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Odium Fati: Essai
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Livre électronique247 pages3 heures

Odium Fati: Essai

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À propos de ce livre électronique

Iría se dirigea muette et aveugle vers le fleuve. Enfin, elle qui s’était prise durant de longues années pour la muse de l’histoire, ne trouvait rien à penser. Elle tourna le dos à l’humanité, s’arrêta près d’une fontaine afin d’apaiser sa soif. Elle marchait péniblement, d’un talon déchaussé. Elle était empêtrée dans des fils gris, des toiles d’araignées pleines de cendres et de poussière. Elle avançait, perdant son souffle, sur l’herbe brûlée par le soleil noir de la mélancolie. Une main était posée sur la blancheur de sa nuque. Son dos était courbé, l’oeil bas, comme un pigeon blessé. Elle claqua quatre fois des mains. Une eau fraîche et immaculée l’éclaboussa. Personne n’y prêta attention. Elle était désormais seule. En une fraction de seconde le silence foudroya définitivement le son de sa voix. Le vent l’avait emportée.
Multiples morts sont considérées comme suspectes en raison de l’absence de témoins. Les dernières images prises par les caméras de surveillance, me montreront debout, tout près des eaux du lac Léman, de l’océan Pacifique, d’une rivière, ou du lac Nahuel Huapi, le regard plongé dans le vide ; tel un spectre postmoderne hésitant à devenir sirène, pour fasciner les marins de son chant vide de sens.

À PROPOS DE L'AUTEURE

Sandrine Iria Burri est née en octobre, elle enseigne la philosophie.
LangueFrançais
Date de sortie18 févr. 2020
ISBN9782889491292
Odium Fati: Essai

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    Aperçu du livre

    Odium Fati - Sandrine Iria Burri

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    Sandrine Iría Burri

    Odium Fati

    Pour les X, les Y et le Z, comme autant de phares qui illuminent mes océans imaginaires.

    Para S.

    Quel que soit ton chemin je ne serai pas loin

    Quel que soit le mien, tu me tiendras par la main

    À mon frère stellaire et que j’aime tel qu’il est : absent

    Je ne peux pas t’offrir tous mes rêves.

    Je ne peux pas te donner la vie que je vis.

    Toi et moi savons ce que signifie l’amitié.

    C’est tout ce qu’il nous reste.

    Tout ce que nous avons gagné et tout ce que nous avons perdu.

    Pour M.

    L’entier du Mémorial de l’île noire.

    Iría Burri, Black Box made of memories I

    Iría Burri, Black Box made of memories II

    Look into my eyes, you see trouble every day

    It’s on the inside of me, so don’t try to understand

    I get on the inside for you, you can blow all away

    Such a slightest breath, and I know who I am

    Tindersticks

    Je ne te l’ai jamais dit, mais nous sommes immortels.

    As-tu vu ces lumières ? Ces pourvoyeuses d’été ?

    Ces leveuses de barrières ? Toutes ces larmes épuisées ?

    Les baisers reçus savais-tu qu’ils duraient ?

    Qu’en se mordant la bouche le goût en revenait.

    A. Bashung

    How many lives do we live ? How many times do we die ?

    They say we all lose the twenty-one grams at the exact moment of our death. Everyone.

    And how much fits the twenty-one grams ?

    How much is lost ?

    How much goes with them ?

    How much is gained ? How much is gained ?

    Twenty-one grams… The weight of a hummingbird.

    Alejandro González Iñarritu

    Objet insolite

    J’aime les livres comme des objets. J’aime les toucher, les caresser, les feuilleter, les écorner, les déchirer parfois aussi. Mes filles font des pliages avec les romans policiers que je ne peux pas garder.

    L’hybridité de ce texte – manifeste politique, descriptions géographiques, essai philosophique, historique, autobiographie, fiction, méditation intime, excuses qui ne seront jamais lues – pourrait dérouter la lectrice ou le lecteur. Je l’ai écrit dans un souffle tortueux et déchirant, à cible cathartique.

    Il s’agit, chère lectrice, cher lecteur, d’entrer dans un univers composé comme un puzzle ou une tapisserie dont je suis le motif central. Toutefois, vous êtes des pièces du puzzle, les fils de la broderie.

    « N’essayez pas de régler votre raison, ces écrits ne sont pas des défaillances, je contrôle à présent, je maîtrise tout ce que vous allez lire et entendre. Apprêtez-vous à entrer dans une nouvelle dimension, une dimension faite non seulement d’images et de mots, mais aussi d’esprit. Une expérience entre réalité et fiction. Un champ d’hypothèses, entre poésie, croyances, philosophie, histoire, mythologie, révolte, amour, haine, désir, dans une contrée sans fin dont les frontières sont votre imagination. Prenez-moi la main et entrez avec moi, sans un geste de recul, dans la quatrième dimension. »

    Certains d’entre vous préféreront rester au seuil de ce territoire. Je les comprends.

    Cela dit, j’espère que d’autres prendront plaisir à tisser et déconstruire le fil de mes pensées, telle Pénélope faisant et défaisant sans cesse son ouvrage dans l’attente insupportable du retour d’Ulysse.

    Alibi

    Je sacralise les livres comme des objets. Des boîtes reçues d’ancêtres, Black Boxes made of memories, que l’on ouvre et referme et qui recueillent des choses possédant une âme, d’anciens bijoux, des timbres, des coquillages, des fleurs séchées, des cahiers de comptes, des lettres d’amour dont l’encre s’efface. Je mythifie les livres comme les images. Les images de vieilles cartes maritimes, de photographies sépia, d’albums emplis de récits familiaux et qui nous tournent vers le passé. Les images contemporaines, affiches, art, photographies prises à la va-vite avec la technologie moderne, nous tournant vers un futur toujours déjà là. L’espace-temps se resserre, telles des contractions de plus en plus rapprochées, annonçant un accouchement imminent. J’aime feuilleter les pages des livres, romans, poésie, essais philosophiques, atlas, en me demandant si je les aime un peu, passionnément, à la folie, ou pas du tout.

    Cet objet « livre », innocent à première vue, j’en ai toujours un sur moi. Généralement Le livre des êtres imaginaires de Jorge Luis Borges. J’emporte aussi un cahier pour noter rapidement quelques idées ici et là. Si le temps vient à me manquer, je vise et mitraille : objets, paysages, personnes, avec mon smartphone. Je radiographie avec mon cerveau.

    Les livres sont comme les femmes et les hommes du monde contemporains, à savoir sans justifications. En effet, comme le dit le philosophe Peter Sloterdijk : « Si l’on demande à un moderne : « Où étais-tu à l’heure du crime ? », La réponse est : « J’étais sur le lieu du crime. » Et cela signifie : dans le périmètre de ce monstrueux global qui, en tant que complexe des circonstances modernes du crime, inclut ses complices par l’action et ses complices par le savoir. La modernité, c’est le renoncement à la possibilité d’avoir un alibi. » Les livres sont désormais sur le lieu du crime, monstrueux et global ; et leurs auteurs ont beau chercher : ils n’ont point d’alibi.

    J’aime les bibliothèques réelles ou imaginaires : Manière de faire des mondes de Sophie Bouvier Ausländer, la bibliothèque du film Interstellar, la bibliothèque du docteur Faustroll (Jarry), la bibliothèque d’Alexandrie en Égypte, la bibliothèque de Babel de Jorge Luis Borges, ou encore, les bibliothèques miniatures de Marc Gkiai-Miniet. Je rêve souvent d’une bibliothèque cyclique mais n’étant pas architecte, il m’est difficile de la décrire. Peut-être comme un disque rayé, répétant sur un pick-up, le même morceau à l’infini : We only said goodby with words. I died a hundred times. You go back to her. And I go back to… We only said goodby with words. I died a hundred times. You go back to her. And I go back to black¹.

    Des « histoires à dire et à raconter », il y en a beaucoup, trop. J’en ai plein les poches, à côté des cailloux, des coquillages, des bouts de bois flottants et trésors divers, collectionnés par mes filles. Nous les ramassons – les histoires et les choses – au bord du lac, des rivières ou de l’océan : une odeur aquatique, lacustre ou océanique. Des histoires, j’en ai plein la tête : elles débordent et m’empêchent le plus souvent de dormir. Elles viennent me hanter la nuit, comme des phares qu’on ne peut lâcher de vue à l’exact moment du naufrage. Depuis mon enfance, je parle excessivement et cela ne plaît pas à grand monde – à vrai dire à personne. Petite, je racontais tout et n’importe quoi. Je me souviens de cette imagination débordante qui, souvent, envahit les enfants : être Nadia Comaneci, Lee Harvey Oswald ou Ulrike Meinhof, avoir droit à des funérailles nationales, retrouver Sarah Oberson, découvrir l’assassin de Grégory Villemin, jouer au foot avec Diego Maradona, devenir espionne grâce aux talkies-walkies de la ludothèque du village, être Martha Argerich, devenir écrivaine, épouser Robert Smith ou, faute de mieux, Simon Gallup, avoir la potentialité de déclencher des tremblements de terre à distance, opérer un moineau ou un lézard à cœur ouvert, avant de l’enterrer dans le jardin familial du souvenir, lui tressant une couronne de trèfles et de pâquerettes et en assemblant deux branches de lilas pour former une croix épineuse. Là, dans les tréfonds de l’animisme et de l’imaginaire enfantin, réside un véritable potentiel révolutionnaire : rien n’était de trop pour moi, rien n’était assez non plus. Tout était possible, à portée de main. Il me fallait plusieurs vies et être lumineuse, comme des étoiles ou des navires dans l’obscurité des nuits océaniques. Scintillante dans chacune d’elles. Sauver des marins, dominer les hommes, être immortelle. Être l’héroïne de toutes les histoires.

    ***

    Dans une certaine mesure, je suis restée ancrée à mon enfance. Au fil du temps qui s’écoule implacablement, les histoires à dire et à raconter ne cessent de croître ; Les contenus s’ajoutant à d’autres contenus, comme des piles de livres à lire ou à écrire, comme des pièces de Kaplas. L’imagination est devenue ma meilleure amie et ma pire ennemie. Pourquoi ? Parce que, face à elle, le réel a toujours triste mine. Lors du violent combat qui aura lieu tôt ou tard entre le réel et l’imagination, l’imagination l’emportera. En attendant, il me faut trouver une parade pour supporter le réel, tel qu’il se présente, crû et brutal, avec ses petits bonheurs et grands malheurs. Il faut apprécier le moment présent – enfin c’est ce que l’on me répète sans cesse. Il faut le vivre pleinement. Il n’y a qu’une seule solution à mes yeux : se raconter et dire le réel en le parant de joyaux, des bijoux et des rubans de l’imagination. Il ne s’agit pas d’un énième cas de mythomanie pathologique. Absolument pas. Sublimer le réel est le seul moyen de faire avec, si l’on part du principe qu’une seule vie nous est offerte, une seule chance, un seul tour de roue. Je ne sais pas pour vous, mais il est terrible pour moi de savoir qu’il n’y en aura pas d’autre. Sans l’imagination, force est de constater non sans effroi que nous sommes uniques, que cette vie est la seule qui nous soit donnée et qu’il nous est imparti de naître, d’exister et de mourir sur terre, de manière sensible – c’est-à-dire finie.

    Iría Burri, Telephone’s ringing in empty room

    International human’s claim

    Certains des événements rapportés ici sont réels.

    Tous les personnages sont imaginaires.

    Jorge Ibargüengoitia

    « Les recherches sur les spectres continus des étoiles des premiers types spectraux qui ont été exécutées il y a quelques années à la Station Scientifique du Jungfraujoch et à l’Institut d’Astrophysique furent limitées à un très petit nombre d’étoiles brillantes suite à la très faible ouverture de l’instrument utilisé. Il serait intéressant d’étendre ce travail à des étoiles plus fragiles et plus nombreuses appartenant aux diverses catégories stellaires connues aujourd’hui et d’explorer pour chacune d’elles, le plus grand domaine spectral possible. » Ceci dans une visée générale d’investigation scientifique.

    Quant à Iría, elle cherchait tout simplement, par le biais des spectres continus des étoiles, à en savoir plus et à vérifier quelques hypothèses sur l’amitié stellaire dont parle Nietzsche. Probablement qu’au travers de ses relations amicales, Nietzsche cherchait à satisfaire deux instincts se nourrissant l’un l’autre. Il voulait se détourner de la pulsion de mort qu’il ressentait par rapport à lui-même et, aussi, à rivaliser avec l’autre, lui adressant un paradoxal mélange d’admiration et de haine. Aussi, l’amitié était un moyen de sublimer ses pulsions agressives et de considérer autrui comme une personne antithétique. Certes l’amitié est à concevoir chez Nietzsche comme un ruban de Moebius, car il y a un rapport fragile qui, à tous moments peut se retourner et transformer l’amitié en amour ou en haine. La topologie de la boucle de Moebius est une surface dont les bordures sont homéomorphes à un cercle. En d’autres mots, la boucle de Moebius ne possède qu’une unique face, contrairement à un ruban classique qui en possède deux. La surface a ceci de singulier qu’elle est réglée et non orientable. Il est aisé de visualiser la boucle de Moebius dans l’espace par une simple expérience : il suffit de faire subir une torsion de 180 ° à une bande de papier puis de coller les deux extrémités, créant un ruban infini n’ayant ni intérieur, ni extérieur².

    Pour en revenir à Nietzsche, il ne demande pas à ses amis de marcher à ses côtés. Il leur demande beaucoup plus (un sacrifice à vrai dire), à savoir d’être l’ombre fictive de son propre destin.

    Pour Nietzsche, l’amitié ne peut être que fortuite, sans continuité. Cette conjoncture inespérée d’amitié est proche de l’amour, dans la mesure où il nous faut affronter la totalité du monde naturel, vivant et humain. Ces possibilités d’amitiés qui fluctuent dans la mesure où tout est en devenir se situent « à la fois dans la lumière grecque et dans le monde stellaire, pur et clair de l’Orient. » L’amitié est surhumaine et ne peut donc être que stellaire, c’est-à-dire vouée à disparaître de manière énigmatique, comme une étoile qui toujours dépendrait du soleil.

    Iría, lisait dans les regards, en y cherchant précisément l’ami à aimer. Elle était différente de Nietzsche en ceci qu’elle ne demandait pas à ses amis d’être l’ombre imaginaire de sa destinée. Pire encore, elle cherchait des amitiés fraternelles et incestueuses. Certains avaient réagi sous le signe de la haine, la laissant périr, comme une étoile qui, pour les mortels, brille longtemps après sa mort. Cette lecture dans les iris des yeux s’intensifiait plus encore à l’approche de l’hiver. Ce n’est pas qu’elle sentait quelques dons divinatoires. Elle trouvait tout simplement les gens – sauf quelques rares spécimens – d’une transparence angoissante. Ce jour-là, elle était assise avec une chemise kaki et une jupe courte en soie noire dans la salle d’attente de l’office International des plaintes (O.I.P.). Elle ne savait guère ce qu’elle faisait là. Peut-être allait-on essayer, une fois encore, une fois de trop, de l’interroger quant aux multiples activités terroristes de son père, haut dignitaire de l’organisation Euskadi ta Askatasuna (ETA).

    Ils n’avaient jamais voulu comprendre que cela ne servait à rien. Elle avait vu son père cinq à sept fois dans sa courte vie. Et surtout, jamais il ne lui avait parlé de ses affaires, hormis ses activités liées au cinéma. Iría avait grandi un temps dans un pensionnat huppé et protégé de jeunes filles de « bonne famille », proche de la Jungfraujoch, jusqu’au moment où ses idées gauchistes et sa sexualité débridée avaient fatigué les sœurs catholiques.

    Peut-être aussi voulait-on savoir si elle possédait les mêmes dons que sa grand-mère maternelle, à savoir Margaret Lanterman, plus connue sous le nom de la femme à la bûche. Celle qui pénètre et décrypte les mystères de Twin Peaks.

    « Quand elle traduit les messages de sa bûche, Margaret devient le porte-parole de la forêt. Elle ne s’embarrasse plus de la grammaire, elle n’organise plus ses mots de manière logique, elle les juxtapose pour relater des faits purs, ou des symboles qui lui semblent clairs. Débarrassée du filtre du langage, sa parole devient une sorte de reflet de l’inconscient. Tout comme, d’ailleurs, la forêt de Ghostwood elle-même, par sa topographie, peut refléter l’âme. En se basant sur les éléments donnés dans la série et les cartes parues dans le Guide de Twin Peaks, on se rend compte que si on s’enfonce dans les bois au départ de la ville, on trouve d’abord la cabane de Margaret, puis celle de Jacques Renault. L’une abrite la sagesse (avec aussi une dose de folie), l’autre est un endroit où l’on peut s’abandonner à toutes sortes de plaisirs défendus. Plus loin encore, se trouvent Pearl Lakes et les chalets qui appartiennent respectivement aux Packard et aux Palmer. Dans le premier, Andrew Packard et sa sœur, Catherine Martell, ont tous deux trouvé refuge en s’écartant d’un monde qui les croyait morts. Dans l’autre, ou plus exactement à côté, vivait selon Leland Palmer la première incarnation de Bob le tueur. Cette promenade dans les bois est en fait un véritable voyage à l’intérieur de l’esprit humain. Si l’on considère cette crête, au pied de laquelle vit la Femme à la bûche comme la limite de la conscience, en allant au-delà, il devient naturel de rencontrer, dans les chalets, trois instincts de base de l’être humain : la libido, l’instinct de préservation et l’instinct d’agression. On a dit de Lynch qu’il avait un accès direct à son propre inconscient. Avec Twin Peaks, il offre à l’Amérique l’occasion d’observer le sien sur un écran de télévision³. »

    Margaret prétendait et avait toujours prétendu (elle était désormais morte et enterrée avec sa bûche), que ce stupide bout de bois qu’elle emportait partout avec elle lui parlait et qu’elle pouvait présager de quelques destins de nous autres, les mortels. Elle

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