Découvrez des millions d'e-books, de livres audio et bien plus encore avec un essai gratuit

Seulement $11.99/mois après la période d'essai. Annulez à tout moment.

Les colères d'Hippocrate
Les colères d'Hippocrate
Les colères d'Hippocrate
Livre électronique315 pages4 heures

Les colères d'Hippocrate

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

De Honfleur à Hong Kong, ce thriller rend hommage au monde médical. Il nous invite à nous rendre compte que si certains hommes ne changent pas en bien dans de trop nombreux domaines, d’autres conservent néanmoins toutes leurs capacités d’ingéniosité, d’émerveillement ou d’admiration. La permanence de la marche du monde et des progrès qui nous oblige à être de notre temps nous propose avec l’espoir de la guérison, une forme d’enchantement du réel nous préservant de l’envie de disparaître, quand bien même la certitude du doute accompagne chacune de nos pensées.
Ce roman a été écrit face aux violences morales et physiques qu’entraîne « La Maladie » comme aux injustices de toutes nature : celles ayant pu être rencontrées par son auteur, comme celles ayant pu être vécues par ses lecteurs. (En 2018, 4,3 millions de héros anonymes en activité interviennent quotidiennement auprès de leurs proches âgés en perte d’autonomie.)
Portez-vous bien et aimez-vous d’avantage encore !
LangueFrançais
Date de sortie5 mars 2019
ISBN9782312065151
Les colères d'Hippocrate

Lié à Les colères d'Hippocrate

Livres électroniques liés

Fiction générale pour vous

Voir plus

Articles associés

Catégories liées

Avis sur Les colères d'Hippocrate

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    Les colères d'Hippocrate - Hilaire de l'Orne

    978-2-312-06515-1

    Avertissement

    Ce roman est une œuvre d’imagination, qui ne saurait être considérée comme une source d’informations infaillibles. Tous les lieux décrits dans cet ouvrage sont réels, certaines situations et événements le sont aussi. Les personnages choisis dans cette intrigue demeurent néanmoins en grande majorité fictifs. Toute ressemblance avec des personnes réelles, existantes, ou ayant existé, ne serait bien sûr que pure coïncidence.

    H. De L’O.

    Remerciements

    Ce livre a été rédigé en hommage et en remerciement aux nombreux hommes et femmes du milieu médical, ayant à de multiples reprises sauvé ma vie. Il me semble naturel, mais malheureusement trop peu courant de remercier cette profession qui par passion, dévouement, ou vocation, sauve dans la plus grande abnégation chaque jour des dizaines de milliers de vies. Encore MERCI à vous !

    À ma petite grenouille, sans qui je n’aurais jamais osé écrire une seule ligne de la trilogie de « l’Exilé volontaire », ni de ce livre : « Les Colères d’Hippocrate ».

    Préface

    La bête est rapide, silencieuse, instinctive. Elle esquive les traitements, les remèdes, elle connaît au sein de nos corps des lieux secrets où elle se nourrit de nos chairs comme de nos forces, nous entraînant inéluctablement vers la mort. Ce combat inégal renforce pourtant l’opiniâtreté des scientifiques du corps médical dont l’admirable espoir de découvrir la molécule fatale à la maladie n’est jamais entamé. Dans le pré où s’ébroue l’humanité, les mauvaises herbes sont légion tant parmi les végétaux que parmi les hommes. Mais en dépit de cela, les soignants conservent la même combativité, la même détermination à vaincre les maladies qui nous tuent.

    Chapitre 1

    – Ah ! Si tout ça pouvait être réel, comme ce serait beau. Je me sens conquérant, invulnérable.

    – Pardon ?

    – Ma vie pourrait devenir encore plus authentique au fur et à mesure que je la raconterais.

    – Qu’est-ce que vous faites ?

    – J’ai choisi d’écrire, avant que le poids de ce que je ne dis pas m’ait étouffé.

    Les soins quotidiens dispensés avec la tendresse du personnel soulageaient les résidents ayant perdu dans les rapports humains tout réflexe de prédateur grâce à la chimie. On espérait ainsi les éloigner de la menace de ne jamais retrouver une existence authentique.

    – Mon état de confusion est tel parfois, que face à un miroir, je me demande de nous deux qui dévisage l’autre. Est-ce moi qui regarde ce visage avec défiance, ou est-ce ce visage qui me regarde ? Sans pour autant avoir envie d’être pris pour l’autre.

    – Vous devriez vous reposer, je repasserai tout à l’heure.

    La surveillante s’éloigna dans le dédale de couloirs fléchés aux couleurs d’une pathologie. L’heure était aux politiques hygiénistes et sécuritaires. La folie avait elle aussi au cours de ce nouveau siècle subit un glissement sémantique en adéquation avec les troubles psychiques devant être rééduqués pour satisfaire le nouvel ordre social.

    La société de notre monde moderne avait engendré un nœud conflictuel entre les individus qui réussissaient et ceux hantés par le déclassement, l’échec suivi de l’abandon et de la déchéance.

    La révolte qui s’en suivait, chez les victimes des communautés défavorisées, devait être contenue par des soignants ayant pour consigne de faire appel à la médecine psychiatrique, mais également à la neurologie.

    La sphère publique des gens « normaux » s’estimait menacée en permanence sans ouvertement l’avouer, par les individus asociaux qu’elle avait elle-même fait naître. Elle usait et abusait de cellules de soutien psychologique, aptes à répandre la bonne parole et la philosophie de la dictature du progrès. Chaque partie s’estimait profondément meurtrie et en droit de réclamer réparation à l’autre.

    La clinique du docteur Éric Angelman était érigée sur le plan d’une fleur à six pétales de couleurs différentes. Ainsi les pensionnaires victimes d’une même pathologie pouvaient évoluer dans un monde qui leur était familier. À leur poignet, un bracelet magnétique géolocalisable de couleur identique à celui des locaux leur étant affectés, évitait qu’ils se perdent.

    La couleur rouge accueillait des schizophrènes. Les patients atteints de troubles bipolaires, dits psychoses maniacodépressives paranoïaques, étaient logés dans l’aile jaune. La couleur verte était attribuée aux cas des dépressions profondes. Le bleu, désignait ceux atteints de troubles de la personnalité limites, dits borderline et enfin, le violet pour les troubles obsessionnels compulsifs.

    La couleur blanche désignait les locaux collectifs et hospitaliers réservés au personnel médical. Le staff était constitué lui, de médecins spécialistes dans chacune de ces disciplines, assistés d’internes en fin d’études ainsi que d’infirmiers. Au total une cinquantaine de soignants opéraient un service de renommée internationale.

    Irène, l’administratrice directement placée sous les ordres du docteur Angelman, régnait en maître sur cette ruche. Elle avait après son doctorat souhaité diriger un établissement comme celui-ci, où il était possible de s’affranchir du carcan des directives de la santé publique. Bien que sous contrat avec le ministère de la santé, ils pouvaient mettre en œuvre des protocoles expérimentaux à l’écart des publications scientifiques.

    Ce nouveau type de gouvernance liée à une économie marchande et primant sur les soins psychiques, visait à transformer l’hôpital en entreprise ayant reçu l’injonction gouvernementale de contenir les malades mentaux pour maintenir la « paix sociale ». En contrepartie, on ne leur reprochait pas de dépasser le nombre statistique de décès enregistrés au cours de traitements expérimentaux.

    Irène gravit l’escalier menant aux locaux administratifs ainsi qu’à ceux de la direction dans lesquels se tenait une conférence regroupant les chefs de service et le personnel soignant. Cette femme de tête, au féminisme assumé et aux yeux d’un profond bleu turquoise, évoluait à la fois dans les registres de la séduction, du mystère et de la rancune si l’on avait l’audace de deviner son caractère entier. Elle tenait à son personnage, préférant être redoutée pour ce qu’elle était, plutôt qu’aimée pour ce qu’elle n’était pas.

    Un audit concernant le taux de réussite des nouveaux protocoles nécessitant sa présence devait se tenir peu après. En passant devant la salle de réunion elle entendit s’exprimer avec passion le doyen des médecins :

    « … L’accès à Internet provoque une déspécialisation de la psychiatrie et sous couvert de modernité, elle s’installe dans un modèle managérial. Que devient alors le facteur humain dans notre relation avec nos patients ? Nos rapports avec leur inconscient, leurs désirs, leur souffrance psychique ? Les soignants que nous sommes doivent-ils se reconvertir en gestionnaires au service des laboratoires et devenir les garants des nouvelles normes exigées par cette société moderniste ? »

    Elle espérait qu’on ne la questionnerait pas sur ce sujet au moment du débriefing, ni du déjeuner. Pressant le pas, elle frappa et entra sans attendre de réponse dans le bureau d’Éric Angelman.

    – Irène, comment vas ? Et comment se porte ton petit protégé, l’énigmatique « Sphinx » ? Ah, avant que j’oublie, réserve ta soirée. Betty tient à ce que tu partages notre dîner ce soir, c’est la sortie de son premier livre en librairie, j’espère que tu l’as lu.

    – Un peu crevée, mais ça va. Tu crois qu’ils en ont encore pour longtemps à côté ?

    – La réunion ? J’en sais rien et je ne tiens pas à le savoir… Chez les gens habituellement qualifiés de normaux, il arrivait qu’un cigare ne représente rien d’autre qu’un havane, disait ce vieux Sigmund en évitant de regarder son sexe. Tout ça pour te dire que je considère leurs réunionites comme pure masturbation intellectuelle, ou juste de la fiction littéraire. En clair, ce type d’intervention m’emmerde de plus en plus. Mais ne va pas leur répéter !

    – Je sais, moi aussi.

    – Alors ton amnésique ?

    – Mon sphinx ?

    – Oui, ton sphinx, ça va faire bientôt trois mois qu’il est arrivé chez nous et que tu l’as pris sous ton aile, as-tu noté quelques progrès ?

    – Je sais aujourd’hui qu’il est capable de s’exprimer couramment au moins en trois langues différentes et qu’il a jeté son dévolu sur les programmes télévisés qui ont tous un point commun avec la mer. Je vais orienter nos exercices dans ce domaine. Depuis peu il s’est mis à écrire. Le texte est décousu, mais le style est pas mal du tout. Ce type, à mon avis, possède un excellent niveau de culture. Reste à savoir dans quel domaine il exerçait. Mon diagnostic est celui d’un ictus amnésique rétrograde de forme sévère.

    – Bien, ça avance. Tu vas réussir à déterminer si cette amnésie n’est que sémantique et épisodique, auquel cas nous finirons par découvrir de qui il s’agit.

    – Parmi les principaux handicaps qui affectent son psychisme, il y a la frustration engendrée par la découverte de faits nouveaux, sans conscience et sans jouissance bien que perçus avec intelligence. C’est tout le dilemme qui existe entre une mémoire vive et son absence de souvenirs. En résumé, nous savons qu’il est victime d’un type d’amnésie traumatique sans doute partiellement récupérable.

    – Arrête, tu vas me rendre jaloux de ta réussite. Qu’est-ce que tu as encore de prévu aujourd’hui ?

    – Dans une heure je vais devoir me coltiner l’audit avec le représentant du ministère. Cet après-midi, j’aurai la synthèse de la réunion qui se termine en ce moment et une assemblée avec les délégués du personnel. Ah j’oubliais, ce soir j’ai une petite sauterie chez toi en compagnie de ta femme à l’occasion de la sortie de son livre que je n’ai pas encore eu le temps de lire.

    – Elle s’en remettra, elle t’adore.

    Irène était pour elle-même d’une opiniâtreté sans limite, d’une loyauté farouche et exigeait que la vie lui donne tout. Elle revendiquait le droit d’être dotée des nombreux privilèges des hommes, pour lesquels on devinait une même obstination à vouloir vivre ses passions. C’était difficile, mais lorsqu’elle n’y parvenait pas, ça la rendait folle de rage.

    Elle avouait dans ces moments-là qu’elle pourrait tuer celui ou celle qui tenterait de l’en empêcher.

    Lorsqu’elle eut terminé son service vers vingt heures, la nuit avait estompé en grande partie les reliefs de la ville et recouvert d’un gris marine le dessus des immeubles d’une voûte de mercure.

    Un rideau de pluie glaciale laminait l’air ambiant. Le crachin collant du nord imprimait à l’atmosphère une réelle pesanteur. Il provoquait dans les bourrasques des vents de noroit une sensation d’étouffement. Cette bruine opaque occasionnait chez certains résidents de la clinique une peur d’engluement, un dégoût de la spongiosité du paysage saturé, entrecoupé de bourrasques.

    La pluie tenace formait un brouillard aigre et transperçant, imprégnant les os et les chairs, en souillant la terre d’une crasse boueuse.

    La couleur blafarde des antibrouillards découpait le paysage sombre en tableaux de Dürer aux reflets de soleil mort. Ce spectacle lui fit songer tout en conduisant aux récents écrits du sphinx :

    « … L’amour finit où meurt la mer, où disparaissent les vagues, où gémissent les vents, où la nuit a tout englouti avec l’être aimé et mutilé le monde de son absence… Si les hommes pouvaient l’aimer comme les marins chérissent leur mer, la terre pourrait alors redevenir belle ! »

    Il avait sans doute emprunté ces phrases à quelqu’un d’autre, mais leur mélancolie s’alliait parfaitement avec les étendues de brume de ce soir ayant revêtu tout le chagrin des hommes et paraissant devoir expier toutes leurs fautes depuis la création du monde.

    L’orgueilleuse bâtisse des Angelman apparut comme un spectre sombre dans le halo des phares. D’une architecture massive, la silhouette grave de l’édifice inquiétait sous l’épais rideau anthracite de l’averse orageuse. Irène franchit le porche de pierres et remonta la grande allée conduisant au perron. La porte d’entrée à double ventaux s’inscrivait dans un style XVIIIe revisité.

    Depuis le seuil, elle entendit se répercuter le son du carillon dans le hall d’accueil. Ce fut Éric Angelman lui-même qui vint lui ouvrir.

    – Quel temps de chien !

    – M’en parle pas, je suis trempée.

    – Les gens disent que lorsque ce temps-là se lève avec la marée, ça risque de durer quelques jours. J’ai aperçu des éclairs, c’est en train de virer à l’orage. Défais-toi Irène, je vais te chercher une serviette.

    – Merci d’être venue malgré ce temps pourri, un vrai temps finistérien ! Sans toi il aurait manqué quelque chose au succès de mon livre. Merci aussi pour ces fleurs magnifiques, mais il ne fallait pas te donner cette peine, tu sais bien que je ne sens plus rien !

    – J’allais pas rater ça. Mais je dois t’avouer qu’avec la montagne de boulot qu’il y a en ce moment à la clinique, j’ai pas eu le temps d’ouvrir ton livre.

    – Y a des choses plus importantes dans la vie que la sortie d’un bouquin. Alors nous dirons que c’est mon premier caprice de future star, ou plus sincèrement un prétexte parce que j’avais envie de te voir. Tu te fais trop rare à mon goût.

    – Tiens, la serviette. Comment s’est déroulé ton audit cet après-midi ?

    – Bien, le délégué du gouvernement avait l’air satisfait des actions correctives que nous avons mis en place. Tu n’as rien à craindre, notre agrément avec le ministère est renouvelé pour une durée de cinq ans.

    – Non, on n’avait dit qu’on ne discutait pas « boutique » ! On est là pour rompre avec le quotidien ce soir.

    – On n’en parle plus Betty, c’est promis. Raconte-nous plutôt comment se présente la sortie de ton livre.

    – Je sens que je vais vite vous bassiner avec les discours des ayatollahs du monde de l’édition. En vous épargnant le formalisme de leurs exigences et les critiques sur l’esthétisme d’une littérature traditionnelle, il reste peu de chose à vous raconter. Ces gens-là s’auto-décernent le rôle de dieu vivant, avec le pouvoir de vie et de mort sur l’œuvre d’un écrivain. Ils aiment, comme tout bon parisien, en mettre plein la vue aux provinciaux en utilisant un vocabulaire presque aussi abscons que le vôtre. Ils parlent volontiers de la « substantialisation » d’une ligne éditoriale. Tout ça pour dire que votre style d’écriture ou le genre d’histoire que vous racontez n’a pas sa place dans leur catalogue, sans se préoccuper de l’attente des lecteurs.

    – T’as réussi à passer au travers de tous ces filtres, bravo, bel exploit ! Qu’est-ce que tu as pris comme sujet ?

    – Un premier roman est très souvent autobiographique, c’est pourquoi j’ai tenu à ce que le mien soit différent. Il traite des aventures d’une artiste plongée dans un monde où elle découvre à ses dépens, les affres du commerce, ses coups tordus pour tuer la concurrence et écouler des faux. J’ai opté pour un style d’écriture synthétique, rapide, avec un minimum d’expression nouvelle pour dater l’histoire. Mes personnages n’évoluent pas dans un monde glauque comme celui de l’hôpital, même si celui des affaires est impitoyable.

    – Effectivement, c’est difficile de concilier l’insociabilité avec une histoire d’amour, bien qu’à la clinique beaucoup seraient surpris de découvrir ce qui s’y passe. Je suppose qu’un écrivain met une grande part de lui-même dans ses personnages, est-ce qu’on peut te reconnaître à l’intérieur de ton roman ?

    – Je suppose que oui, on doit me reconnaître dans plusieurs d’entre eux, mais c’est pas à moi de le dire. Maintenant nous verrons bien, ce livre ne m’appartient plus, ce sont les lecteurs qui décideront du succès ou non de cette aventure.

    – Si tu as inclus dans ton récit un peu de suspense et une histoire d’amour, tu peux espérer toucher un large public, je suis heureuse pour toi. Qu’est-ce que tu en penses Éric, tu as lu son manuscrit ?

    – J’ai été agréablement surpris. Notre écrivaine en herbe a un réel talent. J’avais un peu peur, parce que si pisser de l’encre est à la portée du premier plumitif venu, écrire à mon avis, est bien autre chose.

    Ils passèrent dans le salon bibliothèque pour prendre l’apéritif avant de se rendre à table. Un service de traiteur s’était chargé de la décoration et avait organisé le repas pour cette soirée au caractère à la fois intime et exceptionnel. Le personnel avait disposé les fleurs, les plats et le couvert avant de disparaître et de laisser les convives profiter de l’intimité de leur soirée.

    Éric proposa de se resservir en champagne lorsque le téléphone sonna. À l’autre bout du fil, son interlocuteur apparemment très agité, n’était autre que le responsable des renseignements généraux réclamant la présence sur l’heure du professeur Angelman à la clinique, suite au décès d’un membre de sa famille hospitalisé.

    – Je dois vous laisser, continuez sans moi, on a un problème à la clinique.

    – C’est grave, tu veux que je t’accompagne ?

    – Non Irène je te remercie. Je m’en sortirai très bien tout seul. Reste ici pour tenir compagnie à Betty. Poursuivez sans moi. Je ne devrais pas en avoir pour plus d’une petite heure.

    – De quoi s’agit-il ? Qu’est-ce qui nécessite ta présence immédiate ?

    – Un décès, Betty. Je dois y aller.

    Après le départ précipité d’Éric, Irène ne parut pas surprise et arbora même une contenance emprunte de légèreté en attirant Betty près d’elle sur le sofa.

    – Ce doit-être la sœur du commissaire De Caseville le patron des RG qui vient d’être victime de son petit copain.

    – Comment tu sais ça ? Explique-moi.

    – C’est assez simple. Les neuroleptiques induisent de l’impuissance sexuelle chez les sujets masculins. C’est pourquoi ouvertement ou en cachette, les patients mettent régulièrement leur traitement entre parenthèses et ça comporte d’énormes risques. Il leur arrive de ne plus pouvoir se contrôler et entrent dans des crises de démence qui peuvent aller très loin. Je n’ai pas organisé ce crime ma chérie. J’ai provoqué l’émergence d’une crise qui malheureusement a mal tourné.

    – Qu’est-ce que ça a à voir avec nous ?

    – La disparition de cette jeune femme va porter un préjudice à l’autorité d’Éric en tant que président du conseil d’administration.

    – Et alors ?

    – Alors moi, la bonne poire, l’amie fidèle, celle que l’on prend pour un meuble depuis toujours, lorsque l’action sera tombée au plus bas, je rachèterai ses parts.

    – Et ?

    – Et après quelques temps, nous pourrons nous offrir ce petit coin de paradis dont nous rêvons toutes les deux, lorsque tu auras retrouvé ton statut de femme libre.

    – Mais Éric, t’es certaine qu’il ne risque rien non plus ?

    – Ni lui, ni moi, ni personne, pas même le meurtrier. Le problème des relations sexuelles dans le milieu psychiatrique est tellement sujet à études et controverses que pas une seule sommité du monde médical ou judiciaire n’a envie de fouiller dans ces pratiques nauséeuses.

    – Je suis tout de même qu’à moitié rassurée.

    – J’aurais mieux fait de garder ça pour moi. J’espère que tu vas vite oublier cet épisode et que tu seras assez forte pour ne rien laisser paraître, ni devant Éric, ni devant qui que ce soit. Je compte sur toi.

    – Je te remercie de faire confiance aux défaillances de ma mémoire, j’espère être à la hauteur.

    – Tu te souviens quand même qu’au fond de nos rêves, aucune illusion n’est privilégiée, ni aucun fantasme impossible ? Allez, viens près de moi…

    En arrivant à la clinique, Éric reconnut la voiture de De Caseville. Il avait ostensiblement laissé son gyrophare allumé, sans doute pour officialiser sa présence et impressionner le personnel. Il aperçut l’inspecteur foulant nerveusement le hall d’entrée dans tous les sens.

    – Je vous le ferai payer cher !

    – Allons dans mon bureau si vous voulez bien, il ne sert à rien de faire du scandale dans l’entrée, suivez-moi.

    – J’ai des relations bien placées qui vont se charger de vous retirer vos agréments et de faire fermer votre établissement. Je m’arrangerai pour que vous n’ayez plus le droit d’exercer la médecine, faites-moi confiance !

    – C’est par ici, entrez.

    – Monsieur De Caseville je comprends votre colère, elle est justifiée et moi, comme l’ensemble du personnel de cette clinique compatissons à votre douleur.

    – Assez de baratin, vous allez me livrer l’assassin de ma sœur, je veux repartir avec !

    – Vous ne repartirez avec personne et vos supérieurs vous expliquerons encore mieux que moi que le patient qui a commis cet acte de démence est irresponsable et dépend plus du ministère de la santé que de celui de l’intérieur ou de la justice.

    – Je vous tiens pour responsable de ce qui est arrivé à ma sœur ! Votre clinique est un vrai lupanar paraît-il, je la ferai fermer !

    – Dans cinq minutes vous m’accuserez sans doute aussi d’être complice du meurtre de votre sœur, ne soyez pas ridicule. Ce n’est pas parce que nous sommes dans un établissement psychiatrique qu’il faut nécessairement délirer.

    – Depuis quand permet-on aux fous de violer leurs semblables !?

    – Monsieur De Casevile, vous pouvez chercher dans le plus petit vestibule de cet établissement vous n’y trouverez pas de « Fou » comme vous dites, seulement des êtres humains différents, atteints de pathologies mentales dont vous et moi pouvons être victimes à tout instant à la suite d’un traumatisme cérébral.

    – Vous me prenez pour un con ? Vous croyez que je vais gober vos salades et finir par leur trouver des excuses parce qu’ils sont dérangés ?

    – L’attitude de votre sœur, comme celle du couple qu’elle formait avec son petit ami n’est pas un cas isolé je vous l’accorde, mais ça ne fait pas de notre clinique un hôtel borgne, ni un lupanar. Bien qu’il existe des consignes et un règlement intérieur à l’adresse des résidents et du personnel soignant, il arrive que des sentiments éclosent entre des êtres humains. Il arrive même que ces personnes éprises ou seulement sujettes à quelques envies bien naturelles, réussissent à se faufiler dans les parties communes en trompant la vigilance du personnel qui s’isole pour papoter. Les amants en profitent alors pour se retrouver discrètement.

    – Votre personnel fait mal son travail, si les malades arrivent à forniquer, c’est qu’il fait preuve d’inefficacité, d’incompétence ou de laxisme.

    – Vous souhaitez sans doute qu’on attache ces gens au pied de leur lit ? Ou auriez-vous préféré que votre sœur soit tenue en laisse et porte une ceinture de chasteté ? Soyez sérieux, De Caseville. Nos établissements ne sont pas des prisons sécurisées avec des gens de chez vous, heureusement. Nos pensionnaires ne sont pas tenus à l’isolement.

    – C’est bien dommage. Il faut faire voter des lois pour empêcher ça. Pour empêcher que les débiles se grimpent dessus comme au zoo. Une société qui approuve, encourage ou légitime ce genre de pratique va droit dans le mur !

    – Monsieur De Caseville, le 18 janvier 2013, la cour d’appel de Bordeaux a condamné l’hôpital psychiatrique de Cadillac en Gironde pour avoir interdit les rapports sexuels à tous les patients d’une unité de soins. Sortez de vos archaïsmes et rejoignez le vingt et unième siècle. Ne soyez pas choqué, mais chez nous, une pipe contre deux clopes dans la cour, derrière le local poubelles, c’est monnaie courante. Pas vu pas pris, aucune loi ne peut rien contre ça. Dans le milieu psychiatrique, les relations sentimentales et sexuelles entre patients schizophrènes ou toxicomanes comme celle dont a été victime votre sœur sont ingérables. Elles sont sources de violences psychiques et physiques avec les autres patients. Il arrive parfois dans certains établissements, que ça inclue des membres du personnel.

    – Je ne vous laisserai pas étouffer cette affaire, je vais alerter la presse sur vos pratiques, vous aurez de mes nouvelles. Faites-moi confiance !

    – Oh vous savez, la confiance aujourd’hui est bien mal en point, même les personnes aveugles ne font plus confiance qu’aux chiens pour les guider. Quant aux spécialistes de la larme à l’œil et aux bonimenteurs du petit écran qui s’emploient à introduire de la compassion pour dilater les tirages et les audiences, ils sont de moins en moins crédibles. Par contre, ils vous proposeront certainement l’organisation d’une marche blanche qui fera grossir leur tirage, mais qui malheureusement ne changera rien pour vous. Ils sont bien les derniers à croire encore à la moindre fonction d’élévation sociale de leur métier.

    – Pour une fois, je suis d’accord avec vous, docteur. Ces gens-là possèdent juste ce qu’il faut d’hypocrisie pour vous faire mener une vie pleine de rebondissements. Les journalistes n’aiment rien tant que provoquer la stupeur et vous amener à déguster les saloperies rencontrées sur terre. Je vous promets de mettre votre clinique à l’honneur, ils vont se servir

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1