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SORJ CHALANDON

IL EST 22 HEURES, il dit: “Quand j’étais petit, la nuit a toujours été un moment morcelé où la violence allait s’inscrire, d’une façon ou d’une autre. Et ça m’a laissé des traces. Même à mon âge, je suis resté comme un enfant: je ne fais pas mes nuits.” Seul le visage du journaliste et écrivain est éclairé, il a 69 ans et en paraît beaucoup moins, c’est un visage avenant, sympathique, mais on ne peut s’empêcher de repérer ses yeux d’enfant battu, d’enfant… déçu. Derrière lui, la pièce de son appartement où il m’a virtuellement invité est sombre, son pull est noir, c’est donc une immense obscurité, partout, en lui et derrière lui – on la voit, tangible, palpable, et il faudra l’explorer. Il dit: “Si j’ai accepté qu’on se rencontre, c’est que c’est vrai que pour moi la nuit est obsédante.” Tout est calme, sa femme et ses deux plus jeunes filles, 12 et 17 ans, dorment. Près de lui, une petite bouteille d’arak libanais – le spiritueux traditionnel du Liban, de la Syrie, de la Jordanie et d’Israël, liquide anisé et d’une blancheur laiteuse qui contraste avec la nuit noire – et un broc basque rempli de glaçons. “Santé!”, me lance-t-il joyeusement une fois les présentations faites.

Mon problème vient de l’enfance, c’est d’une banalité crasse”, commence-t-il. Mais non, bien sûr que non, ce n’est pas banal, et il le sait, c’est du malheur, c’est beaucoup de souffrance. Il dit: “Mes nuits d’enfance, c’étaient les nuits du loup-garou.” Le loup-garou, c’était son père. Lui et son petit frère (19 mois d’écart) lui donneront d’autres surnoms: le Minotaure, Barbe-Bleue, l’Autre… Il dit: “La violence, la folie de mon père était décuplée la nuit. Son jeu, c’était de briser mes nuits. Il entrait avec une violence folle, il claquait la porte, il me faisait me lever en petit slip kangourou, m’obligeait à faire des pompes…” Aucun de ses amis n’a jamais passé le seuil de sa maison d’enfance. Dans cette prison, on ne proposait pas à un copain de rester dormir – ils n’avaient même pas le droit d’entrer. Sorj Chalandon: “J’étais le garçon qui n’invitait pas.” Dans cette famille, il n’y avait que la mère taiseuse, le petit frère complice mais terrorisé et le Minotaure, qui s’apprêtait à tout moment à faire irruption dans la nuit et d’imposer sa folie dans leur vie. Sorj dit: “C’était l’appartement de mon père. Notre chambre d’enfant lui appartenait. Il pouvait donc y rentrer n’importe quand, même au milieu de la nuit, et surtout la nuit. Moi, aujourd’hui, avant de rentrer dans la chambre de ma fille de 12 ans, je” Le loupgarou, le loup-gourou. Ça laisse des séquelles, forcément: “”

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