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La Pharmacie V. Lamoureux: Place des Érables, tome 3
La Pharmacie V. Lamoureux: Place des Érables, tome 3
La Pharmacie V. Lamoureux: Place des Érables, tome 3
Livre électronique335 pages8 heures

La Pharmacie V. Lamoureux: Place des Érables, tome 3

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À propos de ce livre électronique

Dans les années 1960, autour de la Place des Érables, des commerces comme le casse-croûte Chez Rita et la quincaillerie Picard sont emblématiques d’une vie de quartier typiquement montréalaise. Rendez-vous à la pharmacie de Valentin Lamoureux pour la suite attendue de cette série savoureuse!

Alors que se prépare l’Expo, ça grouille de vie à la Place des Érables. Le beau pharmacien manifeste de plus en plus d’intérêt pour Mado, l’exubérante serveuse du casse-croûte. Cependant, il n’aura pas les coudées aussi franches qu’il le souhaiterait pour la conquérir. En face, chez les Picard, Arthur est très amoureux de la belle Anna et, à seize ans, semble voir une éclaircie à son avenir. Son ami Daniel et sa chérie n’ont pas la même chance…

Alors qu’un événement heureux prend une autre tournure, habitants et commerçants de Place des Érables démontrent une fois de plus leur solidarité et la solidité des liens qui les unit. Car si les jeunes s’apprêtent à entrer dans le monde adulte, leurs parents et grands-parents, eux, font face à bien des défis. Ainsi Joseph-Alfred, Léonie, Rita, Gepetto, voisins, commerçants et amis devront être là les uns pour les autres, plus que jamais. C’est comme ça que ça se passe par ici, n’est-ce pas?

Des personnages colorés et attachants, de petits drames et de grandes joies, la touche inimitable d’une auteure au sommet de son art : tous les ingrédients sont là pour un autre petit bonheur de lecture!
LangueFrançais
Date de sortie10 nov. 2021
ISBN9782898271076
La Pharmacie V. Lamoureux: Place des Érables, tome 3
Auteur

Louise Tremblay d'Essiambre

La réputation de Louise Tremblay-D'Essiambre n'est plus à faire. Auteure de plus d'une vingtaine d'ouvrages et mère de neuf enfants, elle est certainement l'une des auteures les plus prolifiques du Québec. Finaliste au Grand Prix littéraire Archambault en 2005, invitée d'honneur au Salon du livre de Montréal en novembre 2005, elle partage savamment son temps entre ses enfants, l'écriture et la peinture, une nouvelle passion qui lui a permis d'illustrer plusieurs de ses romans. Son style intense et sensible, sa polyvalence, sa grande curiosité et son amour du monde qui l'entoure font d'elle l'auteure préférée d'un nombre sans cesse croissant de lecteurs. Sa dernière série, MÉMOIRES D'UN QUARTIER a été finaliste au Grand Prix du Public La Presse / Salon du livre de Montréal 2010. Elle a aussi été Lauréate du Gala du Griffon d'or 2009 -catégorie Artiste par excellence-adulte et finaliste pour le Grand prix Desjardins de la Culture de Lanaudière 2009.

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    Aperçu du livre

    La Pharmacie V. Lamoureux - Louise Tremblay d'Essiambre

    Note de l’auteur

    Très chers lecteurs,

    Me voici arrivée au troisième tome de cette série. Comme le temps passe vite, n’est-ce pas ? Beaucoup, beaucoup trop vite à mon goût ! Je ne suis plus au printemps de ma vie comme notre cher Joseph-Arthur, qui peut perdre des heures à trépigner devant les années qui ne déboulent pas assez rapidement pour lui. Ah, cette impatience de la jeunesse devant l’avenir ! Elle a l’impertinence d’exiger et le loisir de protester, sans que ça porte ombrage aux minutes qui tombent au compteur. Toutefois, quand ce jeune homme accumulera autant d’années que moi, il saisira, avec peut-être un peu de regret, ce que signifie le dicton : si jeunesse savait et si vieillesse pouvait ! C’est alors qu’il se souviendra des conseils de son grand-père, tout comme moi, je me souviens de plus en plus souvent de ceux de mon papa.

    Ouf !

    On dirait bien qu’il y a un petit vent de nostalgie qui souffle sur mon humeur aujourd’hui ! Ce doit être à cause de ce ciel gris et de cette petite brise fraîche qui nous attendaient au saut du lit ce matin. Après avoir connu une semaine qui ressemblait à l’été, c’est un peu décevant.

    Mais peu importe ce que je viens d’écrire, c’est aujourd’hui que je retrouve les personnages de la Place des Érables, et j’en suis fort aise !

    Dans le tome 2, quand nous avons quitté Rita, Mado et tous les autres, nous étions au printemps 1966. Présentement, nous nous retrouvons quelques semaines plus tard, et l’été bat son plein. Les journées sont lumineuses de soleil, et les soirées s’étirent en clarté à la grande satisfaction d’Arthur et d’Anna, qui peuvent profiter de longs moments en tête à tête, une fois leur boulot terminé. Plus le temps passe et plus l’amour grandit entre eux. À seize ans, on peut oser prétendre qu’ils ne sont plus des enfants. Du moins, c’est ce qu’affirment Daniel et Jacinthe, qui ont sensiblement le même âge et qui se dévorent des yeux chaque fois qu’ils arrivent à se voir. Avec le déménagement de Daniel à l’autre bout de la ville, en compagnie de sa mère et de ses deux frères, il leur est parfois difficile de susciter des occasions de rencontre. Alors, quand Daniel et Jacinthe sont ensemble, ils en profitent pleinement, et ils se joignent de temps en temps à Arthur et Anna pour une sortie au cinéma ou pour un petit lunch au casse-croûte de madame Rita.

    La serveuse Mado non plus n’est pas une enfant, mais par moments, elle a l’impression que c’est tout comme, tant son cœur bat fort lorsqu’elle retrouve Valentin. À cinquante ans passés, c’est le premier homme qui lui fait envisager sérieusement la possibilité d’abandonner son célibat… si jamais Valentin Lamoureux se décidait à lui faire la grande demande. Or, de toute évidence, il n’en est pas encore là. Après tout, le pharmacien de la place a la réputation d’être un libertin qui courtise tout ce qui porte jupon, et jusqu’à maintenant, il ne lui a rien promis ! En revanche, comme Mado est la seule femme qu’il invite régulièrement au théâtre et dans de grands restaurants, comme le Hélène de Champlain, elle ose espérer que dans son cas, c’est du sérieux. Pour l’instant, cependant, il n’y a que Rita qui soit au courant des battements de cœur un peu désordonnés de Mado Champagne.

    Bien entendu, la propriétaire du casse-croûte se réjouit de la bonne fortune de sa serveuse. Sauf qu’elle envie secrètement son bonheur. Aura-t-elle la chance, elle aussi, de croiser un homme qui saura lui faire oublier son Rémi, décédé trop jeune ? À quarante et un ans, Rita se dit qu’il n’est peut-être pas trop tard pour refaire sa vie, du moins son amie Léonie en est-elle persuadée, mais ça commence à presser !

    Du côté des Picard, tout va bien. En apparence, car ça fait un petit moment que je n’ai pas eu de discussion sérieuse avec l’un des membres de cette famille. À les observer, de loin, je dirais que Léonie semble toujours aussi affairée ; que J.A. n’a pas perdu sa manie de bougonner ; et qu’Arthur s’est probablement résigné à suivre les traces de son père, car cet été, il travaille à temps plein à la quincaillerie, et surprise ! il est plutôt souriant.

    Quant à Joseph-Alfred, « ma grand foi du Bon Dieu », il ne semble plus vieillir ! Tant mieux, car je l’aime beaucoup.

    En ce premier matin d’écriture pour le tome 3, et comme je l’ai fait pour les deux premiers tomes, je me suis rendue au parc, et présentement, je suis assise sur un des bancs de la Place des Érables, afin d’avoir une vue d’ensemble sur le quartier. En même temps, ça me permet de me replonger dans l’atmosphère des années soixante.

    En ce moment, le maestro Gepetto est en train de se diriger vers la boulangerie en tenant avec précaution sa grosse jarre de « bines » pour les mettre à cuire dans le four à pain de Mario Painchaud. Le soleil commence lentement à baisser, et du coin de l’œil, j’aperçois le salon de coiffure d’Agathe. Je me demande bien comment se porte son garçon, le jeune Rémi, qui semblait se tenir avec une bande de galopins plus ou moins recommandables. Est-ce toujours le cas ? Puis, si je tourne la tête et que je m’étire le cou, je reconnais la pharmacie que Léonie aime bien visiter de temps en temps.

    Pharmacie V. Lamoureux inc.

    Je vous l’avais déjà souligné, n’est-ce pas ? C’est vers l’officine de monsieur Lamoureux que l’action va se déplacer, cette fois-ci. Ce fut ma seule exigence dans ce processus d’écriture où les personnages finissent toujours par avoir le dernier mot.

    La pharmacie, donc, a pignon sur rue à quelques pas de la Place des Érables, au coin d’une ruelle transversale, et dans quelques instants, je vais m’y diriger en souhaitant que monsieur Lamoureux accepte de me parler.

    C’est qu’il en rencontre, des gens, Valentin Lamoureux ! Et par sa profession, l’élégant pharmacien doit probablement connaître les petits secrets de tout un chacun. L’écrivain que je suis aimerait bien en partager quelques-uns avec lui. Ça me donnerait peut-être de bonnes idées !

    Voilà où j’en suis aujourd’hui !

    De ma fenêtre, je vois tomber quelques flocons insolents qui se posent sur notre parasol déjà installé pour l’été. Inutile de vous dire que je préfère et de loin rester dans l’univers de mon roman.

    Je vous invite donc à me suivre, et ensemble, nous allons découvrir l’antre de cet homme au drôle de nom qui ne porte que des nœuds papillon aux couleurs extravagantes en guise d’accessoire. Curieusement, et contrairement aux autres personnages, d’ailleurs, Valentin Lamoureux n’habite pas dans le quartier, même s’il y travaille six jours par semaine et que le bâtiment qui abrite sa pharmacie semble accueillir des logements en location. J’avoue que ça m’intrigue un peu. Aurait-il quelque chose à cacher ?

    Bonne lecture à tous !

    Partie 1

    Été

    ~

    Automne 1966

    Chapitre 1

    « Bah-da bah-da-da-da

    Bah-da bah-da-da-da

    Bah-da bah-da-da-da

    Monday, Monday (bah-da bah-da-da-da)

    So good to me (bah-da bah-da-da-da)

    Monday mornin’, it was all I hoped it would be

    Oh Monday mornin’, Monday mornin’ couldn’t

    guarantee (bah-da bah-da-da-da)

    That Monday evenin’ you would still be here with me… »

    ~

    Monday, Monday,

    Dennis Doherty / John Edmund et Andrew Phillips

    Interprété par The Mamas and The Papas, 1966

    Le lundi 8 août 1966, dans la pharmacie de Valentin Lamoureux, par une journée pluvieuse

    Contrairement à la plupart des gens, le lundi avait toujours été la journée préférée de Valentin Lamoureux, et ce, depuis qu’il avait commencé à fréquenter l’école. Il devait avoir aux alentours de six ans. Pour l’enfant qu’il était, à cette époque-là, l’école lui offrait la chance de sortir de chez lui et de côtoyer des amis ; aujourd’hui, pour l’homme qu’il était devenu, chaque lundi lui offrait encore la chance de sortir de chez lui et de côtoyer des gens. Cette simple réalité représentait pour Valentin l’occasion de vivre une vie normale, librement consentie.

    Autrement dit, depuis plus de vingt-cinq ans, Valentin Lamoureux savourait pleinement et sans la moindre retenue chacun des instants de toutes les heures qu’il passait à la pharmacie.

    Ce lundi matin ne faisait donc pas exception à la règle, et malgré la pluie diluvienne qui tombait depuis la veille au soir, c’est en sifflotant un petit air à la mode que le pharmacien poussa l’interrupteur pour allumer les trois plafonniers qui éclairaient son royaume. C’est exactement ainsi que Valentin voyait son commerce : une sorte de domaine où il régnait en roi et maître !

    Ensuite, il se dirigea vers la salle des employés pour y déposer son repas du midi au réfrigérateur et accrocher son imperméable à un des crochets qu’il avait fait installer à son arrivée comme patron de la pharmacie.

    Ce matin, justement à cause du temps maussade, il était venu travailler en auto. Il l’avait stationnée dans la cour arrière de l’immeuble, à la place qui lui était réservée. Une affiche à son nom placardée sur le mur de briques l’indiquait clairement. Sinon, quand la température était clémente, il préférait faire la route à pied. Comme on le lui avait souvent recommandé : cela ménagerait sa voiture. Sans adhérer totalement à cette opinion, après tout, une auto, c’était fait pour rouler, Valentin n’était pas entièrement contre cette vision des choses.

    Homme de routine par sa profession et d’habitudes bien ancrées par sa nature profonde, Valentin préférait ouvrir lui-même le commerce, une bonne heure avant l’arrivée de son employé pour ne pas se sentir bousculé d’aucune façon.

    Marc Thibouthot travaillait pour Valentin depuis une bonne dizaine d’années. Il s’occupait des étalages de produits non pharmaceutiques. Ainsi, il voyait à approvisionner la réserve au besoin pour ne jamais se retrouver à court de quoi que ce soit ; il recevait les commandes et en gardait un inventaire précis ; et il s’occupait du ménage une fois par semaine. Depuis au moins cinq ans, il avait la charge de la caisse enregistreuse, ce qui voulait dire qu’il en faisait un décompte rigoureux tous les soirs. Le vendredi et le samedi, une jeune fille du joli nom de Fleurette Desjardins se joignait à eux, car ces jours-là étaient habituellement fort occupés. Valentin ne pouvait donc pas quitter son officine afin de servir adéquatement la clientèle, toutes ces gens, hommes et femmes confondus, qu’il appelait affectueusement « ses patients ».

    Depuis son embauche à la pharmacie, le jeune Thibouthot, du moins, il restait jeune aux yeux de Valentin, car Marc devait tout de même avouer la trentaine avancée, faisait les livraisons chez les personnes âgées qui ne pouvaient plus se déplacer… ou chez les mères de familles nombreuses qui n’avaient pas le courage de trimballer la marmaille pour aller acheter un simple tube de pâte dentifrice ! Papiers-mouchoirs, aspirines, paquets de cigarettes, gomme à mâcher, sirop contre la toux, mercurochrome, Band-Aid… Dès que le téléphone sonnait, Marc prenait la commande en note, il la préparait soigneusement, et sur un tonitruant « Je pars faire une livraison, monsieur Lamoureux ! », il quittait la pharmacie d’un bon pas.

    C’était là une de ses grandes qualités : Marc Thibouthot comprenait vite ce qu’on lui demandait, et il détestait perdre son temps. Son efficacité était redoutable ! Valentin Lamoureux l’appréciait donc au plus haut point, et il ne s’en serait départi pour tout l’or du monde. Chaque année, quand arrivait la période des fêtes, il lui offrait un boni en gage de reconnaissance et une augmentation de salaire qui prenait effet le Premier de l’an suivant. Quant à la jeune Fleurette, toujours de bonne humeur et jolie comme un cœur, elle apportait un vent de fraîcheur dans son commerce, autrement un peu sombre, et parfois trop tranquille au goût du propriétaire.

    En revanche, quand l’appel reçu concernait le pharmacien, Marc ou Fleurette passaient immédiatement la communication à leur patron. En effet, Valentin préférait noter la prescription et porter lui-même à ses patients certains médicaments d’ordonnance pour bien expliquer la posologie, même si régulièrement, il s’agissait d’un simple renouvellement.

    Ces livraisons spéciales se faisaient toujours en fin d’après-midi, beau temps mauvais temps, hiver comme été, et rares étaient les journées où Valentin n’avait pas à sortir.

    Il quittait alors la pharmacie pour ce qu’il appelait sa promenade de santé quotidienne.

    — Si je ne suis pas de retour à six heures, Marc, tu pourras fermer !

    Il n’en demeurait pas moins que depuis quelque temps, le pharmacien songeait sérieusement à engager un commissionnaire qui aurait son permis de conduire, jugeant que l’époque de la livraison à vélo ou à pied était révolue, sauf peut-être pour les épiceries de quartier. Mais pour un pharmacien, avec toutes ces voitures qui circulaient dans les rues de la ville, ça ne faisait plus très sérieux de voir partir Marc plusieurs fois par jour avec son petit panier !

    Comme Valentin Lamoureux possédait une Volkswagen jaune citron en très bon état, il pourrait, au besoin, la mettre à la disposition de ce nouvel employé, en plus des quelques fois où il l’utilisait lui-même par mauvais temps, comme aujourd’hui. Il s’était dit, aussi, qu’il pourrait éventuellement la faire marquer à son nom. Ce serait du plus grand chic et elle ferait office de publicité gratuite, chaque fois qu’elle sortirait de la cour. De toute façon, cela faisait longtemps qu’il promettait à Marc d’engager quelqu’un pour le seconder à temps plein, il devrait donc s’en occuper bientôt.

    Mais pour aujourd’hui, comme tous les lundis, ils seraient seuls tous les deux pour voir au fonctionnement quotidien de la pharmacie.

    Après avoir vérifié du coin de l’œil que Marc avait laissé les étalages bien à l’ordre samedi dernier avant de quitter la pharmacie, Valentin gagna le fond du commerce où se trouvait l’officine. Lui seul avait le droit d’en fouler le plancher, et sur ce point, le pharmacien était d’une rigueur absolue. Mado Champagne était l’unique exception à la règle, lorsque celle-ci venait le rejoindre le samedi après-midi, avant l’heure de fermeture. Toutefois, il faut préciser que jusqu’à maintenant, cela ne s’était produit qu’à deux reprises depuis le printemps. N’empêche que Valentin avait installé un tabouret en bois verni dans un coin pour que l’attente de mademoiselle Mado puisse être plus agréable.

    Madeleine Champagne, surnommée Mado depuis sa plus tendre enfance, était la serveuse attitrée du casse-croûte de Place des Érables. Tout comme Valentin, elle connaissait à peu près tous les habitants du quartier. Il était donc normal, lors de ses moments d’attente à la pharmacie, qu’elle échange quelques mots avec l’un ou avec l’autre des patients. Le pharmacien estimait que ça ne pouvait nuire à son commerce en aucune façon.

    Bien au contraire !

    La présence de cette jolie femme qui l’attendait sagement polissait l’image que l’on se faisait de ce vieux garçon au charme indéniable et au bagout facile qui faisait grincer des dents à plus d’un mari avec sa propension à faire le joli cœur auprès des dames. Mais que voulez-vous ? Il ne s’appelait pas Valentin pour rien, et c’était dans sa nature de vouloir plaire à tout le monde. Même bébé, lui avait-on raconté, il était déjà un charmeur de cœur avec ses sourires désarmants.

    Toutefois, en contrepartie de ses courbettes devant les dames, et pour satisfaire la gent masculine qui fréquentait son commerce, le pharmacien du quartier se tenait informé des derniers résultats sportifs, à l’instar du quincailler J.A. Picard, même si, dans son cas, les sports en général et le hockey en particulier ne l’intéressaient nullement.

    Valentin Lamoureux se plaisait à croire qu’il était plutôt du genre intellectuel ! Il aimait la musique classique, les beaux vêtements que l’on voyait dans les revues de mode et les bouquins sérieux.

    Le temps d’enfiler son sarrau blanc par-dessus sa chemise ivoire à pois ton sur ton, puis le pharmacien se rendit au lavabo de fine porcelaine blanche dont il prenait un soin jaloux pour en garder la brillance en permanence. Il se lava consciencieusement les mains en portant une attention particulière à ses ongles, avant de vérifier dans le miroir surplombant le lavabo que la raie dans ses cheveux poivre et sel était bien droite. Il se sécha les mains avec une serviette de ratine très douce, puis il replaça machinalement son nœud papillon, qu’il avait choisi ce matin dans des tons orangés pour donner un peu d’éclat à cette matinée sombre.

    Maintenant, il était prêt à commencer sa journée.

    Et il le faisait toujours en inspectant l’armoire des barbituriques qu’il gardait fermée à clé, comme il se doit. Tous les matins, il en faisait un inventoriage scrupuleux, même si la veille au soir, il avait fait le même exercice avant de quitter la pharmacie. Il pouvait ainsi se vanter qu’en vingt-huit ans de pratique, il n’avait jamais égaré la moindre pilule, et il ne s’était pas fait voler ni cachets ni autres ampoules.

    Valentin se dirigea par la suite vers la caisse enregistreuse pour vérifier les calculs que Marc avait inscrits à son intention sur une feuille qu’il avait par la suite déposée dans la caisse, sur la pile des deux dollars, avant de quitter la pharmacie, deux jours auparavant. C’était une obligation un peu inutile, et Valentin s’y pliait uniquement par habitude, car Marc était un commis à la probité irréprochable. Toutefois, ce matin, le déclic que fit la caisse en ouvrant fut suivi dans l’instant par une série de petits coups secs frappés à la porte donnant sur la rue.

    Valentin grimaça en secouant la tête.

    Qui donc se permettait de le déranger avant l’heure d’ouverture, affichée clairement sur un écriteau posé tout à côté de l’entrée ? Du lundi au samedi, le commerce ouvrait ses portes à neuf heures, pas à huit heures quarante-cinq comme présentement !

    Et ce ne pouvait pas être Marc arrivé en avance, puisqu’il possédait sa propre clé.

    En revanche, si on frappait avec autant d’insistance, c’était probablement une urgence, et le fait de ne pas être passé par le casse-croûte de madame Rita pour acheter son café du matin, parce qu’il pleuvait à boire debout aujourd’hui, n’était sûrement pas une raison suffisante pour faire la sourde oreille. Valentin soupira en se disant qu’il aurait préféré que ce soit Marc, car ce dernier aurait pu aller lui chercher ce fichu café qui manquait à son bonheur en ce moment. Puis, le sens du devoir l’emporta sur ses caprices, et sans plus tergiverser, Valentin referma la caisse et se dirigea vers la porte.

    Un Joseph-Arthur détrempé de la tête aux pieds allait frapper de nouveau quand le pharmacien entrouvrit le battant.

    — Mais qu’est-ce que tu fais là, mon garçon ? s’écria-t-il en ouvrant tout grand la lourde porte en bois de chêne verni, trouée d’une vitre à double épaisseur. Personne de gravement malade chez toi, j’espère ?

    — Malade non, mais blessé oui, expliqua le jeune homme tout en refermant derrière lui. Je m’excuse de vous déranger si tôt, monsieur Lamoureux, mais c’est ma mère qui m’envoie. C’est pour mon père… Auriez-vous une bonne crème analgésique et des bandages ?

    — Géritol ! Que s’est-il passé ?

    Arthur expliqua alors qu’un peu plus tôt, Joseph-Armand s’était entaillé profondément la paume de la main gauche avec la lame de son Exacto, alors qu’il tentait d’ouvrir une boîte de carton particulièrement bien scellée.

    — Et ça doit faire très mal parce que de coutume, mon père ne pleure jamais, et là, j’ai vu ses yeux briller.

    — Il est vrai que ton père est avare d’émotions, reconnut Valentin.

    Le pharmacien avait fait la connaissance de celui que tout le monde appelait familièrement J.A. au moment où ce dernier avait été de retour de la Seconde Guerre.

    — Hormis un peu d’impatience devant le désordre, ajouta Valentin, je n’ai jamais vu ton père autrement que sérieux et bien à son affaire !

    — En effet, oui… Alors ? Auriez-vous une pommade ou un onguent qui serait susceptible de calmer la douleur ?

    — Suis-moi, ordonna Valentin. Je devrais avoir quelque chose d’efficace. Une vieille recette de famille qui fait des merveilles, encore plus que l’onguent Ozonol… Mais dis-moi… La blessure nécessiterait peut-être des points de suture, non ?

    — Pas selon maman. De toute façon, à la seule mention du mot hôpital par mon grand-père, j’ai vu mon père blêmir comme s’il était en train de se transformer en fantôme… C’est là que ma mère a pris la situation en main et qu’elle m’a demandé de venir vous voir, en espérant que vous seriez déjà arrivé.

    Tout en parlant, Arthur et Valentin avaient rejoint l’officine.

    — Je vais te préparer une pommade maison qui a fait ses preuves pour calmer la douleur, tant des coupures que des brûlures, d’ailleurs. Et de plus, elle aide à la cicatrisation. La recette me vient de mon défunt oncle Edouard, l’ancien propriétaire de cette pharmacie. Il faut cependant toujours bien nettoyer la plaie avant de…

    — C’est fait, inquiétez-vous pas ! interrompit Arthur. Maman y a vu, et aux grognements poussés par mon père quand elle a versé du peroxyde sur sa coupure pour ensuite l’essuyer avec une serviette propre, je dirais que sa main doit être bien nettoyée.

    — Est-ce que ça saigne encore ?

    — Presque plus… C’est surtout la douleur qui m’amène chez vous. Mon père n’arrête pas de se lamenter sur tous les tons que ça fait mal. Une vraie litanie !

    — Dans ce cas, un peu d’onguent toutes les quatre heures devrait suffire. De préférence, pour aujourd’hui, laisser la plaie à l’air pour qu’elle sèche… Je vais aussi te donner deux pilules qui vont aider à diminuer la douleur, à prendre en mangeant. Idéalement, ton père devrait rester au repos durant toute la journée, car il va se sentir un peu somnolent. Et qu’il évite de mettre sa main sous le robinet !

    — Pour le repos, pas de problème, je vais m’occuper du magasin. Au besoin, grand-père viendra m’aider. Et je vais avertir mon père de ne pas se mouiller les mains.

    — À la bonne heure ! Ah oui ! Afin d’éviter toute infection, quand ton père retournera au travail, demain, voici deux pansements de formats différents…

    Tout en parlant, Valentin avait saisi une boîte blanche et bleue et il l’avait ouverte. Il hésita, fronça les sourcils, puis leva les yeux vers Arthur.

    — À moins que ta mère préfère de la gaze ? suggéra-t-il alors. Certes, c’est un peu plus long que de mettre un pansement, mais quand le bandage est bien fait, c’est nettement plus efficace.

    Perplexe, Arthur se gratta la tête.

    — Je vous avoue que je serais pas mal embêté de vous répondre, monsieur Lamoureux.

    — Dans ce cas, dis à ta mère de venir me voir plus tard dans le courant de la journée, décida le pharmacien en remettant la boîte à sa place. Pour l’instant, l’important, c’est de permettre à ton père de moins souffrir. Plus tard, je verrai avec ta mère ce qu’il serait préférable d’employer pour le type de blessure que ton père s’est infligée. Et nous réglerons les achats en même temps.

    Les visites de Léonie faisaient toujours plaisir à Valentin, et la perspective de la rencontrer aujourd’hui lui mit le cœur en joie. Cette femme-là avait une manière bien à elle de vous écouter en vous fixant droit dans les yeux, la tête légèrement penchée, qui donnait à tous coups la sensation d’être quelqu’un de très important. « Dommage qu’elle soit déjà mariée », s’était-il dit à l’occasion, tout en suivant des yeux la petite dame toujours bien mise qui s’en retournait chez elle.

    Quelques instants plus tard, le pharmacien tendait le traditionnel petit sac blanc et vert à Arthur.

    — Si jamais ça ne convenait pas à ta mère de passer me voir, dis-lui de m’appeler, proposa-t-il, tout en reconduisant le jeune homme à la porte. En cas d’incertitude, je pourrais même faire un saut chez toi. Je ne suis pas médecin, et loin de moi la prétention d’agir comme tel, mais j’ai suffisamment vu de blessures dans ma vie pour émettre une opinion éclairée. Sinon, Marc, mon employé, ira porter ce dont vous aurez besoin pour protéger la plaie, selon les désirs de ta maman. Tu transmettras mes salutations à toute ta famille et bien du courage à ce pauvre J.A., souhaita le pharmacien tout en ouvrant la porte donnant sur le trottoir.

    — Promis. Et un gros merci pour le service. Papa va sûrement l’apprécier, lança Arthur.

    « Même s’il ne le montrera pas », songea alors Valentin, tout en levant les yeux vers le ciel, qui lui parut moins sombre qu’une heure auparavant.

    Et la pluie tombait assurément moins dru. Tant mieux !

    Si le soleil décidait de se mettre de la partie, nul doute qu’il verrait apparaître Léonie dans le courant de l’avant-midi !

    Le pharmacien esquissa alors un sourire.

    Ensuite, comme chaque fois qu’il reconduisait un patient à sa porte, Valentin fixa le dos d’Arthur, qui avait relevé sa capuche avant de se mettre à courir. Léonie avait vraiment de quoi être fière de son fils : Joseph-Arthur Picard était un bon et beau garçon.

    Puis, le pharmacien referma la porte et il se dirigea rapidement vers la caisse enregistreuse. Avec cette visite imprévue, il aurait tout juste le temps de vérifier les calculs de Marc avant que celui-ci arrive.

    * * *

    La pluie cessa pour de bon un

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