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La cuiller d'amertume
La cuiller d'amertume
La cuiller d'amertume
Livre électronique199 pages3 heures

La cuiller d'amertume

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À propos de ce livre électronique

Raoul, marié depuis vingt ans part à la recherche de la femme idéale. Il pense qu’il existe quelque part La Femme de ses rêves et, en découvrant les sites de rencontre sur Internet, cette conviction se renforce et anime obsessionnellement ses fantasmes. Alexa, après deux mariages et deux divorces, est en perte de repères. Pour retrouver la femme qui sommeille en elle, Alexa se prend au jeu de la séduction sur les sites de rencontre. Homme et femme sillonnent les sites de rencontre pour combler un manque. Mais la vie leur réserve bien des surprises auxquelles tous les deux doivent faire face.
LangueFrançais
Date de sortie30 avr. 2013
ISBN9782312010175
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    Aperçu du livre

    La cuiller d'amertume - Valy-Christine Océany

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    La cuiller d’amertume

    Valy-Christine Océany

    La cuiller d’amertume

    LES ÉDITIONS DU NET

    22, rue Édouard Nieuport 92150 Suresnes

    © Les Éditions du Net, 2013

    ISBN : 978-2-312-01017-5

    Premier chapitre

    « Au lieu d’admirer la beauté, l’être humain essaie de se l’approprier. »

    Depuis son mariage Raoul ne pense qu’à une chose, divorcer. Mariage et divorce ; deux événements très importants dans la vie d’un être humain, tout autant que la naissance et la mort. Ces deux grands événements sont inévitablement imprégnés soit par la souffrance soit par le bonheur, mais, quoi qu’il en soit il faut les vivre, il faut les traverser, il faut les sentir, tout comme la naissance et la mort.

    Pour Raoul, entre ces deux événements si importants dans la vie d’un être humain, c’est le vide, le bâillement, des pages blanches. Il aurait bien aimé remplir ces pages, mais avec quoi ? Il y avait de l’espace, il y avait le temps, il y avait les couleurs, mais il lui manquait quelque chose : les mots, les mots et l’émotion qu’ils produisent, la voix et l’émotion ressentie aux inflexions de la voix. Et pas seulement les mots, aussi l’intensité de la vie. L’acte. L’acte qu’il n’arrive pas à accomplir, seulement à souhaiter. Depuis vingt ans il souhaite divorcer sans pour autant pouvoir passer à l’acte.

    Comme pour la cigarette, depuis qu’il fume, il ne pense qu’à arrêter. Le commencement et la fin, comme dans toute chose vivante, pense-t-il. Mais pour lui « entre les deux » s’est installée la gangrène, « entre les deux » les gestes tacites se sont accumulés, « entre les deux » les pensées se sont écoulées. « Entre les deux » il y a le rien qui tue, qui anéantit. Pour lui, « entre les deux » c’est la vacuité et le flottement, puisque l’acte qu’il souhaite réaliser n’est pas réalisé ni réalisable, il est suspendu dans un coin de son cerveau. La preuve qu’aujourd’hui, vingt ans plus tard, il est toujours marié et il fume toujours. L’acte qu’il souhaitait et qu’il souhaite réaliser restant figé, il a le sentiment de vivoter dans cet espace « d’entre les deux » où s’étaient faufilés la gangrène, la répétition, l’informité. Il se sent éclopé de vivoter avec cette gangrène installée dans le flou, sans possibilité de la saisir, invisible et imperceptible elle subsiste toute puissante.

    Aujourd’hui, vingt ans plus tard, Raoul sillonne la rue Saint-Denis à Paris où il aime venir le plus souvent. D’ailleurs, cette balade dans les rues de Paris fait partie aussi de « l’entre les deux ». Mais cette page « d’entre les deux » à Paris lui plaît, elle est la seule qu’il a choisie de vivre. Il aime bien les rues parisiennes, et celle-ci en particulier. Il y traîne les pieds, il tarde à rentrer à la maison, il s’allume une nouvelle cigarette, tire une bouffée et pour la première fois il se pose la question : Pourquoi j’ai envie de divorcer ? Curieusement, il se souvient très bien de la première fois qu’il l’a ressentie, cette envie. Elle est née dans son esprit pendant la cérémonie, au mariage, à l’église devant le curé pomponné dans sa robe blanche lui demandant s’il aimerait sa femme toute sa vie dans la santé et dans la maladie. Comment peut-on savoir combien du temps on peut aimer une personne, fût-elle la femme légitime ? Il a été étonné, choqué par l’assurance de sa femme s’engageant devant le curé à l’aimer toute la vie. Son estomac s’était même brutalement rétréci, il fut pris de crampes très douloureuses. D’où tenait-elle cette conviction ? Comment s’engager à aimer pour toujours une personne ? Ces interrogations l’ont poursuivi pendant la liturgie eucharistique, pendant l’échange des alliances et la prière ridicule. Toutes ces prières pèsent lourdement sur son cœur depuis sa plus tendre enfance ! Toutes ces obligations d’aimer toujours ses parents, d’aimer toujours son curé, d’aimer toujours son prochain ! Personne ne s’est posé la question de savoir si, lui, il peut aimer son prochain. Aimer son prochain, il a le sentiment que c’est une obligation qui est née en même temps que lui. Si, si, si, peut-être bien avant sa naissance, mais lui, il est persuadé encore aujourd’hui qu’elle a été inventée pour lui. Aimer son prochain, quelle stupidité ! Comment s’obliger à sentir une telle sensation – l’amour – et pas une autre – la haine, par exemple ? Pourtant la vie est ainsi faite - c’est le curé qui le dit - de santé et de maladie, de jour et de nuit, de lumière et de noir. Pourquoi ignorer le contraire de l’amour ? Même pas l’ignorer ! Le rayer ! Le nier !

    Je me souviens aussi, j’avais à peine neuf ans quand ma mère m’avait sévèrement puni. J’avais juste dit, « je hais Christophe ! Je le hais, je le hais ! ». Elle a fait tout un plat de cette émotion exprimée à voix haute. La maison de Christophe se trouvait en face de celle de Stéphanie et ils n’arrêtaient pas de se faire des signes par la fenêtre, les salauds. Moi, je les épiais avec jalousie, en me cachant derrière le rideau opaque de ma maison mitoyenne à celle de Christophe. À l’école aussi, ils cavalaient tout le temps ensemble.

    Ils s’aiment, murmurait l’entourage, ils s’aiment, s’attendrissaient les deux familles, regards béats. Le problème, c’était que moi aussi, j’aimais Stéphanie et, pour lui avouer mon amour, je lui faisais des cadeaux : des peluches de couleurs vives, des billets avec des dessins parlant délicatement de mes sentiments, des feuilles d’arbres et des fleurs pressées sous mon oreiller. Tous ces objets, je les chargeais d’amour pour elle. Mais visiblement elle préférait Christophe. Pourtant, mes parents disaient que l’on devait toujours aimer ceux qui nous couvrent des cadeaux. Quelle garce tout de même. Elle acceptait mes cadeaux en souriant et se sauvait en courant auprès de son amoureux. Moi, je devais aimer tout le monde et elle, elle ne voulait pas m’aimer en retour pour tous les cadeaux reçus !

    Il se souvient encore de cette punition. La punition fut bien plus humiliante que le rejet de Stéphanie. On l’a obligé de s’agenouiller pendant trois heures sur des graines de maïs avec les bras suspendus en l’air pendant que Christophe et Stéphanie jouaient devant la maison. Il les imaginait frétiller comme des sauterelles, il les entendait piailler et pouffer de rire. Pendant ces heures, il avait ressenti de la haine pour le monde entier, pour Christophe, pour Stéphanie et pour leur amour, pour l’amour de son prochain, pour les cadeaux qu’il avait offert, les cadeaux qu’il avait reçus, pour la mère, le père et le saint-esprit. Sa haine s’était incrustée en lui encore plus fort quand il avait été privé de son dessert préféré : le mille-feuilles.

    Tout ça, c’est du passé, à ce qu’on dit. Il ne faut plus y penser. Et si c’était toujours aussi présent en lui ? Qu’est-ce qu’ils en savent, eux ? Que l’on ne doit plus penser à son passé ! Facile à dire. Il sentit une sorte de rage l’embraser comme une flamme. Et s’il avait envie d’y penser encore et encore et encore ? Au diable leur « ne pense plus au passé », « ne pense plus au passé », « ne pense plus au passé ». Justement, il y pense au passé, comme ça, juste pour les emmerder.

    Raoul rallume sa cigarette en s’abritant devant une vitrine. Son regard est attiré par la beauté d’une femme exposée en vitrine. Comme elle est belle, s’émerveille-t-il en s’approchant. Il colle son visage contre la vitrine avec une forte envie de lécher le petit nez aquilin de cette dame majestueuse. Mais, c’est un mannequin ! Pendant quelques secondes, Raoul est persuadé d’être devant une vraie femme. Une vraie femme s’avère être une fausse. Oh la, la, quelle honte. En tout cas elle est très bien réalisée cette sacrée fausse femme ! Son corps est lisse, elle a des longues jambes et des nichons à peine cachés par un minuscule soutien-gorge rouge en dentelle très fine. Ce visage, c’est étonnant comme il ressemble à celui de sa femme, avec ses yeux en amande et son sourire hautain, vide, glacial. Raoul donnerait sa vie pour se trouver au moins une heure à côté d’une si belle femme. Il s’éloigne en gardant les yeux rivés sur le visage lisse et blanc, en changeant par moments d’angle de vue. Il fait quelques pas en arrière, il revient. Tss, tss, tss. Intéressant. De loin, le visage se métamorphose mystérieusement, il devient celui de Stéphanie, le corps aussi. Cette femme, cette fausse femme a le corps d’une vraie femme qu’il a toujours rêvé de caresser. Avec des caresses douces, chargées de lenteur, l’empoigner par la suite d’un seul geste, au moment où le désir monte, le malaxer fortement entre ses paumes, l’écraser de sa force, l’entendre gémir, pénétrer cette beauté avec toute sa haine, la dominer et la mettre à nu dans toute sa vulnérabilité et sa faiblesse.

    Les mots de sa femme, la vraie, résonnent instantanément : tu es brutal, tu es rude, tu es un animal, arrête, arrête, arrête. Non, il n’est pas brutal, il est déchaîné. Non, il n’est pas rude, il est solide, non, il n’est pas un animal, il est submergé par son désir. Sa femme ne comprend rien, ne sent rien, ne connaît rien au désir charnel.

    Pourtant dans les scènes porno, il voyait bien que la Femme aime cette virilité, aime être pénétrée de force, adore être dominée. Le visage de la Femme montre tant de plaisir d’être dominée. Pas celui de sa femme. Elle hurlait hystériquement jusqu’à ce que Raoul s’arrête, dégoûté par ses paroles menaçantes et agressives.

    Son désir émoussé, il sortait fumer une cigarette.

    Sa mère aussi disait de lui qu’il était un animal cruel et farouche. Elle l’a encore dit ce soir même, au téléphone. De ce côté-là, Raoul a l’impression que les deux femmes, sa mère et son épouse, se sont arrangées pour se mettre d’accord. Sa mère l’a traité au téléphone d’être cruel puisqu’il lui a annoncé qu’il va quitter sa femme.

    - Pourquoi tu veux la quitter ? Quand nous t’avons dit qu’elle n’était pas pour toi, tu t’es acharné à nous prouver le contraire, presque à te battre avec ton père. Tu t’en souviens ? Tu ne l’aimes plus ?

    - Je ne l’ai jamais aimée, même pas devant le curé, a-t-il répondu. Je me rends compte que vous aviez raison.

    - Après vingt ans ? C’est n’importe quoi ! C’est terrible ce que tu viens de dire. T’es cruel. On ne quitte pas une femme après vingt ans de vie commune. Et qu’est-ce que tu vas faire tout seul ? C’est bien toi qui as insisté pour l’épouser ? Tu le sais bien, nous ne voulions pas d’elle dans la famille.

    Raoul n’a rien répondu. Une boule à travers sa gorge l’a empêché de sortir les mots qui se bousculaient dans sa tête. Et alors ? En réalité, c’était elle qui voulait se marier. Pour une fois qu’une femme voulait de lui, il ne pouvait pas dire non. Être aimé par une femme, c’est une aubaine du ciel qui n’arrive pas tous les jours sur la terre. Sa mère, par exemple, ne l’a jamais aimé. Elle ne pouvait pas l’aimer, il savait qu’elle ne l’aimerait jamais. Il y a des choses dans la vie que l’on sait d’instinct ou par expérience. L’expérience lui a montré tant de fois que tout ce qu’il faisait était objet de critiques de la part de sa mère. Qu’il fasse selon les exigences de sa mère ou qu’il fasse à sa manière à lui, elle trouvait toujours quelque chose à critiquer, à rabaisser, à casser. L’horreur, ce manque d’amour et de tendresse le bloquait de l’intérieur, un peu comme un antivol qui bloque la roue d’un vélo. Devant sa mère, ses pensées restaient immanquablement suspendues. Raoul se vidait de sa propre pensée pour emprunter celle de sa mère. Encore aujourd’hui, Raoul se surprend à donner raison à sa mère. On ne quitte pas une femme après vingt ans de vie commune ! disait-elle. Sans avoir une autre femme sous la main, rajouta-t-il en souriant niaisement ! Cet exploit, d’avoir une femme à aimer, il en rêvait. Il rêvait surtout d’être aimé par la Femme, être aimé à en mourir. Comment la rencontrer ? Comment susciter la passion d’une femme ? Que devait-il faire ou avoir pour qu’une femme soit éperdue d’amour pour lui ?

    Depuis vingt ans, Raoul espérait jour après jour la croiser. Au travail, dans la rue, chez les amis, en vacances, à la plage, au ski. Il en rêvait de cette femme à aimer, de cette femme arrivant dans son « entre les deux », la première et la dernière couverture, pour remplir les pages blanches. Il la voyait partout, et, pourtant, elle n’était nulle part. Vingt ans gâchés à chercher la Femme de sa vie. Plusieurs fois il se croyait devant la Femme de ses rêves. Un sourire chaleureux d’une vendeuse, un regard dissimulé de la femme d’un ami, un mot bienveillant, et son cœur battait fort, très fort, si fort qu’il ne pouvait plus bouger. Ça y est, il se disait. Il restait immobile, il attendait comme le vélo, paralysé par son antivol. Il restait là, à attendre que la Femme ouvre le cadenas, enlève la chaîne et lui permette d’accéder à l’amour. Quel gâchis ! Il ne pouvait même pas ouvrir la bouche. Il attendait sans bouger, figé. Pis, des rêves et des images se déroulaient dans sa tête, des scènes de tendresse, de bestialité aussi, de douceur, de silence, images de corps embrassés, enlacés, traversaient son esprit jusqu’à ne plus savoir où il se trouvait. L’homme n’est-il pas un animal à l’origine ?

    Raoul regarde l’heure tout en se dirigeant vers la gare. Il prendra le train de dix-huit heures, il somnolera confortablement dans le wagon, il rêvera de la femme inconnue jamais rencontrée mais éperdument amoureuse de lui. Il rentrera à la maison, il dira bonsoir, je suis fatigué, il ira poser un bisou sur la joue rose bonbon de sa femme, il dégustera sans faim le repas du soir, il murmurera quelques mensonges que sa femme n’écoutera pas, il fera la vaisselle. C’est son maudit devoir établi depuis vingt ans. Ensuite, il prendra le journal et il le feuillettera pendant qu’elle fera sa toilette. Depuis vingt ans, elle, même en pensée Raoul ne voulait pas prononcer son prénom, donc, depuis vingt ans elle était la première à la salle de bain. Depuis vingt ans !

    Ensuite elle viendra poser un bisou automatique et vidé de sens sur son front, signe qu’il peut aller à la salle de bain. Il ira laver son corps longtemps en attendant qu’elle s’endorme, il fumera sa dernière cigarette et il ira se glisser dans le lit sans avoir sommeil. Il se tournera et se retournera dans son lit, jusqu’au moment où, elle lui dira, énervée, d’arrêter de gigoter. Manger sans faim, dormir sans sommeil, aimer sans sentiment faisait partie de sa haute éducation. Agir et exprimer le contraire de lui-même, c’était la demande suprême de ces deux femmes, elle et l’autre, qui peuplaient sa vie depuis toujours. Bêtement, il se pliait à leurs demandes. De la même façon qu’il s’était plié bêtement devant sa femme en acceptant à contrecœur de l’épouser. C’était à ce moment qu’il s’était senti le plus déchiré dans son être car, en se pliant devant sa femme, il avait désobéi à sa mère. Déchiré entre ces deux femmes, il ne savait plus ce qu’il voulait pour lui-même. Et s’il rentrerait non pas à la maison, mais dans son studio. Il rôderait dans le dix-neuf mètre carré, il rêverait de toutes les femmes de la Terre, il regarderait des cassettes vidéo et il se masturberait jusqu’au dégoût. Ce qu’il aimait dans ses caresses intimes, c’était toutes les images qui surgissaient et défilaient sous ses yeux. Parfois ces images venaient avec une telle force qu’elles semblaient réelles, vivantes, indéniables. Il aimait aussi le doux épuisement de son corps, le relâchement.

    Il avait essayé d’emmener dans sa vie des femmes réelles et, croyait-il, folles de lui. Toutes ses tentatives avaient échoué, agences matrimoniales, sept minutes, rencontres brèves et décevantes. La déception s’installait dès qu’elles commençaient à parler. Une sorte de bla bla bla,

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