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« L’UTOPIE N’EST PAS UNE DESTINATION, MAIS UNE DIRECTION À SUIVRE »

DAVID MITCHELL PLONGE À COEUR PERDU DANS LES SWINGING SIXTIES

Gageons – et espérons! – que l’extraordinaire Utopia Avenue sera le roman par la grâce duquel David Mitchell fera son entrée dans la catégorie des grands écrivains étrangers enfin célébrés en France. Certes, nos compatriotes férus de science-fiction ont pu apprécier les prouesses de ce surdoué des lettres britanniques quand, voilà dix ans, son livre Cartographie des  nuages (ou Cloud Atlas, en V.O.) fut adapté au cinéma par Andy et Lana Wachowski – il a du reste coécrit avec cette dernière le scénario du dernier Matrix. Même si d’autres ont gardé un souvenir ébloui d’Écrits fantômes, du Fond des forêts ou de L’Âme des horloges…

Dans Utopia Avenue, David Mitchell plonge à cœur perdu dans les Swinging Sixties: il retrace l’histoire – la composition puis très vite la gloire, et presque aussi vite la tragédie, même si tout ça se fond et se confond en une trépidation hallucinée – d’un groupe pop londonien… qui n’a jamais existé. Il importe de le préciser tant est convaincante leur biographie imaginaire. Utopia Avenue, donc, est le nom que se sont choisi Jasper, un demi-dieu de la Stratocaster, Dean, un jeune bassiste en colère, Griff, un batteur jazz, et Elf, une doyenne de la scène folk – la fille de la bande.

Il faut 750 pages – et pas une n’est superflue – pour raconter les quelques mois entre 1967 et 1968 où ces quatre jeunes gens vont transformer le chaos de leur musique intérieure en magie, sur les scènes d’Angleterre, d’Italie, des Pays-Bas et des États-Unis. Quand ils partagent une scène, la musique créée par eux fait corps avec la vie de chacun, jusqu’à la dépasser; survient alors un son et un sens intensément plus grands que soi, une fantaisie, une folie, une incandescence. David Mitchell déploie une virtuosité déjantée pour restituer en mots chacune des notes – y compris les fausses – de cette partition d’émotions existentielles. Il n’est pas jusqu’à leur manageurproducteur-chaperon, Levon, qui ne soit bouleversant. Contrairement aux quatre artistes qu’il a rassemblés, et dont la narration révèle les tourments en même temps que le talent, on en sait peu sur lui jusqu’au milieu du roman, jusqu’à cette soirée où il rencontre l’immensissime Francis Bacon, et où le contrôleur en chef se laisseboit avale des rasades de château Latour, du bloody mary puis un cachet blanc qui Vous ne connaissez pas ? Ce livre est (aussi) une bible des substances décuplant la perception. Mais, en faisant vibrer l’ouïe et l’âme, oui l’âme, il produit de meilleurs effets que les plus fortes d’entre les drogues.

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