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L’ébène crucifiée ou les pleurs aux larmes noires
L’ébène crucifiée ou les pleurs aux larmes noires
L’ébène crucifiée ou les pleurs aux larmes noires
Livre électronique843 pages13 heures

L’ébène crucifiée ou les pleurs aux larmes noires

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À propos de ce livre électronique

Après une longue traversée très souvent dans la légalité, certaines fois dans la clandestinité, le personnage principal dans cet ouvrage commence une nouvelle vie bien trépidante en tant que demandeur d’asile, simple étudiant ou parfois, si c’est une fille, épouse subordonnée dont le mari s’empare du passeport pour toujours faire pression et chantage. Par L’ébène crucifiée ou les pleurs aux larmes noires, on rentre dans une Afrique déflorée par l’esclavagisme, puis le colonialisme, suivi du néocolonialisme malgré ses dieux, ses demi-dieux et ses totems. Rapidement, on se rend compte que le sujet abordé dans cet essai est millénaire. Empreinte de charisme, la matière évoquée avec verve est de nature à faire verser les larmes. Ce récit haut en couleur nous conduit de la savane africaine au continent européen, brillant avec ses arrière-pensées, ses étiquettes et sa stigmatisation.


À PROPOS DE L'AUTEUR

Après son diplôme des Humanités grec Latin-Math à Kisangani, au Congo, Delphin Albath-Sadiki s’embarque en Belgique pour la faculté de Médecine qu’il termine finalement à l’Université d’Athènes. Plus tard, après plusieurs spécialités médicales à Paris, c’est en France qu’il exerce avec brio toute sa carrière de médecin. Passionné de littérature depuis le collège, il refait officiellement ses preuves dans le milieu littéraire. L’ébène crucifiée ou les pleurs aux larmes noires est son neuvième ouvrage.

LangueFrançais
Date de sortie17 mai 2023
ISBN9791037788856
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    Aperçu du livre

    L’ébène crucifiée ou les pleurs aux larmes noires - Delphin Albath-Sadiki

    Témoignage d’une fille fière à son père

    À l’enfant du pays

    Karomo, radieuse et merveilleuse citadelle de mes aïeux

    Et toi, Kasongo, ma rutilante cité aux manguiers millénaires,

    Avec faste ce jour honorons l’un de vos bien aimés enfants.

    Il s’en est un jour là-bas allé, très loin de ses chers parents,

    Là, au bout de l’austère septentrion y fonder son petit foyer,

    Laissant en peine un père et une mère larmoyants et éplorés,

    Car tel était son destin d’enfant béni et tel était le prix à payer.

    Bien que son enfance fût prédestinée aux sourates coraniques,

    Faisant fi de tout, son clairvoyant pater, fusil en bandoulière,

    Le front dégoulinant de sueur, l’incita aux études classiques.

    Ses premiers pas à l’école furent guidés par les Pères blancs,

    Et ceux-ci vite firent de lui l’élève le plus zélé et le plus brillant.

    Le voilà aux Maths, aux sciences et lettres, au grec et au latin, Comme Romulus de la louve avec acharnement boulimique téter.

    Puis année après année, travaillant comme un valeureux paladin,

    À moindres frais il prit de la hauteur gagnant ainsi en prospérité.

    Ainsi moult labeurs après labeur, sous la houlette de persévérance,

    Tour à tour et à l’envi il était devenu journaliste, médecin et écrivain.

    Généreux de l’âme, il se vêtit du don de partage et d’une abnégation

    Se répercutant au-delà de toutes frontières, car tel était son crédo.

    Jamais pour autant, il n’oublia son Mwinga, sa bien-aimée contrée !

    Car dans ses pensées, il en gardait des souvenirs en lui enracinés,

    Vénérés souvenirs dont il n’a cessé de relater l’énorme magnificence ;

    Ainsi des réminiscences tenaces et précieuses réconfortèrent l’esprit

    Et à la fois le généreux cœur de cet enfant singulier, à mille lieux, parti.

    Ô toi, mirifique citadelle de Karomo et toi, magique cité de Kasongo,

    Ne l’oubliez pas, désormais nous, vos enfants et vos petits-enfants,

    Nous vous serons toujours reconnaissants de vos grandes largesses :

    Vous nous avez donné un père et un grand-père de grande sagesse.

    Entendez ces bravos et ces stridents youyous se répercuter en nous,

    Et fortement le tam-tam sonner, et à son honneur plier nos genoux ?

    Tous debout, nos mains chaudement applaudissent à tout rompre,

    Alors que nos pieds trépignants battent le sol avec bruit fracassant.

    Tous debout alors, frères et sœurs, dans une ambiance bien joyeuse,

    Que nos acclamations fournies et emphatiques lui soient dédiées.

    Que montent nos échos tout là-haut vers la voûte éthérée,

    Qu’ils crépitent tels des feux follets aux multiples couleurs !

    Qu’ils traversent les distances infinies telles des pluies d’or,

    Et en fin de leur course déchaînée et toute brûlante encore,

    Qu’ils se posent se transformant en de milliers d’offrandes

    Sous l’ombre des acacias de la vaste et majestueuse savane

    De cette terre ancestrale en généreuse surprenant scène !

    Enfin vous, Maya Angelou, Aimé Césaire, Léopold Sédar Senghor

    Et vous aussi, Montesquieu, baron de la Brède et vous autres poètes,

    Du haut de votre céleste Olympe des Empyrées, nous vous en prions, Epurez ces rimes démises qui peut-être feront à la vénusté affront.

    Qu’oxymore, chiasme, allitération, métaphore et toutes règles poétiques,

    En nous, se bousculent dans une tourbillonnante farandole mythique.

    Voilà, cher Papa, ce livre très spécial où tu nous fais honneur, dressant Avec beaux égards nos regards filiaux ainsi que nos cœurs d’enfants :

    Qu’avec ta plume au son du tam-tam les griots, de leur voix, t’acclament

    Pour toutes les épreuves de la vie qu’avec brio tu as surmontées.

    Pour nous tous, quel exemple frappant et quelle inspiration soudaine !

    Quelle fabuleuse et formidable Odyssée ta vie durant tu as ainsi traversée !

    Il y eut des sirènes et des ondines indolentes, nous le savons très bien :

    Par ailleurs t’ont à jamais marqué guerres, rébellions et désespoirs,

    Mais que de péripéties imprévues sur les pas de ta vie, rencontrées !

    De toutes ces blessures si honorables, certes selon toi cicatrisées

    Et changées en résistance et ténacité : c’est de là que tu les as puisées.

    Malgré le froid rigoureux régnant en Belgique, en Grèce et en France, Indompté, tu t’es battu pour gagner de ta sueur la pâture de ta famille.

    Par donc des ricochets innocents, ce sacrifice immense nous souligne

    Une persistance féroce, démesure et le goût d’aller au bout des choses.

    Alors papa, profitant de tes prolixes écrits, en langues que tu connais,

    Nous souhaitons du fond de nos cœurs à ce livre, une bonne étrenne :

    Ainsi donc crions-nous : « Mwaaka Mwaachi ! Siku yaku zaliwa njema !

    Botama Elamu ! Chronia Pola ! Happy Birthday aux nouvelles œuvres ! »

    Oh ! Travailleur choisi par nos aïeux et vaillant serviteur de File-Nyambé !

    Oh ! Toi, bon combattant qui ignores la fatigue, mais caresse la témérité,

    Et exécutes les travaux avec fermeté et efficacité, je ne te ménagerai pas

    Nos louanges et tant de bienfaits ! Que t’inonde la grâce de nos dieux.

    Joëlle, Yohali Albath-Sadiki

    10 janvier 2023

    Prélude

    Martyr, agonisant, il croit que la mort, c’est le sort le plus beau,

    Mais vous qui par votre glaive vous l’avez précipité au tombeau,

    Venez le voir de plus près, même dans ses affres, à sa race fidèle,

    Si vaillamment affronter cette mort que celle-ci lui semble si belle.

    Un obus, puis un colt lancé dans la fosse où vous l’avez, vivant, jeté,

    Du feu, du bruit, du fracas, une étincelle : il est le seul à être touché !

    Mais de ses chaînes, ainsi vous le libérez, deux éclats dans la tempe…

    Soupirs, sueurs masquent son visage en sang où déjà la mort rampe.

    Le sort en est jeté ! Votre conscience le cœur vous tord énormément,

    Mais, pour vous, c’est une banalité, vous lui riez au nez perfidement.

    Oubliez-vous qu’il faut la vigilance pour assurer la force de l’attaque ?

    Hourra ! Nos ancêtres veillent : la guerre totale désormais vous traque !

    Puis c’est ton corps qu’on dépose, inanimé à même le profond talus.

    C’est bien là que tu agonises à ton tour, une larme, un cri, un de plus !

    Ahuri, tu perds sûrement tout espoir : absente, ton atrocité à la bataille

    A vite chassé toute pitié, le cœur, l’humanité de toutes les entrailles.

    De toi, frise un vague râle, un regard hagard où des mots bredouillent,

    Puis seul un frisson obscur crispe et lourdement glace ton visage souillé,

    À la bouche éclatée, car déchirée en miettes, un peu de sang qui bave ;

    Pour toi aussi la vie est cramponnée au corps comme l’euglène à l’épave…

    Puis sur toi volète un vautour qui a vu tout à coup le cadavre, ton corps,

    Brusquement tel un fou bolide, il atterrit sur lui : voilà un régal, la mort !

    Ils étaient, par leur soif de domination, durs exécuteurs de l’ébène noire,

    Pleurants, eux, africains, amérindiens et aborigènes, les martyrs innocents :

    Ils sont morts assassinés des mains de ceux-là qui se croyaient dominants,

    Morte par la terreur, par l’iniquité, toute la terre, piétinant ainsi toute loi.

    Prologue

    Ce livre ouvre une porte d’où l’on peut voir de près comment mourait toute une race sans pour autant en comprendre la vraie raison. Et pourtant cette raison, depuis des millénaires, est évidente, car elle est bien pourtant connue et apparemment, longtemps occultée pour des raisons évidentes, elle a été depuis la genèse biblique bien largement codifiée. Elle embarque avec elle sa raison de tuer les noirs avec conscience tranquille : la haine, la concupiscence et la domination. Et la mémoire de l’humanité, devenue courte, a depuis longtemps, trop longtemps, joué un rôle néfaste et servi aux persécuteurs non seulement de paravent pour leur ignoble agissement et des prétextes pour s’acharner sur un peuple qu’on croyait faible, malléable, et ainsi le détruire, un peuple qui a connu, subi humiliation, indignité, esclavagisme, colonialisme et actuellement néo-colonialisme, un peuple qui a longtemps été, pour servir aveuglement les causes du dominant, volontairement acculturé, déshonoré par celui qui jouait à la fois au pompier et à l’incendiaire.

    Mais c’est aussi oublier que de pires siècles des souffrances infligées constituent plus tard une immunisation importante à ces souffrances et une grande expérience à la résistance. Ainsi donc nonobstant cet acharnement immonde, le peuple noir, au grand étonnement de tous, tient debout ; en effet, il y avait une autre raison, la vraie raison cette fois : la raison de sa résistance était précisément cet air étonné et débonnaire, cette infinie pureté de sa peau noir-ébène, toute cette innocence pudique, quand il voulait, faisant contraste avec l’abominable race qui l’excluait de l’humanité au fond avec de la perversité la plus monstrueuse, avouée, affichée, telle qu’il en pousse dans les termitières des savanes africaines. Il est prêt, quoi qu’il advienne, à s’affranchir de toutes ses chaînes et tant d’autres que peuvent inventer les persécuteurs blancs parce que l’honneur, la raison, la stricte justice, l’humanité même vociféraient d’une seule voix, pour que ce peuple courût aux bonnes armes, parce qu’aussi c’était vraisemblablement la dernière fois qu’il pourrait le faire ! Contre toute attente et contrairement aux apparences, c’est bien lui, et il ne peut y en avoir un autre, c’est bien lui le peuple élu de Dieu, en tout cas de File-Nyambé, le grand et glorieux Tout-Puissant Amon.

    Que de fois ne m’a-t-on demandé pourquoi le peuple noir est obligé à subir tout cela depuis que l’homme s’est rendu compte de la différence de la couleur de la peau d’une race à l’autre ? Pourquoi cet acharnement à défendre, corps et âme, toutes les injustices subies par les noirs ? Pourquoi c’est seulement la race noire à toujours se victimiser ou à toujours porter sur son épiderme noir toutes les injustices et les vilenies du monde ? Ma seule réponse est que je dois avoir une âme de paladin puisque j’aime combattre pour la délivrance des lieux sacrés occupés et désacralisés, des peuples opprimés sous les fallacieuses idées, des cultures bafouées au nom d’une culture universelle, celle amenée par l’Occident en même temps que la Bible. Dieu sait que dans la tête de l’occidental, pour dominer et abâtardir complètement le noir, elles foisonnent beaucoup, les idées fausses, les idées caricaturées, les idées toutes faites, les idées préméditées, les idées subliminales, tordues en avant-goût mielleux, mais pimentées, les idées d’un passé dont les noirs concernés par cette cabale savent peu de chose, mais qu’ils jugent néanmoins fort mal parce que fort injuste, au nom de ce Dieu qui n’est que caricature d’un juste Dieu, d’un Dieu tout différent d’un File-Nyambé se montrant affable, aimant et juste, d’un Dieu qui s’embarque dans les caprices d’un père ivrogne qui déshérite et condamne un petit fils innocent !

    Entendons-nous bien, je ne prétends pas dans ce livre que les mille ans que recouvre l’histoire du peuple juif, en fait, pleine de signification pour le peuple juif qui par ailleurs s’est déclaré unilatéralement peuple élu et, par ricochet, pour la religion chrétienne qui s’est mordicus contentée de faire du copier-coller de la religion juive, resteront molle comme un édredon. Cependant, ils me paraissent apparemment bons et suffisants à louer pour cette belle audace, cette outrecuidance d’obliger le monde entier à considérer son idéologie et son Dieu Yahvé comme les seuls valables. Mais on se demanderait par quelles astuces à la fois malicieuses et saintes, ce peuple a pu, des siècles durant, endormir les autres peuples de l’Europe se disant si civilisés et leur faire admettre que Dieu, sans qu’ils n’en soient au courant, a fait de lui un peuple élu sur lequel tout fondement de leur foi doit s’appuyer, les incorporant ainsi dans la lignée de Noé et d’Abraham ! Et il est dur de remonter à Dieu par le chemin dévié où chaque courbure, chaque croisement a été faussé par les pancartes fournies ou enjolivées par la Bible ou dans le cas échéant par la race s’octroyant la suprématie sur les autres quand ces organes venant d’orgues d’Ingres nous fixent unilatéralement dans le monde où nous sommes et tendent avec violence à nous faire croire à son exclusive réalité absolue voulue par lui et pour ses intérêts de domination, car selon ses manigances Dieu lui-même est à ses pieds. Mais c’est pourtant ignorer que l’absolu est une abstraction voilant tout simplement les yeux et non la raison, en effet l’abstraction demanderait et exigerait la présence d’une force qui est contraire à leur état d’hommes dégénérés.

    Cependant, je l’entends d’une autre oreille, en posant l’esprit combatif comme moyen, non seulement de faire face aux sources éventuelles du mal qui ne cessent d’envenimer la vie de la race noire sur terre, mais aussi de les éradiquer. Chaque peuple habitant cette Terre a droit de se faire de bons et valeureux ancêtres, des dieux et des héros éternels, des prophètes et des diables déchus et c’est un droit le plus légitime, le plus inaliénable. Chaque peuple, lorsqu’il n’a pas des origines fastidieuses et glorieuses, a le droit sacré d’embrasser les origines d’un autre peuple qu’il admire. Mais dès qu’un peuple outrepasse ce droit pour bannir le droit des autres peuples ou des autres races à faire valoir ce droit légitime, mais plutôt à les clouer aux piloris ou sur un crucifix, cela dépasse tout entendement. Un peuple, une race ne doivent pas créer des murs, des présomptions que tel peuple, telle race sont des sous-races qu’il faut exploiter ou avilir. Il est donc inadmissible que partant d’un fait banal et ridicule toute une race soit maudite comme il en est stipulé dans la sainte et sacrée Bible ! Par ailleurs, Dieu est un Dieu d’amour et d’équité, il ne peut choisir d’emblée un camp au détriment d’un autre. Il n’est nullement un dieu de la mythologie grecque ni romaine.

    Nous passons pour le moment outre les motifs qui ont poussé le peuple juif à s’acharner ainsi sur la postérité de Canaan. La haine simple ou l’esprit de vengeance pour un peuple qui se dit élu ? Nous le dirons plus tard en filigrane. Par contre, il est lieu de se demander quelques siècles plus tard : est-ce de mauvaise foi que certains illuminés du siècle dit des Lumières ont prétendu sciemment et consciencieusement sans preuve scientifique quelconque que la race noire, alors que le texte biblique ne fait aucunement mention de la couleur de la peau, est rattachée à la malédiction de Canaan, fils de Cham de triste mémoire ? Sans doute illuminés qu’ils étaient, ils manquaient une lanterne qui les éclaire, car nullement le peuple noir n’émane de ce Canaan tant évoqué par leurs verbiages flamboyants ou leurs carottages. Dans la Bible, on sait bien que c’est Canaan qui a été maudit trois fois, mais Cham, lui-même auteur du crime, n’a nullement été mentionné. Or les Noirs ne descendent pas de ce Canaan maudit, mais de Kush, un autre fils de Cham. Il est donc lieu d’évoquer ici un racisme avéré à l’encontre des noirs des biblistes juifs, puis de ces illuminés du siècle des Lumières sans lumières en eux. Partant de ce concept d’aliénation mentale discrètement évidente, quelques esprits malintentionnés se sont embarqués dans ce tortueux bateau pirate négrier pour casser du « noir », pour humilier toute une race, la faisant une sous-race humaine qu’il fallait rendre esclave et rester conscience tranquille. D’une manière générale, et cela est étonnant, on peut retenir que beaucoup de Pères de l’Église catholique romaine ont surtout vu dans ce passage scandaleux une annonce prophétique de l’entrée fracassante des Justes, c’est-à-dire les enfants de Japhet dans la communauté chrétienne issue des peuples sémites descendant de Sem. Quelques généalogistes zélés n’ayant aucune connaissance de l’histoire naturelle ont prétendu que les Noirs, race selon eux descendue de Cham, fils de Noé, reçurent pour caractère distinctif la noirceur de la peau, par suite de la malédiction dont leur ancêtre fut frappé par son père, et qui aurait eu pour résultat final la fameuse altération du teint de Cham et l’asservissement de sa postérité. Mais la tant acclamée malédiction de Noé contre son fils Cham se trouve rapportée dans le Pentateuque, et il n’y est fait aucune mention de la couleur noire ! Noé déclare uniquement que les descendants de Cham, particulièrement la branche cananéenne, seront esclaves des enfants de ses frères. L’opinion de ceux, bien sûr ignares des sciences, qui ont donné à Cham ce teint noir montre le peu d’attention qu’ils faisaient à la nature du chaud et du froid, et à l’influence que ces qualités exercent sur l’atmosphère et sur les animaux qui naissent dans ce milieu. Enfin, et toujours dans une pure approche littéraire erronée, le texte se réfère uniquement à une « malédiction de Canaan », malédiction qui, comme il est établi, ne couvre pas toute la descendance de Cham ; ainsi donc, les trois autres fils de Cham, c’est-à-dire Kush, Misraïm et Pout, ne font l’objet d’aucune malédiction de fait. Kush correspond, selon la même Bible, en principe aux Éthiopiens donc aux Africains de la région des grands lacs, Misraïm aux Égyptiens et Pout aux Somaliens. Si l’on se réfère à une interprétation judaïque judicieuse de la Table des peuples, la descendance de Canaan, objet de la malédiction dont il est question dans ce livre sacré va peupler le Pays de Canaan, qui correspond plus ou moins aujourd’hui aux territoires réunissant l’État d’Israël, la Palestine, l’ouest de la Jordanie, le Liban et l’ouest de la Syrie. Ainsi donc, qui s’y frotte s’y pique, car la vérité est têtue ! Voilà où mène de fausses interprétations, à l’arbitraire et à la loi de la jungle ! En fait, quelle humanité peut se prévaloir d’une couleur ? La couleur de la peau n’est qu’un accident ; cette couleur n’en est pas moins responsable d’événements et d’œuvres, d’institutions, de lois éthiques qui ont marqué de façon indélébile l’histoire de nos rapports avec l’homme blanc. Il est certain que l’esclavage n’a pas été et ne peut avoir été ressenti par les blancs et les peuples noirs de la même façon. Mais les uns comme les autres cependant en ont souffert cruellement. Sur les quelque deux cents millions d’hommes et de femmes jeunes arrachés à leur mère-patrie et à leur famille, beaucoup sont malheureusement morts avant d’avoir abordé sur l’autre rive de l’Atlantique. Mais comme on le sait, l’Occident s’est constitué, afin de berner complètement et totalement la race noire, une organisation pseudo-scientifique frauduleuse qui, à l’instar des médias à la mode, s’emploie à faire passer des contes de fées pour des faits, tout en dissimulant la vérité. L’Occident ne se gêne pas de mentir tout le temps, tout comme les autres médias d’information bidon qu’il déploie dans l’espace africain.

    Les chaînes et les clous de mon martyre

    Autour de ma naissance, ma culture

    Mais c’est bien un autre processus d’émotions qui m’étreint totalement et emprisonne tout mon moi, me faisant passer par toutes ces phases que j’ai dû connaître sur terre, de ma naissance à ma fin finale, puis à mon dernier Armageddon. Je me souviens, mon corps n’avait aucun vernis, aucune bague aux doigts ni bracelets ni montre autour de mes maigres poignets. Et puis je parlais comme d’un trou avec une douce petite voix que je n’entendais pas moi-même. Et pourtant par sa douceur dorée j’enjaillais le monde avec un regard capable de vous dépouiller de toute prétention. Mon corps, je me souviens bien, avait des yeux fins, de brun marron qui fascinaient tant le monde, et tant l’envoûtaient : j’étais comme un aimant qui tout attirait. Il y avait aussi l’ovale de mon visage d’ébène pâle d’un homme très vite devenu un homme mûr fatal qui toujours donnait, malgré les tares humaines dont j’étais chargé du pied à la tête, un sourire angélique. Je connais ce genre d’oiseau rare, qui adore être entouré de gens désemparés, mais je ne voyais aucune raison de me priver d’un petit et bon plaisir en plus. Comme l’ardeur du soleil m’incommodait, cet oiseau compatissant voltigeait au-dessus de ma tête et me faisait de l’ombre pour me protéger d’autres prédateurs éventuels. Mais soudainement je tressaillis d’une brusque sensation d’appréhension, de défiance mêlée à la peur, une peur panique que je pris pour un pressentiment : sûrement, l’oiseau s’était au loin envolé dans un ciel bleu… Vite, je frottai mes yeux et je vis… immobile, pâle, me regardant en même temps que souriant un de mes ancêtres, toujours le même, me semble-t-il, me regardait encore et encore : je le connus par son cœur qui battait au rythme du mien. Il m’expliqua en simples mots ce qui se passait :

    Mon esprit et mon corps, grâce aux deux grains, l’un venant de mon père, l’autre de ma mère, se sont connus un jour, puis au travers de mon âme se sont reconnus, mais quelque neuf mois dans le ventre de ma mère, obligés de végéter, ils se sont perdus, hélas, de vue pour encore, le jour de ma naissance, se retrouver : ils se sont mutuellement réchauffés, et l’un et l’autre réconfortés, ces heureuses retrouvailles nouvelles furent fêtées par tout mon clan et ce fut ma naissance. Puis brusquement au bout de quelques étés, quelques printemps plus tard, sous le poids de l’âge et bien sûr de l’usure du temps et de ma propre vermoulure, malheureusement ils vont encore et définitivement devoir se séparer : chacun, son chemin et son cœur déchiré, va, hélas, partir dans l’aventureux tourbillon houleux de la vie ou du néant. Mais le chemin pour en arriver là est encore long.

    Parfois closant mon cœur dans mon esprit, j’essaie vaille que vaille de me remémorer comment bel était pour moi ce moment tant attendu de ma naissance. Il paraît que le ciel tout ce temps était bleu azur et si plein de grâce, le village entier plein d’effervescence de l’événement qui allait arriver. La grande histoire de ma maman, comme celle de chaque future maman, commença petit à petit par plein de petites ennuyeuses sensations, entremêlées de mauvaises humeurs imprévues et de tant d’émotions ; elle sut alors qu’en elle grandissait quelque chose, moi son enfant. Voilà une belle nouvelle qui met toute la famille en fantastique émoi et en effervescence ! Accepter de devenir maman et papa, un miracle de la vie faite de lueur, accepter de donner la vie et de combler toutes ses envies avec douceur et joie, ce beau cadeau surprenant les invitant à un voyage au pays du Beau, un plein billet sans retour aux pays du grand et merveilleux bonheur, bonheur familial, bonheur parental, en fait le plus beau, le plus merveilleux des cadeaux ! Félicitations pour cette grossesse qui vous couvrira de douceur, recevait de partout comme un bel encouragement ma maman, pour une femme aussi comblée qu’elle, les neufs mois de grossesse sont un chemin inouï vers demain, un demain fait de tendresse peut-être aussi d’angoisse et de stress.

    Dans son beau corps, que de métamorphoses, tant de changements, qu’elle découvre à chaque respiration, à chaque clin d’œil, à chaque toussotement, à chaque instant, des nausées intempestives, des vomissements, des sauts d’envie bouleversants, des pleurs injustifiés, des douleurs se mêlant souvent aux éclats de rire ! C’était cela pour que ma maman devienne femme et une bonne mère africaine, la meilleure des mères, mais le chemin s’avérait très délicat, tout risqué et à la fois éprouvant, pour qu’elle devienne enfin une vraie maman, ma maman. D’une seconde à l’autre, d’un jour à l’autre et d’un mois au suivant, se créait un vrai et beau mystère : moi dans son ventre bedonnant. Je me sentais de jour en jour davantage grandir dans le ventre de cette mère. Au départ je ne me voyais que comme un tout petit mignon grain de poussière et petit à petit voilà que le grain se transforme soudain en un apparent joli être qui encore et encore se voit pousser comme un champignon champêtre, puis derechef envahit tout l’espace velouté du ventre de la jeune maman jusqu’à devenir bébé, mais que la route en est longue pour un enfant !

    Cependant ce que j’entendais le mieux, en tout cas mieux que les chants d’oiseaux les plus bruyants, beaucoup mieux que n’importe quel cri strident d’animaux, c’était la doucereuse voix aiguë de ma chère mère, puisque depuis longtemps j’étais lové dans son ventre globuleux, son cœur toujours constamment battant pour moi. Sa voix m’était devenue la plus familière des douceurs, et surtout quand j’avais très faim ou mal quelque part ou que l’indolent caprice m’en prenait beaucoup, j’appréciais même les moindres gargouillis, la minime flatuosité, les sourds vents de son ventre devenu ballonné. Alors je savais bien avec assurance et foi que je n’étais pas tout seul au monde, que quelque chose autour de moi était toujours là, pour faire avec moi la ronde. Puis tout le monde le savait, le ventre de ma mère tout haut et tous azimuts le disait : toutes mes deux chères mamies, tout l’entourage, impatients, s’empressaient autour de nous. Tout ce temps j’entendais la belle voix de ma mère qui en silence me disait que mon heureuse présence en elle rendait ses yeux pleins de larmes de joie, le cœur embaumé d’un bon parfum qui, comme une surprise inattendue, mettait tout son corps en gracieux émoi et envahissait son quotidien à la fois d’un tsunami de bonheur intense et de panique comme si son destin avait brusquement atterri dans un îlot édénique.

    Puis un beau jour, après de nombreuses menues et douces galipettes dans le ventre de maman, j’ai enfin décidé de pointer sur terre le bout de mon petit et rond nez d’enfant pour enfin faire l’intime connaissance de mon papa et de ce grand monde qui, pressés, sans doute angoissés, m’attendaient passionnément en faisant autour de moi une vraie et joyeuse ronde. Finalement le caprice m’en prend, je me mets vite à cheval sur ma fictive fusée afin d’explorer les nouveaux beaux horizons ; je pars alors pour de nouvelles galaxies sillonner les nouvelles plages mirifiques, cueillir des roses pourpres, des fleurs étoilées dans les beaux champs fertiles, dans les prairies ensoleillées, dans le treillis. Prêt pour la vie et les épreuves, vite à cheval je me glisse sur ma fusée en partance pour de merveilleuses aventures, pour de lointaines nébuleuses affronter à la fois le néant, le tout et l’infini et cueillir des mangues dorées dans la savane herbeuse de mes ancêtres, dans la forêt aux ombres nombreuses, je m’en vais pêcher un gros lot de poissons argentés dans cette rivière dorée qu’on appelle la vie.

    Après neuf mois pleins impatiemment passés dans le ventre de maman, me voilà enfin prêt à affronter tous les titans dans le monde des vivants. Une dernière poussée efficace, et me voilà arrivé dans ce beau cosmos ! Autour de moi, beaucoup de bruit froufrouté, tout le monde si enjoué me sourit : des yeux étonnés ou attendris de tout un clan pour me regarder, deux cœurs tordus d’impatience insupportable qui m’attendaient ! Tout ce que, peinard dans mon abri, j’ai imaginé est désormais une visible réalité : me voilà venu en ce beau monde considéré comme un paradis pour être aimé. Tous sont si heureux et si ravis de ma naissance, je le vois dans leurs yeux. À tour de rôle, heureux aux éclats, ils me prennent tendrement dans leurs bras généreux et en sourdine m’appellent par un curieusement étrange nom que je n’ai jamais entendu, mais qui quelque part dans mon cœur me rappelle par son sifflement harmonieux sûrement d’où je suis venu. Par son timbre à la fois délicat et sonnant, je reconnais une voix habituée, celle de mon papa ; je me fais caresser par une savoureuse et câline berceuse, celle de ma maman, puis autour de nous des sourires, des embrassades, des youyous des femmes entremêlés d’une mélodie envoûtante et caressante empilée par les hommes aux éclats enjoués. Doucement, on me pose encore une fois sur le ventre chaud et feutré de maman qui me semble épuisée quoique sémillante de joie et de bonheur, partageant avec moi un discret doux baiser franc, une chaleur intense, câline soufflée par ce corps velouté de ma chère mère !

    Je me sens vite heureux, dans ce monde inconnu, plein déjà de beaux repères, d’être enfin né venu d’un long beau voyage, d’être parachuté parmi vous : voilà enfin, je suis né, déjà apprêté donc à faire le fou avec et parmi vous ! Car j’arrive, éperdu dans ce cosmos, d’un long périple d’un enchanteur univers, dans une vie tout inconnue, tout à explorer et où tout autour de moi sent encore plus l’étranger ; la douce lumière de la vie soudain m’éblouit : rien n’est et ne sera plus pareil, les choses, la musique, la chaleur, les sens tout en moi bien s’émerveille, sémille et frétille. Devant mes yeux étonnés et même tout autour dans le riant et beau paysage qui de partout me ceint aussi câlinement, une journée magnifiquement ensoleillée avec un ciel bleu, sans doute toute pleine de surprises grandissantes, s’annonce par la lueur rutilante de beaux yeux de ma mère, par d’incessantes bises qu’elle m’applique partout aux cheveux, aux joues, au front, au ventre et à mes lèvres si roses. Soudain, je vois mon cœur s’ouvrir allégrement aux chants de belles bergeronnettes lavandières, à toutes ces riantes étendues infinies de verdure luxuriante piquetées de fleurettes irisées et de coquelicots. Spontanément, ils se joignent tous pour radoucir, peut-être aussi pour enlever la triste austérité minérale du grand big bang qui avait orienté la voie de ma naissante vie. Mais curieusement, la genèse connue ne parle nullement de la grande joie que doivent éprouver ceux qui allaient naître ni de l’été ensoleillé ni de l’automne frisquet qui ont vite suivi la miraculeuse création humaine et qui sans doute ont défraîchi cette grande joie et la magnifique beauté de la nature au regard de leur esprit.

    Moment unique particulièrement pour moi, pour mes parents, un instant merveilleux qui, aussi flattant mes regards encore éperdus, m’en jette plein les yeux ; je me précipite pour tendre la main ou pour me tordre sur ma chaude couche pour montrer ma joie ou quérir quelque objet à porter à ma bouche. Puis je ne sais pas pourquoi, mais on me le dira plus tard dans ma jeunesse, que c’est bien là la coutume ancestrale que tout nouveau-né doit honorer : on me pose sur une fraîche feuille de bananier qu’on installe avec délicatesse par terre sur un lit feuillu avec, tout autour d’un feu, une lance et un couteau, tous ces objets qui dans le clan symbolisent la virilité que je dois arborer au cours de ma vie, contre vents et marées, pour protéger nos coteaux. Pour toute la famille je suis pris comme un rare joyau dans un écrin précieux, moi, pour elle, à la fois le beau trésor et le doux chérubin angélique et radieux arrivé de fins confins de l’univers sur la terre un jour bien monotone est-ce là aussi surprenant ? C’était un jour qui tout le monde étonne ! Car ce jour-là, bel était le temps quoique bien franchement pluvieux le matin malgré tout et soudain comme du ciel j’atterris et mon monde était heureux : j’étais le précieux présent des Dieux, de la part de la Mère Providence portant dans les chers cœurs de mes parents une chaleur immense. À dire vrai, tout avant ma naissance, c’était la pluie dans mon clan et après ma naissance, le beau temps !

    J’atterris ainsi dans un monde fascinant où des visages chers me regardant semblent par l’émotion intense être victimes fringantes d’hallucinations inimaginables ; mais tout à coup je sens, tel un tambour régulier et harmonieux dans ma poitrine, tapoter, au début en discontinu, puis soudain de manière continue quelque chose d’inouï, d’insaisissable qui ne peut s’arrêter ! Je ferme doucement les yeux, soupçonne le temps d’en être complice, mais toujours attendant de ma maman de premiers câlins en prémices. Enfin ! Après ces neuf mois passés en virée, en pensées et comme un beau mirage, je me vois doucement posé sur le ventre de ma génitrice, venant d’un long voyage ! Puis subitement, telle une symphonie, une douce aria, celle de ma mère qui, surprise, éclate soudain en même temps en sanglot et en allégresse : « Ô mon Précieux trésor, tu es là en chair et en os, mon tant attendu bébé, scrutant le monde et t’ouvrant lentement à la vie et de ma sueur imbibé, fruit inestimable de mes entrailles et quelle veine, inestimable cadeau divin, tu es à la fois présent sacré du ciel, don dédié à mes ancêtres, qui me sourient. Désormais comme je l’ai fait quand tu étais calfeutré dans mon ventre, je te nourrirai de lait et d’amour, je te bercerai toujours câlinement aux incessibles battements attendrissants de mon cœur, et ce, pendant des mois, des années, toute ta vie, chaque jour, jour après jour, à chaque minute. Ainsi ta vie sera construite sur le magnifique sommet élevé de bonheur et de totale protection ». J’entends tout, j’enregistre la voix mélodieuse et la belle chanson de ma maman à qui j’adresse à mon tour une affectueuse mélopée dédiée à la chère madona, ma maman : après neuf mois d’un voyage vers l’inconnu, d’autant de pensées et de mirage, me voilà posé dans tes mains maternelles comme surgi d’un beau songe !

    Quelques heures plus tard, mais je ne peux que peu ou prou m’en souvenir, tous les rayons solaires et stellaires s’assemblèrent en faisceau lumineux pour générer dans ma toute nouvelle vie un autre grand miracle merveilleux, celui de ma tant attendue première tétée gravant ainsi dans nos deux cœurs une empreinte ineffaçable où se lisait en gras avec un grand A l’amour, où glissait une complicité fusionnelle entre un enfant nouvellement né et sa mère. Ma présence si forte sur la chaude poitrine de ma mère a de plus en plus chassé le flou pour laisser pour moi place à la netteté écarlate de son visage, à la lumière de son regard, à l’éclat de son rayonnant rire encore farfelu et à la tendre chaleur sortant en même temps de sa peau et de ses yeux, belle et heureuse réalité qui nous a portés tous les deux aux cieux, émerveillés, ravis. C’était moi et ma mère, déguisés en béats anges ! Mais hélas, de tout cela je ne m’en souviens, mais c’est une vérité.

    Puis ce jour-là c’était très tôt à l’heure où la nuit se prépare à se dévêtir de son rimmel, l’heure où le firmament, en connivence avec le soleil se levant dans le ciel, jette un éclat nouveau sur le pré, sur les manguiers et les palmiers séculaires, mon cœur, tout ébahi du silence qui régnait partout se mettait à tressaillir, les bruits de mon soupir presque au rythme des battements de mon cœur troublaient seul ce silence et se sentaient défaillir. Ce jour, je ne sais pas pourquoi, sera pour toute la famille un grand jour : dès le matin on m’a vêtu de beaux habits, on m’a peint du blanc sur les joues, de mon œil attentif avec curiosité j’observe tout sans rater un moindre détail, mais tout me semble étrange, je sens sur moi darder un rayon du soleil. Enfin, me voilà dehors, puis dans la barza, sacré cénacle réservé aux seuls hommes ! Déjà je me vois bien blotti chaudement dans les bras chauds de mon grand-père qui, ému à l’infini, prend le temps de m’observer attentivement examinant, cherchant des repères du clan sur moi, scrutant moindre tare, moindre anomalie virile sur moi. Puis à la fin il marmonne quelques formules incantatoires qui renforcent son émoi. Je me vois donc, tel un petit Jésus présenté au temple, mais bien plus tôt que lui, montré comme véritable membre du clan, de toute la famille étendue, partant de toute la tribu. Ayant craché un peu de salive sur ses doigts, le patriarche dont la joie est palpable m’oint de ce liquide particulier, le front, la poitrine finalement tous les membres.

    Il termine la grande cérémonie, à moi consacrée, par me faire toucher une grande statue trônant depuis des millénaires au bon milieu du hangar sacré et chargée de multiples vertus. Entre-temps, un coq blanc est sacrifié par un nganga, sorte de shaman clanique ; son sang m’est badigeonné sur le corps alors que le vieux grand-père m’assoit câlinement sur ses genoux velus en disant tout haut : « petit être si merveilleusement descendu du ciel, nous te disons que nous t’aimons. À jamais dans ces coteaux rutilants, dans cette savane vallonnée, dans ces forêts de ce bas monde, par ma main, par ma pensée, par mon seul souffle, par mon âme qui tient de mes ancêtres ce sceptre, par cette onction sacrée, salive venue droit de ma bouche, à jamais je t’unis aux ancêtres, petit adorable être récemment descendu du lointain ciel, mais désormais mon bel et grand petit-fils si merveilleux, je te promets dès ce jour, par cette onction, une vie éclatante et un fabuleux destin. Très loin du bruit des sorciers envieux de ton sort et des esprits maléfiques du monde dans ce beau village qui désormais t’appartient, à l’ombre de tout sinistre calamiteux, riche de toutes ces valeurs que tu auras à hériter et à sauvegarder comme la vertu et la foi profonde, sois, mon petit-enfant, mon sang, porte-drapeau de ton clan et que ton destin soit heureux.

    Tu auras le même nom que mon père, les mêmes exploits sinon plus que mon père. Je te donne cette lance, sa lance ; je te donne cette jaïna, la jaïna de ton arrière-grand-père : sur ton chemin, tu écraseras les cailloux, les épines acérées, les serpents les plus venimeux, l’horizon te sourira, le lion se courbera devant toi, la gloire s’inclinera sur toi, tu seras victorieux. Grandis vite, rampe et dépêche-toi de marcher pour courir attraper ton premier gros gibier. Dès que tu auras accompli cette tâche-là et tant d’autres, tu seras prêt à te marier. Sache que dans tes mains tu as dix doigts qui t’aideront à défendre le clan et la famille. À chaque fois que tu élimineras un de nos ennemis, tu plieras un doigt pour ton éveil et ta gloire et celles de ton clan. Alors en ce moment ou en d’autres occasions qui te distingueront totalement des autres en bravoure, en témérité, tu seras le héros tant attendu et tu en porteras la couronne ».

    Comme l’on pouvait s’y attendre, après tant de tendresse versée de lèvres d’un aïeul, je restais béat les yeux fixés sur son visage tentant de lui dire avec mimique de mes oreilles, avec les mouvements mêmes de mes yeux ou de mes lèvres, avec n’importe quelle partie de mon corps, que je garderai en moi toute cette merveille qui me conduira sûrement au bon port. Ce grandiose nom d’un respectable aïeul qui fait vibrer toute mon âme de sa notoriété et qui, seul malgré le temps, tel un courbé salamalec, fait incliner mon puéril front dans ce siècle corrompu et de lâchement des valeurs chargé d’autant d’impureté où vertus, sagesse, fidélité et confiance ne peuvent souffrir que d’odieux affront, ce glorieux et auguste nom qui totalement me remplit d’une douce et altière allégresse et qui, comme un phare étincelant généreusement au-dessus de mes jours, me bénira, me protégera toujours et fera pleurer, sinon remplir mon âme de tendresse. Malheureusement ce nom m’attribué ce jour-là, selon les us des ancêtres, je ne peux aucunement le dévoiler ici : seuls les membres de la famille sont censés le connaître. En fait au sein de la famille ce nom est mon passeport pour la vie : il peut ouvrir toute porte, mais, seul tendon d’Achille dans mon corps, il peut aussi être utilisé par des esprits malins pour me jeter un mauvais sort !

    Sept jours après ma naissance, une autre agitation se trémousse dans la famille, tout le monde est surexcité, seule ma chère mère est angoissée devant ce grand et fuligineux fouillis pour moi. Quelle animation tumultueuse règne sous les manguiers ombreux et dans la rue en effervescence ? Dans le milieu du village toujours riant, la foule, compacte et joyeuse, est massivement accourue des bourgades voisines, des villages lointains comme tout aux lointains alentours. À ne rien comprendre, la multitude est là faisant ses mille beaux tours. Maints vieux oncles pour moi encore inconnus, mes bonnes grands-mères précipitent leurs pas pour être aux premières loges ou pour marquer leurs repères. Puis brusquement un beau ciel s’entrouvre, c’est moi qui, heureux, vous le raconte plein d’emphase, c’est un jour merveilleux, serait-il pour moi un jour aussi magique qu’un conte ? Dites-le-moi en passant, quel pinceau magique et avec quelle couleur indélébile pourrait peindre avec fidélité cette plénitude, pourrait-on peindre le vrai bonheur, car il est là le bonheur, la vraie pleine quiétude : partout ce sont des cris empreints de joie, des chansons doucereuses impossibles à dire, des exclamations des youyous des femmes et des clameurs de bonheur et de délire. Pour moi, à la réponse de la triste question d’une chanson connue : où est le bonheur, il est là le bonheur ! Apparemment comme une bougie, une moindre bise, un vent risque de l’éteindre, mais il se glisse en vous et vous enveloppe sans bruit, mais avec sourire.

    Cependant au loin se tient assise sur une chaise une figure faisant aux enfants la plus grande horreur de leurs premiers jours de la vie. Autour de lui deux autres hommes effrayants, eux aussi tenant comme une main de fer la terreur atrocement longtemps redoutée par tous les enfants mâles de tous les villages ! Car ce sont ces trois ogres abominés par tous les gosses pour leur cruauté volage qu’ils infligent gratuitement aux prépuces de tout enfant à bas âge circoncis ou non. Un homme, quarantaine sonnante, sadique, s’est comme une strige brutalement saisi de moi et me déshabille. Je prends peur et pousse un cri strident dont l’écho va plus loin que le son du tam-tam. L’ogre, sans sommation, sans me crier gare, empoigne sans pudeur, alors que deux complices neutralisent tous mes membres, mon prépuce qu’il déchire d’abord, puis coupe d’un coup sec comme s’il enlevait une tique de ma peau ! La douleur me domine ! Je fixe mes yeux sur cette horrible créature me demandant d’où vient sa malice pour me faire souffrir autant ! Sourire aux lèvres, il emballe déjà mon organe intime dans une feuille lancéolée imbibée d’une mixture inconnue comme pansement. J’entends, au lieu de pleurer comme moi, tout le monde, allumé, se mettre à chanter à la cadence des battements des tam-tams et des youyous des femmes surexcitées. Ce renard futé, me dis-je, est la plus sadique et abominée créature pleine d’adresse qu’en une seconde il cisaille le monde et, de sa vie, aucun mal, aucune forfaiture ne confesserait. Il aurait, en maint endroits, et plusieurs fois, comme un ogre odieux et sans pitié, sans-cœur gloutonnement ingurgité force prépuces : pour lui ce ne sont que pures vieilles vétilles qu’il prend depuis le commencement des temps en les croquant pour simples drilles. Oh ! Ne vous moquez pas de moi, peut-être que bébés vous êtes aussi passés par là : souvenez-vous-en quand vous étiez enfants, vous avez senti cette angoisse-là dans son intolérable grain de folie désobligeante, dans son étourdissante douleur aiguë dont dans mon cœur j’accusais mes chers parents d’être complices et promoteurs.

    Mais je ne sais pas comment j’ai dû oublier cette horripilante scène. Quelques petits mois plus tard, un pas, puis un autre après l’autre, chancelant tout comme un funambule, l’équilibre précaire, hésitant comme un aveugle, tâtonnant du pied encore et encore, les yeux en l’air, sûrement et à petits pas oscillants doucement, mais décidément j’avance ! Ma démarche est encore chaotique, titubante, mais enfin je déambule : toute mon âme semble conquérante et ma vie tout en partance. Et l’élan allant de pair avec mon désir de marcher comme tout le monde d’un certain âge, mes petits bras tout ouverts tel un saltimbanque, l’équilibre encore fragile et précaire, je me vois, bien qu’hésitant et la marche bien titubante encore, avancer ! Le premier pas est fait ! Me voici prendre mon destin en bandoulière, un pas pour l’humanité. Ainsi donc le tout premier pas étant un succès, je deviens un petit homme, dressé droitement, encouragé et libre de voyager seul là où va un bel avenir. Le pas qu’on a fait la veille est la cause du pas qu’on fait le lendemain, et on va jusqu’au bout. Mon destin est ainsi écrit avec mon cœur et mon premier pas dans les éclats étincelants de vif rire de mon entourage et en voilà écrit sur ma vie mon tout premier beau tome.

    À cette joie, mes yeux s’écarquillent et, mais tout pleins de malice, reflètent joliment la surprise créée autour de moi par ce bel exploit. Émue jusqu’aux larmes et à la moelle, ma mère est la spectatrice : submergé par l’étonnement, son visage reste écarlate et narquois. Ainsi a-t-il suffi d’un regard de maman pour que je sois déterminé, ce regard dans lequel j’ai puisé mon énergie, puis me suis plongé, « ce vas-y, bébé » maternel qui a poussé mon cœur lui indiquant le chemin et fait comprendre à mon âme de quel côté se trouvait mon destin. Ce premier pas, ce premier cadeau, je ne l’ai pas fait en vain à ma mère qui inconsciemment m’a fermement tendu la main : avec prudence chargée d’une dose de peur, elle m’a ouvert son cœur pour ressusciter en moi de la première fois l’extase et le bonheur. Mais, hélas, c’est bien longtemps après que j’ai dû comprendre que faire le premier pas sur le chemin de la vie revient à prendre en main une partie importante de ce destin qui fixera notre cap et, c’est juste faire cet inespéré pourtant attendu premier pas, car pour tant de tâches dans la vie, c’est le premier pas qui compte et coûte.

    Malade, mais sous le regard d’Hygie

    Une semaine bientôt dans mon petit berceau, couvert d’un petit pagne, sans appétit, je grelotte, je frissonne, la maladie gagne et envahit ma gorge et mes oreilles. Triste et angoissée est ma mère dont le regard pour moi devait être la seule lumière. C’est comme si à deux nous livrons farouchement bataille contre des titans en colère. Ma grand-mère paternelle qui habite bien en face a désormais déserté son logis pour venir se mettre à mon chevet et, plus expérimentée qu’elle, aider efficacement ma mère déjà anéantie à surmonter ses soucis, mais tout ce chamboulement houleux fait crisper de douleur ma petite figure devenue pâle ! Déjà une quinte de vomissement glaireux me paralyse le gosier et j’ai mal au ventre, les nausées et les courbatures généralisées me rendent fatigué et prêt à rendre l’âme. Ma mère très désespérée pleure dans un coin pour que je ne la voie alors que mamie plus rompue me prend dans ses chauds bras, puis me fait un bain de vapeur : je suis tout en suée. Elle me pose doucement sur son dos, elle m’appelle par de doux mots, elle m’étreint, elle m’apaise comme si elle voulait porter sur elle tout mon chagrin et toute mon angoisse : elle transporte en elle toute ma peine. Tout le monde est paniqué : mon père a l’impression d’être piqué par les orties brûlantes ou les plus venimeuses de fourmis, mon grand-père s’y met aussi et énonce plusieurs suggestions de soins adaptés à cette parodie ou des nganga experts à consulter illico, car l’hôpital est coûteux et très éloigné du village ; par ailleurs personne ici ne croit que la médecine occidentale soit efficace pour mon cas ! Ma grand-mère, nullement de l’avis émis par son mari, a une étonnante idée dans sa tête : d’ores et déjà, elle se saisit de moi, prend son panier sur le dos et m’y installe ! Elle m’amène voir un guérisseur qu’elle connaît très loin à cinquante bornes d’ici. La situation dans laquelle je me trouve est telle que spontanément personne ici ne peut contrecarrer cette décision aussi unilatérale qu’elle soit : ma mère n’en peut que dalle et n’en bronche ! Mais à coup sûr, c’est bien comme une nonne ayant fait ses vœux d’obéissance, ceux qui la contraignent à la soumission totale à la volonté des supérieurs légitimes et l’obligent à s’adapter en fonction de cette autorité à laquelle elle doit se soumettre. L’expression « obligat ad submissionem voluntatis erga legitimos superiores » rend le difficilement intelligible et est source de méfiance vis-à-vis du vœu d’obéissance dans le contexte du monde de plus en plus sécularisé et où la liberté est recherchée de façon effrénée.

    Le voyage mystérieux

    Cela fait déjà trois heures ou plus que nous sommes sur une route entièrement cahoteuse et qui traverse champs, nombreux villages et beaucoup de rivières coléreuses, nous nous sommes mis, ma mère, ma grand-mère et moi-même dans un esquif apparemment léger, conduit assurément par la mamie, nos corps enveloppés de vent et de lumière. Au fur et à mesure qu’on avance, la route devient boueuse, mais le ciel est sans nuage, le soleil caniculaire et l’air chargé de chaleur étouffante. Nous entrons dans une plaine immense d’une gigantesque savane sans ombrage, nous avons très faim et très soif : notre voyage ayant été précipité par la mamie, nous n’avons aucune provision pour nous désaltérer ou casser la moindre croûte ! Mais mamie connaît bien l’itinéraire ainsi que ses mystères : dans trois bornes de route, nous traverserons une grande rivière avec, sur ses belles rives, les cannes à sucre à foison. Les deux dames se dépêchent pressant amplement les pas, avalant la salive sèche pour humecter leur gorge. Enfin la rivière ! Elles me déposent dans l’ombre sur une petite natte, puis descendent la pente qui mène droit à la rivière : l’eau y est fraîche et nette. Doucement elles me demandent d’ouvrir les yeux que, fatigué par une toux quinteuse, je garde fermés me croyant dans un rêve sans fin où deux braves femmes, toujours les mêmes, me tiennent fortement par la main, éternel instant à l’abri des flammes du réveil. Assoiffées jusque dans leurs os ou hardies, elles se donnent à cœur joie au ruisseau qui comme pour nous accueillir semble babillard. Dans son lit étrangement affable, elles se jettent pour se désaltérer en petits coups légers. Un souffle frais se mêlant à une risée, portant en elle ces voiles bien éphémères, semble bien ramer dans l’onde qui devient doucereuse comme un agneau. Ma mère m’amène, dans un gobelet fabriqué de feuillage, un peu de ce liquide qui me rend la force, soulage mes maux de tête et désormais guide mes pensées. Au bord de la rivière, nous trouvons tout ce qu’il nous faut : fruits et cannes à sucre ; un petit repos mérité s’impose aux deux vaillantes dames et mes sauveurs.

    Trente minutes plus tard, nous voilà déjà sur la route qui semble ombrageuse ; en effet, nous sommes bien dans une zone de forêt dense : beaucoup de verdures luxuriantes autour de nous avec de hauts arbres dans lesquels sautent, goguenards, les singes. Aussi depuis d’éternelles minutes ai-je pris peur : je me cramponne au linge que ma mamie, pour mon confort personnel a discrètement glissé entre sa nuque et le panier. Je crois que même mes compagnes de route pensent déjà au compte à rebours ! Mais pour un peu dégriser l’atmosphère de grand-peur qui plane sur nous tous, mamie esquisse un léger sourire, et en permanence, ourle avec constance ses belles lèvres, cependant quelques perles de sueur moite scintillent à la naissance de son front comme pour mettre à nu ses inquiétudes et ses états d’âme émoussés. Entre nous trois, en face du doute ou du danger éventuel, la connivence sécrète est totalement silencieuse. Parfois, automatiquement, je désigne un point sombre et aux lourds entrelacs végétaux touffus d’où pouvaient provenir un potentiel danger, surgir un fantôme ou d’atroces animaux ; mon regard, déjà aiguisé au maximum et depuis longtemps à l’affût, suit attentivement les ombres curieuses, mais chose étrange, lorsque, pour me forcer à détourner l’attention de ma grande peur, je regarde au ciel, je vois les nuages se réunir en amas fantomatiques grisâtres et cotonneux. Ces nuées ouateuses et grises constituent un conglomérat de formes diverses où j’aperçois, prêts à nous menacer, des lions, des fantômes et tous les spectres, mais de toute façon, mon âme et moi nous voyons nettement l’invisible, identifions en pensées ce qui, pour certains, restera bénin : les oiseaux dévoreurs, le serpent, le lion, enfin tous les monstres de la terre et du ciel. Ainsi pendant des heures, en plein cœur de l’obscure jungle, dans un murmure doré, des gouttelettes de rosée, la peur, l’angoisse nous amènent lentement à bon port qui, entre terre et ciel, saura sûrement nous protéger de tous ces dangers. D’une minute à l’autre, je déployais mon regard et jetais un furtif coup d’œil dans chaque clairière de cette forêt dense pour en retirer à temps tout mouvement suspect pouvant provoquer nos larmes ou, au pire, notre perte dans cette jungle de deuil. Le soleil cependant continue son bonhomme de chemin et se recouche sur nos fronts. Hagard, il nous regarde, mais reste pensif et coi. Sommes-nous perdus après ce pont fait de lianes nouées au cœur de nulle part ? C’est le silence qui nous guide à présent, entrecoupé de quelques cris d’oiseaux et de singes exprimant leur air content. Je croyais, faussement peut-être, qu’en tant qu’un homme, je pouvais et je devais bravement affronter seul tout danger inattendu pouvant surgir sur notre chemin. Ainsi je dépliais de partout mon regard comme un papier de parchemin glacé, le pliant instinctivement sur la forme, sur l’étendoir vert de cette brousse grisée et bruissant de colère ; j’inspectais minutieusement et avec rapidité extrême et rapacité infatigable marquée par une frénésie compacte, le moindre frémissement grinçant du vent sur les feuilles, les pépiements d’oiseaux. Je me devais ainsi de baisser les yeux dans le vaste verre rempli jusqu’au bord, pour que la menaçante brindille ignée, qui était pour nous cette frayeur, en sorte. Aussi commençais-je à appréhender vite ce qu’est l’appréhension de la peur et à comprendre que la peur n’est rien d’autre qu’un grand sentiment du doute, enjolivé par le flou opaque de la distance, de l’inconnu et de la solitude emprisonnée dans l’âme. Mais vite ma peur trouva une solution apaisée : caressé par les pas saccadés, soudain je m’endormis sur le dos douillet de ma mamie, mais les poings fermés sans doute prêts à livrer bataille aux moindres accrochages avec ces ennemis que même en plein sommeil étaient aussi nombreux que des fourmis !

    Mais lorsque j’ouvris les yeux, je me trouvai étendu sur une natte dans une chambre qui me sembla, comme j’étais bien étonné d’avoir trop dormi dans cette route macabre, toute sombre, cafardeuse et enfumée avec, suspendus à tous les murs communs, des squelettes d’oiseaux, des crânes des singes, j’oserais dire, même humains, des peaux d’animaux affreux, des plumes d’oiseaux, beaucoup d’herbes séchées ! Tout autour de ces murs chargés d’ombres étranges et menaçantes, alléchées par mon œil vif qui les poursuit inlassablement du regard, mille formes bizarres semblent, comme des rats enragés, fuir le long des murs et glisser au hasard, et puis s’élever en geignant et en couinant jusqu’aux plafonds obscurs. Là, au coin par terre dans une calebasse noire qu’enrichit l’obscure peinture chargée d’une grosse couche de sang repose, ouvert et puant, un mélange sordide d’herbes putréfiées et de fleurs pourries ; le liquide putrescent y déposé relance vers mes narines ses nauséabondes odeurs, tandis que le feu clair qui pétille dans l’âtre semble rougir et faire danser la triste devanture. En fin, me dis-je, il y’aurait ici beaucoup de choses ensorcelantes et fascinantes, mais, à mon humble avis de combattant, beaucoup plus effrayantes qu’attirantes, ces horribles choses inédites qui, dans le même temps, me font terriblement peur, parce qu’elles ressuscitent en moi tous les vieux mythes alimentant tant la frayeur, en un mot, un vrai espace de désinvolture et de maléfice où le rêve se doit de guider avec prudence vos pas, votre souffle, vos battements de cœur dans les brutes sentes où peuvent couler la pensée vagabonde, de la défiance totale à une descendante pente. Malgré la présence apaisante de deux habituées douces ombres autour de moi, mon angoisse ressurgit pour s’accroître et me donner encore des fils à retordre mille fois. Entre-temps du ciel se voulant encore bleu et sans nuage malgré la nuit, le généreux astre des nuits, voluptueux, sûrement très complice de mon inquiétude, doucement glisse à travers la lucarne béante pour ranimer de ses transparents rayons lumineux, l’atmosphère devenue morne et caduque, colorant de leur rutilance le pavé de la chambre et y reflétant un brin de sérénité, l’azur pur, le pourpre et finalement un grain d’ambre du bien-être. Totalement intrigué ou très agressé par cette effroyable et sinistre soirée, sans fin, mon regard éperdu tournait assidûment en rond, tout en puisant dans le registre fin de ma mémoire déjà surchargée en pensées et en angoisse, un peu d’énergie et de réconfort.

    Mais mes yeux devenus capables de voir l’invisible passaient vite du grisâtre plafond aux murs crevassés, puis vers l’âtre dans cette ténébreuse chambre en rotonde, revivant les scènes d’horreur, tuant tout souvenir de mes anciennes rondes ! Cependant tout en moi s’avérait être un néant vide, le lourd silence étourdissant m’éblouissait autant qu’l rendait mon visage livide et mon moral déliquescent. Apparemment je n’étais plus, à cause de la torpeur subite, maître de moi-même : tout en moi devenait une hypothétique et illusoire utopie, j’étais désossé de mon âme et croyais peut-être avoir été ensorcelé ! Comme avec mon latin j’avais complètement perdu le nord de moi-même, heureusement l’ange des extases vint promptement à ma rescousse. Transi par trop de rêves cauchemaresques se mêlant à la peur déjà envahissante, je ne pouvais que du regard suivre le vol incandescent de son sillage. Au loin le nuage m’esquivait dans sa course que je suivais avec méfiance. L’agréable expérience de me voir voler époumonait mon courage. Mes mains en poing cherchaient à retenir entre mes bras gercés les rênes d’or de ma course. Sans doute caressé par cette étance angélique souriante, je finis par m’endormir dans une ineffable hébétude, mais une grande ruée importune de rêves invraisemblables semblait de partout m’envahir comme une armée bien entraînée : il y avait ceux qui me faisaient lutter vaillamment contre d’invincibles dévoreurs géants, il y avait ceux, plus terribles que sinistres, plus féroces que des titans, que tout excité, j’écrasais. C’est que, à dire vrai, soudain, je dormis à deux poings fermés.

    Le lendemain, quelle fut ma panique de me voir me réveiller brutalement, très tôt le matin, en pleine sauvage jungle humide, dans un lit fait de feuillage dense, de lianes et de rotin ! J’étais discrètement amené là dès l’aube pour y subir une bonne séance de délivrance qui devait, selon le rituel mystique, se dérouler dans le strict calme et la repentance spirituelle. Mais j’étais, moi, très loin de comprendre ou d’interpréter cette dernière formule, n’ayant encore jusqu’à présent commis aucune notoire ni malicieuse forfaiture à exiger de moi une telle cérémonie. Alors que je pensais à tout et à rien, une ombre curieuse surgit de nulle part, en tout cas de l’impénétrable jungle, une image qui tripla au centuple ma grande frayeur. En sort une femme, à la cinquantaine, corps teinté de raies blanches et noires, une peau de léopard autour de sa ceinture a peine à couvrir ses promontoires et ses cheveux tombants sur les épaules semblent former une crinière autour de son visage buriné. L’abominable sorcière ou, en d’autres mots pompeux, guérisseuse habile, est là en chair et en os ! Spontanément je m’imagine avec peur panique ses dents tranchantes de croqueuse dévoreuse s’apprêtant à mordre mes carotides, sa mâchoire de tueuse guérillero totalement me déchouquer violemment, me déchiqueter sans lacération, sans craquement ! Poings serrés, je me tiens prêt à hurler à tue-tête, à me battre contre elle vaillamment, héroïquement, mais hélas, tout a été prévu d’avance : je suis bien garrotté aux mains et aux jambes ! Désespéré, mais quand bien même encore combatif : je maudis farouchement l’ogresse et lui souhaite une belle tombe d’où elle pourra descendre directement, en aller simple, dans le royaume d’Hadès. Mais peu à peu, submergé par mon manque de décision, je me vois terrorisé au point que je me demande de quelle partie de mon moi est née cette léthargie, est-ce de l’obsession, de l’abdomen de ma mémoire déjà viciée par l’inertie, je pense même, de mon tréfonds, du tréfonds d’une enfance brutalisée ? Me sentant impuissant devant la friction amenée par des choses, je me trouve une nouvelle arme efficace à brandir à bon escient, une passivité déconcertante : il suffira donc de me laisser passivement aller, écouter sans dire un moindre mot, me laisser volontairement couler dans la moule opaque des événements, d’une identité de toute pièce moulée, bref de croire totalement à ma réserve de

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