Découvrez des millions d'e-books, de livres audio et bien plus encore avec un essai gratuit

Seulement $11.99/mois après la période d'essai. Annulez à tout moment.

de DE SI JOLIES PETITES PLAGES
de DE SI JOLIES PETITES PLAGES
de DE SI JOLIES PETITES PLAGES
Livre électronique251 pages3 heures

de DE SI JOLIES PETITES PLAGES

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

De si jolies petites plages aborde la migration, en donnant la parole aux migrants. Ce livre documentaire d’une grande humanité, véritable ethnographie du milieu carcéral américain, est d’une dérangeante actualité.

Récit-reportage sur la première génération de boat people haïtiens qui a débarqué sur les côtes de Floride au début des années 1980. Tour à tour récit, entretien, chronique, théâtre aux accents blues, Jean-Claude Charles documente la tragédie de ces migrants emprisonnés pour « délit de recherche du bonheur ». L’écrivain se fait citoyen et s’engage dans une investigation frontale sur les boat people et la logique barbare des institutions et des États.
Un ouvrage coup de poing.
LangueFrançais
Date de sortie1 nov. 2016
ISBN9782897123918
de DE SI JOLIES PETITES PLAGES
Auteur

Jean-Claude Charles

Né en 1949 à Port-au-Prince et décédé à Paris en 2008, Jean-Claude Charles a quitté Haïti à l’âge de 21 ans. Il est l'auteur d’une œuvre immense, rééditée chez Mémoire d'encrier. Marguerite Duras a vu en lui le « meilleur écrivain d’aujourd’hui ». Poète et journaliste, il est aussi l'auteur d’essais et de romans, dont Sainte Dérive des cochons (1977) et Ferdinand, je suis à Paris (1987). Après Négociations (poésie), Manhattan Blues (roman), Bamboola Bamboche, De si jolies petites plages, Ferdinand je suis à Paris est son cinquième titre publié chez Mémoire d'encrier.

En savoir plus sur Jean Claude Charles

Auteurs associés

Lié à de DE SI JOLIES PETITES PLAGES

Livres électroniques liés

Fiction générale pour vous

Voir plus

Articles associés

Avis sur de DE SI JOLIES PETITES PLAGES

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    de DE SI JOLIES PETITES PLAGES - Jean-Claude Charles

    Jean-Claude Charles

    de si jolies petites plages

    MÉMOIRE D’ENCRIER

    Mémoire d’encrier reconnaît l’aide financière

    du Gouvernement du Canada

    par l’entremise du Conseil des Arts du Canada,

    du Fonds du livre du Canada

    et du Gouvernement du Québec

    par le Programme de crédit d’impôt pour l’édition

    de livres, Gestion Sodec.

    Mise en page : Virginie Turcotte

    Couverture : Étienne Bienvenu

    Prise de texte : Cécile Duvelle

    Dépôt légal : 3e trimestre 2016

    © Éditions Mémoire d’encrier

    Édition originale : Stock, Paris, 1982.

    ISBN 978-2-89712-390-1 (Papier)

    ISBN 978-2-89712-392-5 (PDF)

    ISBN 978-2-89712-391-8 (ePub)

    PQ3949.2.C4D48 2016      848’.914      C2016-941333-0

    MÉMOIRE D’ENCRIER

    1260, rue Bélanger, bur. 201 • Montréal • Québec • H2S 1H9

    info@memoiredencrier.com • www.memoiredencrier.com

    Fabrication du ePub : Stéphane Cormier

    du même auteur

    poésie

    Négociations, Paris, Éditions P.J Oswald, coll. « J’exige la parole », 1972; Montréal, Mémoire d'encrier, 2015.

    5+1 Lettres à Elvire, poèmes enveloppés d’une lithographie de Télémaque, Genève, Éditions Les Yeux Ouverts, 1990.

    Free 1977-1997, Paris, Sapriphage, no 33, 1998.

    essais

    Le Corps noir, Paris, Hachette / P.O.L, 1980.

    De si jolies petites plages, Paris, Stock, 1982.

    romans

    Sainte Dérive des Cochons, Montréal, Nouvelle Optique, 1977.

    Bamboola Bamboche, Paris, Bernard Barrault, 1984; Montréal, Mémoire d’encrier, 2016.

    Manhattan Blues, Paris, Bernard Barrault, 1985; Montréal, Mémoire d’encrier, 2015.

    Ferdinand, je suis à Paris, Paris, Bernard Barrault, 1987.

    À ma mère

    qui a travaillé

    toute sa vie

    pour aller au Ciel.

    remerciements

    Mémoire d’encrier entreprend la réédition des œuvres de l’écrivain Jean-Claude Charles. Un grand merci à sa femme Cécile Duvelle, sa fille Elvire Duvelle-Charles et à Martin Munro de Winthrop-King Institute for Contemporary French and Francophone Studies.

    Dear Master I rite you theas fue lines to imform you that I am very unwell but the rest of the family are well and I hope that theas fue lines wil find you the Saim

    Lettre d’un ancien esclave (Peyton Skipwith, Monrovia) à son ancien maître (John Hartwell Cocke, Virginia), 9 mai 1838.

    Cher Maitre je vous écri ce quelqe lignes pour vous informe que je ne suis pas bien du tout mais le reste de la famille son bien et j’espere que ce quelqe lignes vous trouveron de Meime.

    1

    ouverture

    Invitation au voyage.

    À Paris, dresser les cartes.

    Sans quoi, pas de navigation.

    1

    J’ai passé la journée à tirer sur cette satanée pipe de bruyère gainée de cuir, en écoutant Charlie Mingus, Haitian Fight Song. La contrebasse de Charlie m’a lâché en pleine nuit, avec ces idées qu’on dit noires… L’exode des Haïtiens, ça n’intéresse personne. Depuis la fin des années cinquante, ils prennent la mer, au péril de leur vie : ça n’intéresse personne. Ils sont bloqués, coulés, enfermés, refoulés : ça n’intéresse personne. Couples séparés, enfants déclarés « non accompagnés » et isolés, nouveaux arrivants détournés : ça n’intéresse personne. 13 % de gynécomastie chez les hommes, fausses couches provoquées chez les femmes : ça n’intéresse personne. Le jour où le baril de poudre explosera, le jour où le sang coulera, ça intéressera tout le monde, peut-être… Puis j’ai rêvé du chemin blanc. La nuit a fait son sûr travail de sape.

    2

    Chemin blanc où court un buggy sans cheval. Sur la banquette gît un corps, évanoui, endormi ou peut-être mort. Il porte un anorak rouge. À quelques mètres derrière, cavale un enfant qui tente manifestement d’arrêter la course du véhicule, avant qu’il n’aille percuter un arbre. Il porte une chemisette bleue. Attablé devant ma machine à écrire, regardant par la fenêtre se dérouler la scène, je tire doucement sur ma pipe.

    3

    La nuit a mis en place les voix. Celle qui communique et celle qui ne répond plus, celle qui informe et celle qui déparle, l’une n’existe pas sans l’autre, dans cette histoire il n’y a pas de héros positif.

    Quelques crapules, qui me réveillent.

    4

    Ils sont, au total, un million d’Haïtiens qui ont fui la dictature des Duvalier et le pays le plus pauvre du monde occidental. Haïti, c’était la colonie française la plus prospère, où les esclaves se révoltèrent vers la fin du xviiie siècle, fondant ainsi la première république noire du monde. Jean-Claude Duvalier, successeur désigné de son père François Duvalier, règne aujourd’hui sur ce baril de poudre avec la bénédiction de Washington. Jusqu’à quand? La sagesse populaire voit volontiers en ces dirigeants l’orage qui aura achevé la mise en ruine d’une société incendiée depuis belle lurette. L’Amérique de Reagan aura cherché à en finir avec les sinistrés eux-mêmes. Quelle sera la prochaine étape?

    5

    Cette manie, chaque fois qu’on parle d’Haïti, de remonter aux conquistadores. Il était une fois trois caravelles : la Pinta, la Niña et la Santa Maria… 6 décembre 1492. « Es una maravilla! » Les Indiens d’Haïti vont découvrir Christophe Colomb. On sait ce que le navigateur a dit : « C’est une merveille! » On ne sait pas ce qu’ils ont dit, les Indiens. On suppute, on devine, on échafaude… George Orwell, de mémoire : « L’Histoire n’est jamais écrite que par les vainqueurs » … La suite? Las!

    6

    Jadis, esclaves sur les plantations, on « allait marron » dans les montagnes. C’est ce que disaient les avis de recherche des fugitifs, publiés par la presse française de l’époque. C’était à Saint-Domingue – nom colonial d’Haïti – au xviiie siècle. Plus tard, sous l’occupation américaine (1915-1934), on menait la guerre de guérilla contre les marines. Aujourd’hui, on s’expatrie.

    7

    Cette manie, encore : on, nous… Nous sommes un million. Le chiffre chante dans la tête de chaque Haïtien-à-l’étranger. Être Haïtien-à-l’étranger, c’est une vraie nationalité. Citoyen du pays sans bornes de l’Exil. Il y a même un mot pour ça : diaspora. Un mot généralement attaché aux Juifs. Les Haïtiens-à-l’étranger sont les nouveaux Juifs des temps modernes. J’ai même rencontré un compatriote qui rêvait d’une Terre promise où pourraient se réunir tous les Haïtiens-à-l’étranger. Ils y construiraient, disait-il, une société idéale. Je me suis bien gardé de lui lancer la première pierre. Idéalisme pour idéalisme…

    8

    Et pourtant, affaire d’origine, de position de classe, de trajets biographiques singuliers, nos histoires ne sont pas identiques, interchangeables. Le refus de la tragédie constitue mal une mesure commune. Nous savons que ce refus n’en finit pas toujours avec la tragédie, avec la folie du pouvoir, avec la mort. Je dis « nous » par solitude.

    Hier encore, il y avait des contradictions secondaires et des contradictions principales. L’aspect principal des contradictions secondaires et l’aspect secondaire des contradictions principales. J’arrivai ainsi, de pas de claquettes en exercices de voltige, à lancer assez loin le yo-yo de la dialectique. Qui m’est finalement retombé sur la gueule.

    9

    « … je lui parlais (Frisch à Brecht) de l’Allemagne telle que je la connaissais de voyages, de Berlin détruit. Venez me voir rapidement, me disait-il, pour m’en dire plus. Peut-être ça vous arrivera aussi un jour, disait-il sur le perron de la gare, que quelqu’un vous parle de votre patrie et que vous l’écoutiez comme s’il vous parlait d’une contrée lointaine quelque part en Afrique » (Max Frisch, Journal 1966-1971).

    10

    À distance, le regard s’accommode.

    Une manière comme une autre de se compter, en deçà ou au-delà de toute querelle – sauf à porter le soupçon sur les chiffres ronds :

    New York, 300 000 Haïtiens; la Floride, 60 000; la République dominicaine, 300 000; les Bahamas, 40 000; le Québec, 30 000; la Guyane, 10 000; la France, 8 000; la Guadeloupe, 7 000…

    Jusqu’à 1 000 000. Un ordre de grandeur.

    11

    L’historique de cette émigration pourrait être résumé en trois vagues.

    La première remonte aux années vingt, c’est celle des braceros, les coupeurs de canne de la République dominicaine, à l’est de l’île d’Haïti, et de Cuba. Elle a une référence littéraire : le roman Gouverneurs de la rosée, de Jacques Roumain. Elle est toujours d’actualité, avec un trafic annuel de main-d’œuvre entre Haïti et la République dominicaine, justement assimilé à une forme d’esclavage par la Société antiesclavagiste de Londres. Entre les 28 258 travailleurs haïtiens recensés dans les centrales sucrières dominicaines en 1920 et cette condamnation morale, il y eut même un génocide, un de ces épisodes honteux de l’histoire des Caraïbes, vite chassé des mémoires : en 1937, les sbires du tyran Rafael Leonidas Trujillo massacrèrent plus de 12 000 braceros haïtiens dont personne ne savait plus quoi faire. Ces « incidents » (euphémisme officiel) n’empêcheront pas les pouvoirs des deux pays de se marier et d’avoir aujourd’hui beaucoup d’enfants… en dollars.

    La deuxième vague découvre l’Amérique à partir des années soixante. Cadres, hommes d’église, ouvriers, artisans, très peu de paysans… 48 443 résidences agréées entre 1963 et 1972 par le service américain de l’immigration (I.N.S., retenez ce sigle qui reviendra souvent), en plus du nombre incalculable d’installations illégales de « touristes » qui ont oublié(?) de rentrer au bercail. Cette vague touche également l’Europe où n’allait traditionnellement que la bourgeoisie et l’Afrique de la décolonisation en quête de cerveaux. Elle reste, comme la première, portée par des motivations économiques, mais…

    Avec la troisième vague, l’absurdité du maintien de la dichotomie économie / politique devient évidente. Pour la première fois, une paysannerie farouchement attachée à sa terre n’hésite pas à la quitter. Cette vague connaîtra sa première crête visible le 12 décembre 1972, avec l’arrivée des premiers boat-people haïtiens aux États-Unis : 65 personnes sur un bateau, acheminées vers des centres d’hébergement. Le Mayflower des damnés de la glèbe et du glaive.

    12

    Dehors, tombe soudain une grêle bruyante, était-ce bien ce jour-là? J’écris plus tard, j’ai pris des notes, des tonnes de mots accumulés sur des carnets de format 11 × 17 centimètres achetés dans une papeterie rue de Rennes. Je suis à Paris et retourne bientôt dans les Caraïbes. Je retourne? Inadéquat, chaque mot. Pour qui ne va nulle part, l’aller c’est le retour, et vice versa.

    Je suis un cow-boy de cinéma plié en quatre dans un paquet de chewing-gum Chiclets. Quand le vent gronde dans la forêt de ma mémoire, que ma vie tremble de tous ses os, je dégaine et tire plus vite que ma détresse elle-même bang!

    Je suis né à Port-au-Prince en 1949, j’ai fui à Guadalajara un matin du mois d’août de l’année 1970, je ne suis jamais retourné dans mon pays. Le tourbillon émotionnel domine le scénario. Bye bye Paris gris, ciel de plomb et macadam mouillé, à moi le grand soleil des Tropiques!

    Je hante mon exil par les mêmes chemins insensés, en tirant doucement sur ma pipe.

    Les premières traces inscrites sur le premier carnet : un nom propre, suivi d’une adresse et d’un numéro de téléphone. Puis un fragment d’Automne allemand du Suédois Stig Dagerman : « … c’est du chantage que d’analyser les idées politiques d’un affamé sans analyser en même temps sa faim ». J’aime les citations. Gain à la fois de parole et de silence. J’y reviendrai. Je reviens toujours.

    Cette envie, l’air de la France toujours respirable, de m’approcher le plus près possible d’Haïti. Peut-être le pas final : sauter dans l’avion San Juan - Port-au-Prince, comme ça. Traque de quoi?

    Les billes de glace frappent aux carreaux, jonchent la moquette, fondent aussi vite. Je vois des palmiers. Moi, je suis malade de ma mère, ce morceau d’île qui baigne entre Cuba et Porto Rico.

    Cette maladie n’a pas nom nationalisme. Je ne parle pas de « retour aux sources ». La blessure vient de plus loin. Si je savais d’où, je n’écrirais plus un mot. Le voyage est une ascèse. Taraudé par la terre de mon enfance, mais homme d’écriture et de plusieurs cultures, je n’ai pas d’autre patrie que les mots. Pas d’autre pari que celui de faire connaître un espace et un exil mal connus.

    13

    Ce calcul, constamment excédé : lever le black-out insupportable sur un naufrage collectif.

    L’excès, le je.

    Le moindre mal.

    14

    « Mon père a fait la révolution politique. Moi, je ferai la révolution économique », déclara Baby Doc lorsqu’il prit les rênes de cette république monarchique, après la mort de Papa Doc en 1971. Les Haïtiens savaient un an plus tard ce que cela voulait dire. L’aggravation du bilan de François Duvalier : un taux d’analphabétisme de 78 %; 17 % seulement des enfants de cinq à 14 ans fréquentant l’école; une espérance de vie à la naissance de 47 ans et demi; un revenu per capita annuel de 75 dollars croissant au rythme de 1 % pour une population augmentant deux fois plus vite¹… Ils le savaient hors statistiques, concrètement : famine dans l’arrière-pays, peuplement persistant des prisons, boat-people partant sans demander leur reste… « Pitit tig, sé tig » [Le petit du tigre est un tigre] a également déclaré Jean-Claude Duvalier. La loi du père.

    15

    « Après ce que nous a apporté la révolution duvaliériste, je ne veux plus entendre parler de révolution », me dit R., devenu coursier à Chicago. La dictature haïtienne, anticommuniste, n’a pas cessé d’utiliser les concepts liés au mouvement ouvrier mondial. Ainsi la « lutte des classes » désigne-t-elle un conflit entre Noirs et Mulâtres, « la collaboration de classes » devenant quelque chose comme le moment marqué par le mariage (qui a coûté cinq millions de dollars, en mai 1980) du fils Duvalier et de Michèle Bennett, symbole du retour sur la scène politique de la vieille bourgeoisie mulâtre qui n’avait jamais déserté la scène économique. Étape nécessaire sans doute vers la « société sans classe ».

    Ce système est unique. Comme est unique sa batterie rhétorique – « révolution », « lutte des classes », etc. mais aussi : « sublimes va-nu-pieds de l’arrière-pays », « apothéose de la dignité intégrale », « survivre sous la protection des Dieux antiques de la Race »…, socialisme magique et nationalisme torse bombé sur fond de rafales de mitraillettes et d’hémoglobine. Comme est unique la situation de ces boat-people fuyant vers une Amérique qui soutient le régime qui les fait fuir.

    Comprendre l’histoire contemporaine d’Haïti, c’est oublier les sens convenus, se mettre à l’écoute d’une horreur inouïe, tenter d’accéder à l’intelligence d’un cas limite. Le drame des Haïtiens, c’est aussi cela : la difficulté pour l’opinion de percevoir la réalité haïtienne au-delà des appareils conceptuels figés ou des observations touristiques, au-delà des chiffres ou des codes narratifs glacés.

    (R. me parle de son boulot, me disant – tout ça très lentement – que « courir ça me connaît », qu’il ne fait même que ça depuis sa naissance et que de toute façon il est déjà statistiquement mort. Il frise la cinquantaine.)

    16

    Quand j’étais petit, Haïti était grande… presque comme la Belgique. Maintenant je mesure 1 m 92, le pays a rapetissé : 27 750 kilomètres carrés, d’après les organisations internationales. De quoi avoir mauvaise conscience, si une longue fréquentation des statistiques portant sur la « perle des Antilles » ne m’avait pas appris à me méfier. Les manuels de mon enfance ne disaient pas la vérité, c’était moins par mégalomanie que par ignorance.

    D’où la précaution de langage que voici : il semble qu’Haïti comptait 4 920 000 habitants en 1980, à raison de 177 personnes au kilomètre carré. Que la capitale, Port-au-Prince, contenait environ 800 000 personnes (impression de manif permanente dans le centre-ville). Que 31 % seulement des terres étaient cultivables (café, maïs, sorgho, pois, canne à sucre, bananes, riz, cacao, légumes – ne pas trop en jeter, le café étant la seule culture commerciale). Que 200 familles s’enrichissaient et s’enrichissent encore sur la misère de la masse des citoyens, lesquels d’ailleurs tiennent difficilement le coup devant les dix facteurs suivants : avitaminose et malnutrition, pneumonie, tétanos, entérite et diarrhée, tuberculose, maladies cérébrovasculaires, tumeurs malignes, maladies cardiovasculaires, hypertension et accident prénatal ou postnatal. Là-dessus, le ministère américain de la Santé est formel².

    Je complète. Un accident postnatal peut être dû à un certain nombre d’objets blessants. Comme la badine (exemple : Untel, paysan, reçoit un distant et léger coup de badine sur l’épaule en guise de salut, à quoi il réplique imprudemment). Le stick (cuir rigide, moderne, américain). La rigouaz (nerf de bœuf, colonial, invention française à Saint-Domingue, à utiliser sur

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1