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Le Robinson de la forêt russe: Aventures d'un garçon de quinze ans
Le Robinson de la forêt russe: Aventures d'un garçon de quinze ans
Le Robinson de la forêt russe: Aventures d'un garçon de quinze ans
Livre électronique294 pages4 heures

Le Robinson de la forêt russe: Aventures d'un garçon de quinze ans

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À propos de ce livre électronique

DigiCat vous présente cette édition spéciale de «Le Robinson de la forêt russe» (Aventures d'un garçon de quinze ans), de Mme Katchoulkov. Pour notre maison d'édition, chaque trace écrite appartient au patrimoine de l'humanité. Tous les livres DigiCat ont été soigneusement reproduits, puis réédités dans un nouveau format moderne. Les ouvrages vous sont proposés sous forme imprimée et sous forme électronique. DigiCat espère que vous accorderez à cette oeuvre la reconnaissance et l'enthousiasme qu'elle mérite en tant que classique de la littérature mondiale.
LangueFrançais
ÉditeurDigiCat
Date de sortie6 déc. 2022
ISBN8596547438588
Le Robinson de la forêt russe: Aventures d'un garçon de quinze ans

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    Le Robinson de la forêt russe - Mme Katchoulkov

    Mme Katchoulkov

    Le Robinson de la forêt russe

    Aventures d'un garçon de quinze ans

    EAN 8596547438588

    DigiCat, 2022

    Contact: DigiCat@okpublishing.info

    Table des matières

    CHAPITRE PREMIER.

    CHAPITRE II.

    CHAPITRE III.

    CHAPITRE IV.

    CHAPITRE V.

    CHAPITRE VI.

    CHAPITRE VII.

    CHAPITRE VIII.

    CHAPITRE IX.

    CHAPITRE X.

    CHAPITRE XI.

    CHAPITRE XII.

    CHAPITRE XIII.

    CHAPITRE XIV.

    CHAPITRE XV.

    CHAPITRE XVI.

    CHAPITRE XVII.

    CHAPITRE XVIII.

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    LE ROBINSON DE LA FORÊT RUSSE

    Table des matières

    CHAPITRE PREMIER.

    Table des matières

    Moi et mes souvenirs. — Mon caractère. — Un entraînement funeste. —Mon auxiliaire. — Une folie qui a eu une foule de conséquences inattendues.

    Quand un homme se voit obligé de marcher longtemps par un chemin difficile vers un but lointain, qu’il sent la fatigue s’emparer de lui et l’énergie lui manquer, il regarde souvent en arrière et la vue du chemin parcouru, le souvenir des difficultés surmontées font renaître encore une fois dans son cœur la confiance en ses forces, l’espoir d’atteindre le but; et de nouveau, vaillamment, il se remet en route.

    La vie d’un homme est pareillement un long chemin, semé de difficultés et d’obstacles. En jetant un regard sur l’espace déjà franchi, l’homme apprend aussi à connaître bien des choses; il acquiert plus de confiance en ses propres forces, mais il découvre aussi, bien souvent, de grandes erreurs là où, d’abord, il ne voyait qu’une chose raisonnable, bonne et agréable.

    Dans ma vie, j’ai commis, certes, plus d’une erreur que je n’ai comprise que beaucoup plus tard; mais l’une eut surtout des conséquences tellement graves, une telle influence sur tout mon avenir, et la réparation de cette erreur m’a coûté tant de peines et d’efforts, que, maintenant que je suis déjà vieux et que j’ai des cheveux blancs, je ne puis m’empêcher de retracer les souvenirs qu’elle m’a laissés. Peut-être, dans le récit véridique de mes rêves et de mes fantaisies si douloureusement froissés par une réalité cruelle, quelque jeune rêveur trouvera-t-il un avertissement salutaire, et le travailleur découragé un exemple frappant de ce fait, qu’il n’y a pas de mauvaise situation dont on ne puisse sortir, grâce à une résolution ferme, à un labeur persévérant et infatigable.

    Ne vous imaginez pas que j’aie à vous raconter l’histoire des malheurs et des fautes d’un enfant orphelin et abandonné. Au contraire, mon enfance a été des plus heureuses, entourée de tout ce qui peut contribuer au bonheur le plus absolu. Jugez-en, du reste, vous-même.

    Notre famille était nombreuse. Nous résidions toujours dans notre grand domaine patrimonial. Notre père nous aimait tous beaucoup, mais il n’avait pas le temps de s’occuper longuement de nous. Quoique propriétaire foncier, et fixé à la campagne, il était fort supérieur à l’ancien type de ces pomiestchiks , qui mangeaient tranquillement et grassement le pain fabriqué selon des procédés primitifs par les paysans serfs. En son temps, il avait beaucoup lu, beaucoup étudié ; et ayant une fois conçu l’idée que la nature était la matière dont l’homme devait, par tous les moyens, tirer les conditions nécessaires à son bien-être et à son bonheur, il se mit avec fermeté et zèle à la réaliser. De la terre, de l’eau et du bois, — il en avait en quantité ; — et toute sa vie devint une suite ininterrompue de travaux énergiques et utiles. Il ensemençait des prairies, élevait du bétail, fondait une tannerie, une scierie. Avec une telle activité, on comprend qu’il fût souvent absent de la maison, et nous, qui entendions chacun parler de lui et faire son éloge, nous ressentions pour lui une sorte de vénération profonde et enthousiaste.

    Ainsi, toute notre vie domestique était dirigée par notre mère. C’était, elle aussi, une femme très instruite, énergique, intelligente, et qui, en même temps, frappait tout le monde par sa tendresse extrême et sa bonté. On conçoit que c’était nous, ses enfants, qui étions l’objet principal de cette tendresse.

    Aussi longtemps que sa santé le lui permit, elle ne laissa à personne le soin de s’occuper de notre éducation et de notre instruction. Mon frère aîné, Anatole, qui était déjà étudiant à l’époque où commence mon récit, ma sœur Sacha, qui alors suivait déjà les cours de l’Institut, moi-même et mes deux sœurs cadettes, tous, nous avons été ses élèves. C’est seulement pour nous accompagner dans nos promenades d’été et pour mettre de l’ordre dans nos chambres d’enfants, que demeurait chez nous une vieille bonne allemande, Augusta Ivanovna.

    Je me rappelle maintenant avec honte et douleur mes façons d’agir avec ma mère, sa patience et mon invincible paresse, ma dissipation. J’appris de très bonne heure à lire, et la lecture me passionnait. Ce moyen facile d’errer de pays en pays, sans se remuer, de partager les fatigues du héros, ses exploits et ses triomphes, était on ne peut plus selon mon cœur; mais tout ce qui exigeait la moindre assiduité ou la fatigue la plus légère était tout à fait contraire à mon goût. Tout d’abord, mon père avait désiré de me faire préparer à la maison le programme de plusieurs années de l’école réale; mais les notes constamment défavorables de ma mère sur la marche et les progrès de mes études, lui firent changer d’idée. Dans ce temps-là, l’instruction militaire était fort inférieure à l’enseignement civil, et il fut décidé que j’entrerais à l’École militaire.

    Cette résolution me causa quelque chagrin, je me sentis un peu humilié ; mais la perspective de consacrer encore plus de temps à la lecture de n’importe quoi m’eut bientôt définitivement consolé. Ma mère était bonne et intelligente, mais ce qui constituait la source première de tous mes défauts lui échappait, pour ainsi dire; et ces défauts grandissaient, s’accentuaient d’année en année. De ma nature, j’étais un grand rêveur, un garçon capable de céder au premier entraînement venu, sans vouloir même écouter les arguments de ma propre raison, laquelle n’était d’ailleurs pas très solide. Quand je lisais, je m’oubliais si bien, que je me considérais sincèrement comme le héros même dont il était question dans le livre; je souffrais de toutes ses peines, je jouissais de tous ses bonheurs: richesse, liberté, situation dans le monde. Par malheur, les volumes qui me tombaient sous la main n’étaient pas des livres d’enfant, mais des romans anciens dont les héros étaient fabuleusement riches, forts et valeureux. C’est pourquoi, quand je refermais le livre et que je me voyais obligé de me métamorphoser, de puissant chevalier ou baron, en un garçon ordinaire et même assez médiocre, souvent tancé pour sa paresse et sa distraction, je ne me donnais jamais la peine d’analyser ma propre personnalité, de recenser mes vrais besoins et mes devoirs, et je commençais tout simplement à m’ennuyer; ma vie me devenait à charge. Il me semblait qu’on n’était pas bien chez nous, qu’on ne me laissait pas assez de liberté, et que mes sœurs étaient des sottes.

    J’avais pris le goût de la solitude, et lorsque je ne lisais pas, il m’arrivait souvent de rester étendu des heures entières, immobile, à me forger une foule de plans et d’histoires insensées et ineptes qui toutes, cela va sans dire, tendaient à me soustraire à mon sort «si douloureux, si vulgaire.»

    En général, je ressemblais beaucoup au fameux Don Quichotte de la Manche, sans me douter aucunement de cette triste ressemblance et sans penser, à plus forte raison, que le sort, comme s’il voulait me punir, tout d’un coup et par ma propre faute, m’arracherait irrévocablement à ma vie de rêveur et me mettrait face à face avec une réalité aussi cruelle, contre laquelle j’aurais à mesurer mes vraies forces et à me convaincre amèrement de leur impuissance. En un mot, il est clair que je ne croyais pas du tout avoir à supporter les fatigues, les peines et les désillusions du célèbre héros de Cervantès.

    Par bonheur ou par malheur, je découvris, sur un des rayons de notre bibliothèque, la relation complète des voyages de Dumont d’Urville. Ce furent d’abord les dessins qui éveillèrent mon intérêt, puis les descriptions elles-mêmes.

    L’idée que tout ce qu’on décrivait ainsi était la «vraie vérité » ne contribuait sans doute pas peu à mon plaisir. Je m’abandonnai à la lecture des voyages avec ce même entraînement excessif, ce même penchant aux illusions dont j’étais coutumier. Maintenant, au lieu d’un Monte-Cristo, je m’imaginais être un grand explorateur, civilisateur et bienfaiteur de pays immenses, en oubliant sincèrement que ce civilisateur lui-même, qui se disposait à répandre ses bienfaits sur le genre humain, n’était pas en état d’indiquer les différentes contrées sur la carte, ni d’expliquer pourquoi elles jouissaient d’un climat maritime ou continental, et quelle différence existait entre ces deux sortes de climats.

    Dès lors, je continuais, comme par le passé, à m’isoler de la société de mes sœurs et des membres adultes de ma famille, à faire le paresseux; mais ce n’était plus en restant étendu que je m’abandonnais à mes rêves, c’était en façonnant, avec mon couteau, toutes sortes d’armes de sauvages. Cette nouvelle fantaisie fut cause que je me liai d’amitié avec le vieux menuisier Mikhaïlo et le fils du valet de chambre de mon frère, Wassia.

    Ce Wassia était élevé avec nous, et il a joué par la suite dans ma vie un rôle grand et important: c’est pourquoi je parlerai de lui avec un peu plus de détail. Son père avait été, dans le temps, le serf du mien, et dans sa jeunesse l’avait servi comme valet de chambre; mais même après l’affranchissement des serfs ils conservèrent, pendant toute leur vie, leurs relations de maître à serviteur, et en même temps d’amis complètement dévoués l’un à l’autre. La mère de Wassia mourut quand il n’avait que cinq ans. Aussitôt, mon père donna l’ordre de le prendre dans «les appartements ». On lui faisait porter nos vieux habits, on le nourrissait des restes de notre table et il fut admis aux jeux des «enfants du maître». Dans l’opinion des grandes personnes, c’était là une grande faveur et un grand honneur pour le fils d’un ancien serf. Mais nous autres, enfants, nous ne percevions, par bonheur, ni l’étendue de cette «faveur», ni la différence qui aurait existé entre nous et Wassia. Pour nous, il était tout simplement un camarade de jeux et quelquefois même un sujet d’envie, parce qu’il jouissait d’une plus grande liberté que nous, tout en n’en usant que pour nous complaire.

    Si nous soufflions des bulles de savon pendant les longues soirées d’hiver et qu’un brin de paille vînt à nous manquer, nous n’osions même pas sortir dans l’antichambre pour en demander, tandis que Wassia, coiffé d’une simple casquette, courait hardiment à l’aire et revenait en traînant après lui toute une gerbe. Nous restions craintivement dans la salle d’étude, tandis que Wassia criait jusqu’ à l’enrouement dans les magasins à blé pour faire entrer les oiseaux dans les filets qu’il tressait et qu’il tendait sur les toits avec une grande habileté. Nous pêchions à la ligne le menu poisson, nous tenant timidement sur le radeau, tandis que Wassia allait et venait bravement sur le lac dans un canot, se glissait dans les roseaux et rapportait de grandes brèmes avec des gardons. Comment, à la vue d’une aussi heureuse liberté, l’envie ne se fût-elle pas glissée dans une petite cervelle d’enfant?

    Wassia criait pour faire entrer les oiseaux dans les filets qu’il tressait...

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    Je ne sais pas pourquoi on ne faisait pas étudier Wassia ensemble avec nous. Peut-être son père, qui éprouvait pour ma mère une sorte de vénération, ne l’avait-il pas voulu: qu’elle-même «daignât se donner de la peine pour son gamin, » — il eût vu là presque un sacrilège. C’était un homme qui professait des opinions antiques quelque peu bizarres, mais qui s’y tenait avec une fermeté inflexible, et que pour cela chacun respectait grandement.

    J’appris quelque peu à manier les outils.

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    Entre nous, surtout entre moi et Wassia, la différence était énorme. Ce qui chez moi n’était que rêve timide ou fantaisie indécise passait chez lui immédiatement à l’état d’acte. Il excellait dans la façon de toutes sortes de petits objets. Si quelque part dans le village apparaissait une cage à sansonnet ingénieuse, ou un épouvantail avec une crécelle à vent dans un potager, ou bien un moulin à eau sur le ruisseau, — on n’avait même pas à demander qui en était l’auteur.

    Mon idée de fabriquer des armes à l’instar des sauvages avait, bien entendu, rencontré auprès de lui une chaude sympathie et un concours zélé. Le vieux Mikhaïlo s’intéressait aussi à ces inventions plus ou moins ingénieuses, surtout quand je les assaisonnais de curieux récits «sur les gens qui vivent par-delà les mers.» Je contractai l’habitude de passer de longues heures dans l’atelier de menuiserie et j’appris quelque peu à manier les outils.

    En attendant, mes études allaient leur train désespérément médiocre d’autrefois. Lorsque mon père revint d’un de ses voyages, ma mère, de nouveau, se plaignit de moi et raconta ma nouvelle fantaisie de passer mon temps à l’atelier et d’y travailler.

    — Eh bien, qu’il y reste et qu’il y travaille, répondit-il sèchement; cela vaut toujours mieux que de se rouler sur les canapés et de ne faire absolument rien. Seulement, voilà ce que j’ai à te dire, Nadia: — J’avais d’abord l’intention de le garder à la maison jusqu’à l’âge de quinze ans à peu près, jusqu’à ce qu’il se fût formé et fortifié, mais je m’aperçois maintenant que cela est tout simplement impossible. Lui, il ne fait que perdre inutilement son temps, et toi, il t’a harassée de fatigue. En automne, je le conduirai à l’École militaire.

    Cette perspective ne fut pas complètement de mon goût. La crainte me vint, et avec elle un peu de réflexion. L’intelligence ne me manquait pas. Je me mis à travailler avec beaucoup de zèle, et bientôt ma pauvre mère fut non seulement consolée, mais même ravie.

    Dans ces agréables dispositions nous arrivâmes jusqu’à Pâques. C’est en général la meilleure fête de l’année, fût-ce par cette seule raison qu’elle tombe au printemps. Mais, dans notre famille, à cette date se rattachait encore une autre circonstance qui en faisait la source d’une joie universelle.

    Ma mère avait un cousin, jeune encore, intelligent, riche et insouciant. L’hiver, il le passait à Saint-Pétersbourg; mais dès le retour du printemps et précisément toujours avant Pâques, il quittait cette ville pour s’en venir dans sa propriété, voisine de la nôtre. Il n’y vivait pas d’ailleurs beaucoup, et nous consacrait presque tous ses instants, étant très lié avec mes parents.

    Cet oncle célibataire et riche arrivait toujours avec des chariots entiers de cadeaux de toutes sortes. Il se montrait surtout prodigue envers nous, les enfants.

    J’étais déjà dans ma treizième année, et l’oncle avait voulu cette fois me faire les présents les plus appropriés à mon âge. Quelques jours après son arrivée, il me gratifia d’un magnifique fusil anglais avec tout un attirail de chasse, d’une trousse complète d’outils, non point des jouets, mais de vrais outils de charpentier et de menuisier, et de plusieurs beaux livres luxueusement reliés.

    Toute la soirée se passa dans l’examen de ces objets, les extases, les remerciements. Nous autres enfants, nous nous en couchâmes même un peu plus tard qu’à l’ordinaire.

    Cependant mes sœurs furent bientôt emmenées par Augusta Ivanovna. Je restai seul dans la salle à manger, achevant paresseusement mon thé.

    La chambre contiguë était le boudoir de ma mère. Tout de suite après le thé, mon père s’en alla dans son cabinet, à ses comptes et à ses papiers, et ma mère fit entrer l’oncle chez elle. Une conversation d’abord simplement gaie s’engagea entre eux, puis ils passèrent aux affaires de famille.

    Ils m’avaient probablement oublié, et ce fut ainsi qu’involontairement je surpris leur conversation, qui par la suite eut une influence considérable sur ma vie.

    — Et Serge, qu’est-ce qu’il devient? interrogea tout d’un coup l’oncle; vous m’écriviez que ces derniers temps il a fait de nouvelles extravagances. Qu’y a-t-il donc?

    — Oui, ce garçon me donne beaucoup de soucis, fit tristement ma mère; ce n’est même pas un homme, c’est pour ainsi dire, un entraînement ambulant. Tout, absolument tout, il ne le fait que comme par élan. Et cela ne présage rien de bon! Naguère il paressait et restait couché des journées entières, en rêvant à je ne sais quoi; puis il se mit à faire de la menuiserie. Maintenant, le voilà encore sous le coup d’un nouvel accès: depuis quelque temps il étudie avec tant d’acharnement que nous en sommes stupéfaits, son père et moi. Il est très bien doué, mais je crains que cet utile engouement ne dure pas longtemps. Oui, il me coûte bien des larmes, des chagrins et des inquiétudes.

    Je me sentis mal à mon aise; j’avais honte de moi... pitié de ma mère. Mais je restais là et je continuais d’écouter.

    — Et tenez maintenant, reprit-elle, en s’efforçant évidemment de donner à sa voix les plus douces inflexions, je vous suis sans doute bien reconnaissante de votre attention à l’égard de mon fils, mais je dois vous avouer que les cadeaux que vous lui avez faits me causent bien du souci! Avez-vous remarqué, combien fut grande sa joie de posséder un fusil? Maintenant il va y penser des journées entières et ne s’occupera que de cela, de sorte que les études seront de nouveau négligées. Et Dieu veuille encore qu’avec sa distraction, le maniement des armes à feu ne se termine par quelque catastrophe.

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    — Voyons, cousine, répliqua chaleureusement mon oncle, comment ne vous êtes-vous pas aperçue jusqu’à présent que cet enfant est doué d’aptitudes extraordinaires, qu’il ne tient pa dans les cadres où se meut la généralité des enfants. Vous avez l’air de vous chagriner de ce qu’il ne deviendra pas un officier de la garde bien astiqué ou un fonctionnaire zélé ; mais quel mal voyez-vous donc à ce qu’il devienne un grand explorateur ou un inventeur remarquable? Un caractère aussi exceptionnel promet certainement quelque chose d’extraordinaire dans l’avenir. Quant au fusil et aux outils, puisque c’est un garçon, qu’il acquière aussi des qualités viriles! Vous dites qu’il est fougueux et se laisse aisément entraîner: eh bien, savez-vous que rien peut-être ne nous apprend aussi bien le sangfroid et la possession de soi-même, que le maniement d’un fusil! Et pour les études, nous ne lui permettrons pas de les négliger. Je lui apprendrai moi-même à tirer, mais je lui poserai d’abord quelques conditions; et dans un mois, Anatole sera de retour et vous déchargera des fatigues que vous cause ce garçon-là.

    En ce moment revint dans la salle à manger Augusta Ivanovna, qui envoya le futur grand explorateur au lit.

    Mon bon oncle! Il parlait ainsi, pour consoler ma pauvre mère! Mais il ne savait pas quel insensé l’écoutait et quelles amères conséquences entraîneraient ses paroles, même pour celle qu’il voulait consoler ainsi!

    De longtemps je ne pus m’endormir cette nuit-là ; je songeais à ce que pouvait bien signifier le mot «cadres» prononcé par l’oncle et pourquoi j’étais meilleur que les autres enfants, surtout que mes «stupides» sœurs. Je m’assoupis finalement, très satisfait de ma propre personne.

    Toutefois, on ne me permit pas de m’adonner de nouveau à la paresse. L’oncle allait lui-même tirer avec moi, d’abord à la cible, que nous avions installée dans l’aire, ensuite même sur les oiseaux; il étrenna aussi avec moi tous les outils dans l’atelier, mais il veillait également à ce que j’apprisse bien mes leçons. Puis les vacances ramenèrent Anatole et Sacha, et alors il me devint complètement impossible de me plonger dans mes rêveries, ou même tout simplement de flâner si peu que ce fût, parce que j’étais le point de mire d’une sollicitude générale dans la famille, un sujet qu’il fallait soustraire aux suites funestes de la paresse.

    Moi-même je sentis du reste bien vite l’intérêt immédiat que j’avais à m’appliquer. Tout le monde devint plus affable envers moi, y compris mon père. Sa bonté alla même jusqu’à m’emmener deux ou trois fois avec lui dans ses voyages d’affaires, et à causer longuement et sérieusement avec moi. J’étais très content, mais je ne comprenais pas que cette façon d’agir n’était qu’encouragement et indulgence témoignés à un enfant qui commençait à se corriger. Je songeais toujours aux «cadres» de mon oncle, et je me disais que mes parents avaient reconnu enfin que j’étais un futur grand homme.

    L’été avait été très favorable aux entreprises économiques de mon père. Les foins réussirent on ne peut mieux, les premières rentrées en grains présageaient une récolte magnifique, le bétail avait engraissé et s’était accru considérablement. Mon père se trouvait de très bonne humeur.

    Mon bon vivant d’oncle l’engageait à célébrer un automne aussi heureux par une partie de plaisir, et enfin il lui proposa de «faire revivre

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