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Abécédaire pour les intimes: Tome 2
Abécédaire pour les intimes: Tome 2
Abécédaire pour les intimes: Tome 2
Livre électronique328 pages4 heures

Abécédaire pour les intimes: Tome 2

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À propos de ce livre électronique

Mal du pays, regrets du passé. Ou regrets dans le passé. Sur l’axe temporel, Elle ne se définit qu’une fois. Un indice ? Nous parlons et enterrons le présent dans l’instant qui lui appartient. Sarcophage que nous laissons divaguer dans l’espoir de retrouver sa trace sur les bords d’un cours d'eau. La nostalgie ! Vous avez deviné ! Tout ne serait que pure coïncidence sans elle. Même les gestes les plus rudimentaires. L’homme divaguerait au gré de ses humeurs. Sans constance, sans joie, sans projection vers l’avenir. Cette variable nécessaire priverait pêle-mêle, les enfants de l’amour des parents. Le monde professionnel de ses règles et de ses impondérables. Les banquiers et leurs clients d’une camaraderie au-dessus du « zéro euro ». Les politiciens de leurs appartenances idéologiques etc.… On se rappelle, et c’est tant mieux. Non sans y mettre à chaque fois une masse d’affect bien pesée. Mais c’est à l’école que nous devenons citoyen…Alors ! Que dire après cela ? Peut-être ai-je tort de choisir entre le roman et l’autobiographie ? Mais peut-être pas, en fin de compte. Car, ne parle-t’on pas de dimension romanesque, lorsque nous évoquons nos souvenirs d’antan ? Il n’y a qu’à écouter cette splendide chanson de Gilbert Bécaud, « La vente aux enchères » : « Moi qui ai des souvenirs à ne plus savoir qu’en faire. Venez assister messieurs, mesdames, à ma vente aux enchères ».
LangueFrançais
Date de sortie21 sept. 2015
ISBN9782312037974
Abécédaire pour les intimes: Tome 2

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    Aperçu du livre

    Abécédaire pour les intimes - Philippe Laguerre

    cover.jpg

    Abécédaire pour les intimes

    Philippe Laguerre

    Abécédaire pour les intimes

    Tome 2

    De G à K

    LES ÉDITIONS DU NET

    22, rue Édouard Nieuport 92150 Suresnes

    © Les Éditions du Net, 2015

    ISBN : 978-2-312-03797-4

    Avant-Propos

    En guise d’ouverture du second tome, je m’autoriserai un bref laïus sur une notion littéraire : Le Gabionnage. Sorte de pratique qui passe par l’utilisation de grands paniers que l’on emplissait de terre, afin de mettre à couvert les soldats lors d’un siège. L’image est suffisamment forte pour servir la cause d’une transition entre deux époques d’écriture. Mais en aval, cet emprunt que vous me permettrez sans doute, s’orientera de lui-même sur l’absence de Gabionnage au sein de ce récit. Non que je puisse couvrir certaines pratiques des acteurs à ce stade. Rassemblés, ils apparaissent disparates et presque hétérogènes dans ce qu’ils ont à apporter à cette œuvre.

    Comme il est fondamental d’appartenir initialement à ses parents, à sa langue, à sa religion, à son groupe culturel, il serait abusif de croire que ces mêmes augures, ces contextes d’appartenances, puissent nous offrir l’asile loin de nos défauts originels.

    L’avantage des mères est qu’on leur appartient quand on est enfant, ce qui nous permet plus tard de devenir autonome et de les quitter. Fort heureusement, il préexiste toujours en amont un gabionnage d’êtres, susceptibles de voler à notre secours en cas de besoin. Ces mains tendues dans notre parcours semé d’embûches nous permettent d’y voir plus clair lorsque notre sens du dialogue, notre diplomatie s’égarent sur le terrain de la fierté et de la rancœur.

    Il ne faut jamais oublier que la fonction maternelle qui nous a donné le jour, nous a conforté déjà et depuis notre naissance, à l’apprentissage du souvenir. Nous avons aimé ou détesté, recueilli des enseignements de nos erreurs commises, mais nous en avons gardé le ressenti. Nous en avons oublié les mots durs, les échanges houleux.

    L’aigreur nous a parfois gagné, mais nous nous sommes souvent penché sur nos ennemis, comme le fit jadis la plus tendre des mères au regard des vicissitudes de sa progéniture et nous avons pardonné. Nous possédons dès à présent le pouvoir de tendre la main. Regardons-nous : Le sentiment est tout, les noms ne sont que du bruit.

    G.

    GENEVIÈVE

    Elle entrouvre ses grands bras pour me faire une place dans son lit. Je me blottis contre sa poitrine et nous dormons du sommeil du juste. Ma sœur de cœur et de sang porte en son âme, la douceur et la vigilance d’une mère depuis sa plus tendre enfance. Nombreuses furent les fois où, emporté par les spasmes de mon asthme chronique, je n’arrivais à trouver le sommeil. Elle restait assise près de moi. Par des gestes simples et attendrissants, elle me montrait les rudiments de la respiration assistée.

    S’il est des rêves que l’on ne peut expliquer que par l’intervention d’un ouvrage approprié, ou d’un ami qui voudrait bien se faire passer pour ce qu’il n’est pas, La nature a très souvent conviée à sa table des êtres simples qui ne demandent qu’à être aimés pour ce qu’ils sont.

    Très jeune, aussi loin que je puisse l’affirmer, ma sœur a toujours été pour moi la franchise, la modestie incarnée. Devrais-je ajouter la simplicité qui, depuis sa plus tendre enfance, lui fit demander à sa mère, après le repas, d’avoir la possibilité d’aller au Dodo aussi sec ?

    Emboîtant le pas de son aînée sur le chemin de l’émancipation, il m’était difficile d’oublier la maman qui m’avait tant de fois choyée tout contre son cœur.

    Ne me faîtes pas dire ce que je n’ai pas dit ! Les sentiments sont des réactions organisées à une situation donnée, des régulateurs de l’action. Son cœur n’en restait pas moins dévoué à l’affection sans concessions d’un frère, qui plus est le seul, aux demandes incessantes de gestes orientés et affectueux. Ce triste grigou, ne laissait transparaître qu’une ruse rodée à souhait pour l’examen scrupuleux de ses seins. Car elle a hérité, avant même de s’être acquittée des droits de succession, d’une poitrine opulente qui n’est pas sans évoquer ce poème du fétichiste Ramon Gomez de la Serna, que je m’empresse ci-dessous de vous faire partager :

    – « Il y a des seins pleins de calme

    Il y a des seins pleins de douleur

    Il y a des seins pleins de passion

    Il y a des seins pleins de divorces

    Il y a des seins pleins de calamités

    Il y a des seins pleins de plombs de chasse

    Il y a des seins pleins de petites médailles de la Vierge

    Il y a des seins pleins de menue monnaie

    Il y a des seins pleins de noirceur sous leur surface blanche

    Il y a des seins pleins comme des ballons

    Vous ne me tiendrez pas rigueur d’un écrit qui ne m’appartient pas, dans l’ébauche comme dans la chute, que je trouve par ailleurs, assez médiocre. Hormis le fait que l’on passe de la contenance fantasmatique et purement aléatoire, du particularisme, à l’énonciation finale du fétiche assumé. C’est un jeu aussi frais qu’une bouteille d’eau gazeuse oubliée dans un vide grenier. Amusez-vous à remplacer les compléments par ce qui vous passe par la tête, vous obtiendrez une renommée d’écrivain tout à fait égale.

    Mais sorti de cette entrée en matière qui ne constitue pas en soi l’anecdote attendue, je vais rhabiller ma sœur, si vous le permettez, pour nous transporter en 1982, date à laquelle et par sa faute, je dus dormir les nuits suivantes à l’aide d’une toute petite veilleuse pour ne pas voir surgir du placard, l’ignoble monstre cinématographique et choquant, je dois le dire aujourd’hui encore.

    Comment peut-on être vacciné contre une œuvre quelle qu’elle soit ? « Éléphant Man » s’écriait-elle, en essayant de convaincre ma mère de me laisser aller voir le grand John Hurt. À vrai dire, il n’était pas besoin de quémander ma présence à l’événement. Elle s’imposait naturellement auprès des instances supérieures de la famille.

    Elle traversait une passe difficile, compte tenu du fait que ses études pour devenir auxiliaire puéricultrice lui demandaient énormément de temps de révisions et de préparations. Elle fut intègre jusqu’au bout. Telle une amazone perchée sur son cheval métaphoriquement appelé « ambition », elle s’isolait de tous, par moments, comme pour ensevelir sa jeunesse. Féconder son propre espoir d’indépendance.

    « La vertu est, ce me semble, santé, beauté, bonne disposition de l’âme, et le vice maladie, laideur et faiblesse », nous précise Platon dans son banquet réservé VIP.

    La sélection naturelle selon l’homme par l’homme. Combien de fois à travers les âges et les siècles de réflexion, sommes-nous parvenus au constat que l’autre qui justifie notre présence soit à la fois, notre champ réducteur de conscience et notre ostracisme déclaré mais incertain ; alors qu’il peut être tout aussi bien notre éclosion de conscience et par-delà, notre pouvoir d’imposer notre propre volonté ?

    L’année 1982 apporte son lot de découvertes puisque ce jour-là dans un cinéma de centre-ville, j’eus la malchance de voir surgir du tréfonds de mon esprit, le sens critique qui me faisait défaut jusqu’à lors.

    Vous rappelez vous du tout premier jugement porté sur autrui ? Semblerait-il incommodant de vous souvenir de la toute première fois où, malencontreusement, vous n’avez pas répondu à un acte contraignant par « oui » ou par « non », mais par une locution introductive ou une conjonction quelle qu’elle soit ? L’analyse réflexive s’efforce de retrouver dans une pensée quelconque, la Pensée tout entière. C’est un effort de l’esprit pour se distinguer des phénomènes et se saisir dans sa production.

    Dans ce cinéma, il ne pouvait en être autrement. A la réflexion, je fis même mon tout premier acte de pensée.

    L’entente

    Nous étions jeunes, mais solidement attachés les uns aux autres. Trois adolescents dans l’espoir de le devenir prochainement. Stéphane, Yves et moi. Il n’y a qu’une belle chose, c’est une âme libre et indépendante. Une seule idée puissante et productive et la soif joyeuse de la vie qui s’entrouvre sur nos pas. Geneviève voulait nous faire partager un moment particulier qui n’appartiendrait qu’à nous. Voir un film ensemble et à cela, ajouter une pierre fondamentale à notre amitié.

    « Éléphant man » avait tous les critères de l’événement fantastique. Le seul problème résidait dans ce que nous en ferions après.

    Yves véhiculait l’image du jeune introspectif. Plongé dans ses pensées et sans non plus le décrire ici plus qu’il ne le faudrait, pour ne pas lever le voile sur son identité, je pourrais résumer l’énergumène dans une sphère qualifiée de « réservée ».

    Stéphane n’en était pas moins, mais sa constance dans l’effort l’avait vu si souvent déplacer des montagnes, dans l’optique de s’attirer un tant soit peu de notoriété de cour de récré, qu’il pouvait aisément rivaliser avec ma fougue et ma capacité à faire taire le stupide trublion désireux de déstabiliser notre entente.

    Trois super héros jouant aux billes ensemble. Le bon castagneur (moi), l’irrépressible despote au sens artistique précoce mais aiguisé (Stéphane), et le pudique charmant comme rempart à toute dérive vulgaire (Yves). Nous étions complémentaires.

    Je ne dis pas qu’il fallut bien des fois nous séparer pour éviter toute crise de bon voisinage, mais les rares altercations se réglaient aussi sec.

    L’aventure

    Bref, cette sortie était attendue dans les chaumières. Le bus qui nous conduirait, ma sœur et mes amis de vie, s’arrêterait à Castellane. La place du même nom qui me vit quelques années plus tard, passer des moments impérissables à la terrasse d’un vieux café récemment ouvert.

    Mes deux comparses n’aimaient pas le bus. Peut-être trop choyés par des familles concentrées exclusivement à les contenter, ils se sentaient perdus. A leur âge ainsi qu’au mien, il est difficile de s’éloigner du giron sans traîner avec soi, les pères ou mères pour le moindre déplacement. Stéphane avait embrassé la sienne avec une telle ardeur que l’on pouvait présumer un long périple. A mes yeux, au même instant, j’imaginais le candide faire son paquetage pour partir au service militaire. Mais Soit ! Vous pouvez arracher l’homme du pays, mais vous ne pouvez pas arracher le pays du cœur de l’homme. Notre enceinte quotidienne dans la résidence de Nestlé à Marseille pouvait bien attendre, nous irions au cinéma !

    Ces magnifiques salles de cinéma ! Un ébahissement permanent ! En ces temps reculés où la jeunesse déforme une réalité consumériste balbutiante sur les choses qui l’entourent, je me sentais important dans ces lieux. Une vaste salle pentue et jonchée de sièges aux motifs imprimés rappelant le pied de poule particulier du propriétaire. Des allées enluminées par des dalles. A l’image de la piste de danse de Travolta comme un Saturday night Fever improvisé.

    En rang d’oignon et bien installés, la séance démarre.

    La publicité de trois minutes suffit et le film commence.

    Au tout début, rien de plus anodin. Un jeune couple parcoure la steppe d’une terre non dévoilée. La femme charmante, portant une robe coloniale, gambade gaiement, accompagnée par l’individu présumé « époux ». Une tente, la nature comme seul cadre d’une idylle certes chaste, mais tendre et délicatement enrobée par une musique douce pouvait laisser présager le pire. Ils s’endorment et le calvaire pour nous commence. L’homme sort de la tente, entendant du bruit au dehors. Un vacarme de tous les diables. La jeune femme à peine horrifiée par le non-retour de son cher et tendre. Un silence, gage de calme avant la tempête et la voilà ! En train de se faire piétinée par un troupeau de pachydermes indéfinissables. Au cœur de la nuit ambiante, on se demandait presque pourquoi ces monstres avaient décidé d’anticiper le lever du soleil pour chercher leur propre cimetière !

    Et Vas-y que je te tourne la tête de gauche à droite comme pour simuler l’orgasme. Pas une goutte de sang et en plus, vous allez rire ! Elle s’en sort !

    De retour dans le pays natal, elle avait perdu l’intégralité de ses attaches et décide de se débarrasser de l’enfant qui vit toujours mais qui « pourrait » avoir subi certains traumatismes. Tu penses ! Même pas le temps de devenir yogi ce pauvre petit être et déjà affublé du stigmate de cascadeur !

    Par la suite, et pour vous la faire courte parce que ce n’est pas que je m’ennuie, mais il reste une histoire vraie à commenter, on tombe dans les bas fond de Londres où un cirque itinérant présente la progéniture adulte défigurée, comme une étrangeté du divers et je pèse mes mots. Je peux m’être trompé dans la description, mais ne me demandez pas d’aller vérifier. Faites-le vous-même !

    Voilà l’histoire. Mais je rassure le lecteur. Cet aparté n’était destiné qu’à vous présenter le cadre d’une scène mémorable qui se déroula pendant la projection.

    Nous étions assis et collés pratiquement les uns aux autres. Ma sœur en tête de gondole, s’assura que nous ne manquions de rien. J’étais pris entre Yves et Stéphane. En cet après-midi, la salle était bondée et nous avions réussi à trouver une travée qui put nous contenir côte à côte. L’entrée en matière du film laisse perplexe mes deux acolytes.

    Normal ! Tout n’est que suggestions ! Et c’est bien connu en matière de fiction, on métaphorise pour donner un maximum de sens à l’image.

    Donc pas de crainte. C’est la suite et notamment le visage à découvert de l’innommable individu qui déclencha le drame. Nous étions enlacés avec Stéphane. Il prit ses jambes à son cou, et voulu partir sur le champ ! Geneviève qui tressaute tente de le rattraper, ce qu’elle fit avec la plus grande fermeté. Je désirais également quitter le navire et prit la direction opposée. Mais dans mon égarement le plus soudain qui soit, je me prends les pieds dans les jambes de Yves qui hurle à la mort tant la rapidité de l’acte n’est que peu attendue. Je parviens à sortir de la salle et je me retrouve nez à nez avec l’ouvreuse qui me récupère en bien piteux état.

    Je me souviens à peine ce qu’elle me murmura à l’oreille. Mais son visage était une bénédiction pour moi. Elle semblait douce et rassurante. De longs cheveux blonds tressés. Elle me caressait langoureusement mes joues chargées de larmes. Puis elle me prit la main et m’emmena derrière le comptoir aux surprises pour m’offrir un délicieux esquimau à la vanille. Le temps qu’elle rejoigne la salle afin de trouver le parent qui m’avait perdu, elle croise Geneviève et Stéphane. Elle le tenait à bout de bras tant il était choqué. Me voyant déguster la glace, il s’arrêta de geindre et pria ma sœur de lui en offrir une. Ce qui fit hurler de rire l’ouvreuse. Elle s’exécute et nous sommes de concert assis derrière la petite officine, balançant nos jambes machinalement, tout en étant rassuré d’être sorti de ce guêpier.

    Les deux adultes discutaient, échangeaient, devisaient. Bien que des explications me furent demandées à moi et à mon comparse, nous étions, parait-il, muets comme de carpes. Nous regardions les sublimes bonbons en face. Les étalages regorgeaient de ces mets improvisés et dangereux pour nos canines juvéniles. Geneviève en avait à dire sur l’événement. Si bien qu’elle en oubliait Yves, resté dans la salle. Je ne comprenais pas pourquoi elle nous emmena visiter le magasin de jouet de la rue de Rome. Elle souriait et nous fûmes aux anges. Nous passons deux bonnes heures quand tout à coup, elle se rappela le petit être qu’elle avait laissé à l’abandon. Elle nous prit par le bras et nous remontions la rue précédemment citée pour parvenir au cinéma.

    L’ouvreuse avait fini son service et nous voilà en train de chercher l’émancipé dans les travées sombre de la salle. La séance suivante avait commencée. À cette époque il n’y avait pas de contrôle. Vous preniez un billet et vous pouviez voir le même film toute l’après-midi sans que personne ne vous remarque. A condition, bien sûr, de se faire gentiment oublier. Elle sanglotait presque et bientôt, l’ensemble de la salle cria au scandale. Nous prions le projectionniste de rallumer l’antre et nous découvrons dans un endroit presque inaccessible, proche de l’issue de secours, Yves, prostré, en position fœtale, incapable de se relever. Certes il avait été choqué par ce que nous avons redouté de prime abord mais, à ses dires presque inaudibles, il a ressenti l’abandon comme une trahison de notre part et plus encore de ma sœur qu’il estimait énormément.

    Jamais on ne fait le mal si pleinement et si gaiement, que quand on le fait par conscience. Pour sa part, elle avait tenté de parer au plus pressé. Nous l’emmenons dans un petit snack de la place Castellane, où tout lui fut permit. Il s’envoya trois hot dog, et je ne sais plus combien de gaufres au Nutella. Celles-ci même qu’il s’empressa de partager avec nous. Geneviève redoutait qu’Yves parle à sa mère, et qu’une énième dispute s’amorce mais ce ne fut pas le cas. Yves tint sa bouche fermée. Geneviève était aux anges. Elle nous emmena visiter le parc Borelli, summum du tourisme marseillais. Notre Dame de la Garde, la vieille charité et d’innombrables visites dans les grands magasins. Nous étions devenus frères de circonstances. Nous ne nous en plainions pas. Une générosité sans limites s’était éprise de ma sœur. Elle voulait sans doute recréer avec nous et par nous, une sorte de cellule familiale et fraternelle. Un don de soi qu’elle se chargea toujours de garder à l’esprit, lorsque, exténué d’avoir joué brillamment dans les petits clubs marseillais, elle m’offrait le gîte et le couvert.

    Il faut avoir pris possession de soi dans cette quête douloureuse hors de laquelle, rien n’est à nous et nous n’avons rien à donner. J’entrais dans l’âge adulte. Elle serait à mes côtés.

    GENEVIÈVE(2)

    Elle n’était pas un membre de ma famille proche ou éloignée. Pas non plus une de mes amies dans mes différents cercles constitués. Ce n’est pas un animal, ni une chose, mais qu’est-ce que c’est ? Une ombre parmi tant d’autres. À travers elle, les sentiments les plus abjects surgissaient de mon inconscient.

    Une excuse pour parler ici des bien nommés « Nouveaux Riches », d’un certain âge, qui mangent à la table de personnes de même bord et plus, si affinités intéressantes.

    Le visage creux. La réminiscence d’une coiffure à la Mireille Matthieu. Incapable de tout, sauf de se présenter comme engageante.

    J’ai dîné de nombreuses fois en face d’elle, sans jamais comprendre ce qui poussait les géniteurs de soirées mondaines à l’inviter. Elle engloutissait, bâfrait, certes avec délicatesse, mais dans des proportions considérables.

    Toujours polie, mais sans la moindre espèce de culture (Desproges sera d’accord avec moi pour lui signifier que ce trait de la personnalité reste aujourd’hui encore, qu’une option qui ne mette en péril le fonctionnement de l’être).

    Reléguons la perfide au rang d’ignorante, de peur de lui trouver des circonstances atténuantes. Une banalisation trop usitée pour pardonner à ceux qui nous entourent, (par pure charité chrétienne, si tant est qu’elle puisse exister aujourd’hui) mais qui n’apporte rien de plus que la maigreur de réflexion. « Les hommes n’ayant pu guérir la mort, la misère, l’ignorance, ils se sont avisés, pour se rendre heureux, de n’y point penser » comme le soulignait Pascal.

    Nouveaux riches donc, qui tirent leur épingle du jeu par une recherche perpétuelle de personnes, beaucoup plus enclines à les mettre au parfum, qu’à les resituer dans le droit chemin du « vrai ». Une cour se constitue et le seul fait d’en faire partie, pousse les nouveaux riches vers l’orgasme social de la surenchère.

    À travers elle, je déverserai quelques pensées à la sauvette qui n’engagent que moi et qui pourront peut-être vous éclairer sur un genre, une anomalie créée par nos ambitions carriéristes à la sauce libérale.

    Économie de marché ne rime pas avec économie de moyens. Le nouveau riche s’accapare son outil de travail. Non pas qu’il eut été dénué de sa maîtrise originelle, mais il pense pouvoir trouver par ce biais la consistance nécessaire à donner du volume et de l’ampleur à son charisme commercial. La faconde avec laquelle il manie les mots du secteur professionnel précité, témoigne par « aspect », d’un être accompli et complaisant.

    Pourvu d’un physique agréable par procuration ou par mimétisme style Gucci, il choisit ses amis pour des circonstances particulières. Il offre toujours le premier coup à boire. Comme le pêcheur, il prépare ses appâts. Il passe une bonne partie du temps au téléphone. Alimentant de ce fait ses réseaux, il s’improvise le nouveau Bill Gates régional des ressources humaines d’un secteur qui va, à vue de nez, de Cergy à Noisy.

    « Les Anciens, monsieur, sont les anciens et nous, nous sommes les gens de maintenant », répétait sans cesse le héros du malade imaginaire, dont je ne vous ferai offense de nommer ici l’auteur.

    Le N.R ne veut de prise sur le temps. Il est le grand horloger de ses affaires. Il sait reconnaître quand un secteur est novateur et quand un autre devient désuet. Il anticipe, prévoit, énumère le champ des possibles. Un carnet d’adresses toujours fourni. Il connaît les lieux « Hype{1}» et les prises de risques. Ne fonctionnant que sous la houlette du paraître non agressif, il scrute avec détermination l’obole d’une invitation grand-standing.

    S’il est plus petit que le pêcheur, médisant, le N.R n’a pas eu l’audace, ni l’invention du péché. Il s’y frotte, mais ne s’y complait vraiment. Il n’en a pas la jouissance non plus, mais grignote ses restes en cachette.

    La notion de temps

    Pourquoi se plaindre de posséder dans le temps une limite ? Sans limite, il n’y a pas de forme. Sans forme, il n’y a pas de perfection. C’est du moins ce que tente de se persuader le nouveau riche.

    Le matin n’existe pas. Le rasoir do came axé sur l’essentiel d’une journée qui commence vers midi, il emprunte un temps fou à se regarder dans une glace. Lui prêtant en retour, une liaison avec

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