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Le Témoin: La parole maudite
Le Témoin: La parole maudite
Le Témoin: La parole maudite
Livre électronique243 pages3 heures

Le Témoin: La parole maudite

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À propos de ce livre électronique

Entre témoignage et fiction, ce roman autobiographique a été écrit au fil d’une psychothérapie qui a aidé Moïje à sortir de son état de victime d’inceste. C’est un passage de témoin pour les générations descendantes, mais aussi un état des lieux concernant l’omerta et le déni familiaux.
C’est une incitation à la prévention par la levée des secrets de famille, le courage de parler de ce qui fâche pour protéger l’enfance.
C’est un engagement qui assainit le climat familial, au risque de perdre ses illusions et la confiance de quelques personnes.
Le comportement social, générateur de grandes souffrances pour les victimes, qui veut qu’on culpabilise la victime au profit d’une victimisation de l’agresseur, est hélas le sort d’une grande majorité de victimes d’inceste encore aujourd’hui.
Certains chercheurs définissent l’inceste comme le crime parfait : la victime est détruite au plus profond d’elle-même et elle se tait.
Quand elle parle, au bout de quelques décennies, il est facile pour l’entourage de la faire passer pour folle, perverse, menteuse.
La bonne nouvelle est qu’en osant travailler sur le sujet, avec l’aide de professionnels, on peut changer le glauque en rayon de soleil.
Parce que Moïje réussit à nommer les non-dits, les hontes et les actes, elle connaît aujourd’hui la résilience, la paix et la joie de vivre.
LangueFrançais
Date de sortie22 mars 2017
ISBN9791029006654
Le Témoin: La parole maudite

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    Le Témoin - Renée Gercel

    cover.jpg

    Le Témoin

    Renée Gercel

    Le Témoin

    La parole maudite

    Les Éditions Chapitre.com

    123, boulevard de Grenelle 75015 Paris

    © Les Éditions Chapitre.com, 2017

    ISBN : 979-10-290-0665-4

    à mes parents

    et à tous les Gercel

    Remerciements

                                                                                                                                                                                                                                                                                                Merci à mes parents, mes sœurs, mes enfants et

    petits-enfants

    sans qui je ne serais pas celle que je suis

    Merci à mon mari

    pour sa patience, ses avis éclairés, son soutien et son amour

    Merci à mes neveux et nièces

    parce qu’ils existent

    ... et pardon à tous ceux qui connaissaient ma famille sous un autre jour

    Merci à mes thérapeutes (qui m’ont soignée parfois sans le savoir) : Nicole CHATONNAY, Isabelle LERAT, Odile MOULIN, Anne BERGÉ, Camille SINCHOLLE, Jocelyne CLÉMENT

    et le Docteur Philippe PELLÉ

    Un merci tout particulier à Brigitte LEMAINE pour son excellent film Longtemps après qui m’a permis de sortir définitivement du doute

    Merci à mes profs de musique et à l’Association Mayennaise pour une Liaison Ecole-Théâtre, à Bernard GROSJEAN, Jean-Luc BANSARD, Didier LASTÈRE ... qui m’ont appris qu’il est bon d’être un peu Pinocchio parfois et qu’on peut s’amuser à vivre

    Merci à tous mes otages, en particulier Nicole, Fanfan, Brigitte et Philippe, Isabelle et Nathalie, Françoise et Alain, Christine, Marcello, Karine, Louis, Renate... et toute l’équipe du Monde à Travers un Regard : Michèle, Patricia, Sonia, Anna... et Cécile pour la relecture de mon manuscrit

    Un merci chaleureux à Aude FIÉVET pour ses compétences et son arbre généalogique de l’inceste clair... et prouvé !       

    Parole de Troll

    J’ai Dans Mes Poches

    Les Taloches

    Que Je N’ai Pas Reçues De Toi Des Sacoches

    Entières De Reproches

    Et En Broches

    Épinglées Les Anicroches

    Avec Ma Folcoche

    Elle Si Proche

    Toi Si Absent

    Et Tes Caresses Déplacées

    Avec Toutes Mes Pétoches

    De Mioche

    Dans Ma Caboche

    C’est Nacht Und Nebel Qui S’effiloche

    Moche ? Fantoche ?

    Boche Ou Gavroche

    C’est quand qu’on se rabbi-boche ?

    1

    Avertissement à Néol

    27 Janvier 2013

    Tu pourrais m’appeler Narcisse.

    Je vais te raconter l’histoire d’une réconciliation.

    J’ai longtemps hésité pour le titre : « Conversation en solo » ? Pour cela je n’aurais pas besoin de toi. « Voyage en Dépression » ? Trop réducteur. « Mon chemin vers la résilience » ? Cela sous-entendrait pour ceux qui n’ont pas le décodeur, que le dit chemin pourrait n’avoir comme issue que l’oubli.

    « Le tribunal » ? Mon récit n’est pas que cela !

    Et ce n’est nullement une vengeance.

    « La parole maudite », c’est pour te dire qui je suis, au-delà de mon côté communément accepté, que tu connais déjà. Je vais te donner à entendre sous forme de confidence un vacarme silencieux.

    Pour guérir définitivement de la blessure, j’ai besoin de toi. Pour une véritable réconciliation, il me faut savoir si, une fois l’épreuve consentie et subie, tu m’aimeras encore ; en te disant cela, je prends le risque d’essuyer un désamour. La peur m’avait cousu une intimité de pacotille. Les coutures ont craqué, je n’ai plus de pudeur. Pour m’aimer encore, il te faudra accepter et Narcisse, et Moïje : à prendre ou à laisser. Je t’implique dans mon histoire car la façon dont tu recevras cette parole dépend aussi de toi. Je te préviens : ça résonne. Ça provoque des envies de comprendre ou de se sauver en courant. Ça réveille les colères. Tout dépend de la distance qui nous sépare, de ta capacité à remettre en question l’image que tu as de moi, et de ta conception de ce qui est socialement acceptable. Mon écrit n’est pas une œuvre. À défaut d’en faire un jeu, j’utilise le je. La brisure ne peut pas se diluer dans la banalité. Pas encore. Peut-être jamais. Mais rassure-toi, au-delà du réquisitoire, il y a la compre´hension des relations de cause à effet. Je suis sortie du brouillard. C’est par ton regard que j’obtiendrai justice. Ou non.

    Ma parole maudite, c’est l’identification du contenu d’un sac poubelle qui m’a colle´ aux muqueuses pendant quarante-deux ans, et que je ne peux pas me re´soudre à sortir le jeudi matin devant ma porte. Pas encore. Je suis contrainte de vivre avec, soulage´e toutefois qu’il ne soit plus rempli de questions de vie ou de mort. Ma seule certitude est que je ne suis pas schizophrène : c’est moi qui parle et c’est bien de moi qu’il s’agit. Mais aujourd’hui, il m’est impossible de livrer ma poubelle au ne´ant. Il me faudra attendre encore un peu pour e´crire certains « petits contes d’une enfance ordinaire". Ce jour-là tu me reconnaîtras, peut-être, e´crivain. Pour la jubilation d’inventer et le plaisir d’être lue. Ce jour-là je deviendra une autre. Aujourd’hui, je sais que je te demande beaucoup. Je sais que je t’impose mon ressenti, qui pour moi a valeur de ve´rite´ absolue.

    À toi de trouver la liberte´ d’interpre´ter à ta guise, de penser autrement que moi, si ne´cessaire. C’est le regard de ma the´rapeute qui m’empêche de basculer complètement dans la folie, c’est le tien qui peut me redonner l’estime de moi ; qui peut me permettre d’assumer mon moi divise´.

    Tu vas entendre le hurlement d’une e´corche´e vive, et si je fais naître en toi une sensation d’horrible merveille, j’aurai gagne´ : l’horreur appartenant au passe´, la merveille e´tant notre de´couverte, la tienne et la mienne, de ce que j’aurai re´ussi à en faire. Quelque soit ton sentiment pour moi après ta lecture, je te remercie de m’accorder une plage de ton temps, d’entendre mon besoin de remplir les pages blanches qui jalonnent presque soixante-deux anne´es d’existence, comme autant de passerelles entre les e´tapes.

    Un proverbe chinois dit : « La fac¸ade de la maison appartient à celui qui la regarde. »

    Ce que je m’apprête à te donner, c’est l’accès à ce qui se cache à l’inte´rieur de la maison-famille dont je ne suis pas l’unique proprie´taire. Se l’appropriera celui qui voudra en reconnaître la co-proprie´te´, ou des similitudes avec son propre bercail.

    Et je t’offre en cadeau ma trouvaille la plus essentielle : la paix ne s’invente pas. Elle fait partie de nous depuis toujours. Mais il nous faudra faire preuve d’imagination pour la retrouver. La paix est matière, ni virtuelle ni hypocrite. Elle se mesure, elle se renforce à coups d’erreurs et de prises de conscience.

    Et la paix est contagieuse.

    J’aurai mis cinquante ans à e´vacuer la honte. Cinquante ans à e´tudier le contenu de ma poubelle pour être capable d’affirmer qu’au milieu des de´tritus j’ai trouve´ un tre´sor : l’amour de mes parents.

    Si tu te sens perdu dans le labyrinthe de mes e´lucubrations, tu peux te re´fe´rer au de´codeur que j’ai ajoute´ à la fin de ce livre.

    Merci à toi d’accepter d’être mon otage intermittent.

    Te´moiN –  J’ai lu quelque part que le temps de la vie n’est jamais sans e´preuve. Si tu penses que je peux t’être utile, j’accepte.

    Moi¨je –  J’ai besoin de toi pour me de´centrer de moi ; pour remanier l’image que je me fais de moi.

    Te´moiN –  J’ai compris. Peut-être te faudra-t-il falsifier pour cre´er ! J’espère que tu as mis de l’humour dans ton bouquin !

    Moi¨je – Pas sûr. Dans un premier temps, j’exhume.

    Te´moiN – Parce que si tu arrivais à me faire sourire, tu gue´rirais certainement mieux de ta souffrance !

    Moi¨je –  Je travaille à me´tamorphoser la repre´sentation de mon mal, mais j’ai souvent l’impression que c¸a ne finira jamais.

    Te´moiN – Tu me laisses entendre que tu as e´te´ gravement meurtrie, d’accord ; mais tu ne vas tout de même pas faire toute ta vie avec c¸a !

    Moi¨je – Alors à toi de tirer la sonnette d’alarme si tu penses que je dramatise, ou au contraire quand je m’approche de la frontière du de´ni. J’ai mis si longtemps à oser dire les mots... à me de´barrasser des sentiments refoule´s... je veux tout dire pour un nettoyage complet, une de´sinfection totale... Et j’aimerais ajouter que si tu fais partie de ma famille, je te suis utile aussi, car nul n’a le droit de te priver d’une partie de ton histoire familiale. Personne n’a le droit non plus de t’imposer ses sentiments envers qui que ce soit. Sens-toi libre d’accepter... ou non.

    TémoiN – Méfie-toi des infections nocosomiales !

    Je t’écoute.

    Le vingt-sept Janvier deux-mille-treize commence la rédaction de ce document qui se transformera au gre´ des avance´es de ma psychothe´rapie.

    2

    Larmes de Pomerol

    Avril 2009

    Ce matin-là ressemblait à beaucoup d’autres. Je me suis re´veille´e avec le cerveau en de´se´quilibre, transperce´ de l’occiput au coin qui relie l’œil gauche au sinus, par une douleur aigu¨e. On m’enfonc¸ait une aiguille à tricoter dans le crâne. Je me souviens bien : c’e´tait un matin pour lequel je n’avais aucun projet pre´cis. Le creux à l’estomac ne venait pas de la faim. Mon premier boulot en me levant d’ordinaire est de prendre mon petit-de´jeuner : cafe´ noir et tartines beurre´es. Volets ferme´s. Je n’ouvre ma maison à la vie que le ventre plein. Ce matin-là j’ai traîne´ dans la salle de bains, je me suis longuement e´tudie´e dans le miroir en passant la veste douce et verte qui me tient lieu de robe de chambre. Face à moi, un visage nouveau dont je connaissais pourtant par cœur les re´gularite´s comme les imperfections, me chuchotait tranquillement ce que personne, surtout pas moi, jusque là n’avait pu entendre : « Mon père est un pauvre type. »

    Quel genre d’oreilles auraient pu entendre cette chose-là ?

    La voie e´tait libre. Ma voix inte´rieure de´frichait un espace vierge. Je pouvais m’offrir le luxe de pie´tiner toutes les illusions savamment orchestre´es par ma famille. L’image de cet être d’amour, de compre´hension et de douceur laissait enfin place à une tout autre repre´sentation. Inde´chiffrable et inquie´tante, depuis quatre de´cennies je la fuyais. Ce matin-là, je me sentis inonde´e d’une certitude neuve : pauvre type. C’e´tait c¸a, vraiment : mon père e´tait un pauvre type.

    – Pau-vre-typ’ mon-père-est un-pauv-typ’

    la-la-la...

    Je valsai une-deux-trois jusqu’à la cuisine en vocalisant la phrase magique sur tous les tons. Le carcan s’effilochait. Mon aiguille tricotait dur pourtant. Les croûtes protectrices s’e´miettaient, laissant apparaître un vocabulaire de honte. De maladie. De salissure et de ridicule. De´cide´e à tirer des portraits authentiques de ma galerie d’ascendants, je choisis dans le nuancier de ve´rite´ les couleurs qui agiraient sans e´quivoque sur la ce´cite´ familiale. Ce fut mon premier pas vers ma féminitude. Il e´tait temps !

    Cher Te´moiN, je te connais. Comme moi, tu as pu naître dans une famille qui licencie le re´el. Pour le savoir et pour te rendre maître de ton existence, tu devras apprendre à lire dans les silences et les manies, de´capsuler les bocaux de sentences en conserve, gratter le vernis des vieux portraits ; observe les fissures au lieu de t’empresser de les reboucher. Tu verras, c’est passionnant, et c¸a soulage ! Ose faire naître en toi l’ide´e que les fous ce sont peut-être les autres, tous ceux qui t’ont formate´ et impre´gne´ de mensonges, ceux-là mêmes qui comptent sur toi pour endosser leurs peurs, pour perpe´tuer la tromperie, devrais-tu y perdre ta vie. Tous ceux qui pensent que parce qu’ils te l’ont donne´e, accompagne´e ou partage´e, cette vie, ils peuvent en faire ce que bon leur semble ! Mais donner, c’est donner, n’est-ce pas ? Et reprendre c’est voler. Tout le monde sait cela depuis la maternelle !

    Il est e´vident qu’on devient fou de souffrance quand le de´ni est la norme dans laquelle on a e´te´ e´leve´. Sais-tu qu’il existe encore des fadas qui n’en sont pas persuade´s ? J’en connais. Mais on peut choisir le bonheur. On peut de´cider d’y voir clair, et trouver le courage de se mettre en danger pour s’estimer un peu mieux. Et s’il est vrai qu’il existe plusieurs ve´rite´s, on peut s’autoriser à trouver la sienne propre et jeter aux ordures celles que les autres, les fous, les tordus, les pervers, les trouillards et les ignorants tentent de nous imposer.

    Les maisons de retraite et les hôpitaux psychiatriques regorgent de secrets qui rendent fou. On se protège comme on peut de cette douleur à l’e´tat brut. Le de´ni et l’amne´sie sont des vecteurs de de´mence.

    Moi, Moi¨je, j’ai opte´ pour la re´siliation du contrat. J’y ai mis le temps : la soixantaine approche à grands pas ! Mon père a quatre-vingt-quatre ans et ma mère soixante-dix-sept. J’ai douze et seize ans d’e´cart avec mes deux sœurs, et ma position d’aîne´e m’a permis d’ajouter les erreurs de jeunesse de mes parents (normales celles-ci, on se trompe souvent en apprenant ce me´tier-là !) aux de´viances familiales.

    Je ne leur dois pas ma vie. J’ai bien compris que j’e´tais arrive´e trop tôt. Je n’e´tais pas au programme de leur lune de miel. De´sole´e, mais très vite j’e´tais là. Ils m’ont donne´ ce qu’il fallait, sans doute, de soins, d’amour et de tendresse, tant qu’ils se sont sentis capables de comprendre ce qu’est un enfant. Un enfant petit, à leur mesure. Arrêt sur l’image d’une famille parfaite : les grands-mères qui s’extasient devant la première dent, les voisines devant les premiers pas, l’institutrice admirant les vêtements faits-main, les copines qui bavent en caressant les cheveux blonds et soyeux, tire-bouchonne´s en « anglaises »... Mais la vie nous appelle, il faut bien se remettre en mouvement, de´border de la photo de l’enfance, fige´e dans l’esprit de ceux qui disent nous aimer. Grandir et vieillir avant de mourir. Alors l’adolescence. Quel cauchemar ! Comprendre le monde, comment ? Batailler contre ses peurs, par quel moyen ? Construire sa confiance en soi, par quel miracle ? Et exister ? Et trouver que la vie est belle ?

    Dans ces cas-là, on fuit. Le vaste monde terrorise finalement moins que les zones d’ombre familiales, alors on se marie, on transmet l’he´ritage des peurs, des renoncements et des œillères à l’enfant qui ne manquera pas de naître avant qu’on ait eu le temps de s’interroger sur ce qui nous attend ; et ce qui l’attend, lui le be´be´ tout neuf. Le premier, celui qui se prend tout en pleine figure et qui mettra du temps, lui aussi, à s’en remettre. Pardon, Ne´ol.

    Amne´sies, mime´tisme, divorce, refuge dans le travail... La route de clarte´ est seme´e d’obstacles. Quarante-deux ans de trous au ventre, de colères larve´es (ou non), de crises d’hyste´rie. Tabagisme et verres de rouge. Fuites et solitude. Et pas de lumière à l’horizon.

    Quand-même une pe´riode à peu près heureuse occupe´e à fonder une famille saine et à m’inte´resser à l’E´ducation avec un grand E´. Et puis la retraite, les cases qui se libèrent et se remplissent de tout ce qui n’a pas e´te´ re´gle´. L’aide d’un professionnel, une formation qui a mis des mots adapte´s sur mes manques et mes souvenirs sordides, et m’a donne´ le regard porte´ par la socie´te´ sur ce qu’il me restait de points de suspension et d’interrogation. Je de´couvrais que je m’e´tais trompe´e de Moi.

    Jusqu’à ce matin libe´rateur où je pris le temps de regarder le printemps se poser sur les cerisiers de mon jardin. Je me souviens que le cafe´ n’avait pas le même goût. Mes e´lancements dans le sinus e´taient supportables, sauf quand je me mettais à tousser. Là je devais m’asseoir ; les tempes compresse´es par les deux mains, j’attendais que la douleur passe. Rien ne pouvait me soulager pendant un bon quart d’heure. E´crire devenait vital.

    Te´moiN – Ne te laisse pas dominer par ta repre´sentation du re´el.

    Moi¨je – Je n’oublierai jamais le passe´, mais je voudrais le rendre supportable.

    Te´moiN – Ton mal de tête s’explique peut-être tout simplement par un souci de sante´ purement clinique ! Y as-tu pense´ ?

    Moi¨je – Tu as raison, je vais prendre rendez-vous chez mon ge´ne´raliste.

    3

    L’enfance qui colle

    15 Août 1954 : je nais dans une famille qui exagère. C’est moi la Grande et aujourd’hui malgre´ mon âge mûr (et archi-mûr, dirait mon fils) je commence à peine à savoir qui je suis. Quelqu’un de très ordinaire, assure´ment, meuble discret d’un monde compose´ de tant de diversite´s, de tant d’individualite´s. Quelqu’un de pas trop moche, juste ce qu’il faut de kilos en trop pour que son mari la trouve confortable. Divorce´e-un-enfant ; remarie´e-trois- enfants ; institutrice sans histoire, comme la plupart, puis retraite´e de l’E´ducation Nationale et grand-mère de deux adorables petits-fils. Enfin devenue assistante familiale au service de l’Aide Sociale à l’Enfance.

    – Qu’avez-vous à re´parer ? M’avait demande´ le psychologue charge´ de l’entretien d’embauche.

    Oh ! Rien. Trois fois rien.

    Des familles comme la mienne, il en existait beaucoup ; issues des suites de la guerre, impre´gne´es d’ignorance et de peurs. Rien pour en gue´rir, pas d’oreille pour les entendre. En revanche tous les ingre´dients pour de´guiser une maladie mentale en originalite´ ; un e´ventail infini de clowneries pour masquer les hontes ; pour officialiser le manque de courage en pudeur.

    Culpabilisation et jugement ont re´gne´ en maîtres absolus sur l’e´ducation donne´e aux enfants de plusieurs ge´ne´rations. Mai 68 a fait le reste. Toute re´volution ge´nère du changement positif, certes, mais des excès et des non-sens aussi. Les familles comme la mienne, de´stabilise´es, ont alors fabrique´ enfants-rois et enfants-martyres. On a voulu gommer les diffe´rences, saccager les limites. Dire non à un enfant relevait de la torture. Le coup de main s’appelait exploitation. Hommes et femmes e´taient indiffe´rencie´s, enfants et adultes confondus. Les « bons parents » e´taient reconnaissables à leur empressement à re´pondre aux moindres de´sirs de leur enfant. Les bons enfants e´taient rares car on attendait d’eux qu’ils re´pondent à leur tour

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