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Face à la douleur
Face à la douleur
Face à la douleur
Livre électronique981 pages21 heures

Face à la douleur

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À propos de ce livre électronique

Sous de nombreuses formes – aigüe, violente, sourde, lacérante, tenace – la douleur détériore le corps et accable l'esprit. Elle abonde dans la vie du pauvre et ruine celle du riche. Elle fait pleurer l'enfant, mutile le corps du jeune, marque le visage de l'adulte, et courbe l'échine du veillard. Du berceau à la tombe, la douleur est notre implacable bourreau. Travail et plaisir, dépendance et liberté, vertu et vice, amour et haine, tout peut nous faire souffrir. La douleur fait partie de notre condition humaine. Nous pouvons dire que nous cessons d'être enfant lorsque nous découvrons que les baisers de notre mère ne guérissent pas tous nos maux…
Ce livre se propose d'aider à affronter la douleur avec dignité et réalisme, en évoquant certains aspects pratiques de ses facettes psychologique, sociale, philosphique et théologique. Pour cela, après une prise de conscience de la complexité de la question, l'auteur expose une série de réflexions menant à la compréhension du pourquoi ultime de la souffrance et donne des clés pour l'affronter avec sens. De plus, pensant au lecteur non professionnel, il offre des recours sensibles pour faire face à sa propre douleur avec sérénité et à celle des autres avec solidarité et tact. Son objectif est d'aider à combattre et à supporter la douleur autant que possible.
Avec encouragement et espérance.
LangueFrançais
Date de sortie17 mai 2021
ISBN9788472088597
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    Aperçu du livre

    Face à la douleur - Roberto Badenas

    Frente_FR.jpg

    Collection : Graines d’Espérance

    Titre : Face à la douleur

    Titre original de l’édition espagnole : Frente al dolor

    Auteur : Roberto Badenas Traduction: Raquel Gemis

    Conception et développement du projet: Équipe de Editorial Safeliz

    Copyright by © Editorial Safeliz, S. L.

    Pradillo, 6 · Pol. Ind. La Mina

    E-28770 · Colmenar Viejo, Madrid (Espagne)

    Tel.: [+34] 91 845 98 77

    admin@safeliz.com · www.safeliz.com

    ISBN : 978-84-7208-859-7

    Toute reproduction totale ou partielle de cet ouvrage (texte, images ou conception),

    quelle que soit la langue, ou son traitement informatique ou encore sa transmission,

    quelle que soit la manière, ou par n’importe quel média, qu’il soit électronique,

    mécanique, au moyen de photocopie, par enregistrement ou toute autre méthode,

    est interdite sans la permission préalable et écrite des titulaires du Copyright.

    Je dédie ces pages à ceux auxquels la douleur m’unit :

    D’abord à ceux que j’ai fait souffrir,

    et ceux qui m’ont fait souffrir ;

    à ceux qui ont partagé leurs peines avec moi,

    et ceux avec lesquels j’ai partagé les miennes…

    Enfin, à tous les autres :

    j’écris aussi en leur nom.

    Roberto Badenas

    est docteur en philosophie de l’Université Andrews (Michigan, États-Unis d’Amérique), spécialiste en philologie biblique, et professeur de Nouveau Testament. De 1999 à 2010, il a dirigé les départements d’éducation et famille, et présidé le Comité de recherches bibliques de la Division Eurafricaine (Berne, Suisse). Auteur de nombreux articles et ouvrages de recherche, il a publié en français, aux éditions Vie et Santé, les livres Au-delà de la loi… la grâce, Le conteur de paraboles, et Rencontres avec le Christ, son ouvrage le plus connu à ce jour, paru aussi en espagnol, anglais, allemand, italien, portugais, roumain et catalan.

    Sommaire

    Introduction : Cette convive importune de nos vies

    10

    Partie i. Prise de conscience

    15

    Qu’entendons-nous par douleur ? 17

    Le besoin d’exprimer nos peines 29

    Attention aux signaux d’alarme 39

    Une réalité difficile à comprendre 55

    Partie II. Réflexion

    71

    L’énigme de la souffrance 73

    Les explications traditionnelles 89

    Le silence de Dieu 103

    Foi et guérison 119

    Partie iii. Soutien

    141

    Soulager la douleur 143

    Clés pour survivre 161

    Vieillir avec sérénité 177

    Accompagner le départ 189

    Face à la mort 205

    Deuil 225

    Épilogue : Plus de douleur 207

    Introduction : « Cette convive importune de nos vies… »¹

    Peu d’expériences humaines sont aussi universelles que celle de la douleur. Il est quasiment impossible de traverser la vie sans souffrir d’une quelconque perte de santé, sans avoir aucun accident, sans qu’une amitié ou un amour nous quitte, et sans qu’aucun de nos êtres chers ne meure.

    La souffrance est inhérente à la vie elle-même. D’Adam au dernier nouveau-né, et de Job ou de Jésus au soldat le plus méconnu de la guerre la plus oubliée, nous portons tous l’ombre de la douleur. Personne n’est à l’abri du malheur. Malgré nos efforts, nous sommes tous exposés à la souffrance, de nos premières dents de lait aux derniers cris d’agonie. Maladie, déclin, remords, angoisses existentielles, chagrins d’amour… Si quelqu’un prétend n’avoir jamais souffert, c’est qu’il a perdu la mémoire.

    Sous d’innombrables formes – aiguë, violente, sourde, perçante, tenace – la douleur détériore le corps et accable l’esprit. Elle abonde dans la vie du pauvre et ruine celle du riche. Elle fait pleurer l’enfant, mutile le corps du jeune, marque le visage de l’adulte et courbe l’échine du vieillard. Du berceau à la tombe, la souffrance nous colle aux trousses comme un infatigable bourreau. Travail et plaisir, dépendance et liberté, vertu et vice, amour et haine, tout peut devenir source de souffrance. La douleur fait partie de notre condition humaine.² Nous pourrions dire que nous cessons d’être enfants quand nous découvrons que les baisers de notre maman ne guérissent pas nos peines…

    Il suffit d’ouvrir le journal à la page des faits divers, de parcourir les couloirs d’un hôpital ou de se promener dans un cimetière pour attester que c’est la réalité de la vie : la souffrance nous guette tous.³ Au cours d’une année, alors que je rédigeais ce livre, une vingtaine de personnes de mon entourage direct ont été assaillies par de graves souffrances, et dix d’entre elles sont décédées, dont mon père…

    Face à cette implacable réalité, notre instinct vital se révèle et se rebelle de mille façons. Une petite douleur met déjà en alerte les mécanismes de défense dont notre organisme est équipé. Comme Ponce de León,⁴ nous cherchons la source du bonheur – ou de l’éternelle jeunesse – dans les plaisirs, les médicaments, les thérapies, les traitements et autres pratiques… mais elle nous échappe. Le risque – et la certitude - de souffrir et de mourir l’emporte sur nos rêves illusoires. Le réflexe sain de donner priorité à la vie nous permet de prendre un peu de distance de la dure réalité, mais à la fin, nous sommes bien obligés de l’assumer...

    La question de la souffrance est tellement vaste et complexe qu’il serait prétentieux de vouloir aborder toutes ses dimensions en un travail comme celui-ci. Nous nous limiterons à prendre en compte certains aspects pratiques de ses facettes psychologiques, sociales, philosophiques et spirituelles. Après tant de millénaires de tyrannie, le règne de la souffrance est à peine exploré.

    Dans ce livre, nous proposons, en toute modestie, d’aider les non-spécialistes à affronter leur propre douleur avec dignité et réalisme. Dans la première partie, de nature informative, nous ferons acte d’une prise de conscience de la complexité du sujet et de ses diverses implications. Dans la deuxième, nous exposerons un ensemble de réflexions théoriques et pratiques orientées vers la compréhension du pourquoi de la souffrance et la clarification de son sens. La troisième partie proposera, à l’usage du lecteur non professionnel, de simples réactions de survie et l’exploration des ressources utiles face à la souffrance. Dans la mesure du possible, pour la prévenir, pour éviter de la subir sans réagir et pour aider ceux qui pourraient contribuer à la soulager.

    Je reconnais ne pas être expert en la matière. Je ne doute pas que, par leur expérience professionnelle ou personnelle, beaucoup de mes lecteurs s’y connaissent mieux que moi. Je me permets d’écrire en qualité de témoin, ou plutôt de sujet patient. Si ma nature optimiste tend à esquiver la douleur, ma formation philosophique, et surtout mon expérience pastorale, m’ont sensibilisé de façon irréversible à ce sombre fantôme de la vie. Ma grande question restant : Comment accompagner ? Comment fortifier les souffrants ? Comment déchirer pour eux le voile des ombres et leur apporter un peu de lumière ?

    Écrire ce livre m’a coûté plus que la rédaction de tout autre auparavant. Il n’aurait sans doute jamais vu le jour sans la collaboration d’un groupe de personnes particulièrement chères à mon cœur. Mes remerciements vont d’abord à mes amis médecins, José Manuel Prat, Miguel Gracia Antequera, Marcelle Lafond et Caleb Mercier, qui ont eu la gentillesse de revoir ces pages d’un point de vue professionnel. Ils m’ont apporté des précieux conseils en fonction de leurs spécialités respectives. Ma gratitude va également à mon cher collègue Roberto Carbonell, aumônier d’hôpital, et confronté quotidiennement à la souffrance et la mort, pour l’enrichissant partage de ses expériences personnelles ; aux professeurs Geneviève Aurouze et Mario Ceballos, pour leurs apports bibliographiques ; à mes amis Ramon Junqueras, Santiago Gomez et Patrice Perritaz, pour le partage de leurs réflexions intelligentes et sensibles sur ce sujet difficile; à Marta Prats, pour sa révision littéraire du texte espagnol ; et tout particulièrement à Simone Charrière, pour sa généreuse et compétente assistance dans la révision de l’édition française.

    J’écris cet ouvrage par solidarité avec ceux qui souffrent, mais au-delà du sentiment de devoir, je dirais même par légitime défense,⁵ motivé par ma propre révolte et mon impuissance face à leur douleur et à la mienne. Pour alléger leur fardeau et répondre à quelques-unes des questions que nous nous posons tous face à notre expérience commune : À quel point est-il possible de dominer la douleur ? Que pouvons-nous faire pour la comprendre ou apprendre à la contrôler ? Comment la dépasser afin de mettre ce bourreau de la mort au service de la vie ? Et surtout, comment « ajouter de la vie aux jours lorsqu’on ne peut plus ajouter de jours à la vie. »

    Enfin, je clos cette introduction avec Leon Gieco :

    « Je ne demande à Dieu qu’une chose :

    que la douleur ne me laisse pas indifférent,

    que la mort décharnée ne me surprenne pas

    vide et seul, sans avoir fait ma part. »

    L’AUTEUR

    PARTIE I

    Prise

    de conscience

    « Car avec beaucoup de sagesse, on a beaucoup de chagrin,

    et celui qui augmente sa connaissance

    augmente sa douleur. »

    ECCLÉSIASTE 1: 18

    1

    Qu’entendons-nous

    par douleur ?

    « Il faut souffrir pour comprendre la souffrance. »

    ALBERTINE HALLÈ (extrait de La vallée des blés d’or)

    I

    l est minuit. Les pleurs de notre premier enfant, un bébé prématuré de deux mois à peine que nous venons de ramener de l’hôpital, nous réveillent. Le lange est propre. Il refuse son

    biberon. Il n’a pas de fièvre. Sa mère le prend dans ses bras, lui chante une berceuse, essaie de le calmer, mais il continue de pleurer. Il ne peut nous dire ce qui se passe. Nous, ses parents novices, n’arrivons pas à interpréter sa peine. Une mauvaise digestion ? Une otite ? Une simple peur ? Nous le déshabillons encore une fois et essayons de découvrir la cause de ses pleurs ; nous remarquons alors une grosseur qui s’avère être une hernie inguinale. Le pédiatre luimême ne put nous dire si l’hernie était la cause ou la conséquence des pleurs.

    Quelque temps plus tard, je me lève avec une douleur étrange à la mâchoire supérieure à proximité d’une dent de sagesse ou un peu plus haut. La douleur, imprécise au début, se fait de plus en plus

    intense et profonde. Comme je ne peux obtenir un rendez-vous chez le dentiste dans es heures qui suivent, et que jamais aucune de mes dents ne m’a fait souffrir à ce point, à la fin de la journée, je ne sais plus si j’ai une forte douleur aux dents, à la tête, aux oreilles, ou partout à la fois.

    Des années plus tard, mon épouse, une femme très gaie et enthousiaste, qui passe ses journées à chanter, commence à se sentir mal, sans pouvoir préciser ce qui lui arrive.

    « Je ne sais pas ce que j’ai. Je me sens mal et je ne sais dire pourquoi. La ménopause peut-être ? Je n’ai envie de rien. Je me sens fatiguée, sans force. Tout m’ennuie. Je suis triste. Tout me donne envie de pleurer. Je veux seulement dormir, cachée de la vue de tous et de moi-même. »

    Mon épouse ne parvint pas un mettre un nom sur sa dépression naissante.

    Ces trois exemples personnels et simples, entre mille autres que nous pourrions citer, nous suffisent pour illustrer à quel point il est difficile de décrire la douleur.

    Qu’est-ce que la douleur ?

    Bien que nous sentions tous son aiguillon, sous diverses formes, tout au long de notre vie, il nous est difficile de définir la souffrance. L’épreuve douloureuse est extrêmement diverse et complexe à communiquer parce qu’elle nous affecte lors d’évènements différents, expérimentés par chacun d’entre nous de façon personnelle et intransmissible. La douleur est, en réalité, un mystère.

    Le terme douleur a, en beaucoup de langues, un double sens qui inclut à la fois la souffrance, la sensation de malheur, de contrariété et de peine, et le sentiment de malaise. Si dans le plaisir nous jouissons des sensations du corps, dans la douleur nous éprouvons une gêne indésirable. Face au bonheur, nos sens exultent ; face à la douleur, nous sommes pris par un sentiment d’impuissance.

    Dans le plaisir, l’être entier s’ouvre, avide de nouvelles expériences ; tandis que face à la douleur l’organisme se replie sur lui-même, comme pour se protéger d’un intrus. Alors que la santé s’apparente certainement au silence des organes, la douleur physique s’expérimente au contraire, comme un cri du corps. 1 Si la santé est un état qui permet de vivre de façon autonome, gaie et solidaire, tant biologiquement que psychologiquement et socialement, la douleur perturbe cet état dans toutes ces dimensions.

    Le fait que les contours de la souffrance humaine soient fuyants a amené beaucoup de spécialistes à essayer de les préciser, sans résultats convaincants. Le philosophe Spinoza définissait la douleur au XVIIe siècle comme « une émotion fondamentale, contraire au plaisir. » Une définition contemporaine s’exprime dans les termes suivants : « La souffrance, ou la douleur au sens large, est une expérience affective de désagrément et d’aversion, associée à un dommage ou à une menace de dommage. » 2

    Actuellement, personne ne limite la définition de la douleur aux effets de lésions. Cette définition a été revue, et aujourd’hui on parle de la douleur comme d’ « une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable associée à un dommage tissulaire présent ou potentiel, ou décrite et termes d’un tel dommage. » 3 Et cette définition ne satisfait pas non plus tout le monde.

    Douleur et souffrance

    Certains distinguent douleur et souffrance comme deux réalités différentes. Ils définissent la douleur comme étant organique, et la souffrance comme dépassant la dimension physique. Selon cette

    L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) en sa Constitution de 1946 définit la santé comme

    « un état de complet de bien-être physique, mental et social, qui ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité. » Préambule adopté par la Conférence internationale sur la Santé, New York, 19-22 juin 1946 ; signé le 22 juillet 1946 par les représentants de 61 États, et entré en vigueur le 7 avril 1948 (Actes officiels de l’Organisation mondiale de la Santé, n°. 2, p. 100).

    Cité dans : fr.wikipedia.org/wiki/Souffrance.

    Définition de l’Association Internationale pour l’Etude de la Douleur (IASP).

    thèse, la douleur n’affecterait donc que le corps, tandis que la souffrance toucherait davantage l’esprit, notre psychisme et nos sentiments. Selon ces définitions, la douleur inonde l’être, la souffrance l’affronte. Le caractère concret de la douleur rend l’expérience compréhensible et facilite l’action thérapeutique. La souffrance, en revanche, s’exprime de façon obscure et son noyau intime reste dans les ténèbres, même pour celui qui souffre. Du point de vue du philosophe : « On s’accordera donc pour réserver le terme douleur à des affects ressentis comme localisés, dans des organes particuliers du corps ou dans le corps tout entier, et le terme souffrance à des affects ouverts sur la réflexivité, le langage, le rapport à soi, le rapport à autrui (...). » 4

    Cicely Saunders, fondateur du mouvement Hospice, 5 forgea l’expression douleur totale, qui inclut, en plus des atteintes physiques, la souffrance morale, mentale, sociale et spirituelle, parce que tous ces aspects sont liés. La souffrance est inhérente à des circonstances qui affectent les personnes dans leur être total, donc plus globale que la douleur proprement dite. 6 Mais l’usage populaire des termes douleur et souffrance les rend pratiquement interchangeables. Ce sont des concepts qui, souvent, s’entrelacent et se confondent. Ici, nous nous réfèrerons à ces deux termes de façon généralement indistincte.

    Les physiologistes classiques ont décrit la douleur comme un réflexe de protection destiné à alerter la personne à fin d’éviter d’autres dommages plus invalidants. Selon eux, il s’agirait, premièrement,

    Paul Ricœur, « La souffrance n’est pas la douleur », Dans revue Autrement, n° 142 (février 1994), p. 59.

    Cicely Saunders initie en 1967 un mouvement révolutionnaire en faveur de l’attention aux mourants, dans l’Hospice St. Christopher, établi dans un quartier de Londres. Aujourd’hui, le mouvement traite les malades en phase terminale dans des centaines d’hôpitaux du monde entier, se basant sur le principe de l’attention complète, répondant aux besoins physiques, sociaux, émotionnels et spirituels du patient. Sa devise est : « Tu es important parce que tu es toi, tu es important jusqu’au dernier moment de ta vie. » (Voir Cicely Saunders, The Care of the Patient and His Family, in Documentation in Medical Ethics n° 5 (London Medical Group, 1975).

    Cf. Emmanuel Levinas, Une éthique de la souffrance dans revue Autrement, n° 142 (1994), pp. 73-74.

    d’un signal d’alarme au moyen duquel l’organisme indique que quelque chose ne va pas bien, prévient d’une forme d’agression 7 ou avertit qu’un danger approche. La sensation de brûlure nous éloigne du feu et évite que nous subissions de brûlures plus graves. Les piqûres nous éloignent des épines et nous préviennent de blessures plus conséquentes. Etc.

    Bien que cette définition positive de la douleur soit valable dans beaucoup de cas, elle n’est pas applicable à tous. Si la douleur est un signe avertisseur qui nous conduit à nous protéger de la destruction (du feu, du froid, etc.), elle peut devenir également un facteur destructeur. Ainsi, le célèbre chirurgien français René Leriche 8 signalait déjà que pour les médecins qui vivent en contact avec les malades, la douleur est plus qu’une contingence, un symptôme préjudiciable, angoissant et nocif. Elle rend souvent encore plus pénible et malheureuse une situation qui est déjà irréversible. Nous devons donc écarter l’idée selon laquelle cette douleur est bénéfique. La douleur est souvent porteuse d’un cadeau empoissonné. Elle avilit l’homme et le rend encore plus malade qu’il ne l’était déjà. Le médecin a le devoir inéluctable de la prévenir, s’il le peut. 9 Amies ou ennemies, douleur et souffrance doivent toujours être prises au sérieux.

    La douleur, expérience personnelle

    Bien que la douleur nous répugne tous, ses effets diffèrent selon la personne qui l’expérimente. Nous ne souffrons pas tous de la même façon. Au lieu de parler des douleurs et des souffrances des personnes, nous devrions mettre l’accent sur des personnes qui souffrent. Ma douleur ou celle de quelqu’un d’autre est toujours une expérience individuelle. Il n’y a probablement pas d’expérience plus personnelle que celle de la souffrance. Elle affecte l’être dans sa to-

    Cf. W. J. Roberts, A hypothesis on the physiological basis for pain, Pain, nº 24 (1986), p. 297-311.

    René Leriche, La chirurgie de la douleur, Paris : Masson, 1940, p. 39-40.

    "La lutte contre la douleur est une usure…Consentir à la souffrance est une sorte de suicide lent. Il n’y a qu’une douleur qu’il soit facile de supporter, c’est celle des autres… » Ibid.

    talité, corps et esprit. Qu’elle soit physique ou morale, la douleur nous rappelle la fragilité de notre existence et centralise notre attention sur notre propre mal-être. Son élimination devient notre tâche la plus urgente.

    La douleur et la souffrance sont sans aucun doute les expériences humaines qui nous isolent le plus des autres. Peu importe notre maîtrise du sujet ou combien nous nous identifions à celui qui souffre, sa douleur sera toujours la sienne, unique et non transférable. En réalité, le partage de la douleur éprouvée est très limité. 10 Nos souffrances constituent un cercle fermé à l’extérieur. « Tu ne peux sentir la douleur de l’autre, et personne ne peut expérimenter la tienne […]. L’holocauste, la faim, les pandémies… peu importe. La souffrance arrive toujours par lots individuels. » 11

    Notre difficulté à analyser la douleur se complique d’autant plus que, en s’étendant à toutes les dimensions de l’être, elle affecte en plus ou moins grande mesure notre objectivité. Qu’elle survienne de façon subite dans un accident ou qu’elle s’annonce de façon anticipée par une maladie chronique, nous ne sommes jamais disposés à la recevoir : la douleur perturbe notre existence et peut la paralyser complètement. Chaque fois qu’elle fait irruption dans notre vie, elle nous transforme en victimes de ce qui nous arrive. Peu importe notre degré de responsabilité quant à ses causes, nous la percevons toujours comme une intruse qui nous envahit.

    À quel point souffrons-nous ?

    La douleur est, en plus, une sensation très difficile à mesurer. La mesure de son intensité est toujours très aléatoire et diffère consi-

    La douleur est personnelle, plus privée que la pensée (tu peux partager une pensée, pas ta douleur), c’est pourquoi jamais un seul parmi les milliers de millions d’habitants de ce monde ne souffrit individuellement de maladie ou de mort plus qu’il ne le put. » (Extrait de Thomas Stearns ELIOT, « L’enterrement des morts » dans La terre vaine et autres poèmes, Paris : Seuil, 2006, p. 94-97).

    Clifford Goldstein, Life Without Limits, Review & Herald, 2007, p.106-107.

    dérablement d’un patient à l’autre, d’un cas à l’autre. Les techniques fiables pour mesurer la douleur sont très récentes et ne sont pas encore généralisées et reconnues de tous.

    Il n’est pas facile de comparer une douleur à une autre. Sur quels critères pouvons-nous affirmer, par exemple, qu’une intense douleur passagère, comme celle éprouvée lors d’un accouchement, de coliques néphrétiques, etc., est pire que la douleur beaucoup moins aiguë, mais beaucoup plus lancinante de certains types de cancers ou d’arthroses ? La douleur chronique, même relativement modérée, peut s’avérer insupportable précisément par sa durée. Cette douleur affecte un grand pourcentage de patients durant des périodes très variables, qui perturbent radicalement leur existence. 12 Elle empêche de trouver le sommeil, gène la mobilité, réduit la capacité de travail et affecte jusqu’aux gestes les plus quotidiens, comme ceux de se lever du lit, ou monter et descendre les escaliers. Même se promener peut devenir un supplice. Souffrir de douleurs persistantes sans connaître la cause ou sans trouver de soulagement perturbe la vie et peut provoquer des situations cliniques graves, dues à l’anxiété ou à la dépression.

    Réactions face à la douleur

    Il y a presque autant d’attitudes face à la douleur que de personnes qui souffrent. Il est difficile d’établir des généralités en ce qui concerne la dimension subjective de la douleur. Il existe, en effet, une étendue de formes et de degrés de souffrance aussi vaste que la variation du seuil de sensibilité. Certaines douleurs peuvent être bien supportées par certains en grande souffrance, et redoutées par ceux qui sont plus légèrement atteints. Ainsi l’évaluation du degré de la souffrance est très relative et peut varier selon les peuples, les individus et les cas. Dans certaines guerres, les soldats opérés sans

    D’après l’International Association for the Study of Pain (IASP), la douleur chronique est une douleur persistante ou récurrente, pas ou peu soulagée par un traitement, entraînant une détérioration significative et progressive des capacités fonctionnelles et relationnelles du patient dans ses activités journalières, au domicile comme à l’école ou au travail.

    anesthésie ne semblaient pas ressentir plus de douleur que celle produite par leurs propres blessures. Dans certaines ethnies, la plupart des femmes accouchent, puis continuent à travailler comme si rien de particulier ne leur était arrivé.

    La souffrance ne varie pas forcément avec le statut personnel de ses victimes. Comme quelqu’un l’a observé avec humour, « la couronne royale n’enlève pas le mal de tête. » 13 Il en résulte que beaucoup de questions théoriquement intéressantes sont, d’un point de vue pratique, totalement insignifiantes : Qui souffre le plus, les hommes ou les femmes ? Les adultes ou les enfants ? Les jeunes ou les vieux ? Les mieux informés ou les plus ignorants ? Les croyants ou les non-croyants ? La souffrance nous affecte de façon si personnelle que nous avons tendance à penser que l’adversité qui s’abat sur nous est unique, que personne ne souffre ainsi, et que notre douleur n’est comparable à aucune autre. Et c’est le cas, d’une certaine façon.

    Nos sociétés développées ont combattu la douleur physique et obtenu des résultats très appréciables. Mais la médecine et la pharmacopée l’ont surtout traitée comme un simple problème technique. C’est pour cela qu’on leur reproche, avec raison, le risque de réduire la douleur à une simple « panne » de la machine corporelle. 14 La souffrance est un problème plus profond, qui affecte la singularité de l’être humain. De fait, aucune loi physiologique ne peut rendre compte de cette expérience. 15 Bénéficiaires privilégiés de ce qui porte le nom d’état de bien-être, nous recourons systématiquement à l’assistance médicale dans notre lutte contre la douleur, comme s’il s’agissait d’un droit fondamental. Les médecins prescrivent des médicaments qui calment nos douleurs physiques. Les thérapies psychologiques apaisent nos perturbations émotionnelles. Et

    Phrase attribuée à Herbert George Wells (plus connus comme H.G. Wells, 1866-1946), auteur de La guerre des mondes.

    David Le Breton, L’adieu au corps, Éditions Métailié, Paris, 1999.

    Ophir Levy, Penser l’humain à l’aune de la douleur, Éd L’Harmattan, Paris, 2009 ; David Le Breton, Expérience de la douleur. Entre destruction et renaissance, Éditions Métailié, Paris, 2010.

    si cela ne suffit pas, les drogues nous procurent une évasion, bien que momentanée, de notre réalité douloureuse.

    Aujourd’hui, en Occident, les chiffres statistiques de la consommation d’analgésiques et de tranquillisants ne cessent d’augmenter. D’autres sociétés et nos ancêtres ont assumé la douleur de façons qui nous paraissent excessivement résignées et cruelles, les associant à des pratiques religieuses ou spirituelles qui nous semblent de plus en plus difficiles à accepter. Ils ne l’ont pas perçue comme un simple problème sanitaire ou médical, mais comme une question existentielle. Dans notre monde postchrétien, les cures ont supplanté les prêtres. Les médicaments et les thérapies se sont substitués aux jeûnes et aux prières, et sont devenus les succédanés modernes de pratiques qui, en d’autre temps, relevaient de la force de caractère et du domaine de la foi. 16

    Est-il vrai que personne ne veut souffrir ?

    Bien que, en théorie, nous cherchions tous le bien-être et que chacun se défende à sa manière contre la douleur, en réalité la souffrance se cultive aussi. Il est surprenant de constater avec quelle obstination nous nous maintenons dans des situations qui nous font souffrir, et quelle énergie nous sommes capables d’investir à nourrir précisément les causes de nos problèmes.

    Voyons un exemple de petite importance. La dent de lait d’un enfant bouge. Elle va bientôt tomber, et lui fait à peine mal s’il ne la touche pas. Pourtant, il sent la nécessité de toucher sa dent sans arrêt (que ce soit avec la langue ou avec les doigts), comme s’il voulait s’assurer de sa présence ! 17 À un niveau beaucoup plus sérieux, de nombreuses victimes de maladies qui sont la conséquence directe de mauvaises habitudes (alimentation, tabac, alcool, manque d’e-

    Voir Olivier Roy, La sainte ignorante : le temps de la religion sans culture. Paris, Seuil, 2008.

    Est-ce la première perte d’un petit bout de soi qui, peut-être, inquiète l’enfant ? Ou alors, il teste si la souffrance n’augmente pas ? A moins qu’il souhaite être libéré au plus vite de la dent pour recevoir une récompense de sa famille ! (Cf. Sylvie Galland y Jacques Salome, Les mémoires de l’oubli, Genève, Jouvence, 1989).

    xercice, etc.) aimeraient ne plus souffrir mais sans changer leur style de vie. Au lieu d’attaquer la cause de leurs maux en changeant leurs habitudes, ils préfèrent recourir à la chirurgie ou à des remèdes miracles qui les libèrent de leurs effets indésirables.

    Certaines personnes souffrantes adoptent, plus ou moins inconsciemment, des comportements proches du masochisme, car elles y trouvent des bénéfices secondaires. Par exemple, leurs maux de tête, dont ils parlent constamment, leur permettent d’exister face aux autres, on s’occupe d’eux, etc. D’autres s’enlisent dans des états de dépendances face à des problèmes passés non résolus, reportant sur autrui leur incapacité à les résoudre. Une certaine gravité de la maladie empêche cependant toute critique de la personne, quel que soit son comportement. Cette situation peut conduire certains malades chroniques à s’accommoder d’une espèce de dépendance qui les rend moins responsables de ce qu’ils seraient s’ils étaient plus autonomes. Ils obtiennent ainsi, en inspirant la pitié, l’aide qu’ils désirent sans avoir à la demander. 18 Dans certains cas, leur propre souffrance leur procure le moyen parfait pour punir quelqu’un

    – conjoint, enfants ou parents – les culpabilisant de façon sournoise à cause de leurs problèmes.

    D’autre part, comme l’a démontré le docteur Sylvie Galland, un grand pourcentage de patients reproduisent des modèles de relations nuisibles vécues dans leur enfance, lesquelles seraient souvent évitables. Ainsi, la fille d’un alcoolique, par solidarité avec sa mère, sera disposée à assumer une souffrance similaire à celle endurée par elle à cause des problèmes du père, se prédisposant inconsciemment à supporter les aléas d’un mari… de préférence alcoolique ! Peut-être que notre société compétitive en est en partie responsable. Les honneurs et la gratification sont uniquement destinés à ceux qui triomphent. Mais l’affection, la compassion et la faveur publique vont naturellement à ceux qui souffrent. Comme il est beaucoup plus facile dans la vie d’échouer que de triompher, et d’être mal-

    Et nous ne disons rien du « malade tyrannique », qui ne demande rien, mais ne cesse de s’en vanter !

    heureux qu’heureux, la tendance est de se rabattre sur ce qui est accessible ! 19 Certaines personnes, tombées dans le découragement et le fatalisme, se sentent exister à travers leur malchance ou leur maladie.

    Il y a même des souffrances qui ont, pour certaines personnes, une dimension captivante, presque héroïque, dont elles ne rencontreront jamais l’intensité dans la routine de leurs vies médiocres. Un ami médecin urgentiste me parlait d’un SDF auquel il arrivait des accidents à une fréquence régulière, au point que l’équipe médicale est arrivée à la conclusion qu’il les provoquait par nostalgie des excellents traitements qu’il recevait à l’hôpital, chaque fois qu’il y était admis pendant ses périodes de récupération. Évidemment, il s’agit d’un cas extrême, mais même dans des cas moins graves, la dépendance à la souffrance n’est pas exceptionnelle. Certains patients s’enferment dans leurs problèmes comme dans une prison secourable. Cette catégorie de malades essaie ainsi de résoudre leur situation dans la vie. Guérir signifierait une remise en question de leur situation personnelle ou familiale, qu’ils n’osent pas affronter. Leur guérison – ou celle d’un enfant handicapé, etc. – les obligerait à chercher un travail, ou permettrait au conjoint d’entreprendre enfin un divorce qu’il n’ose pas demander dans les circonstances présentes. Rien ne peut venir à bout d’une maladie avec laquelle on se sent bien…

    Dans ces cas frôlant la pathologie et pour engager un processus de guérison, le patient doit être suffisamment lucide pour oser renoncer à certains bénéfices présents, et reconnaître qu’il est en train de prolonger une situation qu’il pourrait surmonter. Il doit parvenir à se demander sérieusement ce qui se passerait si les problèmes dont il souffre disparaissaient soudainement : comment affronterait-il la situation ? Comment son entourage le plus proche réagirait-il ? Etc. Mais pour arriver à cette lucidité idéale et cette

    Sylvie Galland, « L’attachement à la souffrance », Optima, n° 217, février 1992, p. 27-28.

    prise de conscience libératrice, il faut un peu plus que de la maturité et de l’intelligence. La nature humaine est très complexe. Assumer les responsabilités de l’autonomie personnelle n’est jamais facile et encore moins pour le malade. En général, les patients qui stagnent dans ce type de problèmes ont besoin de beaucoup de compréhension et une aide professionnelle pour découvrir les vrais bénéfices d’une guérison.

    2

    Le besoin d’exprimer

    nos peines

    « Laissez parler la douleur. »

    SHAKESPEARE1

    J ressens…

    e ne trouve pas les mots pour exprimer la peine que je Souvent, c’est ainsi que commencent les messages de con-

    doléances que nous recevons ou envoyons. Face à la douleur de la mort d’un bébé, d’un décès par accident, ou de tant d’autres malheurs, même prévisibles, il semble que nous ne trouvions pas les mots. Il n’est pas facile d’exprimer ce que l’on ressent lorsqu’on apprend qu’un ami est atteint d’un cancer. Ou quand un accident stupide laisse un jeune voisin mutilé, ou encore, lorsqu’une connaissance a été victime d’un attentat… Une nécessité impérieuse nous pousse à manifester notre peine si difficile à formuler, alors qu’elle se mêle à nos émotions et à nos sentiments de rage et d’impuissance.

    « Donnez la parole à la douleur : le chagrin qui ne parle pas murmure au cœur gonflé l’injonction de se briser. » (Shakespeare, Macbeth.)

    S’il n’est pas facile de l’assumer, il est encore plus difficile de taire la douleur. On dirait que nous avons une nécessité absolue de l’exprimer, bien que nous n’arrivions pas à le faire. Dès sa naissance, le bébé manifeste par des cris et des pleurs la peur de la rupture ou son inconfort. Celui qui souffre, peu importe son âge ou sa situation culturelle, tend à le dire, à se plaindre ou à pleurer sa douleur.

    Raconter ses peines ou les écrire pour se sentir écouté, parler de sa maladie ou d’une opération subie, fait partie d’une véritable thérapie. Qui n’a jamais remarqué les expressions de satisfaction ou de soulagement que reflètent certaines dames âgées en racontant aux autres leurs opérations chirurgicales, leurs accouchements ou leurs maladies ?

    Pourtant, beaucoup d’entre nous sommes bloqués dans l’incapacité à évacuer la douleur. On ne nous a pas expliqué à temps que les simples larmes sont un soulagement inégalable. Nous sommes donc nombreux à traverser la vie sans oser ne serait-ce que révéler nos peines à ceux qui peuvent les entendre. A cause de notre caractère, de notre éducation, nous pensons qu’exposer aux autres nos problèmes est une faiblesse. Ou, à cause de la nature de nos souffrances, nous avons honte de les révéler. Nous ignorons que partager ce que nous ressentons avec quelqu’un de confiance aide souvent à y voir plus clair et à nous décharger de l’angoisse. D’autant plus s’il s’agit de s’ouvrir à un professionnel, capable d’apporter des solutions à notre situation.

    Le simple fait d’être écoutés et de nous retrouver dans les récits de souffrances d’autres, comme cela se passe dans les groupes de soutien, nous aide à nous sentir moins isolés et à mieux comprendre notre situation. Lorsqu’on prend conscience que d’autres vivent un état similaire au nôtre, et luttent autant ou plus que nous, il nous apparaît plus facile de relativiser notre propre douleur et de la surmonter. En réalité,

    « les personnes qui ne parviennent pas à exprimer leur peine courent le risque d’être détruites par elle […]. Sans possibilité de communiquer avec les autres, il n’y a pas de changement possible. Rester muet, se fermer à toute relation, c’est la mort. » 2

    Dorothee Sölle, Suffering, Philadelphie : Fortress Press, 1975, p. 76.

    Oser pleurer

    Quand les émotions nous étreignent, parfois nous ne pouvons réprimer les larmes. Bien que la tradition nous rappelle souvent que les garçons ne pleurent pas tous les êtres humains, même les hommes, sentent à un moment donné l’impérieuse nécessité de pleurer.

    Dans certaines sociétés, les hommes qui ne parviennent à réprimer leurs larmes sont encore traités de faibles ou de fillettes. Mais les mentalités changent et aujourd’hui on voit de plus en plus d’hommes qui osent pleurer en public, chose impensable il y a quelques années à peine. En voici quelques exemples, vaillants et virils : des pompiers volontaires en Haïti sortant un enfant d’entre les décombres du tremblement de terre (2010) ; le footballeur Iker Casillas lorsqu’il gagna le Mondial en Afrique du Sud la même année ; ou le joueur de tennis Roger Federer lorsqu’il perdit l’Open d’Autralie en 2009. De douleur, de peine ou de joie, nous éprouvons tous parfois le besoin de pleurer. Certains se retiennent, d’autres n’y parviennent pas. Pleurer est naturel, et fait partie du langage corporel pour exprimer nos émotions extrêmes. Notre réaction face à la nécessité de pleurer est culturelle, et dépend en grande partie de notre éducation.

    Le langage de la douleur

    Le langage de la douleur est complexe et ambigu. Même quand tout nous pousse à nous plaindre, le paradoxe est que, à l’heure d’expliquer la souffrance, peu d’entre nous savent le faire, même ceux qui souffrent le plus. La réaction face à la douleur est en grande partie apprise. Elle dépend de notre contexte personnel et de notre culture. Ainsi le grand Rafael Nadal, après une partie de tennis épique contre le non moins connu Novak Djokovic, déclarait avoir « savouré sa souffrance. » 3

    En J. J. Mateo, « Tes doigts saignent mais tu savoures ta douleur », dans El País, 30.1.12, p. 43.

    Pendant des millénaires, le langage de la douleur a été empreint de connotations religieuses et philosophiques. Mais à partir de l’essor de la médecine scientifique, notre société occidentale en parle en termes plus techniques. Face à la maladie, la douleur et la mort, un nombre croissant de nos contemporains, n’ayant plus recours à la spiritualité, se dirigent exclusivement vers la science et les services sociaux, auxquels ils accordent la foi qui leur reste. À l’aide spirituelle éventuelle apportée par la méditation ou la prière, ils préfèrent les solutions techniques immédiates. De sorte que la gestion de ces réalités si personnelles est passée du domaine existentiel à celui de l’assistanat, comme si elles incombaient premièrement à la sécurité sociale.

    En d’autres époques ou latitudes, tout le monde côtoyait des personnes âgées, malades ou moribondes. Dans notre entourage, l’attention à celui qui souffre s’est à ce point socialisée et médicalisée que la plupart de nos concitoyens n’ont quasiment plus de contact avec la fin de la vie, à moins que celle-ci ne les affecte directement. Les hôpitaux et les funérariums maintiennent les malades et les morts éloignés des personnes saines et vivantes. Une des conséquences immédiates est qu’aujourd’hui peu de nos contemporains sont préparés à une rencontre personnelle avec la souffrance, et de moins en moins de personnes possèdent le langage adéquat pour exprimer leur douleur ou pour communiquer avec ceux qui souffrent. Nous ne savons que dire en situation douloureuse, pour la simple raison que personne ne nous y a confrontés, et que la tradition familiale ne nous a pas éduqués à agir dans ces cas.

    La terminologie médicale elle-même ne parvient pas à exprimer comme il le faudrait les différents types ou niveaux de la douleur. Nous ne savons comment décrire notre propre souffrance, et quand nous essayons, nous découvrons que souvent nous ne pouvons aller au-delà d’une conversation superficielle, car nous ignorons le langage approprié. Presque personne ne parle de ces choses dans une société qui maintient l’illusion qu’elle a le droit à ce que tout dérangement lui soit évité. Ceci augmente le sentiment de ceux qui

    souffrent d’être incompris, y compris par ceux auxquels ils se confient. Lors d’une visite chez le médecin, le malade est confronté à une terminologie scientifique qui laisse le patient insatisfait parce qu’il ne la comprend pas. Mais elle protège le professionnel des questions gênantes du malade et de sa famille, au cas où ils aborderaient des domaines trop intimes, existentiels ou spirituels.

    On arrive à une situation paradoxale : Alors que la confiance en la science augmente, la peur face aux effets de la maladie et au pouvoir des professionnels du monde médical grandit aussi. De telle façon que, non seulement nos maux nous enferment dans un sentiment d’impuissance, mais qu’ils nous laissent aussi souvent sans mots ! Et ce silence ajoute à notre affliction le poids de la solitude.

    Le droit d’être heureux

    La situation se complique en notre société parce que celle-ci nous a persuadés de notre droit au bonheur. Bien que personne ne nous garantisse ce droit, beaucoup de médias nous bombardent de publicités selon lesquelles celui-ci est à la portée de main, immédiatement, et en un minimum d’efforts. Mais avoir le droit de chercher le bonheur est une chose, prétendre l’atteindre, par le simple achat d’une voiture, d’une maison ou en contractant une police d’assurance, en est une autre. La réalité ne se calque pas toujours sur nos désirs. Et faire dépendre notre bonheur des choses que nous possédons ou des personnes qui nous entourent est une triste chimère. Les unes et les autres peuvent influer sur nos états d’âme, mais le bonheur a ses racines dans notre être intérieur.

    Ceci explique que, tout en prévenant beaucoup d’afflictions, nous continuions à nous sentir malheureux. Car ne pas souffrir ne signifie pas être heureux. Nos inévitables désaccords avec la réalité empoisonnent notre existence, dévastant les petites parcelles de bonheur

    – passagères et éphémères – qui sont pourtant à notre portée. Très

    souvent les faits ne sont pas responsables de notre mal-être, mais plutôt l’interprétation et l’attitude que nous adoptons face à eux. 4

    Pour éviter beaucoup de malheurs nous devrions apprendre à accepter les choses comme elles arrivent, et les autres comme ils sont. 5 Accepter ne signifie pas se résigner devant la réalité, mais la reconnaître telle qu’elle se présente, et réagir de manière intelligente et positive. Vivre n’est pas une tâche facile. Alors, au lieu de craindre que notre bonheur cesse, il vaut mieux craindre qu’il ne commence jamais. Quelqu’un a dit, avec une pointe d’humour, que regarder le monde du bon côté de la vie ne gâche pas la vue. Pour cela, face à la douleur du monde, la meilleure option est de rester positif, de tenter d’aider et de sourire, même – si possible – lorsque nous sommes blessés. Parce que chaque minute perdue dans des pensées négatives est une minute de vie non récupérable.

    Une souffrance créatrice ?

    Cela ne signifie pas que le malheur soit bon en soi. Cela signifie que nous pouvons y faire face de manière plus positive et plus intelligente. Stefan Zweig fut sans doute trop catégorique en affirmant que nous devons tout à la douleur : « Toute science provient de la douleur. La souffrance cherche sans cesse les causes de chaque chose, tandis que le bien-être induit la passivité... » 6 Sans en arriver à de telles conclusions, il faut reconnaître qu’une partie essentielle de la littérature universelle surgit du besoin de dire le drame humain ou de le surmonter. Le Dialogue d’un désespéré avec son âme (ou son bâ) disait déjà : « À qui puis-je me confier aujourd’hui ? L’angoisse m’étouffe. Pas même le silence ne veut m’écouter. Mon seul confident est peut-être la mort… » 7

    Jacques Poujol, La colère et le pardon, Mazerolles : Empreinte , 2009.

    Eduard Punset, Le chemin du bonheur : les nouvelles clés scientifiques, 2005.

    Stefan Zweig est un écrivain autrichien qui vécut entre 1881 y 1942.

    Égypte, 2000 av. J.-C.

    Les plus beaux poèmes sont souvent les plus désespérés. La force de la tragédie grecque réside précisément en ce qu’elle donne expression au drame qui se libère en chaque être humain confronté à un destin mortel inévitable, face auquel il se rebelle et duquel il se sent à la fois victime et coupable. Dans leurs conflits, déchirures et angoisses, l’amour et la souffrance s’entrecroisent à la fois en tant que cause et effet. De grandes œuvres littéraires expriment la lutte de l’- homme contre l’adversité, et ses incessants efforts pour dire sa douleur, comprendre son sens ou la surmonter.

    La littérature biblique, profondément enracinée dans notre culture, apporte sans cesse réconfort face à l’affliction parce qu’elle contient certains des plus vigoureux témoins face à la douleur. Comme le disait Pascal : « Salomon et Job ont le mieux connu la misère de l’- homme, et en ont le mieux parlé, l’un le plus heureux des hommes, et l’autre le plus malheureux ; l’un connaissant la vanité des plaisirs par expérience (voir l’Ecclésiaste), l’autre la réalité des maux. » 8 Le livre des Psaumes contient cent cinquante prières, les unes d’orientation et les autres, aussi nombreuses, de désorientation 9, c’est-àdire de plaintes, de lamentations et de protestations sur les injustices de la vie. Méditer ou prier avec ces Psaumes nous fait du bien, parce que cela aide à verbaliser ce qui nous touche, à partir de l’expérience de ceux qui se sentirent écoutés et compris dans leurs peines.

    En réalité, dans le monde de l’art, les créations franchement heureuses sont peu nombreuses. L’art comique et l’humour cachent, souvent, des grimaces de douleur. On dit que les grands artistes sont des êtres maudits par la souffrance et de quelqu’un qui n’a jamais souffert qu’il n’a rien à dire.

    De fait, beaucoup d’artistes se sont fait porte-parole de la souffrance, lui donnant une fonction de catalyseur dans leur création artistique. Certaines des œuvres les plus sublimes s’en inspirent. La

    Pascal, Pensamientos, (Cf. Pensées de Pascal sur la religion et sur quelques autres sujets, § XXVIII).

    W. Brueggerman, The Message of the Psalms, Minneapolis : Augsburg Fortress, 1984, p. 51-52. Cf. Alfred Kuen, Ces mystérieux psaumes imprécatoires, dans Encyclopédie des difficultés bibliques, Vol. III : Livres poétiques, Emmaüs, 2009, p. 259-265.

    sensibilité – qualité fondamentale de l’artiste – soit le fait souffrir plus que les autres, soit lui donne la capacité d’exprimer sa douleur avec plus d’émotion.

    Bien que cela puisse paraître exagéré, il est vrai que si nous prenons la liste des plus grands artistes de l’histoire, et que nous la parcourons presque au hasard, en commençant par les musiciens, cette thèse semble se confirmer. Jean Sébastien Bach fut orphelin à 10 ans. Mozart mourut de maladie et de misère à 35 ans. Beethoven, petit-fils d’une folle, fils d’un alcoolique et d’une domestique, écrivit cependant la sublime Pastorale. Debussy, aux goûts si raffinés, grandit dans un des quartiers les plus misérables, sous les coups de fouet d’une mère qui le frappait sans pitié.

    Edgar Poe, qui perdit sa mère à l’âge de 3 ans, écrivit: « Personne m’a aimé sans que la mort ne mélange son haleine avec celle de la beauté. » Rainer Maria Rilke, dans ses Lettres à un jeune poète (écrites quand il avait à peine 27 ans et son destinataire 20), écrit que

    « le créateur doit être tout un univers pour lui-même, tout trouver en lui-même. […] Je l’apprends tous les jours au prix de souffrances que je bénis. […]. Plus nous sommes silencieux, patients et recueillis dans nos tristesses, plus l’inconnu pénètre efficacement en nous […]. Pourquoi voulez-vous exclure de votre vie souffrances, inquiétudes, pesantes mélancolies, dont vous ignorez l’œuvre en vous ? » Plus tard il ajoutera que « chacun a droit à sa mort », affirmation qui est presque prophétique pour quelqu’un qui mourut prématurément suite à la piqûre d’une épine de rose… 10

    Vincent Van Gogh, le peintre maudit, de sensibilité maladive, luttant désespérément contre la démence, finit par perdre la raison. Après avoir peint sans aucun succès ou reconnaissance, jour et nuit, jusqu’à un tableau par jour, il connut l’automutilation, l’internement définitif et finalement le suicide, à 37 ans. Il n’avait pas vendu une seule toile de toute sa vie. En 1888, deux années avant sa mort, il écrivait depuis Arles à son frère Théo, qui l’encourageait à continuer à peindre : « Je

    Cité par Reine Caulet, « Je crée donc je souffre », dossier Douleur, p. 35-36.

    me sens trop faible pour lutter contre les circonstances. Il faudrait être plus compétent, plus riche et plus jeune pour triompher. Malheureusement pour moi, la gloire ne m’intéresse plus et dans la peinture je cherche seulement la force de survivre... » 11

    Edvard Munch, le grand peintre norvégien de l’angoisse, écrivit ce qui suit : « Maladie, Folie et Mort sont les anges qui ont plané au-dessus de mon berceau et m’ont accompagné tout au long de ma vie. Et je sus très tôt que ma vie ne serait rien de plus que souffrance et tourments […]. Mon père nous punissait souvent avec une violence démente […]. Depuis l’enfance, j’ai vécu comme les injustices les plus torturantes l’absence de ma mère, ma mauvaise santé et la menace constante des punitions de l’enfer. » 12

    Nijinski, le grand génie de la danse, afin de pouvoir étudier et aller de l’avant se vit forcé de succomber, à l’âge de 16 ans, aux exigences sexuelles du grand Diaghilev, directeur des fameux ballets russes. Toute sa courte vie, qui finit dans la démence, il se vit accablé par la peur de la misère. A la fin de sa vie il écrivit dans son Journal : « Je vis, donc je souffre. Mais sur mon visage on vit rarement des larmes : mon âme a dû toutes les engloutir. »

    L’angoisse et l’inquiétude peuvent, en effet, favoriser la création parce que les artistes, étant plus sensibles que le commun des mortels, subliment la douleur dans leurs œuvres. À l’instar d’une thérapie, leur art les aide à surmonter les circonstances les plus adverses. Une personnalité créative trouve de nouveaux moyens d’expression même dans la douleur. D’autre part, les artistes souffrent souvent du décalage entre la réalité imparfaite dans laquelle ils vivent et la création merveilleuse qu’ils désirent produire. En créant, ils construisent des ponts entre ces deux mondes. Face aux horreurs de la douleur, et par leur admirable détermination à ne pas se laisser détruire par elle, il n’est pas étrange que les artistes ressentent la né-

    Ibid. Cf. Georges Charensol, Correspondence générale de Vincent van Gogh, Gallimard-Grasset, 1960.

    Reine Caulet, op. cit., p. 35.

    cessité impérieuse de créer de la beauté. Mais il n’y aucun doute quant au fait que leurs chef-d’œuvres proviennent davantage de leur talent et de leur génie que de leurs malheurs.

    3

    Attention aux signaux d’alarme

    « L’art de la vie est l’art d’éviter la douleur. »

    S

    THOMAS JEFFERSON

    elon William James, la plus grande découverte de notre époque est que nous, êtres humains, pouvons décider de modifier de nombreux aspects de notre vie en changeant seulement nos attitudes mentales. 1 Shakespeare disait déjà poétiquement que « nous sommes faits de la même matière que nos rêves » 2. Ou, comme l’affirmait de façon plus directe Ramón y Cajal : « Tout être humain, s’il se le propose, peut être le sculpteur

    William James, Principes de psychologie, 1890, p. 37.

    Phrase que William Shakespeare met dans la bouche de Prospère dans La tempête. Dans la même lignée, Ellen G. White affirmait : « La vie est ce que nous en faisons, et nous y trouverons ce que nous y cherchons. Si nous cultivons la tristesse et l’inquiétude, si notre esprit a tendance à grossir les moindres difficultés, nous en rencontrerons suffisamment sur notre chemin pour y penser et en parler […]. Mais si nous regardons le beau côté des choses, nous découvrirons de quoi nous rendre gais et heureux. Si nous distribuons des sourires, ils nous seront rendus ; si nous prononçons des paroles affables et gaies, nous serons payés de retour. » (Le foyer chrétien, Dammarie-les-Lys : Éditions Vie & Santé, p. 664.)

    http://www.truthfortheendtime.com/Mp3_Books/French/LeFoyerChretien/LeFoyerChretien.pdf

    de son propre cerveau » 3 . Jusqu’à présent, les artistes et les savants l’ont dit : maintenant la science le soutient aussi.

    Aujourd’hui, nous savons que la confiance en soi et l’enthousiasme favorisent le développement des fonctions supérieures du cerveau. Quand notre cerveau donne un sens à quelque chose, nous le vivons comme si c’était la réalité même. 4 Cela implique, selon les experts, que « les processus de guérison dépendent en grande partie de ce qui se passe dans l’esprit du patient. Le défi de la médecine est de trouver la manière d’activer les étonnants pouvoirs de récupération que possède l’organisme. » 5

    La douleur a des alliés

    Ce qui dépend de notre esprit c’est l’aspect de la douleur le plus difficile à contrôler. 6 Alors qu’il entreprend une course avec ses amis, un petit garçon tombe et se blesse le genou. Mais l’excitation d’arriver le premier le pousse à continuer à courir sans y prêter attention. La course terminée, la douleur de son genou récupère son attention. À la vue du sang, il prend conscience de ce qui s’est passé, il prend peur et se met à pleurer en courant vers sa mère. Celle-ci l’embrasse, le rassure, nettoie la blessure et lui met un sparadrap. Vite, l’enfant retourne à ses jeux et oublie l’incident. Il y a des hommes qui accomplissent de durs métiers (bouchers en abattoirs par

    Santiago Ramón y Cajal fut prix Nobel de Médecine en 1906.

    Selon le docteur Mario Alonso Puig on a démontré qu’une minute de pensée négative laisse le système immunitaire en une situation délicate durant six heures. La zone préfrontale du cerveau, où se trouve la pensée plus avancée, où nous élaborons des alternatives et des stratégies pour résoudre des problèmes et prendre des décisions, est profondément influencée par le système limbique, qui est notre cerveau émotionnel. C’est pourquoi, ce que le cœur veut sentir, l’esprit finit par le constater. (Voir Se réinventer, notre dernière chance. Comment stimuler le pouvoir de la pensée. Éditions du Châtelet, 2011).

    Dr. Paul Brand y Philip Yancey, Pain: The Gift Nobody Wants, New York : Harper Collins, 1993, p. 61.

    Johann Wolfgang von Goethe affirmait avec raison que « agir est difficile et penser est difficile. Mais agir selon ce qu’on pense est encore plus difficile. »

    exemple) ou qui pratiquent des sports violents (rugby, boxe, etc.) qui requièrent beaucoup de force et de d’endurance face aux coups, mais qui sont incapables d’assister à l’accouchement de leurs propres enfants, ou qui prennent peur à l’hôpital à la vue de l’aiguille d’une seringue. 7

    Certains facteurs augmentent la perception de la douleur et d’autres l’atténuent. Mais nous les ignorons en grande partie. Le psychanalyste Carl Jung disait que nous avons tous une partie ignorée de notre réalité personnelle à laquelle nous ne pouvons nous confronter ouvertement et que nous ne pouvons changer. Il s’agit de notre inconscient, qu’il appelait simplement notre « zone d’ombres ». Ces ombres nous ne pouvons les fuir ou les faire disparaître. Elles font partie de notre vie. 8 Il est important d’écouter ce qu’elles ont à nous dire. Mais écouter la douleur ne signifie par se laisser accaparer par elle. Parce qu’il y a des degrés d’attention qui bloquent certaines situations.

    La peur

    La peur est sans aucun doute notre pire alliée face à la douleur. La souffrance s’accroît toujours par le spectre de la peur. Nous avons tous plus ou moins peur de souffrir. Mais souvent notre propre peur aggrave la douleur et l’intensifie, la transformant en une obsession aussi destructrice, voire même plus, que la cause initiale de notre mal. La peur comporte un stress additionnel qui peut paralyser la vie ou la rendre insupportable quand elle enferme le souffrant dans une prison de panique. Pour ceux qui vivent sous la menace constante d’une épée de Damoclès, il est très difficile de ne pas passer son temps à s’ausculter. 9 Mais au lieu de résoudre leurs problèmes,

    Cela s’appelle l’ « effet Anzio ». (Durant la seconde guerre mondiale, le chercheur Henri Beecher remarqua que les soldats nord-américains blessés durant la bataille d’Anzio réclamaient beaucoup moins de morphine que les civils qui souffraient de lésions similaires : pour les civils, les blessures étaient une cause d’anxiété, alors que pour les soldats elles signifiaient un retour à la maison. ndlt). Voir Philip Yancey, When We Hurt. Prayer, Preparation and Hope for Life’s Pains, Grand Rapids : Zondervan, 2006, p. 33.

    Daniel Gottlieb, Lettres à mon petit-fils Sam, Paris : Gutenberg, 2008

    Bruno Chenu, Dieu et l’homme souffrant, Paris : Bayard, 2004, p. 47.

    cette attitude les empire. La douleur peut être inévitable, mais notre sentiment de misère est, dans une certaine mesure, optionnel. 10 De là l’intérêt d’apprendre à affronter les problèmes avec réalisme et d’assumer le contrôle de nos réactions émotionnelles.

    Beaucoup de personnes parviennent à dominer la peur en mettant leur confiance dans une forme d’aide extérieure, qu’elle soit professionnelle ou spirituelle. 11 Mais, comment surmonter la peur quand on compte sur l’aide de personne ?

    La solitude et le désespoir

    La souffrance est une sensation si personnelle qu’elle s’accompagne très souvent d’un fort sentiment de solitude. Et l’état des malades chroniques est aggravé par le sentiment de n’être ni compris ni plaint à une juste mesure. Si, à partir de là, ceux-ci se mettent à penser qu’ils sont un fardeau pour leur entourage, ils augmentent encore leur mal-être.

    Il existe beaucoup de formes de douleur que nous ne pouvons combattre seuls. Dans d’innombrables cas, le recours à un professionnel de la santé s’impose. Mais la famille, les amis ou la communauté religieuse peuvent aussi aider efficacement à soulager la douleur. La solitude est un des aspects de la souffrance le plus difficile à vivre. Si, par contre cette solitude est comblée par des visites amicales, par des messages de soutien (téléphone, SMS, courriel), les peines que nous aurons partagées s’allègent. Sinon, la plupart du temps, elles s’aggravent. Dans ce cas, ce dont nous avons le plus besoin, ce n’est pas que quelqu’un nous explique le pourquoi de notre souffrance mais qu’il nous offre sa présence et sa sympathie. L’ac-

    « Même au travers des épreuves de la vie, nous pouvons choisir la joie. » (Tim Hansel, You Gotta Keep Dancing [Il faut continuer à danser], Elgin [Illinois, États-Unis], David C. Cook, 1998, p. 83 ; Cf. Barbara Johnson, Pain is Inevitable but Misery is Optional, so Stick a Geranium in your Hat and Be Happy, Thomas Nelson, 2004, p. 107.)

    La Bible contient de nombreuses paroles d’encouragement face à la peur, comme par exemple :

    « Fortifie-toi et prends courage ! Car l’Éternel, ton Dieu, est avec toi dans tout ce que tu entreprendras. » (Josué 1 :9 ; cf. Psaume 27 :1 ; Matthieu 9 :22 ; Marc 6 :50 etc.)

    compagnement nécessite parfois une formation professionnelle mais elle n’est pas toujours indispensable. Ce qui compte surtout, c’est la sensibilité. S’asseoir à côté de celui qui souffre et l’écouter en silence peut suffire. 12

    La frustration et le découragement

    Une grande partie de notre souffrance provient de la simple constatation que notre réalité ne répond pas à nos désirs. Un jour, nous prenons conscience que nous n’aurons plus jamais ce que nous avions par le passé, ou que nous sommes passés à côté de la vie dont nous avions rêvé. Enfermés dans ces regrets, nous prétéritons notre présent, incapables d’assumer notre réalité telle qu’elle est. Les blessures de l’âme cicatrisent mal. Seul celui qui les a ressenties peut savoir combien un amour frustré, un emploi perdu, un mariage anéanti, ou une amitié qui se termine en trahison fait souffrir. Seul le temps qui passe peut atténuer la souffrance, sauf si les conséquences sont irrémédiables. Dans ce cas, le temps peut encore aggraver la douleur devenue chronique par la détérioration ou le vieillissement. Comme l’écrivait le poète 13 :

    « La plus grande douleur au monde n’est pas celle qui tue d’un coup mais celle qui, goutte à goutte, perce l’âme et la brise. »

    Or, dans toutes les épreuves nous pouvons apprendre quelque chose. L’expérience nous enseigne à être plus sages, plus prudents, à mieux nous protéger. Nous comprenons qu’il ne s’agit pas, non plus, de lever des barrières de protection si hautes qu’elles finissent par nous isoler de la réalité. Car, si après une déception amoureuse nous renonçons à aimer, nous risquons de nous dessécher ou de tomber dans le ressentiment et la haine. La déception, si elle ne se guérit pas, dégénère en amertume, et l’amertume en cynisme.

    Simone Weil disait que « la compassion est la présence divine ici-bas ».

    Francisco Villaespesa, écrivain espagnol (Laura de Andarax, 1877 – Madrid, 1936).

    Quand après un naufrage nous touchons le fond, ce n’est qu’en tentant de nager à nouveau que nous pourrons revenir à flot.

    Commettre des erreurs est propre à l’être humain. Mais un des apprentissages les plus importants de la vie est de tirer des leçons positives de nos erreurs et de tourner la page. Si nous nous complaisons dans notre situation de victimes, si nous nous obstinons à rejeter la faute sur les évènements, si nous nous complaisons à nous plaindre et à provoquer la pitié des autres, nous pourrons difficilement reprendre les rênes de notre existence. La rancune et la frustration ne font qu’exacerber la souffrance. La guérison des mauvais souvenirs ne s’obtient pas en luttant contre eux mais en cultivant les bons.

    L’ombre du passé

    Une des plus grandes sources de tristesse peut être l’ombre du passé. Nous ne pouvons oublier par la volonté, juste en le désirant, au contraire, plus nous nous efforçons de ne pas nous souvenir de certains problèmes, plus nous les gardons présents. La mémoire est capricieuse et sélective. Elle oublie de nombreux biens savourés, mais elle se souvient des gifles, déroutes, déceptions, déshonneurs et trahisons… Quelqu’un a dit que « la mémoire est un monstre : vous oubliez, elle non. Elle se contente de tout enregistrer à jamais. Elle garde tous les souvenirs à votre disposition ou vous dissimule pour vous les soumettre à sa demande. Vous croyez posséder une mémoire, mais c’est elle qui vous possède. » 14 Si nous ne faisons pas attention, la mémoire est capable de nous porter au cimetière des déceptions, de nous enterrer dans le passé, et de nous détruire en nous rappelant nos rêves morts.

    Rien ne produit plus de désarroi, semble-t-il, que le souvenir du bonheur perdu. Quand nous avons été heureux, le poignard de la tristesse s’enfonce avec plus de rage que si nous n’avions jamais connu le bonheur. La belle habituée à la célébrité accepte mal les

    John Irving, Une prière pour Owen, Paris : Seuil, 1989, p. 50.

    cheveux blancs, le surpoids, les rides ou la peau flasque. L’athlète qui fut admiré pour son physique souffre plus de la détérioration que le passant lambda. Les grands amoureux désespèrent après l’abandon. Ceux qui ont possédé des richesses et les ont perdues semblent beaucoup plus malheureux que ceux qui ont

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