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Le Soupçon
Le Soupçon
Le Soupçon
Livre électronique180 pages2 heures

Le Soupçon

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À propos de ce livre électronique

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«— Ne voyez-vous pas que nous sommes d' admirables machines à souffrance ! Une vie, c'est un long frémissement douloureux. Et ce n'est pas le monde extérieur qui nous fait souffrir ; nous nous faisons souffrir nous-mêmes. »
Han Ryner avec son style franc et efficace nous plonge dans l’histoire tragique de Stanislas, un homme en proie au pire des vices : le Soupçon. Essayant de lutter contre ses peurs et ses ruminations mentales, Stanislas nous raconte avec exactitude ses déboires amoureux, son funeste destin et son crime dans ce journal intime, journal qu’il nous livre tel un espoir de rédemption. Ce roman psychologique se révèle d’une grande force.
EXTRAIT : « Les pages que je vais écrire ne ressemblent à rien d'écrit. Ce sont des confessions, d'une sincérité introuvable ailleurs. Jean-Jacques Rousseau a fait son apologie : le besoin de s'admirer en ses vertus et en ses vices, le besoin de reprocher les uns et les autres à la Société ont faussé tout ce qu'il dit de sa vie intérieure. Saint Augustin a retourné son orgueil de jeunesse en humilité. Il a fait par écrit la confession publique des premiers chrétiens : on ne raconte pas avec une exactitude qui me satisfasse des actes qu'on réprouve ; on ne se fait pas connaître en se reniant. Il faut s'exprimer soi-même sans repentir et sans complaisance, sans étonnement tardif, se revivre naïvement, laisser se teindre chaque récit des sentiments éprouvés à l'heure de l'acte.
Cette candeur n'est pas possible quand les aveux sont destinés à être lus par d'autres. Moi qui écris ceci pour le brûler aussitôt terminé, je ne m'en ferai pas accroire à moi-même. Mais pourquoi est-ce que j'entreprends cette œuvre vaine ? »
LangueFrançais
Date de sortie29 avr. 2019
ISBN9782357282506
Le Soupçon

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    Aperçu du livre

    Le Soupçon - Han Ryner

    ignorant.

    Chapitre 1

    Cause et nature de ces confessions. — Ma naissance, mon enfance. — Mon premier caractère. — Mort de ma mère. — Rencontre de Gabrielle. — Émotion amoureuse. — Ma déclaration. — Mutuelles promesses d'amour éternel.

    Les pages que je vais écrire ne ressemblent à rien d'écrit. Ce sont des confessions, d'une sincérité introuvable ailleurs. Jean-Jacques Rousseau a fait son apologie : le besoin de s'admirer en ses vertus et en ses vices, le besoin de reprocher les uns et les autres à la Société ont faussé tout ce qu'il dit de sa vie intérieure. Saint Augustin a retourné son orgueil de jeunesse en humilité. Il a fait par écrit la confession publique des premiers chrétiens : on ne raconte pas avec une exactitude qui me satisfasse des actes qu'on réprouve ; on ne se fait pas connaître en se reniant. Il faut s'exprimer soi-même sans repentir et sans complaisance, sans étonnement tardif, se revivre naïvement, laisser se teindre chaque récit des sentiments éprouvés à l'heure de l'acte.

    Cette candeur n'est pas possible quand les aveux sont destinés à être lus par d'autres. Moi qui écris ceci pour le brûler aussitôt terminé, je ne m'en ferai pas accroire à moi-même. Mais pourquoi est-ce que j'entreprends cette œuvre vaine ?

    Je veux revivre une bonne fois, en son entier, en son développement continu, ma vie passée dont les fragments reviennent me troubler à chaque heure du jour. Je fais un paquet bien en ordre de tout ce que je fus, pour le jeter, me délivrer de cette hantise. Je sourirai de mon effort heureux pour m'exprimer ; je ne sourirai pas moins de mon effort malheureux. La vanité d'écrire me soulagera de la vanité de me souvenir. Et puis le spectre regardé en face, courageusement, immobilisé devant mes yeux, mensuré suivant la méthode de M. Bertillon, ne résistera peut- être pas à cette épreuve. Tout au moins, lorsqu'il sera debout sous la toise, je verrai qu'il n'occupe pas tout l'espace, qu'il reste l'Infini à sa droite comme à sa gauche et au-dessus de lui et sous ses pieds cruels ; je le raillerai et me raillerai du peu de chose qu'est mon bourreau ; je changerai ma souffrance qui ne pleure même plus en souffrance qui éclate de rire. Et, si je parviens à le résoudre en chiffres, en lois, en quelque chose d'abstrait, ne sera-ce pas une façon de l'anéantir? Essayons de transformer la chose sensible et pénible en idée indifférente, amusante à regarder.

    ... Mais quelle étrange fantaisie, de justifier un geste humain, de chercher les raisons qui nous poussent à telle folie active, plutôt qu'à telle autre !

    J'ai aujourd'hui soixante-deux ans. Je suis né dans un château, à une demi-lieue d'un petit village, le 7 juillet 1833. Mon père, magistrat démissionnaire, avait pris dans sa courte carrière un grand dégoût des hommes et s'était enfui loin d'eux dans la paix et la sérénité de la campagne. Extérieurement, il n'avait rien du misanthrope ; d'ordinaire, même, on ne lui trouvait pas la raideur d'un juge, mais plutôt un air de bienveillance presque indifférente, un sourire d'indulgence un peu railleur.

    C'est lui qui m'apprit à lire et à écrire. Puis il me mit au latin, qu'il savait bien, et au grec, qu'il ignorait presque autant qu'un professeur de l'Université, mais qu'il eut la conscience d'apprendre pour me l'enseigner. Il y joignit un peu de mathématiques et me fit beaucoup lire les écrivains français du XVII e et du XVIII e siècles.

    Il était le plus doucement patient, le plus dévoué, mais aussi le plus froid des précepteurs. Je me sentais toujours gêné près de lui. Je ne pouvais pas m'exprimer la cause de mon malaise, qui restait vague. Aujourd'hui, je me rends compte que, fort paternel pour un maître, il n'était pas assez expansif et familier pour un père. Il me donnait son esprit charmant et solide, mais ne me laissait pas voir son âme : des sourires presque toujours, jamais de caresses. J'étais le plus docile des élèves, et le plus respectueux, et le plus tremblant d'admiration devant le Maître ; mais mon cœur se fût desséché au contact exclusif de cet homme sec ou réservé.

    Une fois, je ne sais plus pourquoi, je négligeai de faire un devoir qu'il m'avait donné : peut-être, par extraordinaire, l'exercice était-il peu proportionné à mes connaissances et à mon ouverture d'intelligence de ce moment ; peut-être m'étais-je trouvé mal disposé ce jour-là. Mon père se contenta de sourire avec dédain et de dire :

    — Aujourd'hui, Stanislas, vous ne méritez pas qu'on s'occupe de vous. Retirez-vous. Faites ce qu'il vous plaira. Quand vous vous croirez digne des attentions de quelqu'un, vous me le ferez savoir.

    Je sortis tout en larmes. Je passai une heure à pleurer, à étouffer des cris et des sanglots. Puis je me mis au travail avec une rage d'orgueil. Quand j'eus quatorze ans, mon père me lut le programme du baccalauréat.

    — Vous savez tout cela, me dit-il. Mais il nous faut une année pour mettre de l'ordre dans vos connaissances. Vous vous présenterez l'an prochain.

    Je me présentai, en effet, avec une dispense d'âge, et j'obtins la mention très bien.

    Je crois que mon père, qui avait si parfaitement réussi à m'instruire, eût été un éducateur excellent pour tout autre que pour un fils. Mais, comme il était celui qui me devait le plus d'affection et comme jamais il ne me fit entendre un mot du cœur, il me pénétrait de cette idée que les tendresses sont honteuses chez un homme, et sa direction exclusive m'eût raidi le caractère en un orgueil de stoïcien et en une timidité farouche de jeune fille.

    Parmi les sentiments profonds qu'il m'inspira, je dois indiquer la haine du mensonge. Je ne me rappelle plus quelle petite demi-vérité je m'étais permise, en garçon tremblant qui n'ose avouer une faute minuscule. Mon père me fit cet étrange sermon :

    — Certes, Stanislas, le mouvement de la parole ne doit pas traduire tous les mouvements intérieurs de notre être : si nous souffrons, par exemple, nous ne devons imposer à personne l'ennui de connaître notre souffrance ; si nous avons un bonheur, soyons assez indulgents pour éviter au voisin l'envie pénible. Mais le mouvement de la parole ne doit traduire que des mouvements qui sont réellement en nous. Chercher à deviner le visage caché sous le masque ou la vérité cachée sous le mensonge, c'est l'horrible métier d'un juge d'instruction, ou l'enfantillage d'un imbécile. Vous venez de mentir, Stanislas. De quinze jours, je ne vous adresserai la parole. Si vous retombiez dans la même faute, je ne vous parlerais plus jamais. C'est compris ?... Allez, faites ce qu'il vous plaira et revenez prendre votre leçon dans quinze jours.

    Ce fut une des douleurs les plus déprimantes de mon enfance. Un peu plus tard, je remarquai avec terreur que mon père ne parlait jamais à ma mère et j'eus à repousser souvent un rapprochement qui revenait, obstiné, ronger le bord de mon esprit, comme le flot revient éternellement ronger le rivage.

    Combien le vague soupçon était douloureux à mon amour profond pour ma mère, pour ma mère dont l'âme valait l'esprit de mon père ! Je ne veux pas me dire tout haut ses mérites. Il me semblerait commettre une impiété : louer, c'est se croire le droit de juger. Comme j'admirais en un tremblement l'intelligence claire et ornée de mon père, j'admirais ma mère en un attendrissement souriant, mais voisin des larmes et qui parfois y tomba. Elle, m'aimait uniquement, et, quand elle m'en avait donné toutes les preuves possibles, quand elle était au bout des paroles tendres et des tendres caresses, quand elle me pressait contre elle, au point de presque me faire mal, quand je pleurais de bonheur, des larmes aussi quelquefois jaillissaient de ses yeux. Je lui demandais :

    — Pourquoi pleurez-vous, maman ?

    — Je pleure de me sentir impuissante à m'exprimer tout entière. Je pleure parce qu'on ne parvient jamais à dire à ceux qu'on aime combien on les aime.

    — Ne pleurez plus, mère. Je sais combien vous m'aimez. Vous m'aimez comme je vous aime.

    — Non, mon petit Stani, Vous m'aimez autant que peut aimer un enfant. Moi, je t'adore autant que peut adorer une femme, autant que peut sentir une mère !

    Ma pauvre maman, mon seul souvenir presque pur, qu'un mot, mal compris sans doute, de mon père me fit presque soupçonner, oh ! si jamais tu as menti, c'est que le mensonge peut être chose sainte. Mais non, tu n'as point menti: mon père s'est trompé, ou son éloignement pour toi avait quelque autre cause. C'est plutôt lui qui était coupable, coupable d'une faute sans conséquence entre deux êtres moins purs que vous ; mais qui te torturait, ô jalouse adoratrice de ceux que tu aimais ! et qui l'éloignait, l'isolait dans son orgueil, dans sa terreur des attendrissements. Pardonnez mes pensées, père raidi dans un refus de pardon, ou dans un refus de comprendre, ou dans un refus d'être pardonné. Je suis vieux maintenant : je sais qu'il n'y a pas de fautes humaines; je sais qu'une fatalité intérieure est la cause unique de tous les malheurs et, si parfois j'ai la naïveté d'essayer de deviner, je n'ai plus jamais la folie de juger.

    Ma mère mourut presque subitement, trois semaines après mon succès au baccalauréat, et ma première pauvre petite joie d'orgueil fut éteinte par le vent de ma première grande douleur.

    En cette circonstance affreuse, mon père me donna une preuve d'amour de la sincérité dont la minutie me blessa.

    Ma mère, depuis le jour de ma première communion, paraissait avoir renoncé à toute religion. Quelques heures avant sa mort, mon père rompit son silence tragique, pour lui dire :

    — C'est de vous qu'il s'agit, Madame, non de moi. Malgré mes opinions personnelles, si vous désirez un prêtre, je vous prie de le dire : votre volonté sera faite.

    Elle répondit, la bouche crispée d'un sourire douloureux :

    — Non, Monsieur. Je n'ai rien à confesser.

    Puis elle s'adressa à moi :

    — Stanislas, asseyez-vous là, tout près. Donnez-moi la main. Quand je serai sur le point de mourir, si je ne puis plus parler, entendez l'appel de mes yeux et mettez vos lèvres sur ma pauvre joue. Je veux partir dans le baiser de mon fils. C'est le seul viatique dont j'aie besoin.

    Quand elle fut morte dans ma caresse, dans mes larmes, mon père sortit, sans doute pour donner les ordres nécessaires.

    Le lendemain matin, arrivèrent de la ville voisine les lettres de faire-part. Mon père, dans la chambre mortuaire, en lut une à haute voix. Rencontrant la mention « munie des sacrements de l'Église » :

    — C'est faux, dit-il. Pas de mensonge !

    D'un coup d'ongle, il raya ces mots.

    La vulgaire recommandation : « Priez pour elle » l'irrita aussi :

    — Pas de formule inutile !

    Il alla vers le petit bureau de ma mère, où se trouvaient un encrier et une plume. Patiemment, méthodiquement, sur chaque exemplaire, il effaça le mensonge et la formule inutile. Je le regardais avec un étonnement qui était presque une indignation. Pour le justifier, je m'expliquai que, sous le coup de la douleur, ses facultés volontaires anéanties, il agissait comme un somnambule, guidé par des habitudes. Hélas ! je ne suis pas sûr que mon explication soit la bonne.

    Je revis ma mère, vivante, dans mes rêves, toutes les nuits, pendant bien longtemps, jusqu'à ma première rencontre avec Gabrielle.

    Le jour où, pendant ma deuxième année de droit, j'aperçus devant moi Gabrielle, marchant harmonieuse et grave, je courus presque pour regarder son visage. Son allure me rappelait si vivement tous mes souvenirs heureux que j'avais envie d'appeler : « Maman ! » Le visage, sauf la nuance bleu tendre des yeux, me parut tout à fait différent, détruisit le charme, me désola sur mon rêve anéanti. Mais, à la réflexion, je retrouvai des ressemblances et, dès les songes de ma première nuit, lés deux femmes se mêlaient, se confondaient. Puis, peu à peu, le visage de Gabrielle m'empêcha de revoir celui de ma mère, et je m'affirmai que c'était tout à fait le même. Cette impression a toujours grandi en moi. Mais, quand je m'interroge bien sincèrement, je crois que la demi-ressemblance fit naître l'émotion qui brouilla tout et acheva pour mes yeux la similitude, incomplète en réalité. Ce qui est certain, c'est que Gabrielle avait la taille, la démarche, les attitudes de ma mère. Elle avait aussi son abondante chevelure blond cendré et le sourire profond de son regard. Elle avait surtout sa voix, cette voix si douce que je ne pouvais l'entendre sans éprouver le besoin de pleurer de joie. Pour les traits du visage, franchement, je ne sais plus. C'est là le premier mystère de Gabrielle.

    Pendant quelques jours, je m'irritai contre la jeune fille et contre moi. Une femme se permettait de ressembler à ma mère, d'avoir presque sa beauté, presque son charme ! Ou bien une surprise de mon émotion jeune créait de toutes pièces cette ressemblance ! Parfois je l'accusais, cette pauvre enfant, comme si elle avait commis un vol ; parfois j'étais honteux comme d'un sacrilège.

    Pourtant je repassai tous les jours devant le petit magasin où j'avais vu entrer Gabrielle. Bientôt même, je restai de longues heures chez un marchand de vin, de l'autre côté de la rue étroite : à la main un journal que je ne lisais guère, j'écoutais délicieusement et timidement battre mon cœur et je regardais l'adorable ressemblance. La jeune fille, là-bas, derrière la glace claire, cousait

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