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Aperçu du livre
Ce qui me reste… - Gérard Cattant
Ce qui me reste…
Gérard Cattant
Ce qui me reste…
LES ÉDITIONS DU NET
22, rue Édouard Nieuport 92150 Suresnes
À mes enfants
À mes petits- enfants
À Guy Masson
À Venise
« La paralysie est le commencement de la sagesse. »
Francis Picabia
© Les Éditions du Net, 2013
ISBN : 978-2-312-01159-2
Chapitre 1
Dominique
Magalie – avec un « e », précise-t-elle toujours – vient de claquer la porte. « C’est moi ! ». Je n’aurais aucune idée de l’heure si elle n’était aussi ponctuelle. « J’ai avalé une pendule, s’esclaffe-t-elle souvent. » Magalie est mon infirmière. Pardon ! Mon « auxiliaire de vie » ! La porte claque toujours entre sept heures trente et sept heures trente-cinq. Je le sais, parce qu’elle me l’a dit. Il y a deux ans au moins que je refuse pendules, montres ou carillons dans notre petit appartement.
Il me semble que l’ennui est moins pesant lorsqu’il se suffit à lui-même. Je n’ai nul besoin qu’un cadran me rappelle à quel point le temps s’écoule lentement. Au contraire, mon impression de solitude s’estompe quelque peu lorsque je suis resté plusieurs heures inoccupé. Tout se passe comme si, chez moi, une manière de ralentissement du temps accompagnait mes heures d’ennui. J’ai lu quelque part, dans une autre vie, que les mouches disposent de tellement d’ocelles dans leurs yeux à facettes que tout se passe pour elles comme si les mouvements étaient ralentis. Dès lors elles ont beau jeu de s’échapper lorsqu’un geste brusque les surprend. Et seule la rapidité du chasseur peut les emprisonner dans la main. Eh bien, cette sensation d’étirement du temps, je l’éprouve à une autre échelle. Je ne voudrais pas constater toutes les heures que la pendule n’a avancé que de vingt minutes ! Dès que la porte du palier retentit violemment dans l’autre sens – Magalie n’a jamais pu, ou voulu, tirer tranquillement le battant pour qu’il ne fasse entendre qu’un claquement de serrure discret. Non, comme tout ce qu’elle fait, cela doit être connu de tous, publié, comme si sa fierté en dépendait : « Je viens de travailler pour M. Chavanoz ! » et au fracas de la porte succède le calme : la vraie matinée commence.
Dans le silence. Un silence irrémédiablement et avantageusement rompu six fois par semaine par les maraîchers du cours Saleya et leurs chalands. Je ne dois pas me plaindre : c’est moi qui ai choisi cette fourmilière pour y habiter, pour entendre la vie des autres, ceux qui se promènent, qui vendent, qui achètent à grands renforts d’exclamations, de rires et d’engueulades feintes ou réelles. Quand je parle de maraîchers, j’ai tort : je devrais préciser que beaucoup de ces vendeurs font dans la fleur. Vue de ma fenêtre, une théorie de couleurs vives me soutient que la vie existe encore. Ailleurs. Les odeurs participent de cette évidence : la vie, c’est la couleur, c’est le parfum, c’est le bruit…
Mais il y a le lundi. Jour maudit ou jour béni ? Au même titre que le claquement de porte de Magalie, le silence du lundi matin me renseigne non sur l’heure, mais sur le jour de la semaine. Le lundi, pas de cris, pas de vociférations, pas de fleurs. Pas d’odeurs non plus. Le lundi, c’est le jour des antiquaires ! Rien de plus discret qu’un antiquaire, rien de plus feutré que ses relations avec son client. Les prix se discutent dans un murmure, les affaires se règlent dans un silence presque religieux. Onctuosité et méfiance président au négoce de l’ancien. L’impression que les prix sont griffonnés sur de minuscules bouts de papier, et glissés en catimini dans la paume du client, comme dans les transactions industrielles…
Quant aux chalands, rien de commun avec les commères du légume, avec les touristes des couleurs et des senteurs : le lundi, plus de fichus à fleurs, plus de casquettes plates : ce sont des élégantes, des complets-veston, chapeautés les unes et les autres, parfois même sous le soleil de l’été. Et tous participent à un lent défilé de sénateurs. On examine d’un regard qui se veut connaisseur, on scrute, on tourne autour, on cherche le défaut… et on exulte si on le trouve. On balance, un œil sur la chose, l’autre sur le vendeur. Charme du commerce, car qu’est-ce qui unit amateur et antiquaire, sinon le plaisir du jeu subtil du négoce ? De ma fenêtre, impossible d’entendre les propos échangés. Pourtant, l’un de mes jeux favoris de ces lundis silencieux, c’est de tenter de reconstituer les dialogues entre les vieilles maquerelles assises et tricotantes au milieu de leurs bibelots et les éventuels acquéreurs préoccupés de leur faire croire qu’ils s’y connaissent en antiquailles.
Un signe ne trompe pas : si la femme, à la face aussi colorée que l’étal du fleuriste qui reviendra prendre sa place le lendemain, se lève péniblement et dépose son tricot sur le cannage de sa chaise, c’est qu’elle a flairé un pigeon ou un client – ce qui, tout bien considéré, ne fait guère de différence : les deux pourraient faire grossir le magot de la commerçante, bien caché dans le tiroir d’une commode prétendûment dix-huitième. Alors débutent les conciliabules ! Je n’en perçois, et encore, si ma fenêtre est ouverte, que quelques mots proférés moins discrètement que le reste. Par contre, je m’amuse à repérer les gestes de l’amateur, attiré par l’objet, qu’il caresse d’abord du regard, puis d’un doigt prudent, jusqu’à ce que la maquillée s’en saisisse et le dépose précautionneusement dans les mains du pigeon. Et alors, j’entends, j’entends vraiment, son discours vantant la statuette en biscuit ou la pendule dorée sous cloche. Et le cuivre devient or, la faïence porcelaine, le sapin merisier… Toute la science du vendeur s’écoule dans une diarrhée verbale destinée à empêcher à tout prix l’amateur de réfléchir, à lui asséner mensonges et exagérations, bref, à endormir son esprit critique.
On me croira ou non, je devine presque toujours le moment où l’un s’enquiert du prix, alors que l’autre développait des trésors d’imagination pour retarder cet instant entre tous fatidique. Je le devine à l’attitude de l’un et de l’autre : pendant que le chapeauté insiste, les yeux volontairement posés sur l’horizon, afin de ne pas faire penser qu’il tient vraiment à cette montre ancienne, la propriétaire, au contraire, se penche vers l’objet du désir, le saisit délicatement entre ses mains, l’approche du client en vantant l’élégance de son cadran en chiffres romains, la qualité de la chaîne de gousset, la délicatesse du bas-relief du boitier… peut-être façonné par des ouvrières de Singapour.
Le dialogue s’accélère : on n’en est plus à l’objet, mais au rapport commercial. Comment faire la meilleure affaire ? Comment être certain que cette montre vaut vraiment le prix qu’on m’en demande ? Comment être sûre que je ne pourrais pas la vendre plus cher à un autre volatile, la semaine prochaine ? Et puis, très souvent, j’assiste, amusé, à un élément essentiel du marchandage : le faux départ.
Le chapeau s’éloigne, suivi comme son ombre par sa moitié, à pas de badaud, non sans jeter un regard en arrière, par-dessus son épaule. Il vient certainement de dire à l’antiquaire que son prix est trop élevé, qu’il ne peut pas, qu’il va voir, qu’il va en parler à sa femme – qui est à côté de lui. La déception de la vendeuse, elle le sait, elle l’a senti, humé, elle en est certaine, cette déception sera de courte durée. Le plus souvent, elle ne se trompe pas : quelques minutes plus tard, retour du couple, apparemment indifférent, à l’étal. Quelques coups d’œil furtifs révèlent que leur intérêt ne s’est pas atténué. L’homme, alors, faussement surpris, se dirige vers la femme fardée qui l’a interpellé. Et là, je l’aurais parié, l’affaire se décide en trois coups de cuiller à pot : prix ajusté, chèque ou « J’aimerais autant du liquide, Monsieur », et la montre change de gousset.
Lassé de tendre le cou, je me rencogne dans mon fauteuil, et comme il fait frisquet, nous ne sommes qu’en mars, après tout, je referme la fenêtre, en me félicitant d’avoir demandé à mon menuisier de l’adapter en plaçant l’espagnolette – j’adore ce mot – tout en bas du montant, à portée de fauteuil. Ma vie est faite de ces tout petits riens auxquels le commun des mortels ne songe même pas, mais qui assombrissent ma vie. Celui qui n’a jamais été contraint d’attendre l’arrivée programmée de la femme de ménage ou de l’auxiliaire de vie, ou la visite inopinée d’un voisin pour, simplement, ramasser un livre ayant glissé de ses genoux, celui-là jamais ne saura ma vie.
Chapitre 2
Dominique
Il faisait vraiment un temps splendide. Du grand beau ! Celui que certains dimanches de février réservent aux montagnards. Chamrousse s’était parée comme pour une fête. Les derniers cumulus gris disparaissaient derrière les molles ondulations pâles du Taillefer, emportés par une froide brise de saison. Pendant la nuit, une couche de plus de dix centimètres de neige poudreuse avait fait ployer les sapins et recouvert les pistes. Skier dans ces conditions relevait du bonheur le plus parfait. Comme le disait mon copain Jean-Claude : « Avec cette neige, y a qu’à bouger les oreilles, et ça tourne ! » Nous étions arrivés au Recoin peu après neuf heures-et-demie, Michèle, son compagnon Jean-Pierre, l’incontournable Jean-Claude et moi. Carlina, ma compagne Vénitienne, complètement allergique à la neige – on n’est pas pour rien fille de la Cité des Doges – avait préféré profiter du calme d’un dimanche d’hiver pour travailler à une traduction délicate.
Ma vieille Renault grise fatiguée avait réussi, cette fois encore, à hisser nos quatre carcasses, nos skis et nos chaussures, jusqu’à la station qui, bien entendu, n’attendait que nous pour démarrer ses remontées mécaniques. Mais d’abord, notre chocolat chaud du matin. Une tradition. Une nécessité. Rapidement attablés dans le bar le plus proche des pistes, avec nos croissants achetés tout chauds à la boulangerie voisine, nous piaffons d’impatience en scrutant le ciel : « Ça va être grand beau, aujourd’hui ! ». Mais il faut attendre dix heures ! Pendant que Michèle, toujours serviable, part acheter nos forfaits, nous nous attardons, bien au chaud dans la salle du bar, commentant comme à l’habitude les événements de la semaine. Politique, sports, cinéma, tout y passe. Jean-Claude et moi, ancrés à gauche, moi, sagement, et lui, de son propre aveu, farouchement, les discussions s’enveniment souvent avec ce réac’ de Jean-Pierre. Parce que Jean-Pierre est « de droite ». Heureusement, Michèle, de son avis même, « s’en fout ». Et sa neutralité bien féminine lui dicte parfois des interventions lénifiantes qui calment son compagnon, soucieux de ménager ses rapports avec elle, mais aussi avec ses amis, pleins d’admiration pour celle qui supporte si stoïquement les convictions droitières de leur acolyte.
Notre profonde amitié et surtout notre passion commune pour le ski, la neige, les sommets, gommaient nos dissensions et nous dispensaient ces plaisirs jubilatoires sans lesquels nos hivers nous auraient paru bien médiocres.
Aussitôt après avoir dégusté son croissant, Jean-Claude, qui professait un mépris souverain pour les boissons de gamins, commandait et dégustait un « marc-cassis », qui lui donnait à l’entendre le coup de fouet nécessaire pour suivre la cadence des trois autres. S’il était vrai que sa technique plus rudimentaire lui interdisait nos élégants virages dans la poudreuse, il compensait cette infériorité par une énergie qui confinait parfois à l’inconscience. C’est dans ce but unique, précisait-il, qu’il devait absolument remplacer le chocolat par une boisson d’homme, plus apte à lui faire oublier le danger qu’il ne manquait pas de courir à skier avec ces deux « farfelus ».
Ce jour-là, notre halte-déjeuner expédiée, nous profitâmes du peu d’affluence pour emprunter le téléphérique de « La Croix », qui nous amena au sommet des pistes de la station. Un vent violent nous y accueillit, mais son impétuosité même nous promit que, dès que nous serions à l’abri des premiers ressauts, le calme reviendrait. Skier dans « la fraîche » est toujours plus impressionnant que suivre les pistes damées. Les bosses sont atténuées, les éventuels cailloux disparaissent, et il faut davantage se lancer dans la pente en dominant son appréhension. Cette discipline n’était pas la tasse de thé de Jean-Claude, qui s’escrimait en ahanant à nous suivre, voire à nous précéder, plus moins volontairement. Michèle, quant à elle, descendait tranquillement, empruntant le plus souvent la piste damée, et nous donnait l’occasion de nous reposer en l’attendant.
Fut-ce ce jour-là, fut-ce un autre, je ne sais. Toujours est-il qu’il me revient en mémoire un moment qui nous fit éclater de rire, Jean-Pierre, Michèle et moi. En fin de matinée, nous nous étions arrêtés en bordure de piste pour attendre notre compagnon, qui n’apparaissait toujours pas. Nulle inquiétude : une chute, une fixation récalcitrante… Et puis nous le vîmes apparaître derrière une bosse, couvert de poudreuse, glissant lentement entre les autres skieurs, d’une prudence à laquelle nous n’étions pas accoutumés. Il finit par nous rejoindre, le souffle court, le teint pâle :
– Je sais pas ce que j’ai, mais j’ai mal aux jambes, j’en peux plus !
– C’est ton marc-cassis, à tous les coups, répondit Jean-Pierre.
Et là, nous eûmes droit à une de ces répliques qui vous laissent sans voix, mais non sans rire. Une réplique prononcée sur un ton neutre, presque soumis :
– T’as raison ! J’mettrai plus d’cassis !
Chapitre 3
Dominique
Je me suis encore endormi. Ça m’énerve ! Pourtant, devant ma fenêtre entr’ouverte, je contemplais la vie niçoise, les pastels des maisons basses qui me font face, la mer qui clôt l’horizon, au-dessus de la Cité du Parc, entre les hauts palmiers de la promenade. Je n’avais pas l’impression d’avoir sommeil, au contraire. J’ai dû reposer ma tête sur le dos du fauteuil, et la somnolence m’a surpris. Il n’y a rien qui m’exaspère davantage que ces assoupissements, souvent passagers, peuplés de rêves dont je ne garde le plus souvent aucun souvenir, sauf peut-être celui de leur flamboyance.
Comment dire ? Mes yeux se ferment, mon esprit s’envole vers d’autres lieux, d’autres époques, et me laisse pantois, abasourdi. Je crois que ce qui m’irrite le plus, c’est de perdre mon libre arbitre. Je suis victime de moi-même, je ne suis plus maître de mon destin, je suis le jouet de mon cerveau… pourtant une des rares choses qui fonctionnent encore dans mon corps ! Ces sommes sont d’ailleurs de natures diverses, même s’ils se résument tous à une perte de conscience. Certains sont si courts que je ne perds pas le fil de ce qui se déroule. J’entends et je saisis ce qui m’entoure… et pourtant je dors. La preuve ? Je me réveille ! Preuve par l’absurde ! Mon inconscience n’existe que parce qu’elle cesse. Beau sujet de philo. J’y penserai.
Parfois, je sens venir le sommeil. La lutte est alors inutile. Vaincu, je n’ai que le temps d’insérer un marque-page dans mon livre, je renverse ma tête sur le dossier, et je me laisse aller, dans un confort, une félicité indéniables dont je suis la victime. Lorsque je me réveille, trois minutes ou une heure plus tard, je suis reposé, prêt à reprendre mon activité – mon activité, quelle ironie !
D’autres fois, l’atonie de mon cerveau me surprend en pleine action. J’ai souvenir, il y a peu, d’une conversation avec Magalie, qui s’était assise en face de moi après ma toilette, pour boire une limonade, son péché mignon : il faut toujours que nous en gardions pour elle dans le cellier. Nous parlions de la pluie et du beau temps. Je sentais bien que la torpeur me gagnait… Tout à coup, je me surpris en train de terminer une phrase dont j’ignorais complètement le début ! Magalie, les yeux exorbités, me contemplait avec stupeur. Je m’étais endormi… oh, une fraction de seconde !
Son expression trahissait son inquiétude. En professionnelle, elle m’incita à consulter mon médecin, mais j’ai tant subi les largesses – certains diraient bénéficié… – du corps médical qu’il était par avance exclu que je souscrive pour si peu à cette proposition. Cependant, cet incident, qui ne se reproduisit plus, me troubla fort. Celà dit, mes « micro-sommeils » – il paraît que ça s’appelle comme ça… – sont de plus en plus fréquents. Certains me surprennent sans crier gare, et je me réveille sans m’apercevoir que je m’étais endormi, alors que d’autres m’expédient des signes avant-coureurs contre lesquels je lutte en vain. Pourtant, récemment, j’ai découvert une arme surprenante : si je regarde la télévision, tout simplement, je change de chaîne ! Mon intérêt est relancé, et la somnolence disparaît.
Il y a peu, je laissais vagabonder mes pensées pendant que le journal télévisé se terminait par l’énumération des chiens écrasés. Je dressai l’oreille : un accident s’était produit sur l’autoroute de l’Esterel, à quelques kilomètres de Saint-Raphaël, impliquant plusieurs véhicules. Le chauffeur du camion responsable avait reconnu qu’il avait dû s’endormir au volant. Fait divers banal, et hélas trop fréquent, vous en conviendrez. Mais ce qui m’est resté, c’est ma réaction : j’éprouvai une sorte de jouissance à l’idée que, pour les « autres », la somnolence était un danger. J’avais un avantage sur eux ! Moi, je ne risquais rien ! Alleluia ! Je dus faire taire avec peine un contentement coupable !
Vous l’avouerez, mon esprit évolue bizarrement… Il faut dire que, contrairement à d’autres, j’ai du temps, trop de temps pour réfléchir à mon fonctionnement intime. Je constate chez moi une évolution vers l’acrimonie. Je manie le fiel avec plaisir, au moins par moments. J’ai le sentiment de devenir odieux, parfois méchant.
Ne croyez pas que cela me plaise… J’ai toujours été d’un naturel paisible, arrangeant, et ma réputation parmi mes amis n’était pas usurpée : j’étais le type gentil, sans problème, bon camarade, etc, etc… Et ce n’est pas sans déplaisir que je sens apparaître, par-dessus ce Dr Jekyll, une sorte de M. Hyde contre lequel je n’ai pas toujours la force de lutter. L’envie non plus… Alors, je me justifie : je suis le plus malheureux des hommes, je suis une victime – de qui, de quoi ? – je souffre, et il faut bien que ça se voie !
Le paradoxe, c’est que rien de tout cela ne m’apporte ne serait-ce qu’une once de bonheur. Même pas de plaisir. Mais la souffrance, cette souffrance tellement enfouie en moi que je ne la perçois plus que comme une éternelle compagne, familière et nécessaire, cette souffrance que n’éprouvent pas les « autres », je me dois de vivre avec. Et peu importe ma manière à moi de l’accepter. Ai-je le choix ?
Il y a quoi ?… trois ans que nous avons emménagé, Carlina et moi, dans ce petit appartement de Nice, choisi pour sa vue sur la mer, mais aussi pour son ascenseur, une exception dans ce genre de maison du cours Saleya.
Imaginez-vous une grande pièce à vivre, éclairée par trois fenêtres trop étroites côté mer, mais parquetée de chêne et agrémentée par un plafond à caissons. Une étrangeté pour une bâtisse du début 19ème. Il semble qu’elle ait été édifiée par une grande bourgeoise de la ville qui tenait à la fois à s’éloigner un peu des venelles sordides du vieux quartier et à impressionner les habituées du salon qu’elle prétendait littéraire et qui se tenait chaque mercredi, non sans un brin de prétention. Il me fut impossible de retrouver l’identité de cette grande dame, que j’aurais volontiers remerciée post-mortem pour le cachet que le fameux plafond donnait à mon séjour contraint.
L’un des avantages que mon fauteuil apprécie, dans l’appartement, est que la chambre est commandée par une porte à deux battants. Il nous a suffi de faire élargir de dix centimètres celle de la salle de bains pour que la vie d’un handicapé puisse s’y dérouler à peu près normalement.
Je dois reconnaître que j’y suis bien, et que
