Baudelaire: Vie d'un auteur fou
Par Felipe Polleri
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À propos de ce livre électronique
Polleri raconte la vie d’un auteur fou qui raconte la vie d’un autre écrivain : Baudelaire.
Ce roman concentre toutes les obsessions de l’auteur : l’enfance sans défense et humiliée, la violence, la folie, la mort, la difficile survie dans un monde où règne l’horreur.
Un humour sauvage et macabre.
EXTRAIT
J’ai rêvé que j’avais écrit un roman détestable et détesté : la loi m’avait condamné à mort. Je voyais déjà la guillotine, cette haute porte noire, au milieu de la place. J’avais peur, évidemment ; mais j’aimais chaque mot de ce roman monstrueux intitulé : Baudelaire. Je le mettais dans une poche de ma veste, il pesait doucement sur mon épaule gauche. Dans ma poche droite, j’avais un couteau très léger à lame fine et flexible, comme la tige d’une fleur. Je marchais de nuit, un vampire de Baudelaire, me cachant dans les ombres pointues de cette ville qui me détestait.
J’allais en envoyer quelques-uns à la tombe, avant de tomber dans un de leurs pièges.
CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE
- « Qu’on se le dise : le surréalisme est de retour ! Mais un surréalisme… rationnel. Notre grand poète national est au centre du récit, comme l’annonce le titre, mais est-ce le Baudelaire des manuels scolaires, celui des biographes, le fils d’une mère à la forte personnalité ou le dandy, l’amateur d’opium ou le syphilitique ? L’Uruguayen Felipe Polleri dont L’ange gardien de Montevideo nous avait séduits l’an dernier, se garde bien de faire du Lagarde et Michard, et c’est tant mieux pour le lecteur. […] Voilà un livre sans cesse surprenant, à déguster à petites gorgées, quitte à se resservir plusieurs fois. » (Christian Roinat, Espaces latinos, 30 avril 2014)
- « Un auteur totalement barré raconte son dernier livre consacré à la vie de Baudelaire, voit des corrélations entre leurs deux vies, des points communs qui le troublent, lui qui n’a pas forcément besoin d’être troublé. Une sorte de double biographie, celle du poète et celle du narrateur-écrivain qui se croisent et se mêlent. » (Yves Mabon, Les 8 Plumes, L’Express, 4 juin 2014)
A PROPOS DE L’AUTEUR
Felipe Polleri est né en juin 1953 à Montevideo. Diplômé en bibliologie, il a travaillé pendant près de quatorze ans à la Bibliothèque Nationale de Montevideo. En 1995, il démissionne et se consacre totalement à la littérature et à la pauvreté.
En savoir plus sur Felipe Polleri
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Avis sur Baudelaire
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Aperçu du livre
Baudelaire - Felipe Polleri
www.christophelucquinediteur.fr
La tige d'une fleur
J’ai rêvé que j’avais écrit un roman détestable et détesté : la loi m’avait condamné à mort. Je voyais déjà la guillotine, cette haute porte noire, au milieu de la place. J’avais peur, évidemment ; mais j’aimais chaque mot de ce roman monstrueux intitulé Baudelaire. Je le mettais dans une poche de ma veste, il pesait doucement sur mon épaule gauche. Dans ma poche droite, j’avais un couteau très léger dont la lame fine et flexible ressemblait à la tige d’une fleur. Je marchais de nuit, vampire de Baudelaire, me cachant dans les ombres pointues de cette ville qui me détestait.
J’allais en envoyer quelques-uns à la tombe, avant de tomber dans un de leurs pièges. (X m’avait dit qu’ils étaient en train de construire à mon attention un piège dans lequel j’étais le seul à pouvoir tomber). Les autres, X inclus, passaient entre les grilles sans les voir. Je me suis dit que ce piège pouvait être : 1) une chambre, 2) une rue, 3) un quartier (dans lequel j’avais sûrement séjourné avant d’écrire le roman) ou 4) n’importe quoi d’autre.
Je lui ai dit qu’ils le cherchaient également, car il avait lu Baudelaire. Qu’ils avaient déjà construit un piège juste pour lui, dans lequel lui seul pouvait tomber. Je lui ai dit que le piège était : 1) une chambre, 2) une rue, 3) un quartier (dans lequel X avait sûrement séjourné et été heureux) ou 4) n’importe quoi d’autre. À moins qu’il me trahisse… À moins que le piège soit un ami : X, par exemple. Il m’a dit qu’on l’avait forcé, qu’il avait une famille. (Que rien ne m’importait : faire honte à ma famille en écrivant des immondices, par exemple). Qu’il ne voulait pas passer, dans les journaux, à la télé, pour un dégénéré, pour un lecteur de Baudelaire.
Il m’a dit qu’il n’était pas mon ami, que je l’avais trompé, que si j’avais montré mon vrai visage (celui d’un avorton), jamais il ne m’aurait permis d’approcher sa famille. Nous n’avions jamais été amis, m’a-t-il dit, je ne t’ai jamais connu : « vampire aux ailes d’albatros », et cetera. Je lui ai dit qu’il était mon meilleur ami, qu’il me connaissait depuis l’enfance, qu’il avait lu Baudelaire au fur et à mesure que je l’avais écrit et qu’il m’avait félicité (sans Envie ?) pour quelques-uns des meilleurs chapitres. Il m’a dit que j’avais été aveugle ; que mes yeux étaient en train de se fermer… Je me suis souvenu de la tasse de thé que X m’avait servie en arrivant. X s’était transformé en une tache d’encre noire.
— Il était aveugle, a-t-il dit.
Il m’avait rendu aveugle.
Je suis aveugle.
J’écris au toucher, à l’aide d’un châssis. Je vieillis. Un beau jour, quand je serai très vieux, je soupçonne que X, pour que je ne gaspille pas trop de papier (au bout du compte, je n’écris que des immondices), me donnera toujours la même feuille. Mes œuvres complètes ne sont rien d’autre qu’une unique feuille de papier, totalement envahie par une grande tache noire avec quelques lettres sur les bords, pareilles à des pattes d’insecte. Mes cris, mes hurlements, me réveillent… J’ouvre les yeux : X est mort ; un couteau lui transperce l’œil droit. Je me dis qu’on a le droit de s’offenser, de s’emporter avec ses amis.
Avant de m’en aller, je lui ai donné un coup de pied dans la figure parce qu’on a le droit d’exiger de ses amis qu’ils soient loyaux ; j’ai ouvert la porte grillagée et j’ai dévalé les escaliers. Une fois dans la rue, j’ai pris à droite. À gauche ç’aurait été pareil. J’étais perdu… Je ne me souvenais pas de mon adresse : quelques-uns des pièges avaient commencé à fonctionner, ils avaient effacé certains noms, des souvenirs importants, sûrement les plus heureux (s’ils ont existé un jour). Quand je devrai vivre uniquement avec les mauvais (ils sont là et je soupçonne que certains d’entre eux ne sont pas à moi : une machine qui tourne à l’extrémité de la ville les fabrique), il faudra que je me les sorte de l’esprit, en me jetant la tête la première contre un mur. Encore et encore. Une et mille fois. Ou la guillotine, j’ai pensé.
En attendant, continuer à marcher : s’éloigner de la guillotine. J’ai continué à marcher ; il fallait que je sois à la maison d’édition à trois heures précises.
Une quinquagénaire potelée avec un chignon noir a laissé le manuscrit de Baudelaire sur une table pleine de livres et de papiers et m’a invité