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Mauvais sorts dans le Trégor: Les enquêtes de Bernie Andrew - Tome 3
Mauvais sorts dans le Trégor: Les enquêtes de Bernie Andrew - Tome 3
Mauvais sorts dans le Trégor: Les enquêtes de Bernie Andrew - Tome 3
Livre électronique282 pages3 heures

Mauvais sorts dans le Trégor: Les enquêtes de Bernie Andrew - Tome 3

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À propos de ce livre électronique

Quand la malédiction frappe à nouveau...

En l'an de grâce 1352, le chevalier Gicquel du Chastel, Vicomte de Kérianégan, lançait une terrible malédiction à l'encontre de son épouse Adelice. Le lendemain, cette dernière était retrouvée sur son lit, sans vie, dans sa chambre fermée de l'intérieur. Plusieurs siècles plus tard, cette malédiction serait-elle encore un danger pour les habitants du manoir ancestral ? En effet, au cours d'une belle nuit de printemps, la mort vient à nouveau y frapper. Sans l'avoir désiré, Bernie Andrew, auteur de romans policiers à succès et détective amateur à ses heures, est mêlé à ces tragiques événements. Son mode de raisonnement cartésien saurait-il se satisfaire des explications irrationnelles que d'aucuns avancent ? Chacun sait qu'il peut se révéler un excellent limier. Alors, si fantômes il y a, ils n'ont qu'à bien se tenir...

Suivez Bernie Andrew au manoir de Kérianégan dans le troisième tome de ses enquêtes fascinantes !

EXTRAIT

À la disparition de son épouse, Guillaume s’était retrouvé seul dans leur maison de Lannion. Ses enfants, étudiants, avaient quitté le foyer familial depuis plusieurs années. Rester dans cette demeure qu’ils avaient achetée et aménagée ensemble s’avérait au-dessus de ses forces. Chaque meuble, chaque tableau accroché au mur lui rappelait Albane. Il la retrouvait partout ; son parfum, sa présence imprégnaient non seulement les murs, mais aussi les rideaux, les canapés…
Il souhaitait se débarrasser de cet endroit, mais Jean et Aude, ses enfants, ne voulaient à aucun prix que la maison de leur enfance devienne la propriété d’étrangers. Il ne parvenait pas à prendre une décision lorsqu’un soir, son père, Guy, le vicomte de Kérianégan lui avait fait cette proposition :
— Guillaume, mon garçon, tu le sais, ta mère et moi étions très attachés à ton épouse. Nous comprenons ta peine. Nous voyons bien qu’il n’est pas facile pour toi de rester dans ta maison de Lannion. Nous en avons parlé longuement avec ta mère… Si tu voulais, tu pourrais t’installer dans l’aile sud. Il y a quelques travaux à faire pour tout remettre aux normes actuelles, mais tu pourrais avoir un logement indépendant, tout en étant proche de nous.
—Oui, avait ajouté Irène, tu serais beaucoup moins seul. Je crois que ce serait bien pour toi, comme pour nous d’ailleurs. Ton père et moi, nous vieillissons et ta présence auprès de nous serait un vrai réconfort.
Et, son géniteur ne l’avait pas dit, mais il l’avait pensé si fort que Guillaume était presque certain de l’avoir entendu :
« C’est une tradition familiale que le fils aîné, qui deviendra vicomte au décès de son père, habite au manoir. »

CE QU’EN PENSE LA CRITIQUE

Editions Bargain, le succès du polar breton. – Ouest France

À PROPOS DE L’AUTEUR

Bernard Enjolras est né en 1952 à Lyon. Après une carrière professionnelle effectuée à France Télécom, il vit aujourd'hui à Trégastel, au cœur de la côte de Granit Rose. C'est ce cadre magique qui sert de décor aux enquêtes de son personnage fétiche : Bernie Andrew.

À PROPOS DE L'ÉDITEUR

"Depuis sa création en 1996, pas moins de 3 millions d'exemplaires des 420 titres de la collection « Enquêtes et suspense » ont été vendus. [...] À chaque fois, la géographie est détaillée à l'extrême, et les lecteurs, qu'ils soient résidents ou de passage, peuvent voir évoluer les personnages dans les criques qu'ils fréquentent." - Clémentine Goldszal, M le Mag, août 2023
LangueFrançais
Date de sortie26 juil. 2017
ISBN9782355503054
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    Aperçu du livre

    Mauvais sorts dans le Trégor - Bernard Enjolras

    PREMIERE PARTIE

    RÉMINISCENCES…

    I

    Guillaume était un homme rationnel. Pour lui, un fait avait toujours été et serait toujours un fait. Jamais, durant toute sa vie, son tempérament cartésien n’avait pu se satisfaire ni de raisonnements byzantins ni de pensées tortueuses et approximatives. Les esprits malveillants, les forces des ténèbres maléfiques et nauséabondes, il n’en était pas question dans son univers. Chaque événement trouvait nécessairement sa genèse dans un ou plusieurs autres événements qui l’avaient obligatoirement précédé. Et ces événements eux-mêmes ne pouvaient être que des choses avérées, certaines, réelles, et non des délires cauchemardesques provenant d’un au-delà hypothétique. À chaque conséquence, sa ou ses causes, avec des liens de causalité parfaitement établis, ne suscitant aucune discussion, aucune possibilité d’ergoter.

    Guillaume était chirurgien-dentiste. Praticien expérimenté, il jouissait d’une solide réputation de la part d’une patientèle très fidèle. De la même façon qu’il analysait un problème de stomatologie et déterminait le meilleur traitement à mettre en œuvre, il essayait, ce soir encore, de comprendre comment tous ces événements maudits avaient commencé, quels enchaînements diaboliques avaient pu conduire de manière aussi tragique et inexorable à un tel drame.

    Il se concentrait intensément pour visualiser mentalement les derniers mois qu’il avait vécus. Il s’efforçait de revivre les heures passées, de ressentir chacune d’entre elles, dans sa chair, dans son corps, dans ses membres, jusqu’au bout de ses doigts. Cet effort de concentration, plusieurs fois répété depuis la nuit funeste, le conduisait comme toujours, inéluctablement, aux confins de la douleur. Comme Proust avec sa madeleine, il ressentait, dans tout son être, les peines qu’il avait traversées, les tristesses qu’il avait endurées. Son visage se crispait, sa gorge se serrait, ses yeux s’embuaient. L’émotion trop forte l’emportait comme un tourbillon, le goût salé des larmes mal contenues l’asphyxiait, son corps hoquetait, malmené comme dans un maelström, secoué par des sanglots de gosse inconsolable. Comme à chaque fois, il cachait son visage entre ses mains et, effondré, il attendait que sa souffrance s’éteigne en même temps que ses pleurs se tariraient.

    La veille, son assistante, entrée à l’improviste dans son cabinet, l’avait découvert dans cette pitoyable attitude.

    — Docteur du Chastel, ça ne va pas ? s’était-elle écriée, d’une voix effarée, saisie tout à coup d’un début de panique.

    — Ce n’est rien, Mademoiselle. Ne vous inquiétez pas. Je ne vous avais pas entendue frapper. Que se passe-t-il ?

    — Je venais simplement vous informer que monsieur Le Berre, votre rendez-vous de dix heures, était arrivé, Docteur.

    — Très bien. Je m’occupe de lui tout de suite.

    Ce soir, il était seul dans son cabinet. Personne ne viendrait troubler sa recherche rétrospective. Le dernier patient était parti depuis longtemps. Son employée, pimpante et coquette, avait certainement déjà retrouvé son amoureux qui l’attendait comme tous les jours sur le parking en bas de l’immeuble. Toutes les lampes étaient éteintes et la pénombre s’était emparée tout doucement de la pièce. La bouche amère, le nez embarrassé, Guillaume se redressa lentement. Il se moucha avec force et se leva pour se servir un verre d’eau. La fraîcheur du liquide lui procura un réconfort immédiat et bienvenu. Il se tamponna rapidement le visage avec une serviette humide et ce simple geste lui fit reprendre contact avec la réalité.

    Sa raison reprit l’avantage sur son chagrin et il recouvra la maîtrise de ses pensées.

    Remonter le temps, revivre les événements à rebours… Comment tout cela avait-il commencé ?

    Il n’y avait aucun doute, le point de départ de toute cette sinistre affaire, l’événement qui avait tout déclenché, l’élément de causalité essentiel dans ce drame, ne pouvait être que le décès de son épouse.

    Albane, partie il y avait un peu plus de deux ans de cela ! Elle l’avait abandonné, à l’aube de la cinquantaine, laissé seul, perdu, égaré, meurtri, malheureux… Un arrêt cardiaque l’avait emportée brutalement un soir de novembre.

    Pendant des mois, il n’avait été qu’un zombie, épouvanté à l’idée de subir, jour après jour, une existence dont la vacuité lui semblait insondable. Sans sa femme, la vie n’avait pas de sens. Sans son sourire moqueur, sans sa voix sensuelle et posée, plus rien n’existait. Pendant des mois, le matin au réveil, il l’avait cherchée à tâtons dans le lit. Elle n’était plus là… elle ne serait plus jamais là ! Il n’y avait pas si longtemps, il ressentait encore, sur sa peau, le velouté de ses baisers, la moiteur de son corps. Au début de son deuil, il avait parfois la quasi-certitude d’être en elle, en train de l’étreindre avec force et tendresse, de la sentir s’abandonner. Il s’abîmait réellement au plus profond de ses yeux révulsés, il percevait distinctement son souffle court qui réchauffait sa peau, il entendait le feulement rauque de sa voix dans le creux de son oreille… « Oui, mon amour, je t’aime, je t’aime… »

    Au fil des mois, il était parvenu à accepter la réalité, mais juste après le décès, tout cela avait l’air si vrai, si réel… Ce n’était pas possible, elle se trouvait bien là, allongée près de lui, son corps contre le sien. Il se réveillait d’un long cauchemar douloureux, tout redevenait comme avant. Mais non, tout n’était qu’un leurre, qu’une illusion, qu’un rêve. Le temps de rebasculer dans le monde des vivants, il se retournait sur sa couche, en sueur, complètement désemparé. Il était seul, désespérément seul. Son amour l’avait abandonné… à jamais. Quand le jour commençait à percer à travers les volets de la chambre, un seul désir s’imprimait dans son corps : être un spectre tapi dans le caveau familial du manoir, un ectoplasme las de ses sarabandes nocturnes, qui, chassé par la lumière du jour, s’en allait retrouver le monde des morts, monde qui, désormais, était le sien.

    Depuis, il avait réussi à rouvrir les yeux, à faire face, à se lever, à affronter la vie…

    Albane, avait chamboulé son destin alors qu’il était étudiant à l’école dentaire. Quelques années avant de faire sa connaissance, quand il avait décroché son baccalauréat, il avait commencé à entrevoir à quoi pouvait bien ressembler la liberté. Débarrassé du carcan des parents, affranchi du joug des traditions, soulagé du poids des responsabilités morales dont on l’avait accablé depuis sa naissance, il avait découvert un nouvel univers. Il s’était défait de toutes les contraintes qui l’engluaient et le maintenaient prisonnier derrière des barreaux invisibles. Il les avait abandonnées comme l’on quitte un vieux manteau usé, sans regret, mais avec un peu de mauvaise conscience, comme s’il se rendait coupable d’un acte interdit, d’une action répréhensible. Pourtant, elles se terraient encore, ancrées quelque part très profondément en lui, mais une fenêtre s’était ouverte dans sa vie et il avait découvert, pour la première fois dans sa jeune existence, la sensation de pouvoir s’enivrer d’air pur jusqu’à plus soif, de pouvoir courir à perdre haleine, de s’autoriser à se lâcher, de se permettre de rire sans retenue…

    Il avait reçu une éducation très stricte, voire sévère. Noblesse oblige, n’était-il pas le seul fils du vicomte de Kérianégan, façonné et contraint par les valeurs et les obligations de sa condition ?

    C’est au cours d’une soirée étudiante qu’il avait rencontré Albane. Soirée rock & roll. Tous les classiques du genre. Bill Haley & the Comets, Gene Vincent, Chuck Berry, Jerry Lee Lewis… Il avait découvert cette musique sur le tard, mais il était devenu assez vite un bon danseur et c’est grâce à cela qu’il avait réussi à l’approcher et à faire sa connaissance. Elle s’affichait avec une bande de copains, des carabins comme elle. Plusieurs d’entre eux tournaient ostensiblement autour de sa petite personne et il sembla à Guillaume que, sans la moindre vergogne, elle les menait tous par le bout du nez. Physiquement, elle représentait son idéal féminin. De taille moyenne, blonde, racée, elle l’avait subjugué au premier coup d’œil.

    Amoureux, puis amants, puis mari et femme, leur vie semblait toute tracée, rectiligne, sans ornière, simple, belle… Lui, chirurgien-dentiste, elle, psychiatre. Deux beaux enfants avaient consacré leur union. Tout allait bien. Des années plus tard, à l’approche de la cinquantaine, ils étaient encore amoureux comme au premier jour. Pourquoi avait-il fallu qu’elle parte ? Par quels mécanismes sournois du destin son décès avait-il déclenché ce funeste mouvement de dominos qui avait conduit au drame actuel ? Comme si sa mort à elle n’avait pas été suffisante, comme si elle ne l’avait pas blessé, lui, au plus profond, comme si elle ne l’avait pas marqué au fer rouge d’une douloureuse meurtrissure, comme si tout cela n’avait pas été assez !

    À la disparition de son épouse, Guillaume s’était retrouvé seul dans leur maison de Lannion. Ses enfants, étudiants, avaient quitté le foyer familial depuis plusieurs années. Rester dans cette demeure qu’ils avaient achetée et aménagée ensemble s’avérait au-dessus de ses forces. Chaque meuble, chaque tableau accroché au mur lui rappelait Albane. Il la retrouvait partout ; son parfum, sa présence imprégnaient non seulement les murs, mais aussi les rideaux, les canapés…

    Il souhaitait se débarrasser de cet endroit, mais Jean et Aude, ses enfants, ne voulaient à aucun prix que la maison de leur enfance devienne la propriété d’étrangers. Il ne parvenait pas à prendre une décision lorsqu’un soir, son père, Guy, le vicomte de Kérianégan lui avait fait cette proposition :

    — Guillaume, mon garçon, tu le sais, ta mère et moi étions très attachés à ton épouse. Nous comprenons ta peine. Nous voyons bien qu’il n’est pas facile pour toi de rester dans ta maison de Lannion. Nous en avons parlé longuement avec ta mère… Si tu voulais, tu pourrais t’installer dans l’aile sud. Il y a quelques travaux à faire pour tout remettre aux normes actuelles, mais tu pourrais avoir un logement indépendant, tout en étant proche de nous.

    — Oui, avait ajouté Irène, tu serais beaucoup moins seul. Je crois que ce serait bien pour toi, comme pour nous d’ailleurs. Ton père et moi, nous vieillissons et ta présence auprès de nous serait un vrai réconfort.

    Et, son géniteur ne l’avait pas dit, mais il l’avait pensé si fort que Guillaume était presque certain de l’avoir entendu :

    « C’est une tradition familiale que le fils aîné, qui deviendra vicomte au décès de son père, habite au manoir. »

    Après avoir réussi à convaincre ses enfants, effectué les travaux nécessaires, beaucoup plus importants qu’une simple remise aux normes comme l’avait déclaré le vicomte, vendu sa maison, il était revenu à Trégastel. Il avait repris sa place dans le manoir de ses ancêtres, à Kérianégan.

    Tout doucement, il avait poursuivi son travail de deuil. Ses parents qui logeaient dans le corps principal du manoir respectaient son besoin de solitude. En fait, en dehors de son activité de praticien, il voyait assez peu de monde. Il se levait tôt, partait travailler de bonne heure et rentrait le plus tard possible. Il déclinait systématiquement toutes les invitations à dîner, qu’elles émanent de ses parents ou de sa sœur qui était installée, à l’entrée du parc, dans l’ancienne maison des gardiens. Chaque soir, recru de fatigue, il se préparait rapidement un plateau-repas et il s’affalait dans son canapé devant la télévision. Il passait ainsi une partie de la nuit, la télécommande à la main, passant de chaîne en chaîne, recherchant plus à s’abrutir qu’à vraiment essayer de s’intéresser à un programme quelconque.

    Tout juste quelques mois après son installation à Trégastel, sa mère était venue le trouver un soir. Il avait instantanément remarqué son excitation. Elle paraissait même, d’une certaine façon, bouleversée, comme une personne qui vient d’être témoin d’un grave accident ayant fait des victimes corporelles. Ses joues étaient empourprées, elle soufflait et reprenait difficilement sa respiration. Manifestement, sa course avait été trop rapide.

    — Guillaume ! s’écria-t-elle.

    — Que se passe-t-il, maman ? s’étonna-t-il.

    Sa mère était habituellement une femme très posée, maîtresse d’elle-même, consciente de son air réservé, un peu hautain, très conforme à l’idée que l’on se fait habituellement d’une vicomtesse. Très à cheval sur les convenances et le respect des règles de bienséance, son comportement était pour le moins inhabituel et incongru.

    — Guillaume, tu ne vas pas me croire, mais pourtant je te jure…

    — Mais enfin, maman, vas-tu me dire enfin ce qui se passe ?

    — Écoute-moi bien ! Tout ce que je vais te dire est vrai.

    Il la fit entrer dans le salon et la pria de s’asseoir. Elle prit place dans le canapé et il s’installa à ses côtés. Nerveusement, elle remettait en place une mèche de cheveux gris qui, sans cesse, tombait sur son front. Au bout d’un court instant, elle se lança :

    — Guillaume, tu sais comme j’aimais Albane…

    Il le savait bien entendu. Sa mère avait été conquise par son épouse dès leur première rencontre. Si des problèmes relationnels existent parfois entre des belles-mères et leurs brus, qu’elles ne communiquent qu’avec des mots fielleux, aigres-doux, chargés de sous-entendus, en ce qui concerne Albane et Irène, il n’avait jamais été question de cela.

    — Oui, je le sais, maman, bien sûr que je le sais !

    — Depuis son décès, je prie pour elle tous les jours. Je pense à elle sans arrêt. En permanence, je demande au ciel le salut de son âme et son repos éternel.

    — Mais oui, maman, ne t’inquiète pas, je le sais bien. Je sais que tu pries pour elle, que tu fais dire des messes pour elle. Je sais tout cela. Mais pourquoi, t’es-tu mise dans un tel état ? Je ne comprends pas.

    — Depuis des mois, j’invoque le ciel en permanence. J’appelle Albane. Je m’adresse à elle comme si elle était là, toute proche de moi. Je parle tout haut, je lui demande comment elle va.

    Guillaume eut cette vision de sa mère parlant toute seule. L’image de ces pauvres personnes égarées en train de radoter que l’on croise parfois dans la solitude des grandes villes, dont les enfants se moquent et sur qui l’on se retourne dans la rue, lui traversa l’esprit :

    « Oh non, maman, pas ça ! » pensa-t-il, « pas toi ! »

    Il entrevit soudain que les ravages du temps, le poids des années, avaient choisi une nouvelle cible. Instantanément, il se dit qu’il avait compris ce qui se passait et il rechercha aussitôt une façon charitable de suggérer à sa mère qu’il était temps de regagner son domicile.

    — Je comprends, maman, lui dit-il doucement. Mais je crois qu’il est déjà tard et que tu ferais bien de rentrer chez toi. Papa va s’inquiéter.

    — Mais attends, Guillaume, je n’ai pas fini.

    Elle remonta la mèche grise qui, une fois de plus, était tombée sur son front. Elle était si menue, si frêle que son fils s’imagina qu’elle pouvait se casser comme une flûte de cristal que l’on essuie un peu trop fort. Elle poursuivit :

    — Ce matin, comme tous les matins, j’écoutais la radio en faisant ma vaisselle du petit-déjeuner. Mais quand je dis que j’écoutais, c’est un bien grand mot, car en fait, je n’écoutais pas vraiment mais cela me faisait un fond sonore. En réalité, je pensais à Albane, comme très souvent. Je me disais : « Comment vas-tu, Albane, est-ce que tu es bien ? » Mon esprit était totalement absorbé par cette pensée. Tu me comprends, Guillaume ?

    — Oui, maman, je comprends.

    — Tout à coup, un coup de gong à la radio me sort de ma rêverie. Malgré moi, mon oreille est attirée par le poste et…

    De façon totalement inconsciente, elle marqua une pause, comme pour ménager un suspense certainement bien involontaire.

    — Et ? s’inquiéta son fils.

    — Et j’entends une voix lointaine qui me dit : « Irène, ne t’inquiète pas, je vais bien. »

    Elle leva les yeux, presque apeurée, et resta silencieuse un court instant. Au bout d’un moment, elle ajouta :

    — Voilà, c’est tout. Je suis simplement venue te dire que j’ai eu des nouvelles d’Albane et qu’elle va bien.

    Ses yeux inquiets quêtaient dans ceux de son fils, un réconfort, un geste de tendresse, des remerciements… Guillaume le comprit. Il la prit dans ses bras avec délicatesse. La pensée que ce que sa mère disait avoir entendu pouvait être vrai ne l’effleura pas l’espace d’un seul instant. Moment d’égarement, rêve éveillé, son esprit cartésien lui interdisait d’envisager quoi que ce soit d’autre. Pourtant, il ne lui fit aucun commentaire désobligeant. Il était assez malheureux lui-même pour ne pas comprendre la douleur de sa pauvre mère. Il murmura à son oreille :

    — Merci maman, il est vraiment temps de rentrer maintenant.

    Elle se leva lentement et se dirigea vers la sortie. Elle ouvrit la porte et s’engagea sur le seuil. Elle se retourna pour refermer et, avant de partir, tandis qu’un sourire contrit éclairait furtivement son visage, elle murmura :

    — Je suis contente, Guillaume. Je sais qu’elle est bien là où elle est.

    La porte se referma et le silence envahit la pièce.

    Plusieurs semaines s’écoulèrent pendant lesquelles il ne fut plus du tout question de cet incident. Ce qui, pour Guillaume, n’était d’un point de vue scientifique qu’un non-événement, avait toutefois instillé en lui une espèce de malaise. Bien entendu, il n’avait pas cru un seul instant à la réalité de ce que sa mère déclarait avoir entendu. Mais le fait qu’elle, y croie, l’avait quelque peu désarçonné. Durant toute son existence, elle s’était toujours montrée très rationnelle, très raisonnée. Et puis, d’un seul coup, elle se mettait à croire aux fantômes, elle entendait des voix ! Et par le truchement d’un vulgaire poste à transistors qui plus est ! Il mit cela sur le compte d’une peine inconsolable et il décida même de ne pas en parler à son père. Après tout, à soixante-quatorze ans, sa mère avait bien le droit de trouver des consolations là où elle le pouvait. Que cela puisse soulager son chagrin était la seule chose qui comptait, même si cela devait conduire à ce que tous les prix Nobel de la terre crient à l’hérésie et se liguent contre elle pour lui lancer l’anathème !

    Il avait quasiment oublié cette péripétie sans importance lorsqu’un soir, alors que l’obscurité avait recouvert le domaine depuis longtemps, il eut de nouveau la visite d’Irène. Dès qu’elle entra dans la pièce, il perçut instantanément ces signaux de déjà-vu que l’on ressent parfois, au réveil, lorsque les rêves de la nuit n’ont pas encore été effacés par l’aube naissante. Avant même qu’elle ne s’adresse à lui, il savait ce qu’elle allait lui dire. Comme la fois précédente, elle était fébrile, un peu essoufflée… Son regard, habituellement si plein de certitude, affichait ce soir, un voile d’angoisse mêlé de doute. Elle eut du mal à regarder son fils droit dans les yeux.

    — Qu’y a-t-il, maman ? l’interrogea-t-il d’une voix douce.

    — Guillaume, j’ai encore entendu Albane.

    — Oui, maman. C’était encore à la radio, n’est-ce pas ?

    — Non, pas cette fois. Elle s’est adressée à moi directement, la nuit passée. J’étais couchée…

    Guillaume ne la laissa pas continuer. Il l’interrompit avec délicatesse :

    — Oui, je comprends, maman. Tu l’as entendue dans un demi-sommeil, c’est bien ça ? Tu t’étais certainement endormie en ayant l’impression d’être encore réveillée. Cela arrive parfois. Ce n’était qu’un mauvais rêve. Ce n’est rien, ne t’inquiète pas.

    — Mais non, Guillaume, je ne dormais pas, j’en suis sûre ! J’étais bien réveillée, j’ai bien entendu sa voix.

    Il décida de ne pas la contredire. A quoi bon. Il passa un bras sur son épaule.

    — Très bien, maman, tu l’as bien entendue. Je crois qu’il est temps que tu rentres, il est tard.

    — Mais Guillaume, elle m’a vraiment parlé, insista-t-elle. Tu ne veux pas savoir ce qu’elle m’a dit ?

    — Mais si, maman, bien sûr. Tu vas me le dire et puis tu rentreras chez toi. Il est onze heures du soir. Je crois que tu devrais être au lit ! Alors, que t’a-t-elle dit ?

    Le visage un peu pincé, consciente mais mécontente que son fils la considère comme une pauvre vieille en train de perdre la boule, la vicomtesse qui était en elle releva la tête. D’un ton, cette fois sans réplique, elle asséna :

    — Eh bien, puisque cela t’intéresse, je vais te le dire. Elle m’a demandé de la contacter !

    — La contacter, mais qu’est-ce que ça veut dire ?

    — La contacter, oui, c’est bien ça ! « Irène, appelle-moi », voilà

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