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Le vol du saumon ne croise pas le plongeon du pingouin: Roman contemporain
Le vol du saumon ne croise pas le plongeon du pingouin: Roman contemporain
Le vol du saumon ne croise pas le plongeon du pingouin: Roman contemporain
Livre électronique327 pages4 heures

Le vol du saumon ne croise pas le plongeon du pingouin: Roman contemporain

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À propos de ce livre électronique

En quête permanente d’un équilibre physique et psychique, Thierry se vit comme un étranger « imbécile », comme un saumon laborieux égaré dans le monde prestigieux des pingouins.

Pourtant depuis sa plus tendre enfance, il est heureux. Relativement bien dans sa tête et dans sa peau, il n’oublie pas la leçon de sa mère qui lui enjoignait de comprendre les autres plutôt que de les juger. Aussi n’a-t-il jamais pu s’empêcher de se prendre pour Zorro et d’aider ceux qui, comme Maria, sa voisine, viennent lui demander un soutien psychologique.
Lucide sur ses capacités réelles, il se limite à une écoute attentive et bienveillante. Mais il enrage de ne pouvoir aller plus loin d’autant qu’il a constaté que nombre de ses contemporains vivent mal derrière leurs masques, qu’ils peinent à trouver une aide appropriée et que notre société ne semble pas s’en inquiéter. Pour soigner le corps, il y a profusion de moyens, mais pour l’esprit, c’est l’indigence.
Ce désintérêt est d’autant plus dommageable à notre époque qui privilégie tout ce qui détourne de l’essentielle connaissance de soi et des autres : argent, technologie, efficacité, individualisme, consommation et mondialisation. Il ne s’étonne donc pas que les jeunes Wallons se disent déboussolés et que Monsieur Toulemonde a de plus en plus de mal à étancher sa soif de bonheur.
Aussi tente-t-il de faire passer le message qu’il faut se soucier autant du bien-être mental que de la santé physique, mais « l’imbécile heureux » sait qu’il n’a guère de chance d’être entendu. On est plus facilement mouche du coche que Zorro.

Un roman contemporain qui souligne l'importance du bien-être psychique.

EXTRAIT

— C’est normal. Je ne défends nullement l’idée qu’il faut vivre sans masque. Ce que je pourfends c’est le fait que certains d’entre eux nous rigidifient et nous obligent à jouer des rôles qui nous éloignent du plus profond de nous-mêmes et donc des autres. Vivre nu ce serait ne s’accorder aucune protection, ce serait étaler sa vulnérabilité, ce qui générerait le besoin d’être sur ses gardes et de se défendre. Du coup, nous serions en permanence sur le pied de guerre. Ce serait pire.
— Donc, nous devons nous déguiser, mais seulement jusqu’à un certain point ? C’est cela que tu veux dire ?
— Oui. Je vais prendre un exemple. Dans l’émission « Rendez-vous en terre inconnue » de Frédéric Lopez, le scénario est toujours le même. Une personne célèbre accepte de passer deux semaines avec une tribu retirée du monde qui a gardé son mode de vie ancestral et qui passe l’essentiel de son temps à essayer de subvenir à ses besoins primaires : se nourrir, se vêtir, se protéger. Chaque fois, la star est bouleversée par la chaleur, la simplicité, la solidarité et surtout le bonheur et le sens de l’essentiel de ces gens qui ne se plaignent pas ou peu.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Jean Ghyssens débute comme enseignant à Kinshasa, puis dans l’Entre-Sambre-et-Meuse. Ensuite, dans le cadre d’un projet de lutte contre l’échec scolaire, il donne des formations et accompagne des professeurs tout en travaillant comme collaborateur aux Facultés de Namur. Après un passage à la direction d’une école de la Basse-Sambre, il devient responsable pédagogique pour le secondaire catholique au Bureau de l’Enseignement à Namur. Pendant 9 ans, il va gérer la formation continuée et, avec des conseillers pédagogiques, il va assurer l’accompagnement et l’inspection des professeurs dans les provinces de Namur et de Luxembourg. Il prend sa retraite en 2006.
LangueFrançais
ÉditeurDricot
Date de sortie10 août 2018
ISBN9782870955840
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    Aperçu du livre

    Le vol du saumon ne croise pas le plongeon du pingouin - Jean Ghyssens

    p.55

    Avant-propos

    Le récit, cœur de ce livre, sert d’assise à une plaidoirie pour une société plus compétente, plus imprégnée de tout ce qui concerne la santé mentale.

    À l’entame, le prologue concentre les réflexions, les propositions, les hypothèses de ce projet. Il est en quelque sorte une rampe de lancement et un digest du récit qui lui fait suite.

    Pourquoi ce préalable ?

    Une fois la relation de mes expériences rédigée, j’ai voulu sonder l’éventuelle présence de raisonnements similaires aux miens dans la littérature contemporaine. Pour quelle raison ? Avec un certain étonnement, je me suis rendu compte que suggérer de traiter de manière identique le bien-être mental et le bien-être physique paraît aujourd’hui incongru. Peut-être parce que peu de personnes sont conscientes de leurs petits ou grands « bobos » psychologiques et de l’impact de ces derniers sur leur vie quotidienne. Je me suis donc demandé si je n’exagérais pas et j’ai voulu vérifier si je divaguais ou si je pouvais trouver ailleurs des arguments, des fondements à ma démarche. J’ai alors dévoré les livres répertoriés en bibliographie et j’y ai découvert avec intérêt un ensemble de vécus hors du commun qui confortent ou nuancent certaines de mes intuitions, mais surtout leur donnent une ampleur féconde. Une véritable mine d’or que je conseille vivement à tous ceux que ce sujet interpelle.

    Ainsi a posteriori est né ce préambule que l’épilogue boucle et illustre d’extraits de presse questionnés et questionnants.

    Prologue

    Votre raison et votre passion sont le gouvernail et les voiles de votre âme navigante (…)

    Cependant si la raison règne seule, elle bride tout élan.

    Et si la passion est livrée à elle-même, elle s’embrase et se consume tout feu tout flamme jusqu’à ce qu’elle se réduise en cendres.

    Le Prophète, Khalil Gibran

    Masques

    — Je n’ai pas bien compris. De qui parles-tu ? demande Brigitte à son père.

    — D’Armande, répond Thierry.

    — Ma voisine ?

    — Oui.

    — Tu prétends qu’un juge lui a enlevé la garde de ses enfants ?

    — Oui, je l’ai appris hier.

    — Pourquoi ?

    — Elle est convaincue par le magistrat de les avoir aliénés. Comment te dire… ? De les avoir subjugués, de leur avoir fait perdre toute autonomie : ils sont devenus des clones de leur mère, ils n’existent plus par eux-mêmes.

    — Comment est-ce possible ? Cela fait dix ans que je les connais. Je n’ai jamais rien remarqué et pourtant je suis assistante sociale. Au contraire, elle semblait la mère parfaite vouée entièrement à ses enfants et si sympathique !

    — J’avais la même impression, mais bien sûr, moi, je les fréquente peu.

    — C’est vrai que je l’ai toujours trouvée autoritaire et que ses enfants étaient particulièrement dociles et soumis, mais ils n’arrêtaient pas de se lancer des « Je t’aime » à tout bout de champ ! Et puis, ils défendaient leur mère bec et ongles…

    — Même si ce n’est pas là le premier cas d’aliénation parentale dont j’entends parler, la nouvelle m’a troublé comme toi. Tu dois savoir que ces mères ou pères, que l’on appelle « manipulateurs », donnent le plus souvent l’image de parents normaux.

    — Ils arrivent à cacher leur jeu aussi longtemps ?

    — Oui.

    — J’en suis toute retournée de n’avoir jamais rien perçu…

    — Il y a autre chose qui me frappe dans cette histoire. C’est le fait qu’un juge ait décelé le trouble et qu’un deuxième l’ait suivi en appel. Cela tient du miracle.

    — Pourquoi ?

    — Tu as dit toi-même que tu n’as jamais rien remarqué en 10 ans. Pourquoi un juge serait-il plus clairvoyant que toi ou moi en une séance de quelques minutes ? Surtout qu’on connaît leur méfiance vis-à-vis des psys dont les conclusions se contredisent régulièrement ? Alors, deux magistrats perspicaces, cela tient du miracle, d’autant que certains thérapeutes eux-mêmes ne décèlent pas le dérèglement de ces personnes. Tu sais, notre société n’est guère avancée dans la connaissance du psychisme. Tout ce qui tourne autour du bien-être mental reste une boîte noire.

    — Oui, peut-être, mais je reviens à Armande. Ce qui me bouleverse c’est qu’on croit connaître les gens et que pour finir on ne connaît vraiment personne, dit Brigitte profondément désolée.

    — Cela par contre c’est d’une évidence solaire depuis des siècles. Le mot « personne » vient d’un terme étrusque signifiant « masque de théâtre ». Les Anciens savaient déjà que l’être humain « naturellement » mal dans sa peau cache ses handicaps, réels ou supposés, en construisant une image de lui la plus valorisante possible. Il triche donc avec lui-même et joue des rôles adaptés aux différents milieux où il évolue : il vit masqué au milieu de congénères qui font de même. Voilà pourquoi on ne connaît jamais totalement quelqu’un. La personne est un masque qui préserve son être profond du regard des autres.

    — Un caméléon, quoi ! C’est vrai que, moi-même, je m’adapte à mes interlocuteurs et que je ne livre de moi que des facettes que je choisis.

    — Et ce caméléon vit ainsi au milieu d’un carnaval permanent de… caméléons ! À propos de carnaval… paradoxalement durant cette période, pour pouvoir ôter son masque quotidien, il lui superpose un loup de carton qui lui permet d’être un peu plus lui-même sans se trahir : il cache son déguisement pour exprimer publiquement sa nudité, c’est un masque qui lui permet de se démasquer !

    — C’est compliqué !

    — Oui, mais ainsi il est toujours masqué !

    — N’empêche que quand il a bu un verre…

    — … oui, l’interrompt Thierry, sous l’effet de l’alcool, le résultat est pareil : la perte de toute inhibition laisse libre cours à des traits qui n’apparaissent pas en période ordinaire. Le reste du temps, il se pare d’un voile invisible et pastiche une transparence trompeuse.

    — Si je comprends bien, il se dissimule pour se découvrir et se découvre pour se dissimuler.

    — Oui, voilà toute la complexité d’un être qui s’oblige à jouer l’équilibriste comme il le peut. Funambule masqué sur le fil tendu entre ce qu’il est vraiment et ce qu’il aimerait être, entre son moi réel et son moi affiché, entre son moi privé et son moi public, il prend bien plus de risques psychologiques que physiques.

    — Quels risques ?

    — Pour commencer, ce jeu des déguisements offre des cachettes parfaites aux souffrances psychologiques comme la frustration, ou aux troubles de la personnalité comme le syndrome d’aliénation parentale d’Armande.

    — Une image de mère idéale qui camoufle un être profondément perturbé.

    — Voilà. Combien de fois n’est-on pas confondu par la découverte du mal-être profond d’une connaissance, voire d’un proche dont on ne soupçonnait rien ? Je pense, par exemple, à ces jeunes qui partent faire la guerre en Syrie sans que rien n’ait pu laisser prévoir leur choix. Ou encore, rappelle-toi, les médias ont annoncé avec stupeur le suicide par pendaison de l’acteur américain Robin Williams. On n’a décelé aucune trace d’alcool ou de drogue dans son organisme. Considéré comme le plus grand clown américain pétri d’humour et de sagesse, il semblait bien loin de souhaiter mourir.

    — C’est vrai. C’est un cas émouvant, mais au fond, c’est quoi, une personne « normale » ?

    — « Normale », je n’en sais rien. Est-ce que cela existe ? Moi, je peux juste parler des gens qui me paraissent heureux, qui me semblent « bien dans leur peau ». Je les trouve d’humeur constante et égale, sereins et équilibrés, c’est-à-dire sans excès d’aucune sorte, lucides sur eux-mêmes et sur leur place dans la société. Ouverts à la différence et aux multiples visions du monde, ils sont respectueux des autres auxquels ils sont particulièrement attentifs. Ils expriment simplement et naturellement leurs besoins, leurs émotions sans blesser quiconque. Au contraire, leur harmonie communicative semble se nourrir de leurs nombreuses relations. Rayonnants dans le moment présent, ils suscitent paix et sympathie. C’est l’image que me donnent ou m’ont donnée mes parents et mes amis Renaud et Denis.

    — Mais c’était aussi l’image de Robin Williams !

    — Eh oui ! Tu vois… les masques !

    — Cela confirme que l’on ne connaît jamais vraiment personne.

    — Il y a des gens que l’on connaît quand même un peu mieux.

    — Qui ça ?

    — Les amis. À condition que ce soient des amis au sens propre du terme, pas des copains.

    — C’est-à-dire ?

    — Hervé Lauwick définit l’ami comme quelqu’un qui vous connaît très bien et qui vous aime quand même. Mais il ne peut nous connaître très bien que si nous livrons notre être le plus profond, que si nous nous découvrons, que si nous enlevons nos masques. Comme l’amitié se joue à deux, elle suppose donc que cet abandon soit réciproque.

    — Oui, mais du coup, comme le constate Saint Exupéry, les hommes ont peu d’amis, ajoute Brigitte.

    — En effet, devant combien de personnes est-on prêt à baisser la garde ?

    — Moi, à part mon épouse, devant personne ! s’exclame la fille. Mais d’un autre côté, il est impensable de vivre sans masques. Tu connais comme moi des gens qui soudain se sont mis à dire tout ce qu’ils pensaient et cela s’est toujours terminé par une foire d’empoigne.

    — Comme dans le film Barbecue d’Éric Lavaine où, après un infarctus traumatisant, le personnage joué par Lambert Wilson veut se libérer de ce qu’il considère comme des chaînes et décide d’exprimer tout ce qu’il pense à ses amis. Autrement dit, il enlève ses travestissements.

    — Et c’est comme cela qu’il casse toutes ses relations, poursuit Brigitte. J’ai aussi vu le film. Il finit par être obligé de remettre ses déguisements s’il veut retrouver un minimum de vie sociale.

    — C’est normal. Je ne défends nullement l’idée qu’il faut vivre sans masque. Ce que je pourfends c’est le fait que certains d’entre eux nous rigidifient et nous obligent à jouer des rôles qui nous éloignent du plus profond de nous-mêmes et donc des autres. Vivre nu ce serait ne s’accorder aucune protection, ce serait étaler sa vulnérabilité, ce qui générerait le besoin d’être sur ses gardes et de se défendre. Du coup, nous serions en permanence sur le pied de guerre. Ce serait pire.

    — Donc, nous devons nous déguiser, mais seulement jusqu’à un certain point ? C’est cela que tu veux dire ?

    — Oui. Je vais prendre un exemple. Dans l’émission « Rendez-vous en terre inconnue » de Frédéric Lopez, le scénario est toujours le même. Une personne célèbre accepte de passer deux semaines avec une tribu retirée du monde qui a gardé son mode de vie ancestral et qui passe l’essentiel de son temps à essayer de subvenir à ses besoins primaires : se nourrir, se vêtir, se protéger. Chaque fois, la star est bouleversée par la chaleur, la simplicité, la solidarité et surtout le bonheur et le sens de l’essentiel de ces gens qui ne se plaignent pas ou peu.

    — Tu veux dire qu’ils n’ont pas de masques ?

    — Non. Ils portent aussi des masques, mais la communauté est leur premier bien et ils ne peuvent former un groupe solidaire s’ils ne sont pas ouverts les uns aux autres, si leurs relations ne sont pas franches et fluides. Leur survie dépend de leur cohésion. Ils savent où est l’essentiel. Cela n’exclut pas des zones intimes qu’ils préservent du regard des autres, mais celles-ci ne peuvent prendre trop de place, car leur quotidien près de la nature est exigeant et ne leur permet pas de porter tous ces déguisements dont en définitive le nombre est directement proportionnel à la fortune. Au plus on s’enrichit, au plus on s’isole et au plus on se maquille. Le « protocole » n’est-il pas une invention des aristocrates pour transformer et figer les relations interpersonnelles ? Et nous, ne passons-nous pas beaucoup de temps à tenter d’identifier la classe sociale de chacune de nos rencontres ? N’accorde-t-on pas plus d’importance à ce que fait l’autre qu’à ce qu’il est ? Les invités de Frédéric Lopez finissent tous par remarquer que leur vie confortable de citadin est très artificielle, car l’argent et le pouvoir, devenus biens suprêmes, ont pris la place de l’homme.

    — Quel intérêt trouvent les nobles dans ces masques sociétaux ?

    — À asseoir leur pouvoir en faisant prévaloir le titre sur l’homme. Les gens au sang bleu ne font plus partie du vulgum pecus, ce sont des notables institués. La paternaliste théorie justificative sous-jacente est que l’autorité s’exerce par la place qu’on occupe et non pas par ce que l’on est. Chacun d’eux doit pouvoir tout maîtriser et éviter toute contestation, quelle que soit sa valeur réelle. C’est bien là le rôle du masque : cacher ce que l’on ne peut voir, c’est-à-dire les faiblesses de ces individus qui jouent aux surhommes.

    — Tout cela ne profite pas au bien-être mental des gens.

    Comme tu dis ! Il y a aussi les masques nationaux. Un Américain, un Chinois, un Allemand, par exemple, se doivent de donner d’eux l’image qu’ils se font d’un Américain type, d’un Chinois type, d’un Allemand type. Ici, on privilégie la nationalité aux dépens de la personne parce que l’on considère qu’un Américain est en soi plus prestigieux qu’un anonyme Mr Brown !

    — Mais d’où nous viennent ces masques si spécifiques à chacun de nous ?

    — Je n’en sais rien, mais l’école, par exemple, apprend aux enfants non à s’exprimer, mais à répéter ce que le maître a envie d’entendre. Tout petit, l’élève s’habitue – ou non – ainsi à rechercher ce qui va faire plaisir à l’adulte. Mais ce n’est pas la seule source, loin de là. J’imagine qu’ils sont également issus des gènes, de l’aléatoire, de l’éducation, de l’histoire personnelle, du climat culturel, du siècle où nous vivons, autrement dit de ce que nous sommes au plus profond de nous et de ce que nous avons appris et pris aux autres. Notre nature a tout mixé en un potage chaque fois original.

    — Peu importe, au fond. Ce qui t’intéresse c’est que l’on se centre sur les résultats de cette évolution.

    — Oui, car pendant que l’homme joue à l’autre, il se ferme à ses contemporains et à lui-même. Qui suis-je ? se demande-t-il durant les entractes de la longue pièce qu’il présente quotidiennement depuis des années. Mais il s’interroge aussi sur l’autre : qui est-il ? Qui est qui ? Comment forger des relations durables dans un tel brouillard ? Ressentant confusément qu’il n’est pas celui qu’il croit être, mais craignant de découvrir qui il est et de perdre alors ses références patiemment construites, il préfère se calfeutrer derrière ses déguisements qui lui assurent des repères constants : il sait ce que les autres attendent de lui, il leur donne ou non ce qui les satisfait et il vit à côté de ses pompes !

    — Tu me rappelles Hervé, un ancien collègue, qui était toujours d’accord avec tout le monde, qui prenait tout de manière positive : il était impossible de se disputer avec lui. Il était l’ami de tous et tous le chérissaient : un vrai nounours en peluche. Un jour – j’ignore pourquoi, mais je pense que c’est suite à une tentative de suicide –, il s’est mis à exprimer des pensées moins consensuelles, plus personnelles et donc plus polémiques, il devenait lui, c’est-à-dire un autre pour son entourage. Comme le personnage de Lambert Wilson dans le film Barbecue, termine Brigitte.

    — Non, je ne le pense pas, car ce dernier n’est pas entré en contact avec son moi profond. Le souffle de la mort l’a soudain décidé à faire tout ce qui lui plaisait pour profiter de la vie au maximum. C’est tout. C’est un projet égocentrique. C’est une fuite en avant…

    Brigitte l’interrompt :

    — Tandis que le flirt d’Hervé avec la mort lui a ouvert les yeux sur lui-même : il a réfléchi à ce qui l’a amené là, s’est enfin accepté et a laissé son moi s’exprimer. Tu as raison : Hervé n’est nullement tourné contre les autres, il s’ouvre à lui-même, mais du coup il doit recréer ses liens avec son entourage qui ne peut plus s’adresser à lui comme avant.

    — Comme disait Rimbaud : « Je est un autre ». Ce qui perturbe la famille et les amis, précise Thierry. Si nous vivions dans une atmosphère de compréhension de nos natures complexes, nous pourrions nous livrer davantage et éviter ces détours et incidents.

    — Combien de cas comme lui ? De crainte de ne pas être acceptés, combien ne disent jamais ce qu’ils pensent et cherchent mille subtilités pour justifier une position qui n’est pas la leur, mais qu’ils croient être celle de l’autre !

    — Oui, et du coup, ils se contredisent et on les voit se décarcasser pour attribuer leurs contradictions à de soi-disant distractions ou pertes de mémoire.

    — Bref, ils vivent mal.

    — Ce qui est extraordinaire, c’est que dans tout cet embrouillamini, l’être humain pressent aussi que rien de durable ne peut se construire sur ces sables mouvants : il maintient un équilibre instable par un échafaudage de déséquilibres qui ne le satisfait jamais vraiment. Et c’est normal, car le bonheur, le vrai, celui qui est un état permanent, suppose que l’on soit d’abord en paix avec soi-même. Il y a donc une tension entre la crainte de changer pour accoucher de soi et la soif de félicité qui exige conscience de soi et prises de risques tout au long de la vie.

    — Tu veux dire qu’on serait tiraillés entre ces deux pôles ?

    — Oui, l’harmonie intérieure est un équilibre, une quête du juste milieu dans un rapport à soi et à l’autre. C’est un challenge d’oser dire qui l’on est avec l’espoir de rencontrer l’autre tel qu’il est.

    — C’est compliqué.

    — Oui. Le rapport à soi est non seulement au cœur de l’aventure humaine, il est la plus importante et la plus difficile aventure humaine. Je pense une nouvelle fois aux philosophes grecs ou bouddhistes qui depuis des siècles prêchent cette même « rengaine ». C’est un lieu commun, mais il n’est malheureusement pas communément mis en œuvre. Si tu en doutes, observe nos contemporains.

    — C’est normal, c’est lourd quand même !

    — Oui, ce l’est déjà pour quelqu’un de serein, mais pense à tous ceux qui sont taraudés par un complexe ou une frustration.

    — Et cela ne manque pas !

    — Ceux-là plus ou moins consciemment multiplient les masques, trichent encore davantage et développent des comportements compensateurs qui font illusion à l’extérieur, mais qui, pour eux, accroissent la difficulté de s’accepter tels qu’ils sont et de se soigner.

    — Comme ma voisine Armande !

    — Je ne le pense pas, car chez elle j’ai l’impression qu’on touche à un déséquilibre psychique plus profond dont elle ne se rend sans doute pas compte elle-même. Pour elle, j’imagine que tout ce qu’elle fait est bien fait. Je n’en sais rien, mais ses comportements sont tellement hors du commun que je ne peux croire qu’elle en ait la moindre conscience. Détruire ses propres enfants sous le masque de l’amour est une telle monstruosité que je ne peux imaginer qu’elle le fasse de manière délibérée. C’est sans doute l’effet d’un trouble peu commun. Mais je n’y connais rien et ce dont je veux parler ici ce sont de problèmes plus banals, comme les complexes que cachent mal de nombreux individus.

    — Les complexes d’infériorité et de supériorité ?

    — Notamment. On comprend le succès des réseaux sociaux qui permettent de s’exprimer à l’abri des regards : en l’absence d’interlocuteur en chair et en os, la communication non verbale ne risque pas de contredire les paroles. On écrit ce que l’on veut sans risquer de se trahir par des intonations, des mimiques, des gestes. On a l’illusion encore plus grande que l’on se connaît, que l’on a des amis par dizaines, par centaines, voire par milliers. Une foule de gens estiment ainsi connaître très bien quelqu’un sans même l’avoir rencontré en chair et en os. Cela paraît tellement simple. Plus d’effort à fournir : calé dans son fauteuil, bien au chaud de son contexte, on peut taper calmement sur le clavier et converser avec des dizaines de personnes dont on ne sait que ce qu’elles écrivent, et au mieux ce que leur webcam veut bien révéler de leurs mimiques. On est à l’extrême opposé de la vérité essentielle des peuplades de Frédéric Lopez qui, presque nues, œuvrent en communauté dans des conditions exigeantes, mais toniques.

    — C’est vrai que de nos jours le mot « ami » est dans toutes les bouches et sur tous les écrans !

    — La technologie est parvenue à boucler la boucle : jusqu’ici, l’être humain simulait un personnage à l’aide d’un masque, mais, cette fois, caché derrière Internet, véritable scaphandre opaque, le plus parfait camouflage, il déambule allègrement dans la virtualité et s’en délecte. Il est ce qu’il dit. Le rêve !

    — Où cela nous conduit-il ? demande Brigitte.

    — Bonne question ! Certainement pas vers un meilleur bien-être mental. Si tout le monde sait que les bactéries, les virus, les accidents et les gènes maltraitent plus ou moins fortement et plus ou moins durablement le corps, peu semblent se préoccuper du fait que les gènes, les aléas de la vie, les relations pathogènes perturbent pareillement un état psychique aussi fragile que l’état physiologique dès avant même la naissance, semble-t-il. Les réseaux sociaux jouent avec le feu, car si le rhume est le lot de tous, les complexes, les frustrations le sont tout autant. Quant aux conséquences, elles ne sont pas moins importantes pour l’esprit que pour le corps : le complexe d’infériorité est asthme de l’esprit et la psychopathie, un cancer. Les difficultés psychologiques, petites ou grandes sont au moins aussi répandues que les soucis de santé, mais bien souvent à l’insu de tous, y compris et surtout du principal concerné.

    — Et notre carnaval permanent, même sans Internet, embrouille bien tout.

    — Oui. C’est pour cela que la méfiance règne en maître et que nous tentons toujours de décoder ce que dit vraiment l’autre, précise Thierry.

    — Et la toile n’aide nullement à y remédier, puisqu’au contraire elle améliore l’occultation.

    — D’autant qu’il semble que les gens soient plus crédules face à l’écrit, face à l’écran de la machine, qu’ils ne le sont face à un être en chair et en os. On se méfie des hommes, pas de l’ordinateur qui cache l’être qui le manipule.

    — Peut-être comme tu le dis parce que la communication non verbale inexistante n’introduit aucun biais dans la relation, tente Brigitte.

    — Mais ce n’est pas tout ! Dernier avatar possible et non des moindres : l’amour qui rend aveugle, bien plus encore que l’ordinateur.

    — L’amour… un avatar ?

    — Tu connais aussi bien que moi des mésaventures consécutives à une union malheureuse.

    — Oui, mais un couple mal assorti, cela tient du hasard des rencontres.

    — C’est vrai, mais l’aveuglement de l’amour est amplifié dans une société masquée. Bon, bien sûr, la plupart du temps, les choses se passent bien, mais pour celui ou celle qui, par exemple, rencontre quelqu’un atteint d’un trouble de la personnalité indécelable pour le commun des mortels, le réveil peut être douloureux, voire tragique. Les pervers, par exemple, jouent sur du velours dans un univers où tout le monde triche.

    — Et si un pervers tombe amoureux d’une perverse ?

    — Je n’y avais pas pensé, mais c’est de la dynamite et personne n’y voit rien !

    — Même leurs enfants qui subissent inconsciemment leur sort dans l’ignorance générale.

    — Exact. Les « fragilités » psychologiques sont partout et c’est normal. Ce qui l’est beaucoup moins c’est que notre société ne semble pas prête à donner au monde du psychisme la place qui lui revient, c’est-à-dire la même que celle accordée au physiologique. C’est particulièrement criant à l’école. Alors que la période de croissance est une période cruciale et sensible, l’enseignement s’intéresse un peu au développement corporel, mais surtout à l’intelligence et présuppose que les enfants sont tous mentalement en état de se mettre en position d’élèves motivés, curieux et appliqués. Le système ne prévoit rien de permanent pour accompagner psychologiquement les élèves qui en auraient besoin. Or, tant l’expérience sur le terrain que le récit d’anciens étudiants prouvent que ces cas sont loin d’être anecdotiques.

    — C’est vrai. Je pense immédiatement au travail de reconstruction lent, patient et toujours en cours, de maman avec Sandrine, cette ancienne élève outragée et révoltée : cela fera bientôt 20 ans qu’elle l’accompagne. Mais reconnais que c’est impossible à faire à grande échelle parce que cela demande du temps et surtout parce que les gens ne sont pas prêts à reconnaître qu’ils ont un problème et à se rendre chez un psy. Quand tu es malade, tu le sais et tu as envie de guérir. Quand c’est un problème psychologique, tu n’es pas prêt à l’accepter.

    — Effectivement. C’est pourquoi je ne parle pas pour aujourd’hui, mais pour le futur. J’espère des progrès en psychologie et une évolution

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