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Fabrications: Essai sur la fiction et l'histoire
Fabrications: Essai sur la fiction et l'histoire
Fabrications: Essai sur la fiction et l'histoire
Livre électronique208 pages2 heures

Fabrications: Essai sur la fiction et l'histoire

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À propos de ce livre électronique

Essai ludique au ton personnel, Fabrications raconte les huit années d’une passionnante enquête intellectuelle pendant lesquelles Louis Hamelin a écrit La constellation du Lynx. Ce roman a parfois été perçu comme un document politique ou un ouvrage historique ; à l’inverse, le présent essai sera peut-être pris pour une œuvre de fiction. Pourtant, à part Samuel Nihilo, l’alter ego fictif de l’auteur, les personnages qu’on y rencontre existent ou ont déjà existé — même si leurs noms ont parfois été modifiés — et leurs propos sont rapportés avec le souci de traduire au mieux leur pensée.
Où se trouve le plus de vérité ? Dans le patient réexamen des faits qui préside à la fabrication artisanale du romancier ou dans les récits tout aussi construits qui forment la « version officielle », avec sa narration univoque et ses prétentions à l’authenticité ? Il y a une histoire secrète qui, à l’instar de la littérature, fabrique des récits. D’une même matière surgissent des interprétations antagonistes, dont l’une s’imposera en repoussant les autres dans la fiction. Ici, le processus est soumis à un éclairage littéraire qui fait appel tant à l’expérience des Brigades rouges qu’à l’intelligence de quelques œuvres phares, de Tolstoï à Mailer.
Voici donc la vraie histoire de Samuel Nihilo.

Chroniqueur de littérature au Devoir depuis 1999, Louis Hamelin est l’auteur de sept romans dont La rage (1989), prix du Gouverneur général en 1990, et La constellation du Lynx (2010), qui a été couronné par cinq prix littéraires dont celui des Libraires et celui des Collégiens. Il a aussi publié un recueil de nouvelles et deux essais.
LangueFrançais
Date de sortie27 août 2014
ISBN9782760632899
Fabrications: Essai sur la fiction et l'histoire
Auteur

Louis Hamelin

Né en1959 à Grand-Mère, Louis Hamelin est romancier et chroniqueur littéraire. Son premier roman, La Rage, publié en 1989, remporte le Prix du Gouverneur général. Il a publié de nombreux romans, et a remporté plusieurs prix littéraires pour ses oeuvres. Il a été responsable des relations avec les nations autochtones pour le groupe l’Action boréale. D’après lui, « un écrivain ne peut être le cœur de sa communauté, ni son bras armé, ni même toujours son cerveau. Il faut plutôt imaginer une sorte de poumon avec des yeux ».

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    Aperçu du livre

    Fabrications - Louis Hamelin

    Histoire d’une obsession

    Entre 2002 et 2010, de l’aube de la quarantaine au demi-siècle d’existence, à part manger, dormir, baiser à l’occasion, faire de la bicyclette, me baigner, ouvrir et refermer des bouquins, courir les bois et boire du vin, j’ai travaillé à un roman dont le sujet principal est la crise d’Octobre.

    Au Québec, la crise terroriste de l’automne 1970 que nous connaissons sous le nom de crise d’Octobre est vue, au choix, comme un des événements politiques les plus importants du XXe siècle au Canada – qui est un grand pays tranquille la plupart du temps – ou bien, avec ses deux otages et son unique trépassé, comme une crisette insignifiante si on la compare aux tortures sadiques et aux exécutions sommaires qui, quelques années plus tard, vont accabler les militants de gauche du Chili et de l’Argentine.

    Aux yeux tuméfiés de ces nations martyres, le Québec n’a que ses quelques centaines de détentions arbitraires à agiter. L’otage exécuté? N’en parlons même pas. D’abord, il n’est pas bien sûr qu’il l’ait été, au sens propre du terme. Ensuite, comparons ces résultats avec le bilan des séparatistes basques de l’ETA (829 morts) et irlandais de l’IRA provisoire (1707 victimes en trente ans). Conclusion: le Front de libération du Québec (FLQ) ne fait pas très sérieux, et la prétention de notre Octobre à évoluer dans les ligues majeures des crises politiques pourrait même paraître légèrement ridicule.

    Considéré sous l’angle du mythe, par contre, force est de constater qu’Octobre tient la route. Résiste au passage des ans. À l’usure des idées. À l’affaiblissement de la culture politique. Au-delà d’un temps rétréci par la manie du présentisme et par le traitement conventionnel d’une histoire pour les nuls réduite à une simple compilation d’acteurs et de dates, dans l’archétype du bouc émissaire où se côtoient logique sacrificielle et violence symbolique, Octobre déploie ses significations.

    J’avais onze ans. Je vivais en Gaspésie, et il faut croire que j’allais encore à la messe, car sinon je ne pourrais me rappeler la voix étranglée d’indignation du curé Lamarre anathémisant le FLQ et les profs du cégep de Gaspé du haut de la chaire. Le Québec ne savait pas encore que Percé avait accouché de la cellule Chénier l’été précédent.

    Dimanche matin, 18 octobre 1970. Mon père entend, à la radio, de la musique funèbre, il comprend tout de suite. Il dit: Ils l’ont trouvé…

    Cette semaine-là, sur l’avis de recherche reproduit à la une du Devoir, la gueule féroce de Paul Rose, les grosses narines de Carbonneau. Des bandits. Des tueurs. J’ignorais encore que la photographie judiciaire obéit à cette loi dérivée de la physique quantique qui dit que l’observateur modifie la chose observée.

    Avec ma fascination de préado pour les scènes d’alcôve de l’appartement situé au 3720, chemin Queen-Mary, auxquelles firent allusion les journaux pendant l’enquête du coroner, ce sont mes seuls souvenirs de la crise d’Octobre.

    Entre 1970 et 1990, presque rien: j’ai lu le livre de Pierre Vallières, L’exécution de Pierre Laporte: les dessous de l’Opération Essai.

    Regardé, à l’antenne de Radio-Canada, l’entrevue accordée à Marc Laurendeau par un Paul Rose toujours emprisonné. L’homme m’avait impressionné.

    Au début des années 1990, m’étant entretemps métamorphosé en écrivain, j’ai rencontré Vallières au Salon du livre de Montréal. Francis Simard l’accompagnait. J’avais devant moi le cerveau du FLQ des années 1960 et une icône de la crise d’Octobre, réunis pour les besoins d’un film.

    J’ai ensuite revu Simard à quelques reprises. Nous avions des amis communs. Nous ne parlions jamais de l’affaire Laporte, ni de son livre, Pour en finir avec Octobre, que j’avais aussi lu et dont je possède aujourd’hui cinq exemplaires, dont deux annotés jusqu’à la manie. Dans son entourage semblait régner un consensus tacite: Affaire réglée. On n’en parle pas… On ne revient plus là-dessus. Simard avait payé sa dette. Son indéfectible ami, le cinéaste Pierre Falardeau, jouait le rôle de chien de garde. Dans le livre de l’un, dans le film de l’autre (Octobre, 1990), le fin mot de l’histoire avait été prononcé. Il y avait ce tabou qu’on sentait peser quand on pénétrait dans le cercle.

    1994. Le gratin de la gauche québécoise se presse dans la salle Marie-Gérin-Lajoie du pavillon Judith-Jasmin de l’Université du Québec à Montréal (UQÀM) pour la première de La liberté en colère, le film né de la rencontre, organisée par le documentariste Jean-Daniel Lafond, dans un chalet de Saint-Alphonse-de-Rodriguez, de Simard, Vallières et Charles Gagnon, qui fut très brièvement mon pape lorsque je militai dans les rangs du groupuscule marxiste En lutte! à la fin des années 1970.

    Je croise Plume à l’entrée, aperçois, en descendant les marches, la belle tête blanche de Michel Chartrand. Mais avant d’entrer, dans un couloir, j’ai rencontré Francis Simard allant et venant comme un fauve en cage, l’image s’est présentée à moi, elle m’a marqué. Il savait ce que j’ignorais encore: que prisonnier de l’écran, il allait, dans quelques minutes, être livré en pâture au public, que son langage corporel de grosse bête acculée s’apprêtait à le trahir dans la scène devenue célèbre de sa confrontation avec Vallières devant les grillages de Parthenais.

    Simard: On l’a enlevé, on l’a séquestré, pis yé mort… Le reste, m’a mourir avec, boss.

    Et non pas: on l’a tué. Juste une pudeur, peut-être, mais cette histoire en sera une où les mots sont importants, une histoire de mots qui résonnent, définitifs, relatifs, où chaque texte devient une chambre d’échos. C’est mon Octobre: comme une immersion sans retour dans une magistrale leçon de lecture.

    Au cours des années suivantes, un personnage d’ancien felquiste porteur d’un lourd secret a fait son apparition dans un projet de gros roman que je caressais, et dont le personnage principal était Montréal. Une idée de livre vraiment formidable, ambitieuse, pleine d’épisodes signifiants, de personnages colorés, un peu confuse, sans doute. Avec le recul, le titre trouve toujours grâce à mes yeux: Le rituel de la mise à mort. Quant au livre lui-même, j’allais complètement me casser les dents dessus pendant un séjour dans le gris Paris de l’hiver 1998. Un échec professionnel spectaculaire, et une catastrophe personnelle dont le personnage de l’ancien felquiste fut le seul rescapé.

    Retour à 1994. Je me suis greffé au petit groupe qui, après la projection de La liberté en colère, se retrouve attablé dans un resto de la rue Saint-Denis fréquenté par des profs de l’UQÀM. Falardeau en est, et Simard. Pour moi, qui fais mon entrée dans le monde, ou tout comme, ces gars-là sont des sortes de héros.

    Héros est un mot avec lequel j’aurai l’occasion, ailleurs dans ces pages, de prendre mes distances, mais ils étaient de la nomenklatura, évoluaient dans les grandes ligues du débat national, à la confluence de la culture et du politique. Des gens connus, avec qui je me sentais, sinon de profondes affinités, du moins une instinctive sympathie confortée par une absence d’antagonisme immédiat. Ça me paraissait suffisant à l’époque (ça l’est toujours) pour accepter une invitation au resto ou à la taverne du coin.

    À cause d’un livre, je deviendrais un jour le poil à gratter de toute une faune accouchée par Octobre. Celui qui crache dans la soupe aux pois.

    Incontestable

    5 octobre 1970. Enlèvement de l’attaché commercial britannique à Montréal, James Richard Cross, par la cellule Libération du Front de libération du Québec.

    8 octobre. Lecture du Manifeste du FLQ à la télé de Radio-Canada. Six autres exigences de la cellule Libération demeurent insatisfaites, dont la libération de 23 prisonniers politiques et le versement d’une rançon de 500 000 dollars en lingots d’or.

    10 octobre. Le gouvernement du Québec rejette les exigences des ravisseurs de Cross. La cellule Chénier passe à l’action. Enlèvement du ministre du Travail et de l’Immigration et vice-premier ministre du Québec, Pierre Laporte, à Saint-Lambert, sur la rive Sud de Montréal.

    11 octobre. L’otage Laporte adresse une lettre à son premier ministre: «Décide de ma vie ou de ma mort…»

    11-12 octobre. Opération Ginger. Des troupes sont déployées à Ottawa.

    15 octobre. Rupture définitive des négociations. Le gouvernement adresse un ultimatum de six heures aux kidnappeurs, assorti d’une offre de sauf-conduit à Cuba. Déclenchement de l’opération Essai: l’armée fait mouvement vers Montréal. 3000 sympathisants massés dans l’aréna Paul-Sauvé entonnent des slogans pro-FLQ. Au cours de la soirée, les premières unités militaires atteignent la métropole.

    16 octobre. Proclamation de la Loi des mesures de guerre par le gouvernement fédéral. Suspension des libertés civiles, vastes rafles, arrestation de plusieurs centaines de personnes sans mandat.

    17 octobre. Le corps de Pierre Laporte est retrouvé dans le coffre de la voiture ayant servi à son enlèvement, sur un terrain d’aviation situé tout près de la base militaire de Saint-Hubert.

    6 novembre. Arrestation de Bernard Lortie dans un appartement du chemin Queen-Mary. Les autres membres de la cellule Chénier ont échappé aux policiers en se réfugiant dans une cache aménagée dans un placard.

    3 décembre. L’appartement de Montréal-Nord où est gardé James Cross est encerclé par la police et des centaines de soldats. En échange de la libération de leur otage, cinq membres de la cellule Libération partent en exil à Cuba.

    27 décembre. Arrestation des trois membres de la cellule Chénier toujours en cavale, dans une cache souterraine aménagée sous une maison de campagne à Saint-Luc. Fin de la crise d’Octobre.

    Janvier 1971. Paul Rose est condamné à la prison à vie pour le meurtre de Pierre Laporte.

    Avril. Francis Simard est condamné à la prison à vie pour le meurtre de Pierre Laporte.

    Février 1973. La plus belle heure de maître Robert Lemieux: au terme de sa plaidoirie de deux jours, Jacques Rose est reconnu non coupable du meurtre de Pierre Laporte par un jury de douze personnes.

    Cam

    Dans nos jeux d’enfants, lorsque nous nous tirions dessus avec des bâtons de hockey en frêne blanc de la forêt de Sherwood, lesquels, une fois épaulés, se changeaient en M1 et en AK-47, les personnages que nous endossions s’appelaient Joe, Bob, Bill, Jack, leurs noms se résumaient à un prénom possédant, en général, une seule syllabe. C’était notre onomastique du temps de guerre, l’idée très bob-moranesque que nous nous faisions d’un héros. Alors si, dans les pages suivantes, j’appelle Cam Cam, c’est peut-être autant par un nostalgique souci d’efficacité langagière que pour obéir à une préoccupation sans doute plus impérative, liée à la confidentialité. Dans la vraie vie, Cam répond à un autre prénom, d’une seule syllabe, lui aussi.

    N’importe quelle syllabe aurait pu convenir. J’aurais pu l’appeler Gord, comme Gord Kluzak, l’ancien défenseur des Bruins de Boston, mais l’ai nommé Cam, comme Cam Neely des mêmes Bruins, un compteur de cinquante buts qui est déjà sorti avec Glenn Close et n’était pas commode à pousser de devant le filet, ou de son tabouret, au pub. Et ça n’a rien à voir avec Boston, mais peut-être pas complètement rien à voir avec le hockey, parce que la seule chose que je savais de L’Île-des-Sœurs avant que le dénommé Cam m’y donne ­rendez-vous, c’est qu’on pouvait y observer des hiboux dans sa partie boisée, et d’autres oiseaux de nuit, sans doute, dans les couloirs de ses tours à condos où ont l’habitude de se poser les hockeyeurs de passage – si j’en crois, du moins, Réjean Tremblay, l’homme des vraies-zaffaires-qui-ne-sortent-du-vestiaire-qu’emballées-dans-un-jockstrap.

    Je n’irai pas jusqu’à prétendre que j’ai l’intention de faire de notre Reggie national un personnage de ce livre, mais ça ne veut pas dire qu’il n’y fera pas une autre apparition.

    Et pourquoi ça?

    Parce que la trajectoire personnelle de l’hypermédiatique personnage n’est pas sans rapport avec la crise d’Octobre. Elle existe sous la forme d’une trace de plus dans le sillage des événements, dans cette histoire qui en est une de lectures croisées, de significations proliférantes aux ramifications qui se recoupent, en des allers et retours des textes à la réalité, peut-être infinis.

    Bienvenue dans ce livre, Réjean.

    La compagnie

    Sur la carte professionnelle de Cam, je lis un nom qui n’est ni Cam, ni le diminutif de quatre lettres auquel il répond dans la vraie vie. Sur cette carte, c’est écrit que son domaine d’activité est la sécurité internationale. International security affairs, ça dit. Y figurent aussi une adresse de courriel, un numéro de boîte postale à Notre-Dame-de-Grâce et deux numéros de téléphone. Les gens qui me l’ont présenté m’ont affirmé que Cam travaillait pour le Mossad, les services secrets israéliens. Ou qu’il était avec eux, faisait des affaires avec eux, peu importe. Je n’ai aucun moyen de savoir si c’est vrai. Il est notoire que le Mossad apprécie beaucoup les passeports canadiens, et la présence de patrouilleurs de cette armée de l’ombre à Montréal ne fait aucun doute. La sécurité internationale serait une couverture plausible, et même, à peine une couverture, en fait.

    Dans un article daté du début des années 1980 et paru dans un quotidien montréalais, on décrivait Cam comme un «expert en contre-espionnage et en questions de sécurité», jouissant d’une forme interlope de célébrité dans le milieu où se croisent, sous la couche de vernis de la respectabilité sociale ordinaire, agents secrets, taupes de la police et gang­sters. Cam n’avait pas forcément recherché une telle exposition médiatique, mais après avoir conçu une voiture james-bondesque équipée de gadgets antiterroristes, puis présenté son bébé dans le cadre d’un Salon de la sécurité et du crime, Place Bonaventure (ou ailleurs), il a dû en assurer la promotion.

    Le journaliste présentait Cam comme un baroudeur solitaire, peu causant par vocation, et attribuait à son agence de sécurité, laquelle procurait des services allant de la location de gardes du corps aux missions de sauvetage clandestines, en passant par l’espionnage et le contre-espionnage électroniques, des bureaux à Montréal et à Londres.

    On y faisait aussi état de ses liens supposés avec les Israéliens.

    Je sais une chose: j’ai une adresse à L’Île-des-Sœurs, et il n’est pas du tout évident, à première vue, de me faire une idée du domaine d’activité précis de l’entreprise qui y possède les bureaux dont

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