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Le jour de l'amélanchier: Récit de vie plein d'espoir
Le jour de l'amélanchier: Récit de vie plein d'espoir
Le jour de l'amélanchier: Récit de vie plein d'espoir
Livre électronique258 pages3 heures

Le jour de l'amélanchier: Récit de vie plein d'espoir

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À propos de ce livre électronique

Un hymne à la vie !

Brutalement confronté à une mort possible, longtemps immobilisé et invité malgré lui à une remise en question, le narrateur plonge dans ses souvenirs, dans ses réflexions et dans son amour de la musique. Avec le soutien de l’être aimé, sans oublier leur fidèle compagnon à quatre pattes, il reconstruit progressivement un nouvel art de vivre.

L’épreuve révèle de nouveaux trésors. Apprentissage de la patience, éloge de la lenteur et de la contemplation, méditation sur la beauté et sur l’amitié se déploient au rythme de la convalescence. Le temps s’étire et acquiert une texture nouvelle ; le regard s’aiguise pendant que les muscles se réveillent ; l’attention se déplace, de vieilles habitudes se perdent, alors qu’on renoue avec ses racines…
Véritable hymne à la vie, en harmonie avec le renouveau de la nature au printemps, ce récit à cœur ouvert touchera tous ceux et celles qui ont appris à reconnaître la saveur des petites choses dans le quotidien et le prix des êtres chers.

Une lourde opération cardiaque bouleverse inopinément la vie d’un homme en pleine force de l’âge.

À PROPOS DE L'AUTEUR 
Philippe Marchandise est diplômé en droit et en sciences économiques. Il est juriste d’entreprise et directeur des Affaires publiques d’un grand groupe industriel. Auteur de nombreuses publications scientifiques, dont l’une a été couronnée d’un prix, Le jour de l'amélanchier constitue son premier roman.
EXTRAIT 
Avec la lettre de mission en poche, reçue des mains fripées du cardiologue, je me sentais tenu en bride, comme un chien flanqué d’une chaîne au cou. J’errais comme une âme en peine, évitant tout miroir qui eût pu me renvoyer ma sinistre image.

Avec cette lettre destinée à son confrère, il suffisait de téléphoner pour prendre un rendez-vous. Cet acte, je le considérais comme un acte de bravoure, comme une démarche personnelle. À moi de gérer cette situation.

Lâchement, je n’avais rien dit à Lisa, soi-disant pour ne pas l’inquiéter, mais surtout pour ne pas m’affoler. Car elle n’aurait pas manqué de m’envoyer sans atermoiement consulter les meilleurs spécialistes. De retour à la maison, je lui avais raconté que le check-up s’était déroulé normalement, que j’avais passé sans difficultés une batterie de contrôles, ce qui n’était pas faux, omettant de mentionner la recommandation expresse d’un examen additionnel à l’issue du dernier test. Mensonge par omission avec la circonstance aggravante qu’il a été commis délibérément.
LangueFrançais
ÉditeurMols
Date de sortie9 déc. 2014
ISBN9782874021770
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    Aperçu du livre

    Le jour de l'amélanchier - Philippe Marchandise

    l’auteur.

    PROLOGUE

    … Quelque lenteur qui traversait le jour :

    On aurait dit l’enterrement des rêves.

    Rainer Maria Rilke, Ébauches et Fragments.

    9 mars

    La chaîne câblée repasse en boucle ce mardi soir les dernières minutes d’un match de foot. La Colombie et le Costa Rica s’affrontent en demi-finale de la Coupe des Confédérations.

    La rencontre est animée, malgré un score nul (0-0) affiché au marquoir à l’issue du temps réglementaire. La caméra suit Mario Lucas, un athlète baraqué, le visage tendu, la crinière au vent, arborant le dossard n° 19, qui a surgi depuis le milieu du terrain. Il dribble deux joueurs costaricains et s’approche dangereusement du grand rectangle, au grand dam de la défense. Sa course est alerte et le contrôle du ballon parfait.

    Le goal adverse est à portée de tir et c’est tout un pays qui retient son souffle, anticipant le but en or, celui de la délivrance ultime, qui propulsera l’équipe colombienne en finale de la Coupe. Un bras en arrière, le torse bien à la verticale, Mario, le gaucher, s’apprête à fusiller le gardien avec un direct du pied gauche. La tension dans le stade est à son comble, enflée par la sourde clameur de la victoire annoncée.

    Soudain, la tête du joueur s’incline de quelques degrés. Puis, brutalement, l’athlète s’écroule comme une masse sur le sol. La télévision fait lentement plusieurs retours sur image.

    La suite n’est que confusion, mouvements de paniques, images décousues, soigneurs gesticulants, massage vigoureux, médecins anxieux, défibrillateur actionné, civière déployée et match interrompu.

    À 29 ans, le joueur à la gueule d’enfer, porteur des rêves de toute une nation, vient de faire un arrêt cardiaque. Une mort subite, en direct, qui pétrifie un stade tout entier, une mort livrée en pâture à des spectateurs, volontaires ou non, vautrés dans leur canapé devant le petit écran.

    10 mars

    Sur le quai n° 3 de la gare, ce mercredi matin, au milieu de tous ces gens qui attendent le train de banlieue pour regagner leur travail, elle traîne comme une somnambule.

    Ses yeux gris cherchent appui dans le vide. Ses traits sont ravagés comme si elle avait pleuré toute la nuit. Sa bonhomie et son sourire habituel sont aux abonnés absents. Quand je l’interroge, les mots sortent par saccades, s’entrechoquant dans sa gorge. Il n’est plus là. Elle se retrouve seule, seule au monde. Elle a perdu tous ses repères. Lui, son complice de tous les instants, sa raison d’être, son compagnon de route, est parti.

    Lui qui l’attendait fidèlement chaque soir à son retour du boulot. Lui qui avait une santé de fer: jamais malade, avec une excellente hygiène de vie et une visite chez le spécialiste tous les ans. Lui qui faisait chaque jour sa demi-heure de promenade. Lui qui donnait son sang tous les six mois. Ni diabète, ni surpoids. Lui qui adorait courir dans les bois le week-end. Lui si tendre et si câlin. Lui pour qui elle mitonnait chaque jour de délicieux petits plats, sains, sans acides gras saturés.

    Des années de vie commune, d’écoute patiente et attentive, sans jamais la moindre friction ni éclat de voix, qui s’envolent en fumée.

    Lui qui avait été le confident exemplaire de toutes ses émotions, Albert, son fox-terrier à poil lisse, encore dans la force de l’âge, est décédé inopinément la nuit dernière d’un arrêt cardiaque.

    11 mars

    — Encore un peu, s’il vous plaît…

    — Pédalez encore un peu, insiste avec un pâle sourire le cardiologue auquel je m’étais présenté pour un bilan de santé, aux frais de mon employeur.

    Ce dernier avait été traumatisé il y a quelques années par le fait qu’un de ses cadres dynamiques – un très haut potentiel comme les appelle aujourd’hui la direction des ressources humaines –, s’était subitement effondré en pleine réunion, victime d’un accident vasculaire cérébral. La compagnie s’était alors empressée de mettre en place un programme de prévention et d’offrir à son personnel la possibilité de faire régulièrement un check-up médical.

    Le plus dur avait été de décrocher le téléphone pour prendre un rendez-vous. On ne sait jamais ce que les médecins vont découvrir, ou plutôt l’on est certain que les médecins, comme les experts judiciaires, vont d’office découvrir quelque chose d’anormal.

    Pousser la porte du cabinet médical n’est pas plus agréable. Encore que ce jeudi-là, le temps était splendide. Le train n’avait pas eu de retard. Un ciel bleu et dégagé illuminait les premiers arbres en fleurs qui paradaient dans l’avenue devant la gare. J’y voyais naïvement la confirmation de ma bonne condition physique. Je me sentais en pleine forme. Je ne présentais aucun symptôme particulier et n’avais aucune inquiétude quant à ma santé. Celle-ci n’est-elle pas la vie dans le silence des organes, selon la théorie de Leriche ?

    En pénétrant dans le centre médical pour la première fois, j’avais été rassuré de prime abord. Il n’y avait que des personnes en bonne santé, avec une saine hygiène de vie, à l’écoute de leurs corps, toutes dans leurs étincelants peignoirs blancs comme si elles séjournaient en thalassothérapie à Thonon-les-Bains.

    Je passe entre les mains de différents spécialistes et subis une batterie de tests, toujours avec un apparent succès, me réjouissant à chaque étape de la confirmation de mon excellente forme. Rien à redire sur la taille de la prostate. Le gastroentérologue n’a pas décelé de défauts dans les tuyauteries et l’oncologue est satisfait. Je ne fume pas, bois modérément, pratique la marche à pied et fais du rameur, bien qu’après la cinquantaine, cette machine me soit apparue un peu plus inamicale.

    Une seule surprise lors du contrôle des mensurations : j’ai rapetissé de trois centimètres par rapport à la taille de mes vingt ans. Premier signe de vieillesse ?

    La matinée s’achève. Il ne reste plus qu’un test, celui de l’effort sur le vélo.

    — Pédalez encore, cher Monsieur, répète le vieux cardiologue. Je me plie à ses ordres, heureux de pouvoir, sans le moindre problème et tel un Eddy Merckx, grimper les cols et lui montrer, à lui qui avait l’air d’approcher à vive allure les soixantequinze ans, que j’étais, moi, encore dans la pleine force de l’âge.

    — Ok, ça va, merci, vous pouvez remettre votre chemise et vous rasseoir, dit-il enfin.

    Une horloge grise avec un dessin de boîte de médicament, cadeau pathétique d’un délégué médical, indique onze heures cinquante-six.

    Me voilà à peine rhabillé et installé sur une chaise inconfortable que l’homme de l’art commence à débiter son diagnostic sur un ton faussement détaché.

    — Voilà, cher Monsieur, j’ai constaté une anomalie… Immédiatement le cœur se met à battre la chamade.

    — … votre résistance cardiaque à l’effort n’est pas optimale…

    Des gouttes de sueur perlent sur mon front. Le crâne dégarni du médecin reste imperturbablement sec.

    Vite, ouvrez les fenêtres, j’étouffe.

    — … je vous conseille de faire un examen complémentaire pour vérifier l’état de vos artères…

    Je remarque tout d’un coup le panneau en plastique dur accroché sur le mur latéral avec sa reproduction en relief d’un cœur, de ses longues veines rougeoyantes et de ses vilaines artères brunes.

    — … il faut être vigilant…

    Mes yeux se détournent à grand-peine du terrifiant panneau, mais ne peuvent soutenir le regard du médecin. Ils cherchent à prendre appui dans le vide. Ils se voilent.

    — … ne vous inquiétez pas – aurait-il remarqué ma soudaine frayeur ? –, c’est peut-être une fausse alerte…

    J’ai les poils hérissés sous la chemise. Je reste sans voix, alors que dans ma tête résonnent les premières mesures de la Toccata et fugue en mineur de Bach, dans la transposition assourdissante pour grand orchestre symphonique par Stokowski.

    Il me semble que mon cœur va exploser.

    — … voulez-vous que je vous fasse déjà l’ordonnance pour la coronarographie ? ajoute-t-il, le visage aussi impassible qu’un acteur de Kabuki.

    La terre disparaît sous mes pieds. Je me sens comme le détenu, une cagoule sur le visage, qui va être pendu, la seconde avant que ne s’ouvre la trappe.

    Je fais un effort démesuré pour ne pas défaillir.

    — Bien sûr, bien sûr, balbutié-je d’une voix faible et avec une moue à la limite de la politesse.

    En une seconde, ma vie a basculé, sans que je n’y sois aucunement préparé, en l’absence d’un quelconque signe avant-coureur, moi qui suis l’infatigable organisateur-né (je tiens cela de ma mère), anticipant sans arrêt les étapes suivantes, aussi précis, méticuleux ou maniaque (c’est selon) que Johann Sebastian Bach qui ne tolérait personne d’autre que lui-même pour accorder ses instruments.

    Alors que je me sentais en parfaite santé, à l’abri des douleurs, dans la pleine force de l’âge.

    Première partie

    Faire sa valise ?

    Il faut trembler pour grandir.

    René Char, En trente-trois morceaux.

    Le cœur est constitué par un muscle, le myocarde, dont la face interne est tapissée par une mince membrane, l’endocarde, et la face externe recouverte par une enveloppe séreuse, le péricarde. Il est divisé en quatre cavités : l’oreillette et le ventricule droits, qui contiennent le sang non oxygéné ; l’oreillette et le ventricule gauches, contenant le sang oxygéné. Il n’y a pas de communication directe entre les cavités droites et les cavités gauches. L’oreillette et le ventricule du même côté communiquent entre eux par un orifice muni d’une valvule : valvule mitrale à gauche, valvule tricuspide à droite. Les oreillettes reçoivent les veines pulmonaires à gauche, les veines caves à droite. Du ventricule gauche naît l’aorte, du ventricule droit naît l’artère pulmonaire. La vascularisation du cœur est assurée par les artères coronaires. Le cœur est l’organe propulseur du sang dans l’organisme. Il agit grâce à ses contractions autonomes.

    Larousse, p. 218.

    Été - Automne de cette même année

    Avec la lettre de mission en poche, reçue des mains fripées du cardiologue, je me sentais tenu en bride, comme un chien flanqué d’une chaîne au cou. J’errais comme une âme en peine, évitant tout miroir qui eût pu me renvoyer ma sinistre image.

    Avec cette lettre destinée à son confrère, il suffisait de téléphoner pour prendre un rendez-vous. Cet acte, je le considérais comme un acte de bravoure, comme une démarche personnelle. À moi de gérer cette situation.

    Lâchement, je n’avais rien dit à Lisa, soi-disant pour ne pas l’inquiéter, mais surtout pour ne pas m’affoler. Car elle n’aurait pas manqué de m’envoyer sans atermoiement consulter les meilleurs spécialistes. De retour à la maison, je lui avais raconté que le check-up s’était déroulé normalement, que j’avais passé sans difficultés une batterie de contrôles, ce qui n’était pas faux, omettant de mentionner la recommandation expresse d’un examen additionnel à l’issue du dernier test. Mensonge par omission avec la circonstance aggravante qu’il a été commis délibérément.

    Pourquoi ai-je menti des mois durant à la personne que j’aime ? Les psychologues nous consolent en affirmant que mentir permet de mieux vivre ensemble. En tout cas, à cet exercice de virtuosité intellectuelle, j’ai excellé.

    Je retombais à chaque fois sur cette maudite page 218 du Petit Larousse Illustré (édition 2008), ouvert en cachette le soir où j’étais revenu du centre médical. Ses trois croquis du cœur m’effrayaient, plus encore que sa description de l’organe vital, sèche comme une trique.

    Pourvu que ses 72 contractions autonomes par minute ne s’arrêtent pas !

    Puisse-t-il continuer longtemps à propulser des litres de sang chaud dans mon organisme !

    J’ai laissé passer de précieux mois avant d’effectuer cet « examen complémentaire » aussi obligatoire que redouté. Fuite en avant pendant laquelle j’ai vaqué à mes activités professionnelles et autres, bataillé pour écarter de mon esprit cette préoccupation cardiaque qui s’y était soudainement invitée, fait avec acharnement de la randonnée dans les contreforts de l’Atlas marocain, grimpé les chemins escarpés et enneigés du Salkantay au-delà de quatre mille cinq cents mètres sur la route du Machu Picchu.

    N’y cherchais-je pas la preuve que tout allait pour le mieux, que le maudit médecin du contrôle médical s’était trompé dans son jugement, que c’était d’évidence une fausse alerte ?

    Personne n’est parfait. Quand je m’interroge sur ce délai, sur ce risque difficilement justifiable que j’ai encouru, je ne recueille que des morceaux épars de réponses, peu satisfaisants, comme l’absence de symptômes, le fait de ne ressentir aucune douleur ou la peur viscérale d’une intervention qui touche au plus précieux des organes. Ajoutons-y une sainte horreur des hôpitaux et le risque d’une issue fatale.

    Peut-être étais-je aussi la victime des forces de l’aveuglement et de la routine qui me laissaient, malgré ma lucidité, sans réaction face à une catastrophe sur le point d’advenir ? Mais la principale raison tient peut-être au fait que quelques années auparavant une opération identique subie par un être cher n’avait pas donné les résultats escomptés.

    22 novembre

    Malgré les sages recommandations de Lisa (Don’t upset the apple cart, me rappelle-t-elle régulièrement), il m’arrive encore de m’énerver au bureau. Et depuis peu, quand j’ai une montée de stress, je ressens comme une oppression avec une brusque douleur dans les articulations supérieures. La même chose se produit quand je marche d’un pas trop alerte. Je dois alors rester sur place une seconde ou deux, bien respirer, et puis cela passe.

    Ce phénomène se produit aussi quand il y a grand vent ou, comme ce soir, lorsqu’il fait frisquet. Devrais-je en toucher un mot à Lisa ? Car me reviennent en mémoire les promenades que nous faisions dans les Ardennes, à la frontière franco-belge, là où mes parents avaient une maison de campagne.

    Nous marchions avec maman, une alerte octogénaire. Papa était décédé quelques années auparavant. Nous prenions la voiture et la garions sur les hauteurs du village afin de marcher en terrain plat. Les jours de vent glacial, maman s’arrêtait à plusieurs reprises. Elle mettait cela sur le compte des conditions météorologiques ou prenait le prétexte de la beauté d’un paysage qu’il fallait admirer, jamais sur celui d’un cœur qu’elle seule savait pourtant déjà défaillant.

    Discrétion innée d’une mère envers ses enfants.

    C’est décidé : demain, je téléphonerai du bureau à la clinique pour prendre un rendez-vous en cardiologie. Histoire d’en avoir le cœur net.

    28 novembre

    Il fait deux fois son âge.

    Elle a choisi une table dans un coin au fond de la salle.

    Il s’assied à sa gauche, le visage marqué par les décennies, le blazer sombre avec des taches sur le revers droit, mais la chevelure blanche impeccable.

    Elle n’arrête pas de parler, le regard dans le vide.

    Il se rapproche d’elle, lui prenant la main.

    Elle a dû être blonde.

    De ses tristes yeux gris, il la contemple.

    Elle demande discrètement une quatrième coupe de champagne au garçon qui leur apporte le plat principal.

    Il a les commissures des lèvres animées par un tic qu’il s’efforce de contenir.

    Elle continue imperturbablement la conversation, comme si elle se parlait à elle-même durant tout le dîner.

    Il pose un baiser sur son bras découvert.

    L’air absent, un pianiste débite des airs de jazz sur son instrument foncé au fond de la salle.

    Elle commande un double espresso.

    Il lui dit quelques mots en souriant.

    Elle déballe la praline en forme de cœur servie avec le café et la partage avec lui.

    Il vérifie trois fois l’addition.

    Elle sort les lunettes de son sac et les pose sur son nez aquilin.

    Elle repère que je les observe. Son regard est pesant.

    Je réalise soudain que moi aussi, j’ai vieilli.

    Elle l’aide à se lever.

    Comme un couple, ils quittent la brasserie Le Bœuf sur le Toit.

    Ainsi en cette saison de la vie, tombent de nos cœurs comme en automne les feuilles des arbres, les douces fleurs du contentement, et aux clairs et sereins pensers succèdent la nuageuse et trouble tristesse et son cortège de calamités.

    Giacomo Leopardi, Pensées.

    29 novembre

    Avec leurs copains de l’école, ils échangent leurs impressions sur le film qu’ils ont vu la veille. Ils sont enthousiastes, tous rient de bon cœur, la vie leur réussit, ils paraissent invincibles.

    Dans ce tram qui les emmène aux cours, leur jeunesse est presque insultante. Surtout quand la plus jeune, avec son jeans délavé et son T-shirt moulant à fines lignes bleues et roses se lève pour me céder sa place.

    Suis-je déjà une personne âgée ? Certes le processus de vieillissement commence dès l’âge de 35 ans, mais passer la cinquantaine ne fait pas encore vraiment de vous un sénior…

    Le choc est d’autant plus violent que c’est la première fois que cela m’arrive !

    5 décembre

    Nos bottes s’enfoncent dans la neige jusqu’à disparaître.

    Depuis le matin, elle n’a pas arrêté de tomber.

    Un froid vif mord les visages.

    Les grilles en fer forgé de l’entrée grincent.

    Tout est blanc au cœur du cimetière de campagne.

    Même les cyprès de l’allée centrale sont complètement recouverts.

    Pas une épine verte qui ne pointe son nez.

    Cinquième anniversaire du décès de maman.

    Comme au Tibet, nous célébrons la date de sa mort et non celle de sa naissance.

    Une corneille se pose sur le toit de la chapelle.

    Ses vitraux cassés sont couverts de givre.

    Nous dégageons la tombe, où maman repose aux côtés de papa.

    L’éclat du marbre poli surgit, dérisoire couverture tombale dans ce frimas.

    Dans le lointain retentit un son mat, celui des cloches de l’église du village.

    C’est l’heure de l’angélus.

    Nous déposons quelques roses blanches, celles que maman adorait.

    Fragiles taches claires sur un caveau noir que recouvrent déjà de pesants flocons.

    Les tombes meurent aussi.

    Le noir et le blanc.

    Tout est figé.

    En ce long instant, la vie et la mort semblent s’être donné la main.

    31 décembre

    — Bonne année, bonne santé !

    Les vœux au milieu de cette soirée de la Saint-Sylvestre ont un goût amer.

    Seule Lisa ajoute dans un baiser appuyé :

    — … et surtout une bonne santé ! Aurait-elle pressenti quelque chose ?

    Les autres prononcent ces quatre mots avec une banalité déconcertante, à la limite de l’insolence : se rendent-ils compte de la chance inouïe qu’ils ont d’être en bonne santé ?

    Gamins, quand nous allions voir la parentèle et faisions la tournée des grands-parents et grands-tantes le jour de l’An, nous avions un malin plaisir à ajouter à voix basse, la main devant la bouche :

    — … et trois semaines de diarrhée ! Le nombre de semaines accordées était inversement proportionnel à l’affection que nous portions au vieillard visité, à moins que ce ne fût au montant des étrennes que nous escomptions recevoir.

    « Bonne année, bonne santé ! » ne me fait plus rire.

    Je découvre subitement que dans cette formule toute faite que je répétais machinalement d’année en année, l’important n’est pas là où je croyais le trouver. Il

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