Les SORCIERES NE PLEURENT PAS
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À propos de ce livre électronique
Natalia Fintzel-Romanova
Après avoir travaillé à la radio, dans l’édition et le théâtre, Natalia Fintzel-Romanova, journaliste indépendante française, livre un témoignage sur un sujet qui la touche personnellement. Immergée pendant plusieurs années dans l’univers de la voyance, elle tente de nous faire découvrir certaines facettes d’un monde aux pratiques pas toujours très intègres… »
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Aperçu du livre
Les SORCIERES NE PLEURENT PAS - Natalia Fintzel-Romanova
1901-1998
Prologue
Mai 2008
Tout le monde a une double vie. Double au sens de « qui a deux aspects dont un seul est manifeste ou révélé », selon le Larousse.
Chacun montre à autrui le visage qu’il souhaite. Qu’il pense être celui qui lui correspond le mieux. Qu’il est peut-être parfois, souvent même, obligé d’afficher par souci social ou professionnel. L’autre versant, la part d’ombre, celle qui, critiquable, effrayante ou encore honteuse, n’ose se mettre en avant, compose comme elle le peut avec ses propres ténèbres. C’est un arrangement que l’on pourrait qualifier de spéculaire entre Soi, d’un côté, et Soi-même, de l’autre. Contrat tacite dans lequel les deux parties n’en font qu’une.
Personne n’est réellement ce qu’il prétend. Comme celle de la Lune, la face cachée des individus est derrière eux et surgit quelquefois quand on s’y attend le moins, mais finit par s’imposer parce que c’est le cycle essentiel, l’obligation biologique. Personne ne peut se cacher indéfiniment. « Chassez le naturel… »
Les Hindous affirment que l’on n’échappe pas à son karma : notre vie est écrite en fonction des précédentes. Certaines incarnations seront plus douloureuses ou, au contraire, plus gratifiantes que d’autres. Celle-ci, la vôtre peut-être, apparaît parsemée d’obstacles et de misères en tous genres, tandis que le voisin, de l’autre côté de la rue, se verra riche, en bonne santé, beau et célèbre. Personne n’a le même menu karmique entre les mains, mais tout le monde doit payer son addition.
Depuis quelques années, elle ressent son propre karma de manière graduelle, par bribes, comme des messages de vie transmis au fur et à mesure des expériences vécues et des êtres rencontrés.
Élevée au sein d’une famille a priori conservatrice et cartésienne, elle a opté jusqu’à l’âge de seize ans pour le fameux adage de saint Thomas : « Je ne crois que ce que je vois. » Simplement, de sa vision va dépendre sa croyance et, surtout, va la faire adhérer à la réalité…
Aujourd’hui, elle n’a plus de vie sociale ou si peu. Elle a un rapport paradoxal aux gens, à la fois distant et très impliqué. Elle ne veut pas côtoyer trop d’individus de manière proche. Elle a peur du regard des autres, si censeur dans son expression…
De sociable et fêtarde, elle est devenue méfiante, paranoïaque et casanière. Une véritable Hermite tout droit sortie du Tarot de Marseille. Pour un Gémeaux ascendant Sagittaire, qui l’eût cru… ?
Sa propre vie a été mise entre parenthèses. Elle existe à travers les autres, car elle vit la vie des autres à travers elle-même. Elle connait mieux les détails de l’existence de ses amis, par exemple, sans même être en contact régulier avec eux, ou de celle de la boulangère, que de la sienne. Ses « détails » personnels sont, de fait, réduits à pas grand-chose. Cependant, les vies des autres sont tellement intéressantes, fascinantes, névrosées… Elle s’y glisse avec délice comme un acteur de cinéma prépare son rôle en prenant en considération chaque élément de son texte et de son personnage.
Elle se les approprie puisqu’elle n’a pas le choix. Ils sont là, sans jamais surgir comme des démons. Ils ne la hantent pas, c’est elle qui les laisse passer sa porte. Vous entrez chez elle, vous la possédez, alors que peu d’entre vous la laissent pénétrer leur intimité, surtout celle que vous voulez garder secrète. La non-avouable.
Tu n’as pas de secret pour moi. Je sais qui tu es vraiment. Ce que ton esprit comporte de sincérité, d’honnêteté, mais aussi de vice et de perversion. Tu peux dire « oui », je sais si c’est « non ». Tu as mis ta belle tenue de personne avenante, généreuse et optimiste ? En réalité, tu es frustré, avide de pouvoir et castrateur. Tu as un regard bleu azur ? Je sais qu’au fond il est plus noir que le costume du maléfique Prince des contes de fées.
Au contraire, tu es timide, effacé, sans attrait particulier ? Détrompe-toi. Tu es quelqu’un de bon, de droit et d’une richesse intérieure considérable que personne, à ton grand malheur, ne remarque.
Je navigue entre vos vies respectives, au détriment de la mienne. Voyage de groupe où je suis la seule à connaître l’itinéraire.
De plus en plus, quelque chose me pousse à renier ma propre vie pour entrer dans vos dédales existentiels si chers à mes films mentaux que je me repasse en boucle. Je vous vis, je vous vois, je vous sais, rien ne m’échappe. J’ai une vue excellente, sans failles.
J’ai peur qu’un jour prochain, quelqu’un me dise d’aller me faire soigner. De me « dénoncer ». J’arrive à un point où, en effet, mon karma me souffle de prendre le chemin qui m’est destiné. Le bon. Le mien. Trop de signes se mettent sur ma route comme autant de panneaux indicateurs sur celle du conducteur égaré au milieu d’une voie tortueuse et sans fin apparente. En attendant, je suis en train de me perdre.
En même temps, l’entourage, la société seront intraitables. Je passe ou je casse. Je ne pourrai pas revenir en arrière. J’ai maintenant trente ans et si je n’agis pas, ma vie se résumera à un monumental désastre.
Non, je ne suis pas schizophrène. Je suis « diseuse d’avenir ». Voyante, si vous préférez.
CHAPITRE 1
La Poupée russe
Juin 2009
J’ai retrouvé des photos sur lesquelles je pose. J’ai à peu près quatre, cinq ans maximum, et je pose. Je fais déjà « du Maillan », comme me diront souvent mes amis quelques années plus tard.
Sur l’une, je suis en colère contre quelqu’un assis à mes côtés. Sur une autre, accoudée négligemment à la rambarde d’un escalier en pierre, je devise sur un sujet paraissant capital. Sur celle-là, on vient de m’annoncer une surprise énorme qui me fait faire un grand « Oh ! », les yeux verts écarquillés. Mes petites mains écrasent mes joues encore rondes, dans un geste de sidération absolue.
Je semble très à l’aise dans tous ces instantanés de vie et pourtant, je suis seule sur chaque cliché. Je parle à des êtres invisibles. Mon père est derrière l’objectif et sauvegarde l’expression de mon tempérament.
En les revoyant aujourd’hui, j’ai presque envie de dire qu’il n’eût pas fallu que je sois accompagnée. J’évolue dans un monde imaginaire et la présence de tierces personnes aurait probablement gâché l’intérêt de ces images.
L’une, en particulier, retient davantage mon attention, car elle ne prête pas à sourire mais intrigue. Je suis assise sur un rebord en grosse pierre. Une forêt se dessine au loin, troncs d’arbres et feuillages flous, derrière moi. Entre cette forêt et moi, cinquante mètres de vide. Avec une assurance et peut-être l’inconscience enfantine d’un danger potentiel proche, je suis solidement installée sur mon rebord, les mains posées de part et d’autre de mon corps et les jambes ballantes. La lumière du soleil est étrangement positionnée sur moi. Je suis « ensoleillée » de bas en haut, jusqu’au cou et sur un côté de ma tête. Mes cheveux blonds forment un halo lumineux sur la droite tandis que le côté gauche est plongé dans l’ombre. Comme si j’avais été coupée en deux par la seule volonté solaire.
En m’observant attentivement, je suis troublée par l’expression de mon visage. Mon regard n’est pas celui d’un enfant. J’ai un regard « vieux ». Blasé, un peu cynique, et surtout intensément fixe vers l’objectif, avec l’idée de lui transmettre le message disant qu’« on ne me la fait pas, à moi ». Un semblant de demi-sourire un peu forcé, probablement suite aux injonctions paternelles, relève les coins de ma bouche, mais si peu, juste pour la forme. Une force incroyable, pour une enfant de cet âge, semble émaner de ma personne.
Plus tard je retrouverai d’autres clichés, datant de la même période ou presque, sur lesquels j’ai toujours ces cheveux très blonds et courts, ces infâmes salopettes et sous-pulls colorés façon années soixante-dix, et ces baskets blanches, panoplie qui aurait tout aussi bien pu appartenir à un garçon. Sur toutes ces photos, encore une fois, mon regard vert perçant se détache et éteint celui des autres enfants qui sont photographiés avec moi.
Depuis longtemps revient cette « affaire des yeux ». Je suis, semble-t-il, quelqu’un que l’on remarque pour son regard si particulier. Dur et froid pour certains, inquisiteur et dérangeant pour d’autres, je reste toujours étonnée, voire amusée, par les réactions extrêmes qu’il suscite. Le sachant, je me permets d’en jouer aujourd’hui en certaines circonstances, lorsque je me sens suffisamment en forme pour endosser le rôle de « la Fille mystérieuse qui cherche à se démarquer ». Il est évident que cela a pu me porter préjudice, car j’ai souvent été associée à des termes comme « prétentieuse », « hautaine », « misanthrope », voire « sadique » et « manipulatrice ».
Pourtant, entre huit et quinze ans, aussi loin que ma mémoire me laisse aller, j’ai toujours été un boute-en-train. Inscrite au club de théâtre dès mes premières années de collège, j’ai été abonnée aux rôles de femmes fofolles et frivoles qui parlent fort et aiment se faire remarquer. Je connais l’œuvre de Feydeau, Guitry, Roussin et confrères par cœur.
Sans jamais de trac ni trous de mémoire, j’aimais la scène pour le pouvoir qu’elle procure sur la salle. La scène, comme l’écran d’ailleurs, rend beau et intéressant. Le spectateur assis dans la salle, focalisé sur l’histoire qui se déroule sous ses yeux, fantasme inévitablement les acteurs. Moi, c’est ce que je fais : Quel âge a-t-il vraiment ? Est-il heureux dans sa vie ? Comment est-il au quotidien ? Va-t-il réussir dans son métier ? Etc. Je me recrée un être à partir de l’interprète qui gesticule devant moi. J’ai toujours fait cela au point de ne jamais me rappeler les titres des pièces ou films que j’ai vus. Néant. Ce dont je me souviens, ce sont les noms des personnes qui habitent ces créations. C’est tout.
Ensuite, au lycée, même chose. J’étais celle qui n’avait pas sa langue dans sa poche et n’hésitait pas à se mettre sur un pied d’égalité avec les professeurs (du moins, en paroles). D’un côté, ceux-ci me considéraient davantage que certains autres élèves, prenant mon enthousiasme et ma spontanéité pour de l’intérêt, alors que certains élèves me regardaient de travers. Je n’avais d’ailleurs pas de véritables amies, plutôt des « copines ». Des filles avec lesquelles j’allais traîner au centre commercial ou dans les parcs les samedis après-midi. Des filles avec lesquelles j’ingurgitais les films et les chansons les plus cruches de l’époque, et pour qui les sitcoms écrites à coups de blagues Carambar© étaient la raison principale pour rentrer à l’heure après les cours. En résumé, nous étions des adolescentes tout à fait normales.
Un jour, je repérai une fille un peu plus âgée que nous qui rigolait constamment. Elle arrivait souvent en retard et, parfois même, partait entre deux heures de cours pour ne pas revenir. Elle disparaissait, personne ne savait où elle allait et surtout pourquoi. On avait l’impression que personne n’avait de prise sur elle, même pas le corps enseignant.
Elle était portugaise, vivait