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Micmac à Ploumanac'h: Les enquêtes de Bernie Andrew - Tome 4
Micmac à Ploumanac'h: Les enquêtes de Bernie Andrew - Tome 4
Micmac à Ploumanac'h: Les enquêtes de Bernie Andrew - Tome 4
Livre électronique282 pages2 heures

Micmac à Ploumanac'h: Les enquêtes de Bernie Andrew - Tome 4

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À propos de ce livre électronique

Une nouvelle enquête pour Bernie Andrew.

Jean-Jacques Bordier n’a jamais compris comment Max Corbel, le neveu du vieux Sezni Kerlouan, enfermé dans une tour aux fenêtres protégées par de lourds barreaux de fer, a pu disparaître. Et pour quelles raisons obscures s’est-il alors lancé à la recherche de cette mystérieuse jeune femme brune qui semblait semer des cadavres sur son passage ? Si seulement son vieux copain, Bernie Andrew, auteur de romans policiers à succès et détective amateur à ses heures, était là pour l’aider… Jean-Jacques, livré à lui-même, parviendra-t-il jamais à démêler le vrai du faux et à voir clair dans cet étrange micmac qui le dépasse complètement ?

Parcourez le 4e tome des enquêtes de Bernie Andrew, parsemé de nombreux mystères à élucider dans une petite ville bretonne !

EXTRAIT

Ploumanac’h était l’une de ses destinations de promenade favorite. Il avait maintes fois arpenté le chemin des douaniers et en connaissait par coeur tous les sites remarquables, depuis le port, en passant par la Bastille, la plage de Saint-Guirec, le Ranolien…
Les petits chemins traversant la lande, que les touristes ignoraient, n’avaient plus aucun secret pour lui et l’impasse des Genêts dans laquelle il se trouvait aujourd’hui, lui était familière, mais, jamais auparavant, il n’avait éprouvé cette sensation indéfinissable de malaise diffus qui lui serrait les tripes.
Ce sentiment désagréable était-il lié au temps humide qui étreignait sa poitrine ?
Le climat des Côtes-d’Armor ne l’avait jamais affecté, au contraire. Il en aimait son caractère changeant, son crachin pernicieux, ses brusques ondées, mais aussi ses rayons de soleil improbables et inattendus qui, en quelques minutes seulement, métamorphosaient un temps de Toussaint, plombé de gris, en un bel après-midi de printemps.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Bernard Enjolras est né en 1952 à Lyon. Après une carrière professionnelle effectuée à France Télécom, il vit aujourd'hui à Trégastel au cœur même de la côte de Granit Rose. C'est ce cadre magique qui sert de décor aux premières enquêtes de son personnage fétiche : Bernie Andrew. Bernard Enjolras a reçu le prix du Goéland masqué en 2011 avec Îlot mortel à Trégastel.

À PROPOS DE L'ÉDITEUR

"Depuis sa création en 1996, pas moins de 3 millions d'exemplaires des 420 titres de la collection « Enquêtes et suspense » ont été vendus. [...] À chaque fois, la géographie est détaillée à l'extrême, et les lecteurs, qu'ils soient résidents ou de passage, peuvent voir évoluer les personnages dans les criques qu'ils fréquentent." - Clémentine Goldszal, M le Mag, août 2023
LangueFrançais
Date de sortie2 juin 2017
ISBN9782355503061
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    Aperçu du livre

    Micmac à Ploumanac'h - Bernard Enjolras

    I

    Quand Jean-Jacques Bordier aperçut la maison au fond de l’impasse, un sentiment de malaise s’empara soudainement de lui, comme une sourde anxiété, comparable à celle qu’un gamin peut ressentir quand le maître d’école l’appelle de sa grosse voix pour venir au tableau.

    Se pouvait-il que ce soit l’allure austère de la construction qui lui procurât cette impression désagréable, qui fît naître au creux de son ventre cette douleur diffuse ?

    Pourtant, le bâtiment ne présentait rien qui puisse impressionner ou inquiéter.

    Il s’agissait d’une demeure en L, tout à fait classique dans cette partie de la Bretagne, au toit d’ardoises et aux murs en pierres du pays.

    Sa seule particularité résidait dans la tour carrée, plantée entre les deux branches du L, qui lui donnait un aspect inachevé, un air incongru, négligé même, car son revêtement extérieur n’était pas en pierre comme le reste de l’édifice, mais tout simplement constitué d’un crépi de ciment, gris, triste, sali par les années.

    Jean-Jacques qui avait stoppé sa marche, reprit très vite ses esprits.

    Le ciel gris ne laissait percer aucun rayon de soleil. La pluie fine qui tombait sans discontinuer depuis plusieurs jours, avait, dans une même action, abaissé fortement la température et marqué sans conteste le retour de l’automne.

    L’impasse, déserte et silencieuse, desservait quelques rares habitations, désolées sous la grisaille. Des ruisselets d’eau sinuaient sur la chaussée défoncée, maculée de boue, traversant le chemin dans tous les sens et rendant la marche périlleuse.

    Ploumanac’h était l’une de ses destinations de promenade favorite. Il avait maintes fois arpenté le chemin des douaniers et en connaissait par cœur tous les sites remarquables, depuis le port, en passant par la Bastille, la plage de Saint-Guirec, le Ranolien…

    Les petits chemins traversant la lande, que les touristes ignoraient, n’avaient plus aucun secret pour lui et l’impasse des Genêts dans laquelle il se trouvait aujourd’hui, lui était familière, mais, jamais auparavant, il n’avait éprouvé cette sensation indéfinissable de malaise diffus qui lui serrait les tripes.

    Ce sentiment désagréable était-il lié au temps humide qui étreignait sa poitrine ?

    Le climat des Côtes-d’Armor ne l’avait jamais affecté, au contraire. Il en aimait son caractère changeant, son crachin pernicieux, ses brusques ondées, mais aussi ses rayons de soleil improbables et inattendus qui, en quelques minutes seulement, métamorphosaient un temps de Toussaint, plombé de gris, en un bel après-midi de printemps.

    Alors, fallait-il envisager que ce soit la perspective de rendre visite au vieux Kerlouan qui l’impressionnait autant ?

    Sezni Kerlouan qu’il avait rencontré quelques mois plus tôt à un salon du livre policier, avec qui il avait commencé, peut-être pas encore à sympathiser, mais au moins à discuter et essayer d’échanger quelques idées.

    Cela n’allait pas de soi, car le personnage, haut en couleurs, s’avérait très particulier.

    Son aspect physique peu soigné et sa tignasse blanche, hirsute, d’une propreté laissant manifestement à désirer, constituaient un véritable affront au bon goût.

    Par ailleurs, son air malgracieux, son visage revêche et son verbe haut incitaient davantage à l’éviter qu’à faire sa connaissance et chercher à mieux le connaître.

    Pourtant, derrière ce faciès renfrogné, au-delà de cette silhouette mal fagotée, se cachait une personnalité certainement riche et complexe, que Jean-Jacques avait pressentie avant même de commencer à la découvrir vraiment.

    L’ex-professeur possédait ce don, inné, de savoir, en toute circonstance, mettre les gens en confiance, converser avec eux, les faire parler d’eux-mêmes.

    Avec le vieux Kerlouan, cela avait été certainement plus difficile qu’avec la plupart des autres personnes, mais la nature profonde de Jean-Jacques était ainsi faite qu’il n’avait pu s’empêcher de traquer le défaut dans la cuirasse du vieux bonhomme et de rechercher, dans ses défenses, la faille qui lui permettrait d’accéder jusqu’à lui.

    Par le plus grand des hasards, il s’était retrouvé assis à ses côtés lors de la conférence sur Le roman policier et les trains, donnée par certains des auteurs invités au salon.

    Le vieil excentrique soufflait et râlait : — Pfff, quelle bande de cabotins ! Et ils se prennent pour des écrivains ! Ma parole, ils n’ont jamais lu un vrai roman policier !

    Les membres du public, mi-amusés, mi-gênés par cet énergumène qui tentait de les prendre à témoins et de les entraîner dans sa volonté d’esclandre, se comportaient comme si de rien n’était. Chacun se gardait soigneusement d’entrer dans son jeu, de peur qu’il ne se déchaîne davantage. Au bout d’un moment, lassé de ne susciter aucune réaction, il se leva et quitta bruyamment l’assistance.

    C’est à la buvette que le chemin de Jean-Jacques croisa à nouveau celui du septuagénaire cacochyme. Sa mine courroucée n’incitait guère à l’aborder. Il ronchonnait, tout seul dans son coin, isolé des autres consommateurs qui se tenaient à bonne distance, et absorbait un demi de bière dont la mousse avait maculé sa barbe. L’ex-professeur, amusé et intrigué par le personnage, s’accouda au bar, près de lui. Il commanda une consommation et, constatant que son voisin venait de terminer sa boisson, le sollicita :

    — Je vous offre un verre, Monsieur ?

    Le vieux darda sur lui un regard perçant et soupçonneux, recherchant dans ses yeux une quelconque trace d’ironie ou de moquerie. L’air franc et honnête de Jean-Jacques calma ses ardeurs belliqueuses.

    — Mettez-moi un demi, maugréa-t-il à l’attention du barman.

    Une fois servi, il leva son verre en direction de son interlocuteur, dans un geste qui signifiait tout à la fois « Merci » et « À votre santé ». La mousse dégoulina à nouveau sur son menton, laissant au passage, des traînées baveuses dans sa barbe mal taillée.

    — J’étais assis près de vous, tout à l’heure à la conférence, dit Jean-Jacques. On dirait que vous êtes remonté contre les auteurs de romans policiers…

    L’interpellé se redressa, comme s’il voulait se grandir, écarta le gobelet de ses lèvres et, d’une manière ridiculement solennelle, déclara :

    — Cher Monsieur, laissez-moi tout d’abord vous remercier pour la consommation que vous venez de m’octroyer généreusement. Je ne pense pas avoir l’honneur de vous connaître, mais j’apprécie l’attention. Par ailleurs, contrairement à ce que vous imaginez, je n’ai rien contre les auteurs de romans policiers, Dieu m’en garde, mais, selon moi, aucun des jean-foutre que nous avons écoutés tout à l’heure, ne mérite ce qualificatif.

    Jean-Jacques fut surpris par le ton, légèrement désuet, de cette déclaration proférée doctement, qui fleurait bon la vieille bourgeoisie de province. Ce n’était pas la première fois qu’il constatait que le physique d’une personne pouvait être en complet décalage avec son expression. Cela l’amusa et le laissa perplexe tout à la fois.

    — Ce que vous dites est très surprenant, rétorqua-t-il, car plusieurs des personnes qui sont intervenues cet après-midi sont des auteurs confirmés qui jouissent d’une excellente réputation.

    — Excellente réputation ! Foutaises ! Êtes-vous amateur de romans policiers, Monsieur ?

    Jean-Jacques était un ancien professeur, agrégé de lettres modernes. Féru de littérature contemporaine, le genre policier n’était pas son préféré, mais bien évidemment, il avait, au cours de sa carrière, lu un nombre conséquent de ce type d’ouvrage.

    — Je ne suis pas un spécialiste, répondit-il prudemment, mais il m’est arrivé d’en lire, bien entendu…

    — Alors, permettez-moi de vous dire, Monsieur, que la littérature policière actuelle, c’est du pipi de chat, de la roupie de sansonnet, en comparaison de celle du début du XXe siècle…

    — Je vous crois sur parole, sourit Jean-Jacques.

    — Vous pouvez rire, mais avez-vous entendu parler des maîtres du roman policier au moins ? Non, bien sûr ! Que savez-vous des mystères de ces chambres closes, fermées de l’intérieur, des belles énigmes bien ficelées à l’ancienne ? Voilà ce que j’appelle du roman policier ! Aujourd’hui, c’est du sexe, de la drogue, de la violence, des torrents d’hémoglobine… Croyez-moi, Monsieur, vous avez devant vous un véritable connaisseur et je vous le dis haut et fort : le vrai roman policier, c’est fini, c’est bien fini !

    La conversation s’était prolongée. Les demis de bière aidant, un début de complicité avait commencé à s’instaurer entre les deux hommes. Ils s’étaient trouvé plusieurs centres d’intérêt communs, dont la littérature et la peinture, mais aussi l’architecture, la musique et bien d’autres choses encore. Ils s’étaient promis, en se quittant, de se revoir très vite, ce qui leur avait semblé une évidence, considérant qu’ils étaient quasiment voisins : l’un vivant dans le quartier de Golgon à Trégastel, l’autre résidant à Ploumanac’h.

    Dès le lundi suivant, Jean-Jacques n’avait pas manqué d’interroger sa source d’information préférée, livre vivant des histoires du Trégor, véritable corne d’abondance pour tout ce qui concernait les potins du pays, qu’ils soient actuels ou anciens.

    Il s’agissait de Léontine Le Dréan qui, depuis le décès de son époux, exerçait la profession d’aide-ménagère et qui comptait le professeur retraité au nombre de ses protégés pour ne pas dire ses clients.

    Deux fois par semaine, elle investissait sa maison et prenait tout en charge. Comme elle le déclarait elle-même, elle savait ce qu’elle avait à faire, ne laissant à celui qui imaginait être son employeur, que le choix de se taire et de battre en retraite, les jours où elle venait s’attaquer à la poussière et aux autres parasites du logis.

    Elle aimait parler et, ce jour-là, il ne fallut pas insister beaucoup pour qu’elle se lance dans l’une de ses occupations favorites :

    — Le vieux Kerlouan, vous pensez si je le connais ! D’ailleurs, qui ne le connaît pas dans la région ? C’est un drôle d’excentrique ! Vous l’avez rencontré ?

    — J’ai fait sa connaissance tout récemment. Il m’a l’air d’être un sacré bonhomme !

    — Ah ça ! Vous pouvez le dire, un sacré bonhomme ! Et encore, vous n’imaginez pas à quel point !

    Jean-Jacques qui s’était bâti un roman sur la personnalité du septuagénaire, se dit qu’il tenait là un bon moyen de vérifier s’il possédait quelques talents de Sherlock Holmes amateur.

    — Ah bon… glissa-t-il, j’ai eu l’impression d’un homme cultivé, issu d’un bon milieu social, qui connaît aujourd’hui quelques difficultés financières.

    Léontine se mit à glousser.

    — Issu d’un bon milieu, ça, c’est vrai, éructa-t-elle, mais qui connaît des difficultés financières, là vous n’y êtes pas du tout, monsieur Bordier. Le vieux Kerlouan est riche à millions, croyez-moi ! Tout le monde est bien au courant. Vous voulez que je vous raconte ?

    Elle n’attendit pas la réponse de son interlocuteur, car, fine mouche, elle avait bien compris qu’il était intéressé par ce qu’elle avait à dire.

    L’histoire promettait d’être longue car elle prit la peine de s’asseoir avant de commencer son récit. Jean-Jacques songea qu’il allait s’offrir les services d’une chroniqueuse de la vie locale pour le prix d’une femme de ménage, mais que cela en valait peut-être la peine. Le récit à venir devait être complexe car la commère prit le temps de mettre de l’ordre dans ses pensées avant de commencer son discours. Au bout d’un assez long moment, elle se décida enfin :

    — Eh bien, figurez-vous que les Kerlouan sont une vieille famille de Lannion. Attention, des gens bien, très aisés et tout… notaires de père en fils et tout le tralala… Ils possédaient de très beaux terrains un peu partout dans la région et une fortune personnelle confortable, en actions, en bons du trésor et je ne sais quoi d’autre. Le vieux Sezni que vous avez rencontré, a hérité de tout ça. Pas en totalité, bien sûr, car il avait deux sœurs. Deux sœurs qu’il ne connaissait pour ainsi dire pas parce qu’elles avaient presque vingt ans de moins que lui. Il faut dire que, quand il a eu une vingtaine d’années, il s’était brouillé avec son père et il avait quitté la maison familiale avec perte et fracas. Il a disparu pendant plus de trente ans. Personne ne sait vraiment ce qu’il a bien pu faire durant toutes ces années, mais ça n’a pas empêché que l’on raconte des tas d’histoires à son sujet…

    Elle s’interrompit et lança à son employeur un regard éloquent qui signifiait sans équivoque : si cela vous intéresse, je peux vous en dire beaucoup plus.

    Jean-Jacques décoda aisément sa mine gourmande de personne bien intentionnée, désireuse de satisfaire la curiosité de son prochain, prête à tout déballer.

    — C’est vraiment passionnant ! s’exclama-t-il. Je vais sûrement retomber par hasard sur le bonhomme un de ces jours et j’aimerais bien savoir où je risque de mettre les pieds…

    Léontine ne se fit pas prier. Elle enchaîna :

    — Au début des années soixante, il serait parti en Afrique du Sud. Il parlait couramment anglais et se serait fait embaucher dans les mines de diamant. Ce serait à cette époque qu’il aurait commencé à amasser pas mal d’argent… à la limite de la légalité, à ce qu’on dit. Puis, avec son capital de pierres précieuses, il aurait fait du trafic d’armes dans les anciennes colonies françaises d’Afrique…

    — Eh bien, dites-moi, qui aurait pu imaginer ça de ce vieux râleur !

    — Attendez, c’est pas tout. Il serait ensuite parti en Asie faire du trafic de drogue. Vous avez entendu parler du Triangle d’or… C’est pas la peine que je vous en dise plus, hein ? Les armes, la drogue, peut-être la traite des blanches… qui sait ?

    L’ex-enseignant fut abasourdi. Ce vieil homme, rencontré par le plus grand des hasards, aurait été trafiquant d’armes, de drogue, peut-être proxénète. Non, ce n’était pas possible. Cette histoire était non seulement incroyable, mais inimaginable.

    Léontine Le Dréan, sûre de l’effet produit par ses propos, attendait, arborant l’air satisfait et radieux de la personne qui vient d’accomplir un devoir sacré.

    — Ce que vous venez de me raconter est inouï, s’étonna Jean-Jacques. J’ai du mal à me représenter ce septuagénaire dans la peau d’un truand de haut vol. Non mais vraiment, vous le voyez dans le rôle d’un bandit de grand chemin ?

    — Je ne sais pas. Je vous répète simplement ce qu’on dit de lui dans le pays. La seule chose dont je sois certaine, c’est qu’il est immensément riche. Je ne vous dirai pas de qui je le tiens, mais faites-moi confiance ! Sur ce point-là, ce ne sont pas des on-dit. Je dispose de sources d’information tout ce qu’il y a de plus sûres.

    Connaissant sa femme de ménage, Jean-Jacques n’en douta pas un seul instant.

    Il s’étonna cependant :

    — Cela me surprend quand même, quand on voit sa tenue. Est-il marié ?

    — Il est veuf depuis quelques années. Il avait épousé la veuve de Jean Legall quand il était revenu dans la région. C’est en fait depuis que sa femme est partie, qu’il se laisse un peu aller. Mais, pour le reste, de toute façon, il a toujours été provocateur… Bon, c’est pas le tout, il faut quand même que je me mette au travail. Si vous n’avez pas d’autres questions…

    Jean-Jacques en aurait certainement eu des tonnes car ce qu’il venait d’entendre le laissait pantois. Il décida toutefois de ne pas chercher à en savoir davantage, en tout cas, de ne pas se limiter à ce genre de potins colportés par des personnes plus ou moins bien intentionnées.

    De tels ragots circulent dans les petites communautés comme Ploumanac’h ou Trégastel, qu’il est presque impossible de démêler le vrai du faux. Il n’y a certes pas de fumée sans feu, mais il est aussi vrai que l’on ne prête qu’aux riches. Le fait qu’un fils de famille ait quitté le domicile familial en claquant la porte et que cela ait donné naissance à toutes sortes de rumeurs ne le surprenait pas outre mesure.

    Il se promit de se faire seul sa propre religion et cela fut pour lui une motivation nouvelle. Il se fixa comme objectif de mieux connaître le sieur Kerlouan et de s’intéresser à l’histoire de sa vie.

    Les occasions de le rencontrer ne tardèrent pas à se présenter, que ce soit au supermarché du coin ou sur les chemins du bord de mer, et Jean-Jacques s’étonna de n’avoir pas croisé cet excentrique personnage plus tôt.

    Au début, ils n’échangèrent que des banalités, des formules de politesse, des commentaires sur la météo… Puis, peu à peu, ils abordèrent des sujets plus profonds, qui les intéressaient l’un et l’autre.

    Jean-Jacques n’avait pas oublié les critiques acerbes du vieil homme à l’endroit des auteurs de romans policiers.

    Un jour qu’ils s’étaient retrouvés pour prendre un café dans un bistrot, il sortit un paquet de la poche de son imperméable.

    — J’ai un petit cadeau pour vous, déclara-t-il soudain.

    Le sexagénaire ne répondit pas et se contenta d’afficher un air étonné.

    — Vous souvenez-vous de notre première discussion à propos des auteurs de romans policiers ?

    — Hmmm…

    — Un de mes bons amis est écrivain. Il écrit des polars, à l’ancienne, selon ses lecteurs. J’ai pensé qu’il vous intéresserait peut-être de feuilleter un de ses ouvrages…

    En parlant, il tendait le paquet à son interlocuteur. Ce dernier s’en saisit et extirpa le livre du sac en plastique dans lequel Jean-Jacques l’avait rangé.

    — Merci, dit-il enfin. Je le lirai avec attention, même si je ne me fais pas beaucoup d’illusions.

    Au moment de prendre congé, d’une façon tout à fait inattendue, le vieux Kerlouan invita Jean-Jacques à lui rendre visite à son domicile.

    — Je vous montrerai ma collection de romans policiers, vous verrez que je vous ai pas raconté d’histoire.

    Et c’est pourquoi il se trouvait aujourd’hui en vue de la maison du vieil homme, presque intimidé, emprunté comme un collégien, sans qu’il puisse trouver la moindre justification ni la moindre raison à son état.

    Il était proche de l’entrée de la propriété, quand, surgissant de l’allée du jardin, un coupé rouge déboucha rapidement, faisant ronfler son moteur, dans une excitation extrême. Sans se soucier du piéton positionné sur le bord de la route, le chauffeur accéléra, projetant autour de son véhicule de longues traînées de boue. Le pantalon de Jean-Jacques constituait une cible idéale et il ne la manqua pas.

    — Me voilà propre pour rendre visite à quelqu’un ! s’écria Jean-Jacques. Espèce d’abruti, va ! s’exclama-t-il en lançant un regard mauvais à la voiture qui avait déjà pris le large.

    II

    Le bolide poursuivit sa route jusqu’à Lannion. Après s’être garé dans une ruelle étroite du centre, son chauffeur se dirigea vers un bar dans lequel il entra.

    — Mais qu’est-ce que tu fous, bordel ? fulmina le barman à son attention. Ça fait une bonne demi-heure que je t’attends ! Allez, magne-toi, il faut que je me tire. Je suis déjà en retard.

    En maugréant, il enleva son tablier et contourna le bar.

    Avant de partir, il lança :

    — Ah oui, j’oubliais, Florence est passée, mais comme tu n’étais pas là, elle est repartie, bien sûr.

    — Elle a dit quelque chose ?

    — Non, rien, si ce n’est qu’elle repasserait. Fais gaffe avec cette nana, mon pote, tu vas te foutre dans les ennuis. Bon, j’y vais. Je me dépêche. J’en aurai pas pour très longtemps.

    Resté seul, le jeune homme, essaya de se concentrer sur son travail et, machinalement, passa un chiffon humide sur le comptoir en simili marbre.

    Deux consommateurs vinrent s’installer au fond de la salle. Deux habitués.

    — Max, tu nous mets deux demis…

    — C’est comme si c’était fait.

    Il les servit et regagna sa place. La mine sombre et l’air soucieux, il n’arrêtait pas de regarder à travers la vitre comme s’il redoutait une visite inopportune.

    Ce fut une jeune femme qui entra.

    Grande, mince, élancée, ses cuissardes en cuir remontaient sur un jean délavé. Ses longs cheveux noirs, aux reflets bleutés, venaient lécher, en volutes légères, son blouson en toile grise.

    — Alors, Max ? interrogea-t-elle en s’approchant vivement du bar.

    — Rien ! Le vieux salaud n’a rien voulu savoir.

    — Qu’est-ce que tu lui

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