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Plongeon et autres sauts
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Plongeon et autres sauts
Livre électronique96 pages1 heure

Plongeon et autres sauts

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À propos de ce livre électronique

Un plongeon, sans hésitation. Une chorégraphie.

Celle d'un jeune auteur prometteur qui se voit propulsé dans le monde littéraire. À l'enthousiasme du début succède la difficulté à tenir la distance et à se renouveler. Quelque chose le bloque intérieurement. Quelque chose ou quelqu'un.

Court roman, Plongeon évoque le processus de création et pose un regard d'esthète sur une chute personnelle et la tentative de l'arrêter.

Complété par quatre nouvelles, ces Autre sauts révèlent, à pas feutrés, la fragilité des constructions humaines et leur caractère asynchrone.
LangueFrançais
Date de sortie26 févr. 2023
ISBN9782931109038
Plongeon et autres sauts
Auteur

Selma Guettaf

Selma Guettaf a suivi des études de lettres en Algérie et en France. Elle a travaillé dans le journalisme, le documentaire et le théâtre. En parallèle, elle poursuit ses travaux dans la création littéraire et trace un parcours plus large dans l'expression artistique. On lui doit notamment le roman Jeunesse ratée, sélectionné pour le Prix Mohammed Dibet. Son roman Les Hommes et Toi, initialement édité en Algérie et sélectionné pour le Prix Senghor en 2017, est à présent disponible aux Éditions Most.

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    Aperçu du livre

    Plongeon et autres sauts - Selma Guettaf

    Sommaire

    Partie I : Plongeon

    Élodie

    La sœur

    Emma

    Partie II : Autres sauts

    Toutes les nuits

    Djellal

    Fanny

    La séparation

    Partie I

    Plongeon

    Roman

    Tout roman est une autobiographie fantasmée.

    James JOYCE, Ulysse

    Un plongeon, sans hésitation. Une chorégraphie. Avant le vertige. Tel que m’a appris mon grand-père. Depuis sa disparition il y a plusieurs années, je n’avais pas remis les pieds dans l’eau. Alors, j’ai prié pour que rien n’entrave ou ne fausse mon bond. Un désir de se fracasser, en souplesse, de livrer un corps inanimé, transformé. Ce même corps, qui a produit suffisamment de mouvements, qui a lutté, dansé, baisé, et qui cherche à présent à livrer une dramaturgie.

    Ce geste est important. C’est le dernier, de mon vivant.

    L’air est vif. Mon souffle est sonore, lyrique. L’apparence de l’eau. De bleu joyeux et de blues. Et son regard humain. Un bleu d’histoires, hypnotique. Je me suis entraîné pour ce mouvement qui demande rigueur et verticalité. Je me sens prêt. Je frissonne et éprouve du plaisir. Je peux observer quelques spectateurs aux yeux ahuris. « Viens, viens ! » Je prends mon souffle. Prolonge mon inspiration, mon immobilité. L’espace s’ouvre à moi. J’entre dans une autre dimension. Une musique résonne dans mes oreilles. Ce sont bien ses doigts, quand il jouait du piano. Cette douceur…

    Qu’est-ce que ça fait d’être ailleurs, grand-père ?

    « Son acte cache un grand chagrin d’amour. » J’entends cette phrase lorsqu’on sort mon épave de l’eau. La voix d’une personne âgée. D’après les spectateurs présents, je ne corresponds pas à l’image que l’on se fait du suicidé. J’ai plongé avec confiance, avec beauté, et non pas avec effarement. Beaucoup de questions. Comment pourrait-on croire qu’un homme de mon allure mette fin à ses jours ? Justement, je me devais d’être habillé pour l’occasion.

    Et il y a mes interrogations. Cette vaine question de l’identité : bien que mort, je me demande encore qui je suis.

    Des mains manœuvrent mon corps comme une arrestation policière violente, me donnant l’impression d’être un délinquant. Un ballet se forme autour de moi. Pour m’apaiser, je me figure un rituel mortuaire. Une danse. J’espère que ceux qui filment ce moment en sont dignes. Je me sens sacré. Je suis soumis à leurs mains et en même temps souverain, parce que je suis un événement.

    On présuppose ma souffrance, curieux de la détermination avec laquelle je me suis jeté. De quelle manière l’eau m’a pénétré et m’a submergé. J’aimerais être un objet précieux. C’est douloureux de les imaginer aussi présents, profitant de l’absence de ma voix pour me raconter. Ma vie ne peut leur appartenir aussi facilement. On me photographie. Je trouve ça fou. J’ai envie de crier : « Dégagez, vous me faites perdre mon temps ! Vous ne correspondez absolument pas au public que je cible. » Ces heures leur paraissent tout à coup plus exaltantes. Je désespère. On n’a rien à faire ensemble.

    Un vieillard qui se prétend médium se met à raconter mon histoire. Elle est douce, fascinante. Celle d’un homme amoureux d’une femme. Leïla. Qui le trompe, une énième fois. La nuit, elle disparaît, part rêver avec un autre. Puis, un matin, avec appréhension, la gorge un peu serrée, elle lui annonce : « Je suis amoureuse. » Très vite, elle sourit, se met à se confier ouvertement, lui narre sa nouvelle relation, toutes ses tricheries. « Il n’a pas pu survivre longtemps », gémit le prétendu médium. C’est la première fois que je me retrouve dans cette situation : être conté, tout en étant là et sans pouvoir intervenir. C’est dur de rester enfermé dans cette animation extérieure.

    Je te l’accorde. J’ai été malmené par les femmes. Je leur en veux. Mais ces détails de vie que tu m’inventes, vieillard, ne m’appartiennent pas. J’ai écrit des romans, grâce à des femmes. Et à cause d’elles, mon écriture, un jour, s’est arrêtée.

    Mon grand-père était poète. Un individu invisible et en marge qui essayait de vendre ses textes. Bien qu’il eût l’occasion d’écrire pour des célébrités, il était resté une figure méconnue qui partageait avec moi ses angoisses et ses pensées littéraires. Il s’exprimait sans délicatesse. Non, il n’était pas subtil. J’inhalais ses odeurs toxiques, son haleine d’alcoolique. Notre vie curieuse s’organisait au rythme de ses cigares et de ses gorgées de whisky… Quand c’était les vacances, je courais pour arriver le plus tôt possible chez lui. Il me préparait un petit-déjeuner, et tout commençait… De temps en temps, il marmonnait et je comprenais qu’il était temps de le laisser.

    Quand il voulait parler de mon père, il disait « cet enculé ». Peut-être parce que ce dernier préférait l’aspect matériel des choses. Une épicerie, voilà qui était concret aux yeux de mon père. Mon grand-père n’appréciait pas cet individu venu d’Algérie qui s’était installé avec sa fille dans un appartement contigu. « Un con et une branleuse. » Non, il n’aimait pas mes parents.

    « Un poète qui vend, c’est rare », m’expliquait mon grand-père en agitant ses feuilles. À plusieurs reprises, il me disait « Ah, il faut que j’arrête, ce n’est pas possible, je suis mauvais », mais si tout à coup il recevait une invitation à un salon littéraire, il se mettait à dire « Oh putain ! Je suis pas si mauvais » et à croire qu’il était devenu bon. Il ne se faisait pas beaucoup d’illusions. Il s’était résigné à ne jamais bien gagner sa vie. Je crois qu’il aimait surtout son atelier, et puis il m’avait moi ; il aimait notre relation, moi l’élève et lui l’enseignant.

    Sa vie était trop compliquée. Ses amis étaient aussi défoncés que lui. Il y avait en permanence sur son visage un combat silencieux dont j’ignorais tout de la profondeur. Fallait-il arrêter d’écrire ? Se mettre à vendre son cul pour espérer s’en sortir ? Son cerveau lui pondait des plans tous les jours. Il avait besoin d’un signe, mon grand-père, n’importe quelle promesse qui lui aurait fait croire qu’il vendrait mieux la prochaine fois.

    Parfois avec mon grand-père, on prenait la voiture et c’était fou. Sa vieille bagnole avait créé chez moi une dépendance. On s’arrêtait dans un café, on mangeait ensemble, on savourait, on allait vers d’autres petits villages ; j’étais un enfant vivant des aventures ! On était de vrais amis.

    Un jour ma mère est entrée dans l’atelier. Lorsqu’elle a voulu me récupérer, hurlant que je passais trop de temps ici, mon grand-père l’a recadrée : « Tu ne

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