Allemagne, Allemagne !: Version hallucinée de la Seconde Guerre mondiale
Par Felipe Polleri
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À propos de ce livre électronique
Avec ce roman, son tout dernier paru en Uruguay en 2013, Allemagne, Allemagne !, l’auteur revisite la Seconde Guerre mondiale et nous en donne une version hallucinée. Le roman se divise en trois parties de l’Angleterre bombardée où un écrivain fou et boiteux au service du contrespionnage britannique perd sa femme et ses enfants lors d’un bombardement, en passant par l’Allemagne nazie, et enfin l’Uruguay.
Le narrateur, mort, à la double personnalité, raconte son histoire : un fantôme engage un débat sur le véritable auteur d’Hamlet et pendant ce temps les bombes tombent sur Londres et les nazis grignotent l’Europe.
Polleri réussit à contrôler le chaos, à soumettre avec son écriture minutieuse les démons qui hantent ses personnages. D’abord une Angleterre racontée par un écrivain de génie mort et anonyme changeant sans cesse de nom, puis une Allemagne où un enfant homme monstre répondant au nom de Parsifal doit porter le lourd héritage d’être le fils de Mengele, ce médecin du régime nazi, alors qu’il déambule en chaise roulante dans un hôpital psychiatrique dirigé par le docteur Prinzhorn, psychiatre allemand qui publia et diffusa l’œuvre de centaines de malades mentaux, qui influença le mouvement surréaliste.
Un roman qu’on ne lâche pas. Polleri nous happe. On en sort secoué.
EXTRAIT
Je suis mort. Je suis mort il y a quatorze ans. Maintenant que j’y pense, toute ma famille est morte. Je n’ai ni frères ni sœurs. Je n’ai jamais voulu en avoir, ni de parents, bien sûr. J’aime à penser que je suis le fils d’un renard et d’une poule. Ou d’une plume et d’un couteau. Mes parents sont morts à cinquante et quelques années dans un accident. J’ai hérité de leur maison. J’ai hérité de leur auto parce qu’ils se déplaçaient à pied. Enfin : je crois qu’ils auraient préféré ne rien me laisser. Moi aussi j’aurais préféré qu’ils ne me laissent rien. J’exagère : quand ils sont venus me dire que j’étais « orphelin », oui, un anglais de vingt-trois ans peut être un petit orphelin, mon ambition s’est réveillée. Je veux être mort, pensai-je. Parce que de tous les biens de ces deux idiots la seule chose que j’ai briguée fut la mort. Je ne pensais pas qu’ils la trouveraient aussi vite…
CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE
« Depuis son premier roman traduit en français, on apprécie l’Uruguayen Felipe Polleri pour son exploration du monde de la folie, vue de l’intérieur, et des questions que posent l’aliénation et la vie quotidienne. Dans Allemagne, Allemagne !, il reprend son thème favori pour cette fois le confronter à une folie plus générale, plus historique aussi, puisqu’une bonne partie du roman est une allusion au nazisme. » (Christian Roinat, Espace Latinos)
A PROPOS DE L’AUTEUR
Felipe Polleri est né en juin 1953 à Montevideo. Diplômé en bibliologie, il a travaillé pendant près de quatorze ans à la Bibliothèque Nationale de Montevideo. En 1995, il démissionne et se consacre totalement à la littérature et à la pauvreté.
En savoir plus sur Felipe Polleri
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Aperçu du livre
Allemagne, Allemagne ! - Felipe Polleri
Allemagne, Allemagne !
Felipe Polleri impose son style unique qui lui vaut d’être classé dans le groupe des « bizarres » en Uruguay.
Toujours très néo-expressioniste, son écriture est cinglante, folle, caractérisée par un humour sauvage et macabre.
Avec ce roman, son tout dernier paru en Uruguay en 2013, Allemagne, Allemagne !, l’auteur revisite la Seconde Guerre mondiale et nous en donne une version hallucinée. Le roman se divise en trois parties de l’Angleterre bombardée où un écrivain fou et boiteux au service du contrespionnage britannique perd sa femme et ses enfants lors d’un bombardement, en passant par l’Allemagne nazie, et enfin l’Uruguay.
Le narrateur, mort, à la double personnalité, raconte son histoire : un fantôme engage un débat sur le véritable auteur d’Hamlet et pendant ce temps les bombes tombent sur Londres et les nazis grignotent l’Europe.
Polleri réussit à contrôler le chaos, à soumettre avec son écriture minutieuse les démons qui hantent ses personnages. D’abord une Angleterre racontée par un écrivain de génie mort et anonyme changeant sans cesse de nom, puis une Allemagne où un enfant homme monstre répondant au nom de Parsifal doit porter le lourd héritage d’être le fils de Mengele, ce médecin du régime nazi, alors qu’il déambule en chaise roulante dans un hôpital psychiatrique dirigé par le docteur Prinzhorn, psychiatre allemand qui publia et diffusa l’œuvre de centaines de malades mentaux, qui influença le mouvement surréaliste.
C’est un roman ovni qu’on ne lâche pas. Dès les premiers mots, Polleri nous happe. On en sort secoué et admiratif devant le génie littéraire d’un écrivain absolument extraordinaire, inclassable.
Le livre comporte des illustrations qui appartiennent, aléatoirement, à la Collection Prinzhorn, à Rosso Fiorentino et à l’auteur.
Felipe Polleri est né en juin 1953 à Montevideo. Diplômé en bibliologie, il a travaillé pendant près de quatorze ans à la Bibliothèque Nationale de Montevideo. En 1995, il démissionne et se consacre totalement à la littérature et à la pauvreté.
Allemagne, Allemagne !
Felipe Polleri
Christophe Lucquin Editeur
Titre original
¡ Alemania, Alemania !
Casa Editorial Hum, Montevideo
Les illustrations appartiennent, aléatoirement, à la Collection
Prinzhorn, à Rosso Fiorentino et à l’auteur.
Traduit de l’espagnol (Uruguay) par Christophe Lucquin
© Felipe Polleri
© Christophe Lucquin Éditeur, 2014
À l’infâme mémoire de Pie XII
À la glorieuse mémoire de Sir Winston Churchill
À la mémoire bien-aimée du docteur Prinzhorn
CHRISTOPHER
« Allez soûle-toi langue, maudis et meurs. »
Christopher Marlowe
Je suis mort. Je suis mort il y a quatorze ans. Maintenant que j’y pense, toute ma famille est morte. Je n’ai ni frères ni sœurs. Je n’ai jamais voulu en avoir, ni de parents, bien sûr. J’aime à penser que je suis le fils d’un renard et d’une poule. Ou d’une plume et d’un couteau. Mes parents sont morts à cinquante et quelques années dans un accident. J’ai hérité de leur maison. J’ai hérité de leur auto parce qu’ils se déplaçaient à pied. Enfin : je crois qu’ils auraient préféré ne rien me laisser. Moi aussi j’aurais préféré qu’ils ne me laissent rien. J’exagère : quand ils sont venus me dire que j’étais « orphelin », oui, un anglais de vingt-trois ans peut être un petit orphelin, mon ambition s’est réveillée. Je veux être mort, pensai-je. Parce que de tous les biens de ces deux idiots la seule chose que j’ai briguée fut la mort. Je ne pensais pas qu’ils la trouveraient aussi vite… (Ce qui est certain c’est que celui qui allait trop vite c’était le soldat qui les a renversés). Enfin : je disais que pa et man n’étaient pas destinés à mourir si tôt… Ils faisaient partie de cette engeance de racaille qui vit jusqu’à quatre-vingt-dix ans grâce à cette imbécillité immune à n’importe quelle malchance (incluant celle d’avoir un fils comme moi) qui caractérise toutes les personnes très âgées sans exception. Parce qu’il faut être une essence de merde concentrée pour survivre plus de soixante ans dans ce monde démoniaque. Oui, la méchanceté de tout et de tous est tellement atroce que n’importe quelle personne plus ou moins bonne, quiconque avec un peu de cœur, doit mourir de tristesse à quarante ans au grand maximum (vraiment au grand maximum). Si j’ai résisté jusqu’à trente-quatre ans et neuf mois, c’est parce que j’ai une goutte de méchanceté, une goutte épaisse, qui m’a permis de jouer à ce jeu sanguinaire. J’ai crevé à trente-quatre ans… mais c’est loin d’être ce que j’espérais. Au lieu de cette chose délicieuse, la totale disparition dans la plus noire des nuits, être mort s’apparente à être en vie ; mais avec un autre nom. Jusqu’à mon boitement, résultat d’une bagarre honorable, qui m’a distingué à partir de mes vingt-sept ans. Personne n’aime les êtres difformes, les mutilés, mais la vérité c’est qu’avant le coup de poignard, moi-même je n’aimais personne et personne ne m’aimait, je ne peux donc pas rejeter la faute de mon inhumanité sur… l’agréable dodelinement de mon corps quand il fait un pas avec la jambe malade. Il s’agit, en réalité, d’un léger boitement qui me donne l’allure des guerriers qui arborent une cicatrice sur le visage (ou une main ou une jambe esquintée) à la suite de leurs nobles et risqués services rendus à la Grande-Bretagne. Suis-je en train de divaguer ? Peu importe. Nous les morts, faute d’être ancrés dans un monde concret, nous volons d’un côté à l’autre comme les cendres du ghetto de Varsovie. Si j’ai dû mourir, ce fut pour des raisons d’État, comme les Juifs. J’étais un écrivain peu connu, c’est-à-dire, infâme, quand j’ai dû mourir ; personne de rang inférieur à la reine Isabel (ou Sir Winston Churchill) ne peut être célèbre en Angleterre. De toute manière : l’infamie m’a servi à ce que personne ne se rende compte de la ressemblance entre l’œuvre de Marlowe et celle de Shakespeare. (Parce que quand j’étais vivant, j’étais Christopher Marlowe ; maintenant je suis un certain William Shakespeare.) C’est vrai que je retouche parfois l’œuvre de Shakespeare pour qu’elle ne ressemble pas autant à celle de Marlowe, mais elles sont… identiques ? Quiconque s’improviserait critique littéraire (et non rat tourmenté) se rendrait compte que Marlowe et Shakespeare… Si un bon critique uruguayen lisait Marlowe et Shakespeare, aussitôt il dirait que Marlowe a copié Shakespeare ou que Shakespeare a copié Marlowe, si tant est que qu’ils ne fussent pas le même auteur caché sous un pseudonyme ou deux. Bien sûr, nous ne sommes pas face au fleuve Río de la Plata, mais face à la Tamise qui ressemble plus à un estuaire, mais il s’agit du même débit d’eau boueuse, même si on appelle l’un fleuve (rio) et l’autre estuaire, ou même si on appelle l’une l’œuvre de Marlowe et l’autre l’œuvre de Shakespeare. En outre, aucun critique uruguayen ne lit d’auteurs nés dans des pays aussi exotiques que l’Angleterre ou la France qui, maintenant effectivement, sont deux pays très distincts, non pas comme Marlowe et Shakespeare qui sont le même pays, le même et pervers monde d’un écrivain inconsolable (inconsolable, comme, disons, Hamlet). Les rats tourmentés (même leur bêtise ne peut camoufler leur échec) vivent en portant un jugement sur les « époques » de Marlowe ou les « époques » de Shakespeare, comme si moi j’étais 7 ou Picasso, mais ils sont plus tolérants avec l’œuvre de Marlowe parce qu’il est mort, et haïssent Shakespeare parce qu’il est en vie et ÉCRIT DES LIVRES au lieu d’en faire le compte-rendu comme ils le font, eux, dans un petit coin d’un journal ou d’un supplément, totalement dédié à la guerre ou au cricket. D’autre part, ces comptes-rendus de deuxième zone servent à ce que personne n’oublie que je suis un rédacteur de comptes-rendus de deuxième zone nommé Shakespeare (et personne ne se doute de ma véritable activité : le contre-espionnage au service des Alliés et, surtout, au service de Sa Majesté). Comme, disons, Marlowe. Réellement, je ne sais pas comment ils font pour ne pas se rendre compte que je suis Marlowe et Shakespeare. C’est vrai que je me suis rasé la tête et que j’ai jeté ma chevelure rousse à la poubelle parce qu’elle était trop flamboyante ; j’utilise une perruque des plus communes, brunâtre, qui change un peu mon aspect. Mais le boitement n’est pas dissimulable, de même que la dermatite que Shakespeare a héritée de Marlowe. Depuis mes quinze ou seize ans, j’ai ce qu’on appelle une dermatite, aussi caractéristique que mon boitement, ou mon beau visage, ou mon corps harmonieux de gymnaste, hérité d’un ancêtre pour tromper ceux qui croient au Sport comme d’autres croient en Dieu. Mais mes connaissances sont-elles devenues aveugles ? Personne ne me reconnaît. Personne ne regarde jamais personne, en réalité. J’étais en train de leur parler de ma dermatite et c’est un sujet qui en vaut la peine car il en dit beaucoup sur ma nature étrange et tordue. Toutes les dermatites ne se ressemblent pas ; moi, j’ai des ampoules comme des perles sur la paume des mains et la plante des pieds. Mon cher ex-psychiatre, qui a été réduit en miettes par l’une des innombrables bombes tombées sur Londres en 1943, pensait qu’elle était due à ma « haine inconsciente » de tout et de tous. Comme si toucher cette boule de merde (ou m’arrêter sur elle) me « rendait malade » ; comme si le monde était une « maladie infectieuse » qui à son seul contact m’« infectait » les mains et les pieds, disait-il, le pauvre. Moi je lui répondais que ma haine (que je préfère appeler mépris) de tout ce qui existe, en premier lieu de la Grande-Bretagne, était hyper consciente et je lui demandais qu’il me recommande un bon dermatologue juif, les Juifs sont les meilleurs médecins et les meilleurs psychanalystes. Mais le