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Les Valets de Nuit: Prix Eugène Rambert 2013
Les Valets de Nuit: Prix Eugène Rambert 2013
Les Valets de Nuit: Prix Eugène Rambert 2013
Livre électronique154 pages2 heures

Les Valets de Nuit: Prix Eugène Rambert 2013

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À propos de ce livre électronique

Quand la fiction revisite la crise des subprimes aux Etats-Unis

A l’ombre des hauts fourneaux éteints brille une veilleuse devant la maison de la famille Chagrin. Le souffle du commissionnaire menace de l’éteindre à tout moment, si les traites ne sont pas honorées. La spirale des commandements de payer entraîne Nathanaël, le père, à travailler vingt-quatre heures sur vingt-quatre ; la mère, Rose Chagrin née Chance, à entamer une cure de vitamines ; les enfants, Yapaklou et Zibeline, à cacher leurs jouets dans un distributeur de frites ; Séraphin, probablement le grand-père, à partir à la recherche de l’Homme noir ; Philanthropie, à absorber des tranches de schnitz sous l’œil bienveillant de ses deux anges gardiens. Et dans la nuit où s’éteignent chaque soir des dizaines de veilleuses, les tours de verre, qui dominent orgueilleusement la ville, regardent croître leur patrimoine.

Un roman-conte onirique à la fois doux et amer

EXTRAIT

La silhouette du commissionnaire s’approcha de la fenêtre givrée, le visage soudain morcelé par la lueur des bougies d’un gâteau d’anniversaire. Une petite fille fêtait ses cinq ans. Entourée de son frère, de ses parents et d’un vieillard, peut-être le grand-père, prostré devant un interrupteur qu’il observait d’un œil inquiet. Il y avait encore dans cette pièce une femme énorme dont les plis de la chair s’étalaient sur le canapé comme un paysage au relief délicieusement vallonné. Deux anges gardiens veillaient sur ses rondeurs en l’éventant de leurs longues plumes blanches. Elle chantait d’une voix puissante et toute la famille l’écoutait, émerveillée, pendant que se consumaient les cinq premières années de la petite.

CE QU’EN PENSE LA CRITIQUE

- « Marie-Jeanne Urech crée un univers fantasmagorique avec un style unique. Des narrations poétiques servant une critique sociale acérée. Un roman-conte onirique tout à la fois doux et amer. » - Prix Rambert

- « Un conte sur le drame des subprime, il est juste de choisir la forme du conte pour raconter le scandale dont la ville de Cleveland, dans l’Ohio, a été l’un des théâtres les plus frappants. Marie-Jeanne Urech manie la fantaisie apparente. Sur sa palette d’écrivain, ce ton-là l’appelle et elle y puise comme d’une source dirait-on ces personnages et ces histoires tressées juste au-dessus du réel. » - Lisbeth Koutchoumoff, Le Temps

- « Liberté de ton et ironie douce dans ce roman de Marie-Jeanne Urech ! Un roman original. Une fable à l’écriture fantasque et rapide. » - L’Hebdo

A PROPOS DE L’AUTEUR

Marie-Jeanne Urech a fait depuis quelques décennies déjà le tour de la terre. Elle a connu une éclipse de soleil et plusieurs de lune. Parfois, elle s’arrête pour filmer une scène ou écrire une ligne. Non pas pour suspendre le temps, mais pour en conserver une trace. Elle a déjà publié Foisonnement dans l’air, nouvelles ; La Salle d’attente, roman ; Le Syndrome de la tête qui tombe, roman (traduit en allemand et en italien), L’Amiral des eaux usées, nouvelles et Des Accessoires pour le paradis, roman.
LangueFrançais
Date de sortie27 oct. 2015
ISBN9782940478774
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    Aperçu du livre

    Les Valets de Nuit - Marie-Jeanne Urech

    Pour Anne et Christophe

    I

    La silhouette du commissionnaire s’approcha de la fenêtre givrée, le visage soudain morcelé par la lueur des bougies d’un gâteau d’anniversaire. Une petite fille fêtait ses cinq ans. Entourée de son frère, de ses parents et d’un vieillard, peut-être le grand-père, prostré devant un interrupteur qu’il observait d’un œil inquiet. Il y avait encore dans cette pièce une femme énorme dont les plis de la chair s’étalaient sur le canapé comme un paysage au relief délicieusement vallonné. Deux anges gardiens veillaient sur ses rondeurs en l’éventant de leurs longues plumes blanches. Elle chantait d’une voix puissante et toute la famille l’écoutait, émerveillée, pendant que se consumaient les cinq premières années de la petite.

    A travers la fenêtre givrée, le commissionnaire regardait cette scène comme l’on observe une dernière fois un tableau avant de le recouvrir d’un drap.

    La petite souffla les bougies. Pareilles à un jeu de dominos, s’éteignirent une à une les lumières de la rue. Et puis celles de toutes les rues, des aciéries, des églises, de la gare de triage, des ponts à bascule, du port et même la lanterne du phare, infime signe de vie au milieu des eaux glacées du lac. Seules les immenses tours de verre, qui dominaient orgueilleusement la ville, brillaient encore d’un éclat que même la lune n’aurait osé leur disputer.

    II

    Ce n’était pas la première fois que Nathanaël Chagrin recevait la visite du commissionnaire. Il était déjà venu à trois reprises. Porteur du même message. Un commandement de payer. Nathanaël avait eu du retard à cause d’une hausse de loyer, elle-même due à des bulles dans le système que soufflaient ces messieurs de leurs tours de verre qui dominaient orgueilleusement la ville. Nathanaël n’y avait pas compris grand-chose. Il avait signé. S’il voulait conserver sa maison, il fallait payer. A chaque augmentation, il avait pris un travail supplémentaire et cumulait à présent quatre emplois. De 6 h à 7 h, il promenait les chiens des autres. Jusqu’à 16 h 30, il était gardien de l’aciérie. De 17 h à 20 h, il cirait les chaussures devant un grand magasin. Enfin, à l’heure où tous montaient se coucher, il sillonnait les routes enneigées de la ville au volant d’un camion chargé de sel. Il ne dormait plus dans son lit, mais dans sa guérite de gardien. Evidemment, debout, c’était moins confortable. Sur 24 heures, il en travaillait 21. Ses trois heures libres, il les passait en famille, à surveiller la croissance des petits, la dégradation du vieux Séraphin, les sautes d’humeur de sa femme, et à écouter chanter Philanthropie, immuablement assise sur son canapé.

    Nathanaël ne distinguait pas le visage du commissionnaire. Cet homme-là choisissait toujours une nuit sans lune ou une panne d’électricité pour se manifester. Il se tenait sur le perron, un peu en retrait, échappant ainsi à la faible lueur de la veilleuse qui signalait la maison. Une forte odeur d’encre l’accompagnait, comme si sa redingote sombre en était entièrement imbibée. Le commissionnaire lui tendit une lettre contre signature dont la blancheur lui fit l’effet d’une lame dans l’obscurité.

    « Quand cela s’arrêtera-t-il ? demanda Nathanaël d’une voix étranglée.

    – Vous avez une semaine pour vous mettre en règle. »

    Le commissionnaire s’inclina en signe de salut. Une légère boursouflure lui déformait les omoplates. Pauvre homme ! Mais comme il se penchait davantage, la flamme de la veilleuse révéla la nature de cette bosse : un amoncellement de documents agrafés à sa redingote. Le commissionnaire ne saluait pas. Il présentait son dos pour récolter l’indispensable signature de son client.

    « Quand cela s’arrêtera-t-il ? répéta Nathanaël en paraphant un feuillet. Vous le leur demanderez, n’est-ce pas ? »

    Avait-il hoché la tête ou simplement rajusté sa redingote en se redressant ? A cause de la panne d’électricité, on n’était plus certain de rien.

    Entre-temps, Rose Chagrin avait rallumé les bougies sur le gâteau et la cheminée à gaz pour éclairer la pièce plongée dans le noir. Zibeline déballait son cadeau. C’était un petit violon que sa maman avait échangé à l’un de ses clients contre un carton de vitamines. Personne ne savait en jouer. Elle apprendrait toute seule. Après tout, n’avait-elle pas deux oreilles dont l’une était musicale ? Répandue sur son canapé, Philanthropie dévorait une tranche de schnitz, une pâtisserie faite d’une multitude de couches de pâte feuilletée, fourrée d’une crème à la vanille et saupoudrée de sucre glace rose. Le schnitz constituait sa seule nourriture. Tout autre aliment lui provoquait des aigreurs d’estomac. Ses deux anges gardiens, qu’elle avait nommés Daphné et Tournov – les deux premiers noms qui lui étaient venus à l’esprit – lui massaient la naissance du cou de peur qu’elle ne s’étouffe. Il était vingt-deux heures. Nathanaël entra dans le salon la tête basse, la lettre encore cachetée à la main. On ne lui demanda rien. On avait compris. Madame Chagrin avala rapidement une de ses petites pilules roses. Elle se mettrait à sourire dans quelques minutes. Yapaklou viendrait se glisser entre ses bras tout en tenant fermement son nounours prénommé Bébé Gris. Zibeline s’approcherait elle aussi, mais pas trop, comme les chats. Philanthropie se mettrait à claquer des doigts, signe qu’elle allait chanter, et l’on embrasserait Nathanaël Chagrin avant de le laisser partir dans la nuit.

    Le plafonnier éclaira soudain le salon et puis les milliers de salons qui se distribuaient sur le grand échiquier urbain, les aciéries, les ponts et le phare dont la lanterne éclaboussait les eaux gelées du lac d’une foi inébranlable. La ville reprenait des couleurs, surprenant Séraphin caché sous un fauteuil, la tête enfouie dans ses mains tremblantes.

    « C’est fini, Séraphin ! le rassura Rose. Tu peux sortir.

    – Quand la lumière revenait, murmura-t-il, on comptait les morts. Les camarades. »

    III

    Un vent glacial crachait sur la ville des tourbillons de flocons arrachés aux plaines du nord. Les avenues étaient désertes, à peine troublées par le cycle des sémaphores qui animaient la nuit de leurs lueurs vertes et rouges, sorte de ballet mécanique que rien ne venait interrompre.

    Nathanaël Chagrin avançait lentement au volant de son camion, se frayant une voie dans la neige avec un racloir, puis abandonnant des millions de grains de sel sur la chaussée fraîchement dégagée. Une sirène de police transperçait la nuit, pour la forme. Une deuxième passait en sens inverse. Question de symétrie. Nathanaël progressait systématiquement. En carré. Les routes étaient larges. A l’époque, on avait vu grand. Cela avait été à la hauteur des hauts fourneaux. A présent, les camions passaient à proximité des usines désaffectées en se demandant pourquoi on se donnait encore la peine d’en dégager un accès. On avait remplacé les monticules de sable et d’acier par du sel. Des réserves enfouies sous des chapiteaux que les enfants prenaient pour des cirques et qui conféraient à la ville une allure festive perdue depuis longtemps. Nathanaël s’enfonçait toujours plus loin, dans des rues où l’alignement de maisons récemment condamnées, pillées, échevelées, sacrifiées aurait pu faire croire au passage d’un typhon, si cela avait été la saison, ou à celui d’une guerre, si l’on s’était connu des ennemis. Un petit signe à un collègue qui venait de l’autre côté de la rivière, là où poussait une nouvelle sorte de mauvaise herbe, tenace et proliférante, les caravanes-champignon. Puis, il suivit les méandres sinueux de la rivière avec son système de ponts à bascule et de voies ferrées. Près du port, les entrepôts de briques rouges dissimulaient leur carcasse ajourée derrière des panneaux publicitaires qui vantaient dentifrice et crème de nuit. Le camion obliqua à droite et s’engagea sur la Grande Avenue qui saignait la ville sur quinze kilomètres et au terme de laquelle se dressait une forêt de stalagmites, les fameuses tours de verre, dont on n’apercevait par temps de brume que la lanterne rouge à leur sommet. Nathanaël s’en rapprochait et les regardait grandir avec un respect mélangé de crainte. A l’angle de la 36e rue, quelques chiens fouillaient les ordures d’un restaurant jour et nuit tandis qu’une tête ensommeillée émergeait d’un carton. Le Temple s’élevait sur la gauche, sa coupole gigantesque illuminée grâce à l’argent des fidèles. En face, une église plus modeste, celle des derniers chrétiens. A la station d’essence, Nathanaël eut le temps de boire un café. Les pompes étant presque gelées, le carburant s’écoulait lentement. Derrière lui, une camionnette chargée de ferraille attendait son tour. Chéneaux, conduits, antennes, siphons, plomberie, câblage électrique, une maison en pièces détachées, le butin d’une nuit ordinaire. Nathanaël reprit le volant, un œil sur les tours qui occupaient à présent la moitié de son pare-brise. La radio commençait à se réveiller. On croisait quelques voitures mal déneigées. Une colonne de fumée émergeait çà et là du bitume, signe que le métro fonctionnait. Le vent était tombé et à l’horizon, on percevait un halo rose qui aurait bien pu être l’annonce d’un soleil timide. Nathanaël leva son racloir et coupa le moteur. Il était arrivé au pied des tours de verre où, quelque part dans les étages, des employés recopiaient à des milliers d’exemplaires une lettre identique que des commissionnaires remettraient le soir même à des citoyens tout juste rentrés d’un travail qui ne suffirait plus.

    Le soleil se reflétait à présent dans les fenêtres des tours, conférant à cette multitude de rectangles identiques l’apparence de la transparence.

    IV

    A peine les enfants levés, ils descendirent à la cuisine où les accueillit Séraphin occupé à cuire des œufs sur une gazinière éteinte pendant que les tranches de lard rôtissaient dans le grille-pain. Le vieillard devait leur préparer le déjeuner quand Rose partait tôt au travail, une mission dont il s’accommodait toujours avec beaucoup de zèle, malgré un manque de réussite pathologique. Yapaklou lui retira gentiment la poêle des mains et Zibeline le fit asseoir. Ils trouvèrent leurs céréales dans le congélateur, les cuillères dans la poubelle et le lait dans l’écuelle d’un chat qui était

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