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Ellington, Hitchcock et nous: Marginales - 235
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Livre électronique153 pages2 heures

Ellington, Hitchcock et nous: Marginales - 235

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À propos de ce livre électronique

Découvrez un nouveau numéro en version numérique de la revue littéraire belge Marginales

Le phonographe et le cinématographe ont davantage bouleversé la culture de ce siècle qui s’éclipse que Le sacre du printemps de Stravinsky et l’ Ulysse de Joyce. Quoi qu’on en pense, et quoi que les doctes exégètes de la modernité puissent professer. Les nouveaux médias se sont fait les porteurs de messages nouveaux et, surtout, ont modifié du tout au tout leur mode de diffusion. La démocratisation de ces nouvelles techniques a, de plus, progressé à un point tel que des jeunes gens d'aujourd'hui, coiffés de leur walkman, écoutent leur musique de prédilection dans de meilleures conditions qu'un petit marquis convié à un concert de Lully à la cour de Louis XIV. Au surplus, ces privilégiés versaillais se comptaient sur les doigts de la main, alors que les utilisateurs de ces baladeurs sont innombrables...

Des poèmes et nouvelles inspirés par les pratiques culturelles avec des écrivains comme Thilde Barboni, Jacques Cels ou encore Luc Dellisse.

À PROPOS DE LA REVUE

Marginales est une revue belge fondée en 1945 par Albert Ayguesparse, un grand de la littérature belge, poète du réalisme social, romancier (citons notamment Simon-la-Bonté paru en 1965 chez Calmann-Lévy), écrivain engagé entre les deux guerres (proche notamment de Charles Plisnier), fondateur du Front de littérature de gauche (1934-1935). Comment douter, avec un tel fondateur, que Marginales se soit dès l’origine affirmé comme la voix de la littérature belge dans le concert social, la parole d’un esprit collectif qui est le fondement de toute revue littéraire, et particulièrement celle-ci, ce qui l’a conduite à s’ouvrir à des courants très divers et à donner aux auteurs belges la tribune qui leur manquait.
Marginales, c’est d’abord 229 numéros jusqu’à son arrêt en 1991. C’est ensuite sept ans d’interruption et puis la renaissance en 1998 avec le n°230, sorti en pleine affaire Dutroux, dont l’évasion manquée avait bouleversé la Belgique et fourni son premier thème à la revue nouvelle formule. Marginales reprit ainsi son chemin par une publication régulière de 4 numéros par an.

LES AUTEURS

Jacques De Decker, Gaston Compère, Emmanuèle Sandron, Jacques Cels, Luc Dellisse, René Hénoumont, Daniel De Bruycker, Adolphe Nysenholc, Véronique Bergen, Liliane Schraûwen, Monique Thomassettie, Yves Wellens, Jean-Pierre Dopagne, Françoise Wuilmart, Daniel Simon, Éric Brogniet, Vincent Engel, Georges-Henri Dumont, Manfred Flügge et Piet Joostens.
LangueFrançais
ÉditeurKer
Date de sortie5 févr. 2018
ISBN9770025293831
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    Ellington, Hitchcock et nous - Collectif

    Ma nièce et son serial-killer

    Gaston Compère

    À la trépidation de ce que ma nièce appelle platement la sonnette de rue (platement e.st son mot), je devinai que c’était elle qui la faisait fonctionner. Aucune héroïne de Hitchcock n’y aurait mis cette ardeur. (S’il y a ardeur dans ses films, m’écrivait-elle récemment, c’est dans la blondeur glacée des moumoutes de ses stars.)

    J’ai dit ailleurs à quel point cette jeune personne, bien que sortie de l’adolescence depuis pas mal d’années, semblait encore y participer sans retenue. La vie émanait d’elle avec parfois une espèce de violente ferveur. Il ne faut pas s’étonner, m’a-t-elle souvent dit, que mes cheveux soient à ce point bouclés.

    Effectivement c’était elle qui arrivait en pestant sur les lenteurs de l’ascenseur et ses réflexes de fonctionnaire. Elle allait encore me dire : « Ton ascenseur a vraiment besoin d’un psy ». Et peut-être encore ajouter : « Comme tous les tordus de Sir Alfred ». Et voilà que je reconnaissais son pas pressé, puis les borborygmes de sa grogne.

    — Tu ne m’as pas l’air heureuse, lui dis-je. (Je lui avais préalablement ouvert la porte.)

    — Je suis furieuse, oui ! J’achève de lire dans le bus un article sur ton Hitchcock.

    — Mon…

    — Ton Hitchcock, et il n’y a rien qui me mette hors de moi comme un journaliste qui se pique de faire de la littérature. Je ne sais pas ce qu’ils ont tous. Tous, enfin presque. Presque. Ils veulent te faire de la littérature, et un tas de types qui se veulent littérateurs font du journalisme. Ou ils sont à vouloir monter, ou ils sont à vouloir s’étendre. Tu me suis ? Il faudrait vraiment qu’ils sachent ce qu’ils veulent – comme Sir Alfred. Lui du moins n’est jamais à tergiverser. Je te dirai maintenant que lorsque je suis hors de moi, je me vois en poubelle du lundi matin : sur la rue et répandant mon contenu. Une manière de me débarrasser sans doute, en l’occurrence, et du journaliste et du cinéaste – autrement dit… voyons… du premier qui vous refile des nouvelles noires et du second des rêves d’un rose suspect.

    — Calme-toi. Défrise tes boucles.

    — Ah oui ? et pourquoi, s’il te plaît ? Tu m’as dit comme un vieux con (ma nièce adore ce mot, que j’emploierai le moins souvent possible par respect pour les lectrices qui se trouvent respectables), tu m’as dit qu’il me fallait parfaire – parfaire ! – ma culture cinématographique – cinématographique ! Et moi quoi ? je suis docile, plate comme une limande, obéissante comme une otarie, et toujours l’œil en coin comme Sartre. Je t’écoute. Je me renseigne. Je m’initie. Je fréquente le musée du cinématographe, et, quoi qu’on fasse, un musée sent toujours le musée. Maman a des cassettes de Sir Alfred, et je suis là bêtement à regarder Spellbound, Mamie – pas de printemps pour ce pauvre chou ! – ou je ne sais quel Notorious. Je suis de bonne volonté, moi. Et je me force à lire les commentateurs – tiens par exemple, les poissons de la Nouvelle Vague, je lis leurs conneries, et je puis me permettre de te le dire parce que tu es mon tonton…

    — Je t’en prie.

    — … dans cette nouvelle vague… note en passant que toutes les vagues sont nouvelles et qu’ils n’ont pas à se vanter de cette épithète… dans cette vague il y a de tout, du sable surtout et des crevettes qui ont tourné de l’œil. Voilà. Et Sir Alfred là-dedans ? As-tu jamais lu rien de plus ridicule que les dithyrambes d’un certain Truffaut qui n’a jamais eu à l’esprit que de sortir des ténèbres vraiment noires de l’existence sociale pour accéder à celles que pour ma part je trouve plus noires encore de Dolly, de Dolly, de Dolly Wood, la grande prostituée. Dont Sir Alfred était un des… disons des protecteurs. Les commentateurs font ce que j’appelle des commattentats. Dignes de ceux où s’éclatent les méchants de Sir Alfred. Le commentateur du magazine que j’achève de lire dans le bus, qui se prend pour Chateaubriand, oh, je t’assure, il m’a mise en rage. J’ai mes boucles tétanisées. Et voilà, va savoir pourquoi, que toute ma rage s’est retournée contre cet affreux Hitchcock.

    — Affreux…

    — Affreux. Je ressemble tout à fait aux taureaux qu’on mène à la foire aux taureaux : je n’apprécie pas qu’on me mène par le nez. Et moins encore par le bout du nez. Je n’aime pas ses grosses pattes de livreur de légumes. J’ai toujours eu l’impression en regardant ses films qu’il nous fait payer, de la manière la plus oblique qui soit, le fait, à ses yeux insupportable, d’être né entre des patates et des choux chinois. J’aime pas ça, je te dis, j’aime pas.

    — Calme-toi.

    — Oh, mais c’est que je me calme. Je me trouverai bientôt l’humeur aussi plate que le rêve américain de ce majestueux nabab.

    — On ne te demande pas cela, mon trésor. Dieu t’a fait don de la raison justement pour parler de Sir Alfred, comme tu dis.

    — Là, tu montres le bout de l’oreille – non ? Quelques appréciations tout à fait subjectives. Je te dirai de lui ce qu’Albert Cohen disait de Madame Yourcenar – mais au masculin : trop gros. Tiens, en 43, il pesait cent trente kilos, tu sais cela ? Sa bedaine énorme était gonflée de sa mégalomanie. Un mégalo, ton Hitchcock, là, c’est clair.

    — Ce que tu racontes est sans intérêt. Ses films…

    — D’accord, mon tonton. Là je ne vais pas fourrer le nez – mon joli nez – encore entre les doigts de notre marchand de légumes. Tu te souviens de la rue populaire au début de Frenzy. Hein, cela vous marque, les commencements – les premiers pas, les premiers pipis. Alors ? Alors on exorcise. On exorcise. On exorcise. Pour moi, tous ses films sont des exercices d’exorcisme. Il est né citoyen quelconque, on l’a nommé Fred, ce qu’il va détester, et Cockie, et l’on sait que les connotations sexuelles du mot n’ont rien de positif. Il est resté petit. Il est gros. Il est moche. Il sera vite impuissant. Regarde ses films, tout ça se devine. Mais justement, la… – prestidigitation ! chapeau, l’artiste ! – la crêpe, il la retourne, il l’arrose de sucre ! Son masque et sa ventripotence sont entre mille reconnaissables. À te dire vrai, je ne sais sur quel pied danser en regardant son image. Faut-il rire ? sourire ? soupirer ? se méfier ? quoi ? Il n’est pas acteur, il traite les acteurs d’une façon que je préfère ne pas qualifier. Tu connais son mot : « Je n’ai jamais dit que les acteurs étaient du bétail, j’ai seulement dit qu’ils devaient être traités comme du bétail ». Moi je te dis qu’il les envie. D’être acteurs justement. D’être aimé pour leur dégaine. Alors ? Il a dû un jour se jurer qu’on parlerait de lui avant le bétail. On ne dira pas : « Je vais voir un film de Cary Grant ou de James Stewart » – mais « d’Alfred Hitchcock » ! Alors il se montre. Il n’est pas acteur mais il se montre. Il adore l’autopublicité. De profil, la ligne de son corps est celle d’une poire : cette ligne, il va la tracer sur l’écran, et son ombre y glissera sa bedondaine. Tu te rappelles comment il introduisait ses courts-métrages pour âmes sensibles. Bravo. Au début de ses films, tiens, et tu le sais, on cherche son image. On doit l’apercevoir fugitivement. Le spectateur distrait du récit : Où est-il ? Ah, le voilà. Merci, doux Jésus. Le voilà, le voilà. Mais il a déjà disparu – son image a disparu pour d’autres qui sont le fruit de la patience. Il se met à toutes les sauces. Par bonheur, ce n’est pas celle au sucre candi qu’il préfère. Il passe, placide comme un bœuf, avec une expression de bœuf. J’aime ça. J’aime pas ça.

    Écoute, mon tonton, je suis bon public, j’ai pas l’habitude de rouspéter, sinon lorsque c’est vraiment trop mauvais. Ce qui n’est jamais le cas avec Sir Alfred. Alors tu vas m’expliquer pourquoi Sir Alfred m’indispose. Il m’énerve. Je me dis : au paradis des Cockneys hollywoodiens, il rigole peut-être de me voir énervée. Un gros tas de spectateurs qui marchent, ça fait régiment, et je me doute – sans être sûre de rien – que l’armée lui casse ses dodus orteils. Pour moi, Sir Alfred, c’est le genre de type qui est contre, non pas par philosophie, mais parce qu’il en a bavé, et qu’il ne cesse de le faire : sa gueule de morue, sa silhouette de femme enceinte jusqu’aux yeux. Je sais, je sais, ce que je te dis est peut-être sommaire, mais je t’assure qu’il y a de ça, une rancune sourde, le désir de te fourrer le nez dans la merde : ses films sont de la merde, comprends-moi, pas comme on peut l’entendre et comme on l’entend d’habitude, bien sûr, d’un certain point de vue c’est même tout le contraire, mais je te dis que ses films sont faits d’une merde très particulière. Le voilà génial pour poursuivre son dessein, celui d’abaisser le spectateur sans qu’il s’en doute et de le faire mijoter ravi dans sa médiocrité bêtasse. Là, j’applaudis. Youpille !

    Cela dit, à voir comment une fille intelligente, je parle évidemment de moi, réagit quand commence un de ses films – un film que je n’ai jamais vu —, c’est assez compliqué à décrire. C’est alors que je me hais. Il y a toujours une voix en moi qui me dit : laisse-toi aller, tu es une conne, tu n’as qu’à te laisser glisser dans le toboggan de velours, et, quand le velours sera déchiré ou tout à fait usé, tu goûteras une sensation encore plus délicieuse. Voilà. Mais la plupart du temps, j’ai beau faire. Cela ne marche pas. Et j’en suis presque à le regretter, ce qui est un comble. Car c’est clair, je vois bien que tout est au poil, ou presque, que la mécanique est autant dire parfaite, que les trouvailles sont géniales, géniales comme on dit, que ceci et que cela, et, putain ! que le gros Freddy est, excuse-moi, un mec du tonnerre de Dieu, c’est comme ça que s’exprime tante Dora, tu le sais. Parfait. Mais voilà, ce qui me débecte plus que tout est que Sir Alfred est trop sûr de son coup. Trop ! là ! trop ! En travaillant, il devait être à se dire et se redire, en tapotant sa brioche, que tous les cons allaient marcher comme un seul homme. Et je l’entends : Moi, le môme de l’East End of London, je les fais marcher tous, je fais marcher la reine – the Couine, et elle couine de plaisir, la bonne reine – et toutes les ladies qui pètent dans la soie, et tous les intellos qui le font dans leur moi, et j’ai des disciples comme Jésus superstar et des critiques à ma botte comme personne ! Et je puis employer tous les ingrédients dont j’ai envie, même les plus douteux, parce que le public les aime, des moumoutes papier glacé jusqu’aux présidents en carton-pâte, du naevus à poils jusqu’à la jambe dans son nylon noir, du mec à l’œil torve jusqu’à l’imbuvable Doris Night, et cætera, et cætera. Tout ça c’est de la mécanique – et de l’admirable ! L’œil du Maître est partout – everywhere, yes ! Cela me dérange.

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