.

    Le curé Jodoin approuva d’un bref hochement de la tête, puis il lui offrit de prendre un café.

    Un peu plus tard, le curé proposa à la jeune femme qu’ils aillent se recueillir ensemble dans la sacristie, là où les restes de Bérangère avaient été placés dans un humble cercueil en planches de sapin. Tout en marchant entre le presbytère et l’église, le prêtre lui donna quelques détails concernant le déroulement de la semaine à venir.

    — Tout à l’heure, je vais appeler mon confrère de la paroisse où habitent les parents de mademoiselle Martineau pour qu’il puisse les prévenir. Les détails concernant la famille de la jeune institutrice figurent dans son contrat d’embauche et j’en ai une copie, comme j’en possède une pour vous aussi. Un simple télégramme n’aurait pu suffire pour annoncer pareil drame à des parents, n’est-ce pas ?

    — C’est bien certain.

    — C’est ce que je me suis dit… Selon mon expérience, monsieur Martineau ne devrait pas tarder à prendre les dispositions qui s’imposent, et il me semble correct de dire qu’il viendra chercher sa fille dès demain. Mon expérience me fait estimer que les funérailles auront lieu mercredi, fort probablement. Quoi qu’il en soit, nous dirons une messe de Requiem pour elle ici, mercredi matin. C’est le moins qu’on puisse faire… Ah oui ! Avant de nous séparer, la nuit dernière, les marguilliers et moi, nous avons convenu de garder l’école du village fermée pour quelques jours. Je vais en aviser les parents concernés lors de l’homélie, plus tard ce matin, durant la messe dominicale. Il me faut aussi prévenir les fonctionnaires du ministère du terrible incendie que la paroisse vient de connaître. Je discuterai avec eux pour savoir ce que nous ferons des élèves du haut de la paroisse… On ne peut tout de même pas les laisser à eux-mêmes, les pauvres enfants !

    — C’est vrai… Ils n’ont plus d’école, reconnut Agnès sur un ton consterné.

    — Ni d’institutrice, ce qui est encore infiniment plus triste, nota le curé Jodoin, tout en ouvrant la porte donnant dans la sacristie, à l’arrière de l’église. Entrez et suivez-moi. Nous avons posé le cercueil tout près de la porte latérale, qui est restée entrouverte, à cause de l’odeur assez forte. Ensemble, nous allons prier pour le repos de l’âme de mademoiselle Martineau.

    Quand Agnès y repenserait plus tard, elle comprendrait que la seule éclaircie dans cette longue semaine éprouvante aurait été la visite rapide de son oncle Émile et de sa tante Lauréanne, alors que Juliana était restée à Montréal.

    — Quand elle a appris la nouvelle, Juliana est devenue blanche comme un drap, pis elle a dit qu’elle préférait rester en ville, répondit Lauréanne quand Agnès, après avoir pleuré une ondée de larmes sur l’épaule de sa tante, s’était interrogée sur l’absence de la jeune fille. J’avoue que ça m’a soulagée un peu, parce que notre chère tante Félicité tousse un brin depuis un petit bout de temps. Ça m’aurait inquiétée de la savoir toute seule. Surtout que tes parents sont pas en ville, eux autres non plus.

    — Matante est malade ? demanda Agnès en reniflant.

    — À vrai dire, pas vraiment, modula Lauréanne. Pas dans le sens de ce qu’on a connu avec ton grand-père, quand il a failli mourir d’une pneumonie. Même que notre bonne Félicité serait venue avec nous autres, si je l’avais laissée faire. Mais comme je lui ai dit : à son âge, avec sa petite toux sèche qui persiste, vaut mieux prendre aucun risque.

    — Ça lui ressemble, ça, constata Agnès, nullement surprise. Chère vieille dame ! Toujours prête à vouloir aider les autres. J’espère que ce n’est pas trop grave, sa vilaine toux.

    — C’est ben fin de ta part, Agnès, de te soucier de…

    — Et moi je te dis de surtout pas t’inquiéter pour la tante Félicité, grommela Émile, coupant ainsi la parole à son épouse, à qui il faisait de gros yeux.

    Puis, il se radoucit, en se tournant vers Agnès.

    — Tu connais Lauréanne, non ? Elle a la fichue manie de faire des montagnes avec des riens. Elle a pas tellement de défauts, ma femme, ça je suis capable de le reconnaître, sauf peut-être cette tendance à s’affoler tout le temps, et souvent pour pas grand-chose. Astheure, si on allait sur le rang 3 ? Après tout, c’est pour ça qu’on est venus jusqu’ici.

    Ainsi, tous les trois ensemble, ils se rendirent sur le rang 3 pour se recueillir durant un moment devant l’école, dont les ruines dégageaient encore un peu de chaleur, puis, au retour, ils s’arrêtèrent chez les Théberge.

    Curieusement, Honorine était seule dans la cuisine. Elle semblait dévastée et, de toute évidence, elle avait beaucoup pleuré.

    — Dieu soit loué, vous n’êtes pas seule, Agnès ! lança-t-elle en ouvrant la porte… Je pensais justement à vous et je m’apprêtais à partir pour vous rejoindre, après avoir bu un thé pour me réchauffer… Je n’arrête pas de grelotter. J’ai l’impression d’avoir pris froid, la nuit dernière.

    Puis, elle se tourna vers l’oncle et la tante d’Agnès.

    — Malgré les circonstances, ça me fait plaisir de vous revoir, monsieur Émile et madame Lauréanne… Mais entrez, venez vous asseoir. J’ai justement une pleine théière qui est prête…

    À peine Honorine avait-elle prononcé ces quelques phrases que Jean-Baptiste descendait bruyamment l’escalier. Depuis sa chambre, il avait entendu la voix d’Agnès. Sans dire un seul mot, il se précipita vers elle, avant même qu’elle eut fini d’enlever son manteau. La jeune femme s’accroupit pour être à sa hauteur, et elle serra le petit garçon très fort tout contre elle.

    — Comment vas-tu ce matin, mon beau Jean-Baptiste ?

    — J’ai de la peine, chuchota le petit garçon à l’oreille de son ancienne institutrice. Beaucoup de peine.

    — Et c’est normal. Moi aussi, tu sais, j’ai beaucoup de peine, répondit Agnès sur le même ton. Je viens de perdre une amie que j’aimais sincèrement.

    — C’est vrai, approuva Jean-Baptiste en reniflant… Mademoiselle Bérangère était votre amie. Hier, on faisait même du ski ensemble, souligna-t-il d’une voix chevrotante, tout en s’écartant légèrement pour pouvoir regarder Agnès dans les yeux. Ça me fait tout drôle de penser à ça ! Me semble que ça se peut pas qu’hier, on était sur la pente de ski avec mademoiselle Bérangère pis que là, elle est morte… Pourquoi ça arrive, des choses de même, mademoiselle Lafrance ? C’est-tu parce que le Bon Dieu est méchant, des fois ?

    — Mais non, bredouilla Agnès, tout en levant un regard troublé vers Honorine. En effet, que pouvait-elle répondre à une question qui semblait si pertinente ? Elle-même en voulait terriblement au Ciel d’avoir permis une telle injustice et c’était avec un certain soulagement qu’elle avait omis la messe dominicale, prétextant devant le curé Jodoin qu’elle devait attendre sa visite. Sa prière aurait été plutôt une bordée de reproches.

    Honorine sembla comprendre le regard alarmé qu’Agnès lui lança, car elle s’approcha tout de suite de son fils.

    — Viens ici, mon garçon, ordonna-t-elle en l’écartant de son ancienne institutrice. Je crois que nous allons avoir une longue discussion, toi et moi.

    — Pourquoi ?

    — On va essayer de comprendre ce qui s’est passé…

    — Parce que tu le sais, toi, ce qui s’est passé ?

    Il y avait tant de confiance et de soulagement contenus dans cette simple observation qu’Honorine ne put s’empêcher d’esquisser un petit sourire ému.

    — Plus tard, Jean-Baptiste, exhorta-t-elle, nous parlerons de tout ça tantôt, quand nous serons tout seuls tous les deux… Et maintenant, si tu invitais nos visiteurs à prendre place à la table, ça serait bien gentil.

    Le temps de s’installer autour de la table, et la conversation se poursuivit en parlant de Juliana.

    — Comment se fait-il que Juliana ne soit pas avec vous ? demandait justement Honorine, tout en versant du thé dans les tasses.

    — Elle a dit qu’elle avait un examen à préparer, s’empressa de répondre Lauréanne. Comme matante Félicité file un mauvais coton, j’ai pas insisté, expliqua-t-elle d’emblée.

    — Bateau d’un nom, Lauréanne, arrête de dire ça ! interrompit encore une fois Émile, visiblement irrité. Tu vas finir par inquiéter tout le monde. À t’entendre, on dirait que Félicité est sur le point de mourir. Pis c’est pas le cas pantoute. C’est ben juste si notre vieille tante tousse une couple de fois par jour. Pas de quoi s’énerver le poil des jambes !

    — Mettons, oui, que j’exagère un peu. Mais je préférais quand même qu’elle reste chez nous, pis j’avais pas envie de la savoir toute seule… Comme Juliana devait étudier, ça a fait l’affaire de tout le monde.

    Sur ce, Lauréanne se tourna vers Honorine.

    — Vous savez, Honorine, votre Juliana, elle me fait penser à Agnès au même âge : elle est ben à son affaire pis elle a d’excellentes notes à l’école… Mais vous devez déjà être au courant de tout ça, rapport qu’elle vous écrit une belle lettre à toutes les semaines…

    — Oui, elle nous écrit une fois par semaine, bien régulièrement, comme son père l’avait exigé. Et je vous avoue que ça fait mon bonheur, parce que cette année, mon mari nous revient tous les samedis soir, sans exception. Il ne l’a avoué à personne, mais mon petit doigt me dit que c’est l’ennui de sa fille qui le ramène comme ça. Il se dépêche toujours de décacheter l’enveloppe quand il arrive… C’est pour cette raison qu’il était là, lui aussi, la nuit dernière…

    Un ange passa. Puis, d’une voix retenue, Émile demanda :

    — Sans vouloir tourner le fer dans la plaie, Honorine, et au-delà du Bon Dieu pis de Ses intentions, qu’est-ce qui s’est passé exactement ? En savez-vous un peu plus à matin ?

    — Non… Quelques hommes du village sont revenus pour examiner les ruines et personne ne comprend ce qui a bien pu se produire pour que tout flambe aussi vite. C’était quand même un bon bâtiment. Très rudimentaire, j’en conviens, mais solide ! Habituellement, les maisons ne brûlent pas comme ça, comme une botte de foin.

    — Oh oui, ça arrive, contredit aussitôt Lauréanne. Pis cette fois-ci, je fais pas une tempête dans un verre d’eau, Émile ! lança-t-elle en glissant un regard en coin à son mari. Demandez à Agnès, pour voir ! La maison de mon frère aussi était un bon bâtiment, construit par notre père lui-même. Le feu a pris en pleine nuit, comme ici, pis à l’aube, il en restait plus rien.

    — C’est vrai, murmura alors Agnès.

    — Et moi, je me souviens que vous m’en aviez parlé, souligna Honorine, en tournant brièvement la tête vers Agnès. Mais tout ça n’explique pas comment le feu a pu commencer et se répandre suffisamment vite pour que notre pauvre mademoiselle Bérangère ne puisse pas s’en tirer.

    Encore une fois, il y eut un court silence, puis Agnès déclara, dans un soupir :

    — Chez nous, c’était l’annexe à l’huile qui avait fait défaut… Du moins, c’est ce que mon père a toujours cru.

    À ces mots, Jean-Baptiste assena une tape sur la table, faisant sursauter tout le monde.

    — Ben coudonc ! Peut-être que c’est la même chose qui s’est produit ici, lança le petit garçon, qui avait suivi la discussion avec grand intérêt. Il y en avait une, annexe à l’huile dans la réserve, dans la « shed », comme disait mademoiselle Bérangère. Elle nous avait dit que ça serait plus confortable quand on irait au petit coin. Mais elle nous avait prévenus que c’était ben dangereux, pis qu’il fallait surtout pas y toucher… Elle voulait même pas qu’on s’en approche. Ça se peut-tu, ça, qu’une annexe à l’huile mette le feu vite comme la nuit dernière ?

    — Comment le savoir ? répondit alors Honorine sur un ton hésitant.

    Puis, après une courte réflexion, elle étaya les dires de son garçon.

    — C’est vrai que le petit poêle à l’huile était dans le tambour, à côté de l’école, et qu’en ce moment, il ne reste absolument rien de cette petite rallonge. C’est comme si elle avait disparu.

    Sur ces mots, Agnès secoua la tête en soupirant.

    — Probablement qu’on ne saura jamais ce qui a réellement provoqué l’incendie, mais je trouve que ça ressemble étrangement à ce qui s’était passé chez mes parents.

    Puis, elle se tourna vers Honorine.

    — Mais où sont les autres ? demanda-t-elle. Je m’attendais au moins à voir Fernand… Ses blessures aux mains sont-elles graves au point où il est allé voir le docteur ?

    — Exactement ! J’ai eu beau lui mettre de la pommade, il n’a presque pas dormi de la nuit, tellement il souffrait. Alors, Romuald et Fernand ont pris le premier train du matin en partance pour consulter le docteur de Sainte-Agathe. Normalement, ils devraient me revenir avec celui du soir.

    — Et Jérémie ?

    — Il est parti avec les hommes. C’est Romuald qui l’a obligé à suivre parce qu’à cause de l’incendie de la nuit dernière, notre pauvre Jérémie est resté comme tout excité, tout fébrile. Il sursaute chaque fois qu’on l’interpelle… Je crois que lui non plus n’a pas beaucoup dormi.

    — Ah bon… C’est vrai qu’il aime le feu et sa chaleur et que la nuit dernière, ça en était tout un.

    Agnès fut alors sur le point de dire qu’elle l’avait surpris en train de sourire devant l’école en flammes, mais sans trop savoir pourquoi, elle se retint à la dernière minute. Elle déclara plutôt :

    — Jérémie m’a justement avoué, un peu avant Noël, à quel point il aimait regarder les flammes de la forge. Un vrai passionné !

    — Oui, c’est vrai, reconnut Honorine. C’est depuis qu’il est tout jeune qu’il va faire son tour à la forge plus souvent qu’autrement… Mais peut-on parler d’une passion, dans son cas ? Je ne le crois pas. C’est peut-être péjoratif de le voir comme ça, mais je trouve par moments que ça ressemble plutôt à une obsession… Si je ne dis rien, chaque fois qu’il me demande la

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