Collapse: Un roman sombre sur la solitude contemporaine
Par Brigitte Comard
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À propos de ce livre électronique
Peut-on croire à la force de l’art face à la trivialité du monde ? La beauté peut-elle nous sauver ? Jean-Noël, le personnage du nouveau roman de Brigitte Comard y croit. Ce récit dense et sensible embarque, au rythme des secousses du monde, dans le cœur et l’esprit d’un homme que la vie va frapper. Un ouvrage juste et bouleversant qui déconstruit les rouages d’un système et révèle la violence sociale qu’il génère.
Engagé avec justesse, cet ouvrage saisit par le regard acéré et sans complaisance qu’il porte sur le monde contemporain.
EXTRAIT
Je suis devenu un petit noyau dur au centre de moi-même, comme toujours quand la charge est trop rude. J’ai appris très tôt à faire le petit noyau dur ;
pour moins souffrir, il faut être lisse quand on est un enfant. Je me suis souvent demandé si tous les enfants souffraient autant. C’est une question d’autant
plus cruelle qu’elle n’est pas communicable. En tout cas, pour moi, elle ne l’était pas. Et comme je n’ai pas d’enfant, je n’en sais pas plus aujourd’hui. Ce serait ridicule d’expliquer à quiconque, que mon enfance a été un puits de souffrances sans fond.
Qui pourrait croire ça ? Je n’aimais que la beauté, la puissance de la beauté me ravissait. C’était un élan de l’âme. Et j’ai traversé une enfance de laideur. Va parler d’élan de l’âme à des petites brutes dressées à la bassesse, à des maîtres asservis à la médiocrité, à des adultes morts.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Brigitte Comard est née à Casablanca en avril 1961. Sa famille, rapatriée, s’installe dans une ferme du sud de la Gironde.
Chanteuse et auteure, la scène devient le pré-texte de rencontres, genèse de ses spectacles et de son écriture. La création est pour elle un acte politique et de résistance, un prolongement du quotidien à l’épreuve de la poésie.
Femme de convictions, Brigitte Comard ne cesse de croiser et de tisser serré les chemins de la création et ceux de l’engagement.
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Aperçu du livre
Collapse - Brigitte Comard
À Philippe, parce qu’une cathédrale.
À Léa et Nathan. Parce qu’une cathédrale.
Ce n’est pas une voix qu’elle a cette femme, c’est une vitre brisée. On passe au travers en se blessant. Je ne parviens pas à me souvenir si cette voix me faisait cet effet avant. Quand je la connaissais sans avoir avec elle ce que le code du travail qualifie de lien de subordination.
Avant, il y a un siècle, il y a six mois.
Je suis devenu un petit noyau dur au centre de moi-même, comme toujours quand la charge est trop rude. J’ai appris très tôt à faire le petit noyau dur ; pour moins souffrir, il faut être lisse quand on est un enfant. Je me suis souvent demandé si tous les enfants souffraient autant. C’est une question d’autant plus cruelle qu’elle n’est pas communicable. En tout cas, pour moi, elle ne l’était pas. Et comme je n’ai pas d’enfant, je n’en sais pas plus aujourd’hui. Ce serait ridicule d’expliquer à quiconque, que mon enfance a été un puits de souffrances sans fond. Qui pourrait croire ça ? Je n’aimais que la beauté, la puissance de la beauté me ravissait. C’était un élan de l’âme. Et j’ai traversé une enfance de laideur. Va parler d’élan de l’âme à des petites brutes dressées à la bassesse, à des maîtres asservis à la médiocrité, à des adultes morts.
Pour que l’ordre règne, il fallait briser cet élan interne : l’émotion et sa conscience. Je faisais partie de ces maudits qui ne cessent jamais de ressentir et de penser qu’ils ressentent.
Pour quelle sorte de paranoïaque passerait un homme se prétendant survivant de la brutalité de l’abrutissement, de la faiblesse, de l’école. Je n’étais personne d’autre qu’un enfant de famille modeste, une famille sans histoire, je n’étais personne et je souffrais. J’ai appris à devenir lisse parce que je ne pouvais pas m’échapper de leur espoir. J’étais dépositaire de leur espoir que je devienne quelqu’un. Pour racheter leur abrutissement, il fallait que je devienne quelqu’un. Et pour ça, ils consentaient à ce que je ne sois personne.
Elle m’a parlé comme on crache, avec sa voix hérissée, « Gomez vous êtes un minable ! » Dans sa bouche, mon patronyme devient une insulte. Elle pourrait juste dire « Gomez, vous êtes ! » Cela suffirait. Dans sa bouche, mon nom redevient un nom espagnol. Un nom de petit-fils d’ouvrier espagnol illettré. Elle postillonne mon nom. Elle postillonne mon nom, et à cet instant, je pourrais voir en file indienne la lignée de mes ancêtres le béret à la main, les yeux baissés. Quand elle prononce mon nom je sens concrètement, dans mes fibres, celui qu’elle pense que je dois être, son fantasme de toute puissance. Je sens le rien qu’elle pense que je dois être. Mais le problème c’est que la malédiction de la sensibilité, elle, ne lâche pas, et je ressens, et je pense, et je souffre le rien en quoi elle me transforme. Ça fait toute la différence avec mes ancêtres. Enfin je crois.
Je réfléchis beaucoup à la mutation formidable de nos relations à partir du moment où, après pas moins de dix ans de séductions, de propositions répétées, j’ai cédé. Sachant parfaitement l’énorme imbécilité que je commettais, j’ai cédé. L’attrait de l’argent, de l’ascension sociale fulgurante : numéro trois chez Dartigan ! Quatrième fortune de France, l’Impératrice du poulet à la découpe et de tous ses dérivés mangeables à petit, moyen, grand prix, la mère nourricière d’un pays entier. La femme propriétaire d’un nombre de filiales tel, qu’il donne dans les milieux de la finance le vertige aux analystes les plus froids. La femme qui, partie d’une entreprise familiale a construit une forteresse, la Financière Dartigan dont les statistiques de ventes annuelles permettent aux sondeurs de déterminer l’état de la nation. On sait immédiatement en regardant les courbes de Dartigan par produit dans quel état est le peuple. Et en ce moment le peuple va plutôt pas bien. Le peuple mange en début de mois du poulet discount et puis plus rien, il passe à la concurrence, les pâtes et les patates.
Elle m’a toisé depuis son fauteuil de cuir noir. « Son » fauteuil à elle, dans mon bureau à moi. Elle a le génie de la domination. Elle est minuscule dans ce fauteuil immense, avec son chien sur les genoux. Le hideux Gaspard. Un chihuahua tremblotant et terrifié ; dès qu’on s’approche, il émet un son fripé et rêche dans l’aigu, qui se voudrait un aboiement mais le gabarit du mammifère ne l’autorise pas, il criaille rapeux, comme s’il voulait montrer qu’il a bien compris dans quel registre sa maîtresse se situe, et qu’il y est bien avec elle, bien installé dans ce papier de verre. Il ne sait pas lui, du fond de son cortex inutile, qu’il est innombrable, qu’il est depuis quarante ans le septième Gaspard. Il ne sait pas qu’elle l’a acheté – une petite fortune – et qu’il est toujours le même, même couleur et même race, mêmes caractéristiques. Quand il mourra, murée dans le silence, elle le fera disparaître et livrer le suivant dans la semaine. En dix ans, j’en ai vu passer deux. Un accident vétérinaire, probablement.
Pour le reste on ne sait rien. On raconte les histoires les plus folles. Sa solitude est opaque. Elle entretient autour d’elle le fantasme et le secret. Finalement, jamais personne ne l’a connue autrement que seule, habillée couture, avec un canidé lilliputien dégénéré sur ses genoux, couture également.
« Je ne vous paie pas pour faire l’assistante sociale Gomez ! Je vous paie pour licencier des gens qui me coûtent trop cher dans une entreprise qui doit rapporter de l’argent ! »
Les arbres sont des silhouettes tristes de l’autre côté de la vitre, il faudrait se concentrer, mettre sur cette situation une attitude adéquate, prononcer durement des phrases sèches et géométriques, sans effet ondulaire, à angle droit. En général ce sont des phrases courtes. Mais ces silhouettes nues me rappellent les tableaux de Bruegel et l’école hollandaise du paysage d’hiver. Il faudrait une phrase courte, sèche et précise mais ce que je sais, à l’instant, ce qui prend tout l’espace dans mon cerveau, qui ne laisse aucune place au sec, au précis, c’est combien la profondeur de cet univers m’apporte de réconfort. Combien la dépression hivernale devrait être combattue par la contemplation des peintres mystérieux de la Hollande du seizième siècle. Combien pour supporter le monde, il me plaît, moi, de me figurer, voyant de l’autre côté de la vitre les branches nues des arbres au bord de la rivière, que je pourrais en me concentrant, faire apparaître les patineurs de Bruegel.
« Je veux que par amour pour moi, vous n’aimiez que le beau ». J’ai appris par cœur tant de poèmes.
Apprend-on encore des poésies aux enfants ? On les bourre de compléments alimentaires, mais leur apprend-on encore de la poésie ? Leur donne-t-on encore cette discipline rude d’apprendre par cœur, d’imprimer dans sa mémoire, dans son âme, marquée à jamais, cette essence d’humanité que constitue le poème. Parfois, je les vois, ces petits errants tatoués de partout, percés de toute part, et je me demande ceci : n’appellent-ils pas désespérément, par le marquage physique débile qu’ils s’infligent, une réponse à leur besoin de beauté ? A-t-on besoin de se planter des épingles dans le corps, de l’encre sous la peau, lorsque vous est offert la force d’accepter de la boire à celle des pages de poésie ? Là où nous devrions élever dans leurs cerveaux les sanctuaires de la beauté, nous les laissons se faire des trous partout. D’où fuient leurs pauvres petites âmes errantes. Ces enfants manquent de poésie comme on manque d’air, ou d’eau, vides et secs qu’ils sont de n’être plus nourris, et nous prenons pour de joyeuses irruptions de jeunesse ce qui n’est peut-être rien d’autre qu’une agonie.
Je suis fils de prolétaires, j’aime l’argent et j’ai besoin de la poésie. Fils de personne, je me suis arc-bouté jusqu’à la déchirure sur leur désir de me hisser, pour accéder à l’argent. Seul l’argent donne accès à la beauté. La beauté a un prix, il est exorbitant. Elle n’est pas pour les pauvres. J’ai toujours su que pour échapper à leur abrutissement, je devais me plier à leur désir fou. Pour leur échapper il fallait que je me soumette à leur foi aveugle en ma réussite, à n’importe quel prix. Me conformer très exactement aux règles des puissants pour échapper à leur pauvreté. Pour me détourner de mes pauvres, je devais, avec leur assentiment naïf - pensaient-ils que je reviendrais vers eux ? - admettre la lente, coûteuse liquidation de mes racines, et renaître dans ce substrat acide de la culture des riches, l’argent pour la beauté - on s’adapte - et ne plus jamais revenir. Je n’y suis pas revenu, je ne suis plus d’eux.
L’Impératrice, lorsqu’elle crache mon nom, le sait-elle qu’il se produit en moi des fissures ? Mais je colmate avec du beau, cette beauté qui ne m’était pas destinée, que j’ai captée pour la survie de ma conscience. C’est ma force, j’ai fait de cette fragilité de ma conscience une force inouïe qu’elle ne mesure pas. Il ne faut pas qu’elle mesure. L’argent qu’elle me procure me donne les armes de la liberté qu’elle croit me refuser. Elle ne sait pas que derrière elle, les patineurs de Bruegel dans leur immémoriale chorégraphie, me sauvent. Elle ne saura jamais que je m’élance avec eux, lorsqu’elle crache mon nom.
Je m’appelle Jean-Noël Gomez. Enfant de gens de peu, comme on disait autrefois.
J’ai rencontré Marie-Louise Dartigan il y a dix ans. Elle avait une soixantaine d’années et il est certain qu’elle n’avait pas cette voix-là. Avec moi, elle en avait une autre. Lissée, sans aspérités, une voix pour donner confiance. Elle avait sa voix d’hypnotiseuse. J’étais hypnotisé. J’ai été paramétré tout petit pour répondre favorablement à l’hypnose des riches. Les écoles catholiques adorent les enfants pauvres, ils sont une caution morale autant qu’une assurance contre les révolutions. On fait entrer dans leurs petites cervelles tout ce dont on aura besoin ensuite,
