Le Ressac
D’aucuns voyagent dans leur vie comme dans le compartiment d’un train à la destination vague. Qu’ils aient faim, ils attendent qu’on les nourrisse. Qu’ils aspirent à jouir d’un plaisir ou d’une situation, ils espèrent que les circonstances leur seront favorables. Primo, dès son plus jeune âge, se montra déterminé à ne suivre que son propre mouvement. Il s’entendit à agir en sorte qu’il incarnât à la fois l’affirmation du hasard et son fruit, l’appétit et sa satiété, le soleil et sa chaleur dorée. Il fut dans l’ensemble à lui seul la locomotive, la direction et les rails de son destin. Et si ce train emporta des passagers, il faut reconnaître qu’ils étaient, pour la plupart, Primo lui-même. J’en fus seule le témoin et l’actrice inconsciente, la passagère clandestine, le combustible secret.
Bien qu’il montrât en toute chose une aptitude exceptionnelle, la feinte humilité ne faisait pas partie de celui qui deviendrait mon amant. C’est tout naturellement qu’il eut le bon sens de ne pas ternir par une modestie forcée une vérité trop éclatante : celle de son génie. À quoi lui servirait cette intelligence hors du commun? Il méprisait le pouvoir et les discours. Il n’avait ni pour l’humanité de projet grandiose ni le désir d’un progrès universel. Ce génie, il ne le voulait que pour lui-même, et pour cette chose rare, vaporeuse et insaisissable que l’on appelle parfois le bonheur.
Lorsqu’il décida de donner à sa vie un tournant spectaculaire, je me trouvais à son service comme secrétaire particulière. Je fus l’assistante passive de découvertes auxquelles je ne compris d’abord rien. La seule chose qui m’apparaissait évidente était mon attachement chaque jour plus sensible à mon amant et maître. Aujourd’hui, il me semble que je tombai amoureuse de lui dès le premier regard, mais il
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