Vanity Fair France

Requiem pour un fou (de la food)

Au téléphone, Bruno Gaccio laisse percer un légeragacement: « Vous n’allez quand même pas écrire sur ce type? C’est un petit escroc dont je n’ai toujours pas compris l’intérêt. » On proteste : le type en question, c’est son ex-beau frère, et son ascension comme sa chute cristallisent les passions d’une époque. « Non, non, ce n’est pas un héros balzacien, coupe l’ancien auteur des “Guignols de l’info”. Vous êtes loin de le connaître. » Et d’ajouter, énigmatique :

« Vous verrez, grâce à votre article, il va recommencer...

– Comment ça ?

– Il ira en Italie avec votre magazine sous le bras et il dira : “Regardez, Vanity

Fair m’a consacré dix pages, je suis une vedette, un homme d’affaires hors du commun.” Et les gens le croiront sans vous lire. »

Dont acte, prenons ce risque.

C’est l’histoire d’un personnage qui continue de hanter, des années plus tard, tous ceux qui s’en sont approchés. En 2014, Cédric Naudon était le porteur d’une utopie moderne: transformer un quartier abandonné près de la place de la République en nouveau temple de la « food », en y lançant des dizaines de restaurants et commerces de bouche. Bref: un nouveau ventre de Paris, version design et écoresponsable, un peu bobo diront certains. Face aux caméras, Naudon promettait d’en faire l’emblème d’un monde agricole plus juste et plus durable. Il avait réuni autour de lui les meilleurs de chaque métier; les plus rêveurs aussi. Aujourd’hui, tous racontent une aventure où l’envie d’y croire s’est brisée contre la réalité. Et personne ne sait où est passé ce patron plein de charme et d’ambitions. Condamné à quatre ans de prison au printemps, il était encore introuvable à la fin du mois de mai malgré un mandat d’arrêt émis contre lui...

L’affaire démarre dans un restaurant chic de Londres en 2011. À table, un client massif, gominé et soigneusement apprêté s’extasie devant les assiettes qu’on lui présente. Il aimerait rencontrer le chef pour le féliciter. Aux fourneaux, Antonin Bonnet s’active. Voilà sept ans qu’il cuisine au Greenhouse, sept ans qu’il se bat pour décrocher une deuxième étoile Michelin, en vain. Les grands chefs britanniques ont beau encenser ses assiettes précises et créatives, tout entières tournées vers la mise en majesté de produits bien cultivés, bien pêchés, bien élevés, quelque chose ne passe pas, et les inspecteurs du fameux guide rouge continuent de l’ignorer.

Naudon abandonne son Aston Martin en double file devant le siège parisien du Crédit du Nord, jette ses clés au vigile, et lui intime l’ordre de la garer : « J’ai rendez-vous avec le DG. »

Serait-il arrivé au bout d’un cycleà l’aube de ses 40 ans? Cédric Naudon le pressent. Il lui parle d’un projet de restaurant dans une taverne parisienne vieille de six siècles: cuisine gastronomique de haut vol; collaboration avec la star du design Jaime Hayón; liberté totale aux fourneaux... « Là, j’ai un peu les boules, parce que j’avais tout sauf envie de rentrer en France, se rappelle Antonin Bonnet. Mais le mec est très fort. Il me convainc. » Naudon reste flou sur son parcours. Il se présente comme un homme d’affaires revenu en Europe, fortune faite aux États-Unis dans les années 1990. Il est né au Maroc en 1972 mais sa famille s’est rapidement installée en France, à Neuilly-sur-Seine. Son goût pour les belles tables se serait affiné au côté de son père, qui l’emmenait, ado, faire la tournée des grands-ducs. D’ailleurs, tiens, il garde un souvenir ému de « la gelée de caviar à la crème de chou-fleur préparée par Joël Robuchon » et « des cromesquis de foie gras aux truffes » de Marc Meneau.

À la deuxième rencontre, Naudon emmène le chef en balade. Dans les rues de Mayfair, il l’interroge sur ses envies, ses rêves, ses frustrations aussi. Bonnet a grandi dans

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