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Histoires de femmes, tome 4: Agnès une femme d'action
Histoires de femmes, tome 4: Agnès une femme d'action
Histoires de femmes, tome 4: Agnès une femme d'action
Livre électronique325 pages4 heures

Histoires de femmes, tome 4: Agnès une femme d'action

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À propos de ce livre électronique

La conclusion d’une saga bouleversante qui met en vedette des femmes inspirantes et des plus attachantes !

Après Marion, Félicité et Éléonore, l’une des plus populaires séries de Louise Tremblay d’Essiambre met cette fois en scène Agnès, une femme tout aussi inoubliable que les précédentes. Alors qu’elle s’approche doucement de son rêve de devenir institutrice, la jeune femme se coupe mystérieusement du monde et se fait de moins en moins disponible pour son amie Marion. Amoureuse d’un homme dont elle n’arrive pas à cerner les sentiments, cette dernière, qui a besoin d’Agnès, s’inquiète de son silence…
Une foule de choses hantent Agnès, qu’elle ne peut tout simplement pas révéler à son entourage. C’est aussi le cas de James qui, malgré lui, s’éloignera de Marion; de Félicité qui veillera sur un Irénée malade, mettant en péril sa propre santé; et de Fulbert, qui doit surmonter des révélations douloureuses sur ses origines.
Chacun d’eux subit les affres du silence et des secrets: déchirements amoureux, deuils à faire, ambitions complexes, destinées obscures et amitiés menacées… tout se bouscule autour du manoir. Une conclusion qui nous happe dès la première page et ne laisse aucun répit. Émotions assurées!
LangueFrançais
Date de sortie21 août 2019
ISBN9782897587161
Histoires de femmes, tome 4: Agnès une femme d'action
Auteur

Louise Tremblay d'Essiambre

La réputation de Louise Tremblay-D'Essiambre n'est plus à faire. Auteure de plus d'une vingtaine d'ouvrages et mère de neuf enfants, elle est certainement l'une des auteures les plus prolifiques du Québec. Finaliste au Grand Prix littéraire Archambault en 2005, invitée d'honneur au Salon du livre de Montréal en novembre 2005, elle partage savamment son temps entre ses enfants, l'écriture et la peinture, une nouvelle passion qui lui a permis d'illustrer plusieurs de ses romans. Son style intense et sensible, sa polyvalence, sa grande curiosité et son amour du monde qui l'entoure font d'elle l'auteure préférée d'un nombre sans cesse croissant de lecteurs. Sa dernière série, MÉMOIRES D'UN QUARTIER a été finaliste au Grand Prix du Public La Presse / Salon du livre de Montréal 2010. Elle a aussi été Lauréate du Gala du Griffon d'or 2009 -catégorie Artiste par excellence-adulte et finaliste pour le Grand prix Desjardins de la Culture de Lanaudière 2009.

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    Aperçu du livre

    Histoires de femmes, tome 4 - Louise Tremblay d'Essiambre

    Yourcenar

    NOTE DE L’AUTEUR

    Petit matin froid, encore presque la nuit, et je suis là devant mon ordinateur à attendre Agnès, parce que c’est à elle que j’avais donné rendez-vous pour écrire ce livre. On en avait longuement parlé ensemble avant Noël.

    — Je m’absente, lui avais-je dit. Pour deux semaines. Mais promis, je ne t’oublierai pas, et on se retrouve dès le 14 janvier, dans mon bureau, parce que je compte sur toi… Ah oui ! Rappelle-toi que je suis une lève-tôt.

    Agnès avait promis d’être là et à l’heure. Elle était même tout à fait d’accord pour que je prenne ces quelques jours de vacances.

    Tiens donc ! Comme si j’avais besoin de sa permission…

    Je sais bien que je suis libre d’écrire quand je le veux, il n’en demeure pas moins que ça m’a fait plaisir d’entendre que ça ne la dérangeait pas. En effet, pour une très rare fois dans ma vie d’écrivain, je me suis permis deux semaines de repos avant d’entreprendre l’écriture du dernier tome de cette série, mais comme Agnès avait elle-même deux semaines de congé à l’École normale, où elle suit une dernière année de cours pour devenir institutrice, ça adonnait très bien. Nous nous sommes donc quittées, elle et moi, avec cette promesse de nous retrouver dans mon bureau après la saison des fêtes.

    Mais voilà que le jour J est arrivé, et Agnès n’est pas là !

    C’est plutôt embêtant, car je me fiais à elle pour me raconter tout ce qui s’était passé durant les derniers mois de l’année 1930. Je vous en aurais fait un résumé qui n’aurait pas nécessairement été très joyeux, certes, surtout à cause de la condition d’Irénée, mais il faut ce qu’il faut, n’est-ce pas ? Par la suite, ensemble, vous et moi, nous aurions pu nous tourner vers l’année 1931, le coeur rempli d’espoir.

    De toute évidence, ça ne sera pas le cas et ça m’agace.

    J’ai beau essayer de me convaincre que je connais suffisamment bien mes personnages pour leur inventer un avenir probable, je risquerais tout de même de me tromper, et c’est alors que vous seriez en droit de me le reprocher. Que voulez-vous ! Je n’arrive pas à raconter l’histoire de tous ces gens que j’aime tant avant qu’ils se décident à m’en parler eux-mêmes. Dans mon cas, c’est ainsi que l’imagination se présente : comme un long dialogue entre les personnages et moi. De toute façon, quand je coiffe mon chapeau de lectrice, les situations qui sont tirées par les cheveux m’irritent terriblement et j’espère ne jamais tomber dans le piège de vouloir tout décider. À première vue, ça peut sembler facile, mais trop souvent, le résultat n’est pas très convaincant.

    C’est pour cette raison, après 47 romans publiés, que je n’insiste plus.

    Tout cela pour en arriver au fait que pour connaître ce qui s’est dit entre James et Marion, au retour de celle-ci au manoir, après son séjour à Pointe-aux-Trembles, où elle avait rencontré le beau Fulbert qui lui fait débattre le coeur, il va falloir que Marion ou James eux-mêmes choisissent de m’en parler. J’ai l’intuition que ça ne sera pas facile de leur tirer la vérité, ni à l’un ni à l’autre.

    Par la suite, pour savoir comment Irénée se porte, ou bien il va me le dire lui-même, en bougonnant et en disputant après mille et une choses, ou alors c’est Félicité qui va devoir le faire, car le vieux malcommode ne sera plus là. Laissez-moi vous avouer que si tel était le cas, c’est moi qui trouverais l’exercice difficile de vous mettre au courant, car je n’ai jamais aimé voir l’un de mes personnages mourir. Même les plus coriaces, comme l’avait été Marcel, dans la série Les mémoires d’un quartier ! Ils finissent tous par m’attendrir d’une façon ou d’une autre.

    Et cela ne s’arrête pas là !

    Avec Agnès en tête de file de ce dernier tome, il y aura tous les personnages d’Une simple histoire d’amour qui vont nous revenir en force, ainsi que tous les résidents du manoir, de Patrick O’Gallagher, son épouse et leurs quatre enfants, jusqu’aux domestiques, qui en ont encore long à raconter. C’est madame Éléonore elle-même qui m’a prévenue, avant Noël, de me tenir prête, car elle allait venir me visiter sous peu…

    Mais j’y pense, tout à coup… Cela aurait été une excellente idée qu’elle soit là aujourd’hui, en remplacement d’Agnès, vous ne trouvez pas ?

    Quoi qu’il en soit, j’ai sorti ma plus belle théière et deux tasses en porcelaine, héritées de ma maman. Elles sont roses avec des dorures, ça devrait convenir à cette époque. Puis, par souci de politesse, j’ai décidé de faire des biscuits au sucre ! J’espère seulement qu’ils seront à la hauteur du talent de madame Légaré.

    C’est donc pour assister à la conclusion de ces deux séries que je vous convie ce matin, profitant de l’absence d’Agnès pour vous adresser ces quelques mots.

    Par la fenêtre de mon bureau, je viens d’assister au lever du soleil, qui brille de mille feux dans un ciel d’un bleu éclatant, comme en été. Mais ce n’est qu’un leurre, parce qu’en réalité, il fait un froid à pierre fendre, aujourd’hui, et la rivière échappe une légère buée qui flotte au ras de l’eau. Inutile de vous dire que mes amies les outardes ne sont pas sorties de leur nid, et j’ai bien l’intention de faire comme elles. Dieu que c’est plaisant de pouvoir rester bien au chaud et de ne pas avoir à affronter le froid pour aller travailler !

    Mais si je veux m’y mettre, encore faudrait-il qu’Agnès arrive, par exemple ! Pour ceux qui me connaissent, vous savez que la patience n’est pas une vertu que je cultive, et pour l’instant, je ronge mon frein en soupirant.

    Alors, pour éviter que je perde complètement mon calme, que diriez-vous de venir me tenir compagnie ? Devant la bibliothèque, j’ai placé deux fauteuils plutôt confortables qui ne demandent qu’à vous accueillir. Ensemble, nous trouverons bien un petit quelque chose à nous raconter pour passer le temps ! Et si personne ne se présente, que ce soit Agnès, Marion, Félicité ou Éléonore, ce sera tant pis pour elles ! Nous en profiterons pour grignoter quelques biscuits au sucre en buvant du thé !

    Bonne lecture !

    PREMIÈRE PARTIE

    Été 1930

    « Mais qu’est-ce qui m’a pris d’aller parler de ma rencontre avec Fulbert à James ? Il a beau être mon ami depuis longtemps, ça ne le regardait pas. Du moins, c’est ce que je crois, parce que depuis ce jour-là, rien n’est plus pareil entre nous. Pourtant, James m’avait écoutée sans dire un mot, les yeux fixés sur la rivière, comme il le fait toujours quand il cherche à comprendre quelque chose, quand il veut bien saisir ce qu’on cherche à expliquer, et cette attitude m’avait encouragée à ne rien lui cacher. Une vraie catastrophe, oui, parce que j’ai beau y penser et y repenser, comme un film qui tourne sans arrêt dans ma tête, je ne vois pas ce que j’ai bien pu dire pour que James s’éloigne de moi comme ça. Alors, d’un côté, j’ai le coeur lourd quand je pense à James, et d’un autre côté, j’ai le coeur qui papillonne parce que je suis amoureuse de Fulbert.

    C’est épuisant !

    Une chance que je t’ai, mon cher journal, pour tenter d’y voir clair. Je me répète peut-être, mais depuis que j’écris tout ce qui me passe par la tête sur tes pages, on dirait que certaines décisions sont plus faciles à prendre, par la suite. Je n’aurais donc pas dû te négliger comme je l’ai fait, ces dernières semaines, et tout serait probablement déjà rentré dans l’ordre. Mais on a été tellement occupées, madame Éléonore et moi, à faire des conserves de toutes les sortes pour pallier le manque à gagner causé par la crise, que j’étais épuisée quand venait l’heure de monter à ma chambre. Alors, je n’avais pas du tout envie d’écrire quoi que ce soit. Ni même de lire la moindre ligne, d’ailleurs. Les Trois Mousquetaires m’attendent patiemment sur ma table de chevet depuis plus de trois semaines. Il faut dire, cependant, qu’un roman d’aventure n’a pas grand-chose pour me plaire par les temps qui courent.

    Mais aujourd’hui, c’est différent. Dès l’instant où j’ai mis un pied dans la cuisine, madame Éléonore m’en a chassée en disant que j’avais l’air d’un fantôme, tellement j’étais blême de fatigue, et elle m’a conseillé d’aller dormir encore un peu.

    — Allez ouste ! Sors d’ici, jeune fille ! qu’elle a ordonné, tu es verte comme un poireau ! Retourne te coucher, je te donne toute ta journée.

    C’est bien beau d’avoir pensé à moi comme ça, mais je suis aussi en forme que d’habitude et je ne ressens pas du tout le besoin de me rendormir. Néanmoins, je n’ai pas insisté, parce que madame Éléonore me montrait la porte avec son index, et dans ce temps-là, c’est tout comme si j’étais redevenue une petite fille, et je n’ai qu’à obéir.

    Me voilà donc assise à la jolie table peinte en blanc que monsieur Tremblay a eu la gentillesse d’installer devant ma lucarne, quand il a appris mon projet d’écriture. Ma chambre a l’air d’avoir rétréci, mais je m’en fiche un peu. Je ne suis ici que pour dormir, lire et écrire. J’en profite donc pour te mettre à jour, cher journal, avant d’essayer de renouer avec D’Artagnan.

    Comme il ne s’est rien passé depuis le début du mois de juillet, à part les confitures et les cornichons, je viens de relire les dernières lignes que j’avais écrites tout juste avant de partir pour le chalet du grand-père d’Agnès, et c’est clair que j’étais pas mal contente. Pense donc ! J’avais trois belles journées à moi toute seule !

    C’est à mon retour que ça s’est gâté…

    Je ne le savais pas encore, mais ce dimanche-là a été la dernière fois de tout le mois de juillet où j’allais avoir la chance de rencontrer James en cachette. Je m’imaginais au jardin, et ça s’est passé à la rivière, mais peu importe, le gâchis a été le même. Ce n’est pas mêlant, depuis ce soir-là, on dirait que James me fuit et je n’exagère pas. Certains matins, il n’est même pas à la salle à manger quand je monte chercher la vaisselle sale, et comme nous n’irons pas à la maison de campagne cette année, j’ai bien peur que l’été va se terminer en queue de poisson, sur cette note navrante, et ça me peine vraiment. Même si je suis amoureuse de Fulbert, je tiens quand même à James. Vraiment beaucoup !

    C’est un peu pour ça que je dis que tout est compliqué !

    Laisse-moi te raconter.

    La dernière rencontre avec James a eu lieu le soir où je suis revenue de mes trois jours de congé au chalet du grand-père d’Agnès. James et moi, on était assis sur la grosse roche qui fait le dos rond, juste au bord de la rivière. C’est notre roche préférée ! Dès qu’on a été bien installés, James m’a demandé de commencer à dire ce que je voulais lui confier, parce que par après, lui aussi il avait quelque chose à m’avouer. J’ai trouvé qu’il avait l’air un peu drôle quand il m’a annoncé ça, comme s’il était gêné. Mais bon, avec James, on ne sait jamais vraiment ce qui lui trotte par la tête, alors je ne m’en suis pas fait plus qu’il ne fallait.

    Ce qui m’a le plus troublée, je crois, c’est que tout le temps où nous avons marché, depuis le manoir jusqu’au bord de la rivière, et c’est quand même assez long, James me tenait la main en me faisant signe de ne pas parler. C’était nouveau de sa part de me prendre par la main comme il l’a fait. Je trouvais ça un peu affolant parce que j’avais peur qu’on rencontre quelqu’un, mais en même temps, c’était excitant. Quand on a entendu l’auto de mademoiselle Béatrice s’arrêter devant le manoir et que la voix grave de monsieur Tremblay s’est fait entendre, James a resserré la pression de ses doigts sur ma main, et j’ai eu l’impression que ça me donnait confiance en moi. C’est drôle à dire, mais je me sens toujours en sécurité quand je suis avec lui.

    Alors, je lui ai raconté ma rencontre avec Fulbert, d’une voix feutrée, pour être bien certaine que personne ne nous entendrait. J’ai parlé des confidences qu’il m’avait faites concernant son enfance, alors qu’il a vécu la plupart du temps dans des pensionnats, et de sa mère, qui avait quitté la maison depuis quelques années déjà, en s’installant à New York. Bien entendu, j’ai demandé à James de garder le secret, même si je ne vois pas du tout à qui il pourrait aller bavarder au sujet de l’histoire de Fulbert ! Puis, j’ai terminé en confiant que je pensais bien être amoureuse de lui, et que si je me fiais à son attitude envers moi, j’avais l’impression que Fulbert aussi m’aimait.

    Ensuite, j’ai demandé à James ce qu’il en pensait.

    Il n’a pas répondu tout de suite, ce qui ne m’a pas vraiment surprise. Il est comme ça, James. Il réfléchit toujours sérieusement avant de donner son opinion. Il a fixé la rivière durant un très long moment, puis il a soupiré. Jamais je ne lui avais vu un visage aussi fermé.

    En fin de compte, quand il s’est décidé à parler, il a marmonné qu’il n’avait rien à dire parce que les histoires d’amour, il ne connaissait pas encore ça, et que c’était vraiment une drôle d’idée d’avoir pu imaginer qu’il pourrait m’aider. Ensuite, sans me demander mon avis, il s’est relevé brusquement, et il a dit qu’il rentrait parce que sa soeur était revenue. On aurait dit qu’il boudait. Qu’il me boudait ! Ou qu’il se sauvait. C’était complètement ridicule. De toute façon, depuis quand James s’occupe-t-il des allées et venues de mademoiselle Béatrice ?

    J’ai failli lui lancer par la tête qu’il avait l’air d’un grand bébé, et que ça n’avait aucun sens d’agir comme ça sans me parler au moins de ce qu’il prévoyait me dire, mais James était déjà loin et moi, j’étais dans tous mes états. Quand je suis retournée au manoir à mon tour, après m’être calmée, madame Éléonore était à la cuisine en train de préparer du thé. J’aurais bien aimé lui demander son avis sur tout ça, sur Fulbert et ses mots gentils, ainsi que sur James et sa subite mauvaise humeur, mais comme monsieur Tremblay était encore et toujours avec elle, je n’ai rien dit du tout. Ça commence à me fatiguer sérieusement que monsieur Tremblay soit si souvent dans la cuisine, avec nous. Mais comment veux-tu, cher journal, que j’explique ça à madame Éléonore sans susciter un questionnement en règle ? Ou me faire passer un savon parce que je me mêle de ce qui ne me regarde pas. Alors, après avoir déclaré que oui, j’avais passé un bon moment au chalet de madame Félicité, mais que non, je n’avais pas envie d’en parler tout de suite parce que j’étais fatiguée, je suis montée me coucher.

    Finalement, je n’ai parlé de Fulbert à personne d’autre qu’à James, ce qui m’a laissée encore plus mêlée qu’avant.

    À force d’y penser, je crois que c’est avec Agnès que je devrais discuter de tout ça. Elle connaît bien Fulbert et elle va pouvoir me conseiller encore mieux que James ou madame Éléonore.

    Oui, c’est ce que je vais faire. Dès qu’on va avoir un peu de temps libre, je vais demander à madame Éléonore si je peux inviter Agnès au manoir. Si je mentionne aussi le nom de madame Félicité, je suis certaine que la cuisinière va dire oui. »

    CHAPITRE 1

    Le samedi 9 août 1930, dans la cuisine du chalet, en compagnie de la tante Félicité et d’Agnès

    Maintenant que ses parents étaient au courant et qu’ils approuvaient le projet sans la moindre réserve, il tardait à Agnès de confier son secret à sa vieille tante. La jeune fille se disait que ce qu’elle avait à lui révéler ramènerait peut-être le sourire sur le visage de la vieille dame, car depuis le début de l’été, il se faisait plutôt rare. C’est pourquoi, la veille au matin, elle avait demandé à son père si elle pouvait s’absenter du commerce familial pour quelques jours. La permission lui avait été accordée sans hésitation, et en fin de journée, l’oncle Émile était venu la reconduire au chalet.

    Dès son arrivée, Agnès avait vite constaté que son grand-père et sa grand-tante avaient l’air plutôt mal en point. Les traits tirés et les yeux cernés, ils se berçaient sur la galerie face au fleuve. À les voir avachis sur leur chaise, Agnès aurait mis sa main au feu que le silence était le principal complice de ce moment de repos, alors qu’en temps normal, les deux vieux amis aimaient bien se lancer des piques. C’était à qui aurait le dernier mot. Mais pas hier. Alors, Agnès avait entretenu la conversation en racontant des anecdotes sur son cours à l’école normale, qui recommencerait au début de septembre, ne suscitant que peu d’intérêt, et elle était montée se coucher très tôt. À son réveil, son grand-père était déjà parti. Agnès s’était dit qu’elle en profiterait donc pour parler à Félicité et lui confier son beau secret.

    — Qu’est-ce que vous diriez, matante, de venir vous promener avec moi sur la plage ? lança-t-elle joyeusement, tout en rangeant la dernière assiette propre qu’elle venait d’essuyer. Il fait tellement beau, aujourd’hui.

    — Ouais… C’est vrai qu’il fait beau, admit Félicité, en jetant un coup d’oeil par la fenêtre. On est chanceux, cette année, il fait soleil quasiment tout le temps. T’as ben faite de prendre une couple de jours de congé.

    — Exactement ce que je me suis dit, ce matin, en ouvrant les yeux. Pis ?

    — Pis quoi ?

    — Ma promenade, elle ? demanda Agnès, en s’assoyant devant Félicité. Ça vous tente ou ça vous tente pas ?

    La vieille tante fixa la jeune fille durant quelques instants, haussa imperceptiblement les épaules, puis elle ramena les yeux sur sa tasse de thé, qu’elle sirotait à toutes petites gorgées depuis un long moment déjà. Elle agita le liquide ambré, tenant la tasse à deux mains, comme si elle espérait trouver une réponse dans les petits morceaux de feuilles qui tournoyaient au fond.

    — C’est vrai, ta promenade, soupira-t-elle enfin.

    Félicité n’avait vraiment pas l’air en forme.

    — Je sais pas trop, si ça me tente, ajouta-t-elle sans lever les yeux.

    Le ton était si las qu’il inquiéta Agnès.

    — Seriez-vous malade, matante, pis vous oseriez pas en parler ?

    — Ben non, voyons !

    — Pourquoi, d’abord, vous refusez mon idée de promenade ? Pis pourquoi hier, vous étiez pas trop jasants, grand-père pis vous ? C’est pas vraiment votre genre de rester assis sans rien dire.

    À ces mots, Félicité leva la tête précipitamment. Non, elle n’était pas malade. C’était plutôt le coeur qui était tout chagrin à cause d’Irénée, mais de cela, elle ne pouvait parler.

    — Pourquoi tu dis que j’ai l’air malade ? demanda-t-elle alors, essayant d’afficher une certaine indifférence.

    — Malade, je sais pas trop. J’ai peut-être exagéré. Mais je vous trouve l’air caduque, par exemple.

    Tout en parlant, Agnès revoyait son dernier séjour au chalet, au début du mois de juillet, et déjà, à ce moment-là, elle avait observé un changement dans les humeurs.

    — Je dirais même que ça fait un méchant boutte que vous êtes comme ça ! précisa alors la jeune fille. Quand vous êtes partie de la maison, au mois de mai, il me semblait que vous étiez toute de bonne humeur. Mais ça a pas duré longtemps. En tout cas, c’est ce que j’ai remarqué durant ma visite avec Marion. Déjà à ce moment-là, on aurait dit que quelque chose vous tracassait.

    — Ah oui, tu trouves ? bougonna la vieille dame, en s’agitant sur sa chaise. Pourtant, il y a rien de changé, fit-elle négligemment, sachant néanmoins qu’au contraire, tout était en train de basculer.

    Certes, Félicité trouvait de plus en plus difficile de taire le fait que son vieil ami Irénée n’en avait plus pour très longtemps à vivre. Toutefois, elle ne pensait jamais que c’était visible à ce point. Elle secoua sa toque grise, retint un second soupir qui risquait de susciter une pluie de questions toutes plus embarrassantes les unes que les autres, puis elle replongea le nez dans sa tasse.

    L’envie qu’elle ressentait de partager sa tristesse et ses inquiétudes avec tous ceux qu’elle aimait et qui aimaient Irénée était chaque jour un peu plus vive. Quand elle avait promis à Irénée de garder le silence sur ce cancer qui lui rongeait les poumons, elle n’imaginait pas que cet engagement-là serait aussi difficile à respecter. Elle ne se doutait pas que le secret serait à ce point lourd et envahissant, bouleversant jusqu’à détruire son habituel plaisir de vivre. Depuis, la vieille dame sursautait au moindre bruit un peu fort, craignant de retrouver son compagnon mort sur le plancher ; elle tendait l’oreille à la plus insignifiante des toux, priant le Ciel qu’il ne s’étouffe pas ; elle retenait de peine et de misère tous les reproches qui lui venaient à l’esprit quand Irénée sortait fumer.

    Mais elle avait promis de se taire, n’est-ce pas ?

    Voilà pourquoi, encore une fois, Félicité s’obligea à pincer les lèvres sur les mots qui ne demandaient qu’à trouver une oreille attentive, alors que celle d’Agnès était là, toute prête, lui semblait-il, à écouter ses confidences.

    Mais Irénée serait assurément déçu, blessé par ce manquement à sa parole, et cet homme-là, la vieille dame l’aimait beaucoup. Alors…

    — Ça doit être l’âge, je dirais ben, conclut donc laconiquement la tante Félicité, reprenant à son compte le leitmotiv que le vieil homme servait à tout le monde pour expliquer son manque d’entrain, son manque d’appétit, son manque d’énergie…

    — Avec le temps, les rides se creusent, pis ça nous donne l’air bougon, ajouta-t-elle pour donner un peu de poids à son explication simpliste. Mais faut pas s’arrêter à ça, Agnès, parce que c’est pas le cas… Pourquoi voudrais-tu que je soye malade ou maraboute ?

    — Je le sais pas, matante… Ça serait plutôt à vous de me le dire, s’entêta la jeune fille, malgré tout ce que venait de prétendre Félicité.

    Cette fois-ci, le soupir fut long et bien senti. Puis, la vieille dame fit mine de réfléchir et, finalement, elle esquissa une moue.

    — Ben tu sauras que j’ai rien pantoute à raconter là-dessus, déclara-t-elle, tout en haussant les épaules, rapport qu’il y a rien de ben nouveau dans ma vie.

    Puis, quelques instants plus tard, après avoir réfléchi, la vieille dame ajouta :

    — Non, il y a rien de nouveau, à l’exception du fait qu’Irénée pis moi, on a pris la décision de rester ici pour l’hiver, même si ça fait ben jaser autour de nous autres…

    — C’est que vous êtes pus tellement jeunes, matante, ni l’un ni l’autre ! C’est un peu normal que les gens s’en fassent, non ?

    — Pantoute !

    Félicité était catégorique, heureuse de se raccrocher à un sujet avec lequel elle était tout à fait à l’aise.

    — À entendre les gens discutailler sur le fait qu’on va passer l’hiver ici, en campagne, on dirait que d’être rendus vieux nous enlève tout notre bon sens, pis qu’on peut pus rien décider sans demander l’avis de tout un chacun. Une attitude comme celle-là, ça me choque, tu sauras.

    — Ben voyons donc !

    — Prends pas cet air-là, Agnès, c’est vrai que ça me fâche. Se faire regarder de travers pour des niaiseries, c’est une autre des affaires du grand âge qui me tombe royalement sur les nerfs ! Essaye de jamais l’oublier, quand tu t’adresses à moi ! C’est pas parce qu’on vieillit qu’on retombe nécessairement en enfance…

    — On a jamais dit ça personne !

    — Ben moi, je le dis, juste au cas où l’idée se mettrait à circuler entre vous autres. Pis j’espère, bonne sainte Anne, que ça tombe pas dans l’oreille d’une sourde, pis que tu te gêneras surtout pas pour faire passer le message à tout le monde… Ceci étant dit, m’en vas te donner raison sur une affaire : une bonne marche sur le bord du fleuve, ça va me requinquer. J’ai comme une petite fatigue qui veut pas s’en aller. Ça doit être la routine qui cause ça. C’est pas ben grand, ici, pis j’ai pas grand-chose à faire. À force de tourner en rond, ça doit m’user la bonne humeur. Ça doit être ça qui me donne une drôle de face. Une bonne bouffée d’air frais devrait m’arranger le portrait. Le temps de me prendre une petite laine, pis je te suis.

    De moins en moins sûre d’elle sur les sols inégaux, Félicité glissa une main tremblante sous le bras d’Agnès dès qu’elle eut descendu les quelques marches menant à la pelouse. Malgré tout ce qu’elle venait d’affirmer haut et fort, si elle avait conservé sa vitalité d’esprit, la vieille dame n’avait cependant plus l’énergie de ses jeunes années, et elle en prenait douloureusement conscience tous les jours. Depuis quelque temps, elle avait

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