Radiographie d'un désir
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À propos de ce livre électronique
Le second couple, Franck et Cathy, issu du passé, va soumettre Claude et Éloïse à ce qui s’avèrera être leur épreuve de vérité ou du moins l’épreuve de vérité de leur couple. Puis chacun subira la loi de régénérescence du désir.
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Aperçu du livre
Radiographie d'un désir - Alexandre Manoukian
Radiographie
d’un désir
Alexandre Manoukian
Radiographie d’un désir
Roman
LES ÉDITIONS DU NET
126, rue du Landy 93400 St Ouen
Du même auteur
Nouvelles catalanes, Éditions du net, nouvelle édition 2023
Conception image de couverture :
Sylvie Rochart / www.sylvierochart.com
(Crédit photo : Adobe Stock – Cliparea)
© Les Éditions du Net, 2023
ISBN : 978-2-312-13706-3
« Le désir ne se conclut jamais que sur rien. Le rien est, si l’on veut, sa vérité. »
Lacan
Jacques-Alain Miller, Vie de Lacan
Avant–propos
Il semble que pour se connaître, il faille passer par l’autre. Et quelle expérience est plus complète que celle de la passion, cet amour imprévu et sans loi ? Il nous mène sur des chemins inconnus dont on a cependant la nostalgie. Paradoxe ? Probablement. Il ne faut pas chercher à comprendre, et vivre ce que l’on a à vivre, pleinement. Qui finira dans le lit de l’adorable princesse ? Qui, dans celui du prince ? Certains rêveront plutôt à rejoindre la fée bleue ou Cruella. Rien à redire à ça. C’est la passion.
PREMIÈRE PARTIE
:
« Il me baisera des baisers de sa bouche ; oui, tes étreintes sont meilleures que le vin »
Cantique des cantiques
Un coup de foudre et une migraine
Avril 2016, on prend l’avion pour Malaga, Andalousie. Là-bas, le temps est meilleur qu’en Auvergne, et tout le monde sait que le soleil fait du bien au moral. Le rire des enfants à la mer aussi… quoique ! Le troisième jour, nous grimpons sur le rocher de Gibraltar. M’ennuyais-je déjà de l’Espagne que je filai au Royaume-Uni ? Malgré tout, jusqu’au lendemain, un ciel bleu sans le moindre nuage.
Le jeudi soir, comme tous les soirs, la salle à manger de l’hôtel accueille une grosse foule anonyme et cruellement bruyante. Les buffets, rivalisant d’odeurs et de couleurs, forment un labyrinthe de tentations insoutenables malgré toutes les préoccupations de sauvegarde de la planète et tous les slogans véganes. Je prends possession d’une table à un emplacement stratégique. J’ai une vue plongeante sur tout et je ne regarde rien.
Mes enfants ouvrent le ballet de l’indécision, courant de droite à gauche puis en sens inverse tandis que leurs assiettes s’alourdissent un peu plus à chaque virage. Avec des yeux de bovins dans une campagne déchirée par les TGV, je ne vois personne. Un cri perçant, et aussitôt une sensation de peur m’envahit. Qui s’est tranché la main en découpant un morceau de rôti ou de pain ? Peur idiote à l’égal de toutes les peurs, les rôtis comme le reste sont prédécoupés. Les gens sont maladroits en vacances, c’est notoire. L’hôtel ne prendrait pas le risque de gouttes de sang sur son beau marbre blanc. Ma lourde tête oscille mollement d’un côté à l’autre. Tandis que j’attends pour aller me servir, une voix de femme semble très proche. En fait, elle émane de la table derrière la mienne. Une jolie blonde aux cheveux courts vient d’appeler ses enfants. Elle me regarde. J’imagine que le bovin étire ses lèvres façon Vache qui rit. Probablement un reste de politesse. Elle sourit à son tour. C’est simple et prévisible, ça s’appelle une convention sociale. À partir de cet instant, je voudrais que le train s’arrête, j’ai envie de lui parler. Ça, ce n’est pas une convention, je sais, ce sont les hormones. Faut dire que je suis seul depuis un bout de temps ! Bon, mes enfants reviennent s’asseoir, les siens aussi. Chacun des parents est calé à sa table. Elle a l’air d’être seule, enfin je veux dire sans mec comme moi. Je ne veux pas dire qu’elle n’a pas un mec comme moi, non, mais que moi aussi je suis seul. Bien, il est temps d’aller au buffet, je frôle l’hypoglycémie.
Elle réagit avant moi, se lève, se dirige vers les montagnes dégoulinantes de viandes, de poissons, de crustacés. De ma place, je ne vois que son dos. Parfait. Il n’y a pas de secret, quand je dis le dos, c’est le bas du dos dont je parle. Plutôt petite, les fesses moulées dans une jupe étroite fendue à souhait, c’est la vue la plus appétissante que je connaisse. Mes besoins se font la guerre et je ne suis pas encore allé me servir. Elle traîne sa nonchalance devant les dessertes avec un léger balancement des hanches. Je prends ça pour une invitation. C’est la faute à mon gène machiste. Je secoue la pesanteur bovine de ma carcasse, je me bouge, j’approche d’un pas langoureux, les lèvres caoutchouc. Ses mains glissent d’un plateau à un autre, presque à caresser les manches des larges cuillers et des longues pinces. Je me mets à son rythme. On fait du patin à glace avec nos mains.
Je crois qu’on s’est repérés.
Maintenant elle est assise, je continue ma valse-hésitation. Je jurerais qu’elle me scanne. Peut-être que je prends mes désirs pour des réalités ? Affichant une décontraction que je veux naturelle, je retourne à ma table où ma progéniture se bâfre sans lever la tête. Je crois qu’ils n’ont pas constaté mon absence ni ma conquête. Pardon pour le raccourci, vous aviez deviné, enfin, dans les grandes lignes. Je tourne la tête et la surprends à me regarder. Je m’humanise et souris, benoîtement. Elle répond malicieusement.
À ce moment, je signe un contrat dont je n’ai pas lu les termes. Un contrat oral sans aucune morale. Ah, les vacances ! Cinq jours dans cet endroit, et je ne la remarque qu’aujourd’hui. Le gigantisme de cette salle à manger me désole. Je me flagelle d’avoir été aussi aveugle ! On a dû dîner à peu près en même temps, dans la même pièce, sans jamais se croiser ! La semaine se termine bientôt. Encore une occase loupée, comme d’hab. La merde, quoi !
Nos assiettes plus ou moins vidées, nous nous levons tous d’un même élan, assurément mus par des appétits différents. Mes enfants se bousculent devant les desserts, les parents se rejoignent devant les fromages. Chaource ou Bleu d’Auvergne ? Époisses ou Saint-Amour ? Je commente, elle acquiesce aimablement à toutes mes banalités. C’est ma première drague au fromage.
Sans se concerter, les enfants ont englouti gâteaux et glaces. Ils obtiennent aisément l’autorisation de quitter la table pour la salle de jeux tandis que nous demeurons seuls. Sans réfléchir davantage, je vais vers elle.
– Je peux vous offrir un verre, le bar est juste là ?
– Bien volontiers, dit-elle trop vite à son goût.
Je perçois la gêne qu’a provoquée cette perte de contrôle. Les parents font connaissance à la même vitesse que les enfants. Installés au bar sur des fauteuils mous, le cul presque au ras du sol, nous parlons de nos villes d’origine, de nos vacances et inévitablement de notre progéniture. Nous découvrons des similitudes. Célibataires tous les deux, depuis deux ans, un garçon et une fille chacun, et des filles qui ont quasiment le même prénom, Clémence et Clémentine. Une coïncidence pareille ne s’invente pas. Là, c’est sûrement un signe du destin. D’ailleurs, elles vont et viennent au rythme de leur curiosité. Les garçons font de même. Nous leur offrons un spectacle inattendu qui les désenchaîne. Assurément, c’est une soirée de jeux, électroniques ou amoureux, selon les âges.
Vers 22 heures, je propose de rejoindre le night-club de l’hôtel et son show (danseuses dénudées, emplumées et bariolées venues tout droit du Carnaval de Rio). Nous nous asseyons très près et nos genoux se risquent à un contact savoureux. Un moment de grâce. Vous savez, lorsque le temps est suspendu ! Ce moment qu’évoquait le grand Meaulnes. Bon d’accord, je suis bien plus vieux que le héros du livre, tant pis, le cœur n’a pas d’âge. C’est la nième vérité de la journée que je croque et m’en gave sans retenue. Une vraie boulimie de lieux communs !
Pendant notre discussion, elle pose un court instant sa main sur mon bras, je contresigne cet engagement par un hochement de tête. Je lui dis mon prénom, Claude. Elle s’appelle Éloïse. Comme la chanson de Barry Ryan qui a bercé mon enfance chez mes grands-parents qui l’écoutaient en boucle. Ah, combien j’ai rêvé à elle ! Je parle de l’Éloïse de la chanson. Je voulais être plus vieux, et le temps ne passait pas vite. Quelques dizaines d’années à attendre pour la rencontrer ! Le destin est farceur, mon salaud ! Évidemment, après le départ des danseuses brésiliennes, notre quatuor insatiable demande à retourner aux machines électroniques. Envie de rester ensemble, sentiment de plénitude, attirance animale, aboutissement de nos destinées, nous acceptons tout ce que cette soirée déferlante charrie de coquillages et de bois flottés.
Les filles se sont éclipsées. Les garçons continuent leurs allées et venues avec moins de précipitation, quémandant quelques euros au passage. Après deux ou trois tours aux machines, ils reviennent dépités, ils se sont fait remballer par de plus grands. Je descends aussitôt voir les coupables, car coupables ils le sont deux fois : primo, d’avoir rejeté méchamment de plus petits et secundo, d’avoir interrompu l’ébauche d’une lune de miel. Ah non, ça ne va pas se passer comme ça ! Je m’emporte et attrape un de ces abrutis d’adolescents par les cheveux. Il bougonne des mots d’anglais peu répétables, je réplique dans sa langue et dans le même registre. À cet instant, je ne suis pas prof ! Les autres ados s’arrêtent de marmonner. Je monte rejoindre la mère inquiète qui m’accueille avec le sourire qu’on réserve aux héros.
Nous parlons des quatre preuves animées de notre passé. Puis, nous avouons nos métiers. Elle s’occupe de la clientèle des professionnels dans une compagnie d’assurance. Elle ne demande pas de détail sur mon activité d’enseignant en Histoire, revient à l’ambiance de son bureau et s’étale sur ses collègues et son chef. Comment arrive-t-elle déjà à me confier que son directeur appartient à la catégorie des pervers ? La preuve ? Il a toujours la main dans le pantalon quand une des filles de l’agence frappe à sa porte et qu’il répond « Entrez ! ». C’est du moins ce que toutes rapportent. Ah, Éloïse ! Quelle imagination ! La soirée se prolonge.
La nuit est bien entamée quand, à regret, nous sonnons le rassemblement des troupes. Les garçons sont vite récupérés, leurs sœurs demeurent introuvables. Nos filles se sont définitivement égarées. Ne sachant pas où nous diriger, j’organise notre quête. Nous nous partageons les ascenseurs et les couloirs. Quelques adolescentes françaises nous entendent et nous informent : « Elles sont parties vers le parc. » Éloïse commence à être vraiment anxieuse, je la rassure comme je peux. Après avoir interrogé toutes les personnes croisées au hasard de notre déambulation, nous les voyons revenir, jubilantes, fières de leur escapade, désaltérées par la grande goulée de liberté qu’elles se sont offerte. Cette nuit-là, un ange passe. Pas de dispute, ni pour l’une ni pour l’autre. Leur complicité est à l’image de celle de leurs parents.
Parce qu’il faut songer à garder le contact, je l’invite à se joindre à nous le lendemain pour une journée plage. Le soleil et la chaleur sont de notre côté en ce mois d’avril. Nous mettrons les maillots.
Je me réveille gaillard comme jamais, pressé comme toujours, affamé comme chaque matin. Nous devons prendre le petit déjeuner ensemble. Pourtant, j’ai beau faire durer mon café et me resservir une dernière tasse, je ne la vois pas arriver. Sont-ils partis plus tôt ou sont-ils à farnienter dans la chambre ? N’a-t-elle plus envie de venir ? Hier, je n’ai pas rêvé ! C’est un lapin ou quoi ? L’allumage brillant SGDG ! Panne de fonctionnement ou panne sèche sous une pluie battante ! Putain d’hystérie ! Je n’y crois pas. La mer et le soleil sont au rendez-vous, eux au moins ! J’attends encore un peu, on s’impatiente à ma table.
Le petit déjeuner terminé, notre trio emprunte les ruelles blanches qui descendent en pente douce vers la mer. Malgré le copieux petit déjeuner dont j’ai été le témoin, à 13 heures, on me réclame déjà à manger. Je cède. Nous nous installons dans une ginguette. Même qu’à l’aide d’un rouge Sierras de Malaga, l’inconfort de mon désir frustré s’atténue mollement. Les pieds dans le sable presque chaud, la journée est paresseuse. Mon vin titre 14,5°.
Mon souvenir de la veille sonne ma défaite et renforce mes positions. Encore une femme pareille à tant d’autres : un brin de conversation sans lendemain, trois petits tours et puis s’en vont ! Et tu restes comme un con ! La rencontre impossible, une erreur de plus, une épreuve pour rien ! Elles font des tests ni plus ni moins, j’ai été un cobaye ! Comment disent les Anglais, le guinea pig, c’est ça ? Le cochon de Guinée ! Dans l’Hexagone, on dit plutôt le dindon de la farce ! Vaut mieux être dindon ou cochon ? Je ne sais pas et le vin aidant j’hésite à trancher cette question capitale. Tout s’est arrêté avant les grands émois et surtout avant les grandes marées des promesses imbéciles. C’est beaucoup plus sage, ça évite les migraines.
La mère ne se baigne pas
Bon an mal an, nous terminons