Nos ancêtres les premiers hippies
Par Gabrielle Lebeau
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À propos de ce livre électronique
Gabrielle Lebeau
Diplômée en création littéraire et en psychologie, Gabrielle Lebeau a publié une biographie de Claude Dubois (2017) et le roman Partie (2018). En 2021, elle est récompensée pour trois œuvres littéraires, dont Nos ancêtres, les premiers hippies, qui remporte la Bourse d’écriture Charles Gagnon de l’UNEQ. Ses deux autres projets, récipiendaires de bourses du CALQ, sont inspirés de ses expériences comme intervenante avec diverses clientèles: femmes sans-abri, usagers en dépendances, jeunes issus de classes spéciales et normales, enfants avec diagnostic d'autisme, etc.
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Aperçu du livre
Nos ancêtres les premiers hippies - Gabrielle Lebeau
De la même auteure
Biographie, Claude Dubois, Éditions Les intouchables (2017)
Partie, Éditions Cornac (2018)
Catalogage avant publication de Bibliothèqueet Archives nationales du Quebec et Bibliothèque et Archives Canada
Titre: Nos ancêtres, les premiers hippies / Gabrielle Lebeau.
Noms: Lebeau, Gabrielle, 1991- auteur.
Description: Comprend des références bibliographiques.
Identifiants: Canadiana (livre imprimé) 20230063993 | Canadiana (livre numérique) 20230064000 | ISBN 9782924782743 (couverture souple) | ISBN 9782924782767 (PDF) | ISBN 9782924782750 (EPUB)
Vedettes-matière: RVM: Premières Nations—Québec (Province)—Histoire—17e siècle. | RVM: Premières Nations—Québec (Province)—Mœurs et coutumes. | RVM: Premières Nations—Québec (Province)—Politique et gouvernement. | RVM: Contre-culture—Québec(Province)—Histoire—20e et 21e siècles. | RVM: Québec (Province)—Civilisation—Influence des Peuples autochtones. | RVM: Québec (Province)—Histoire—17e siècle.
Classification: LCC E78.Q3 L43 2023 | CDD 971.4004/9709032—dc23
Édition: Sylvain Harvey
Mise en page: Julia Harvey
Conception de la couverture: Kinos
Imprimeur: Marquis Imprimeur
Première édition, 2023
© Éditions Sylvain Harvey
ISBN 9782924782743
Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés; toute reproduction d’un extrait quelconque de ce livre par quelque moyen que ce soit est strictement interdite sans l’autorisation écrite de l’éditeur.
Imprimé au Canada
Dépôt légal – Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2023
Dépôt légal – Bibliothèque et Archives Canada, 2023
Les Éditions Sylvain Harvey remercient la Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC) pour son aide à l’édition et à la promotion.
Gouvernement du Québec – Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres – Gestion SODEC
Le livre est aussi offert en version numérique (ePUB et PDF)
ISBN: 9782924782750 (ePUB) 9782924782767(PDF)
À ma tante Françoise Larochelle
que je cite
«On n’est pas des Français. Les Québécois, on est une race àpart!»
À la mémoire de mes ancêtres, Jean Nicollet, Guillaume Couture et cette arrière-arrière-grand-mère abénakis dont la généalogie n’a pas su retenir le nom.
Table des matières
Avant-propos: Amnésie d’une nation privée d’identité
Du haut d’une tour assez haute
Ethnocentrisme, ouverture et enculturation
Quelques mots sur l’étymologie
Introduction
Les Indiens blancs
Make love, not war
Nos ancêtres hippies
Chapitre 1 Le voyage
L’échec de l’assimilation
Les Américains dans l’œil du voyageur
Le pouvoir de la langue
La médecine
L’influence de l’Amérique
Chapitre 2 Le retour à la nature
La vie dans les bois
L’environnement donateur
De civilisé à sauvage
L’échec de l’assimilation française
Chapitre 3 Les cosmologies autochtones
Croyances partagées
L’animisme
Les rituels
Les chamanes, jongleurs ou sorciers
Catholicisme, animisme et… athéisme
Chapitre 4 L’amour libre
Sans tabou
L’hors-normativité
Mariages «à la façon du pays»
Les Métis
Le métissage
Chapitre 5 La communauté
Égalité
La place des femmes, enfants et aînés
Le cercle
Les leaders
L’esprit communautaire
Chapitre 6 L’idéologie pacifiste
Le système politique
Les négociateurs de paix
Confiance, libéralité et générosité
La Grande Paix de Montréal
Massacre et métissage
Le Québécois
L’identité autochtone
La guérison: culture, éducation, judiciarisation
Atateken
Glossaire de nos ancêtres hippies
(~1610) Étienne Brûlé
(1618) Jean Nicollet
(1632) Père Le Jeune
(1636) Père Paul Ragueneau
(~1637) Pierre Boucher
(~1639) Guillaume Couture
(1639) Mère Marie de Saint-Joseph
(1639) Mère Marie de l’Incarnation
(1639) Marie-Madeleine de la Peltrie (de Chauvigny)
(1643) Madame Barbe de Boullongne
(1660) Nicolas Perrot
(1664) Père Louis Nicolas
(1666) Père Bruyas
(1670) Baron de Saint-Castin
(1675) Père Chrétien Le Clercq
(1711) Père Joseph-François Lafitau
Remerciements
Notes de fin
Avant-propos: Amnésie d’une nation privée d’identité
… qu’avons-nous en commun avec lord Elgin, le marquis de Denonville ou la princesse Louise Caroline Alberta, quatrième fille de la reine Victoria? Nous sommes plutôt les enfants de femmes briseuses de conventions, les rejetons d’hommes libres et d’Indiens souverains. Nous descendons de ceux et celles qui ont fait une «nouvelle nation» ainsi que la rêvait Louis Riel, dans le rire, dans le courage, dans le mélange des genres; avons-nous hérité de tout cela pour nous retrouver à la fin, privés de mémoire et orphelins de pays¹?
(Serge Bouchard et Marie-Christine Lévesque, Ils ont couru l’Amérique: De remarquables oubliés, Tome 2)
Nombreux ont pris les armes – leur crayon, leur microphone -, pour dénoncer ce qu’ils nommeront tour à tour l’amnésie, l’oubli ou l’effacement de notre histoire. Le rappeur Manu Militari chante Je me souviens pour décrier ce que les Québécois ignorent de leur propre histoire. La devise du Québec, Je me souviens, est en effet questionnable: de quoi nous souvenons-nous?
Lorsque j’ai commencé à fouiller les bibliothèques à la recherche d’arguments soutenant cet essai, j’étais excitée à l’idée de renouer avec une parcelle de mon identité que je n’avais pas encore pris le temps d’explorer: j’avais ouï dire que dans mon sang coulait celui d’une femme des Premières Nations, d’une arrière-arrière-arrière-grand-mère que l’on avait vue fort vieille en photo. J’avais espoir de me reconnecter avec ces gènes inactivés par mon monde industriel et ma pensée colonisée. J’avais espoir d’expliquer enfin mon propre malaise, depuis l’enfance, dans une société qui ne me ressemblait pas.
Je ne savais pas encore ce que cela signifiait que d’être «autochtone» au 17e siècle. Je n’en avais formé qu’une vague idée à partir des images des manuels scolaires, entre plumes et tortures iroquoises. Mais au fil des centaines et des centaines de pages lues avidement dans une cinquantaine d’ouvrages écrits depuis le 17e siècle, j’ai compris pourquoi je m’étais sentie si peu à ma place là où j’avais grandi, pourquoi je m’étais cherchée bien loin sur les autres continents, me retrouvant chaque fois un peu davantage, mais jamais totalement, pourquoi ma sensibilité rendait trop souffrante la vie que je me sentais obligée de mener. J’ai compris pourquoi je me sentais à ce point perdue: comme l’ensemble des Québécois, je ne connaissais même pas l’histoire de mon identité!
Nous, Québécois, sommes victimes d’un oubli collectif, un phénomène que Gilles Havard, auteur et historien spécialiste des relations entre Européens et Autochtones en Amérique du Nord (du 16e au 19e siècle), attribue au francocentrisme. On a préféré dissimuler l’échec de l’entreprise colonisatrice française: «La France coloniale demeure un no man’s land de l’historiographie française, a fortiori lorsqu’il s’agit de colonies anciennes comme la Louisiane ou le Canada, qui pour avoir été exclues très tôt de l’empire (en 1763) […] ont disparu de notre mémoire collective». Selon Havard, l’histoire du Canada du 16e au 18e siècle demeure un champ d’études déserté².
De fait, une poignée de fondateurs ornent nos manuels scolaires tandis que de nombreux personnages fascinants de la Nouvelle-France demeurent dans l’ombre: le chef huron Kondiaronk, Isabelle Bouc alias Élisabeth Montour, Davy Crockett alias David de Crocketagne, Nicolas Perrot, Lamothe Cadillac, le baron de Lahontan, ou encore le baron de Saint-Castin, devenu chef amérindien.
Marjolaine Saint-Pierre publie en 1948 un livre au sujet de ce dernier. Elle y rappelle que l’histoire du Nouveau Monde s’est forgée au fil des siècles par la rencontre de divers peuples: «L’Amérique du Nord est une terre conquise et toutes les vagues d’immigrants venus d’Asie, par un pont terrestre temporaire, ou de l’Europe par mer, avaient leurs propres raisons de prendre le risque du voyage.» En ce qui concerne les livres d’histoire du début du 20e siècle, l’auteure n’y va pas de main morte:
Pour minimiser les tensions, le Canadien moderne préfère, il me semble, le chemin de l’oubli. Comme si, en enseignant peu ou pas d’histoire dans nos écoles, en effaçant volontairement les traces de son passé et de sa mémoire, en ignorant sa place dans l’aventure humaine, on pouvait se réinventer un monde meilleur³.
Gilles Havard avance qu’une stratégie aura été d’entretenir le mythe d’une collaboration extraordinaire entre les colonies françaises et les nations autochtones:
L’historiographie (française, canadienne et états-unienne) a même toujours su mettre en valeur la capacité particulière qu’auraient eue les Français à s’entendre avec les peuples autochtones, et en Amérique du Nord plus qu’ailleurs. Cette prétention, née dès l’époque de Louis XIV, fut consacrée sous la IIIe République dans la «thèse du génie colonial»⁴.
L’idéalisation de la colonisation française se construisait en contraste à la situation des colonies voisines. Ainsi, l’historien américain Francis Parkman écrivait: «La civilisation hispanique a écrasé l’Indien; la civilisation britannique l’a méprisé et négligé; la civilisation française l’a adopté et a veillé sur lui». Une étude approfondie de l’histoire de la Nouvelle-France permet de défaire ce mythe. Comme le souligne Gilles Havard dans L’aventure oubliée de la Nouvelle-France, l’histoire n’est pas dénuée de relations conflictuelles entre les Français et les nations autochtones, notamment les Iroquois de la ligue des Cinq Nations (jusqu’en 1701), les Renards (de 1712 aux années 1730) ou les Natchez (à partir de 1729)⁵.
D’une part, il est impossible de nier les ravages des occupations européennes sur les peuples autochtones, d’autant plus que les horreurs se perpétuent jusqu’aujourd’hui. À cause de l’ignorance de l’ensemble des Québécois, l’absence d’une prise de conscience et d’action sociétale perdure cruellement. D’autre part, il est impensable d’occulter plus longtemps la réelle assimilation survenue lors de la colonisation française, soit l’inverse de celle planifiée.
Au fil de mes lectures, j’ai compris que je ne me retrouverais jamais ailleurs autant qu’ici, en Amérique du Nord. Mes rêves, mes instincts et mes préférences naturelles, dont je cherchais la source depuis quelques années, coulaient dans mes veines depuis ma naissance et s’inscrivaient sur ce territoire qu’avaient foulé ensemble mes ancêtres européens et autochtones. Au cœur de mes recherches, je suis tombée sur un énoncé qui a résonné en moi: le sang des Autochtones est si puissant que, là où il coule, il crée une brèche. J’ai toujours eu en moi cette brèche ouverte, cette tendance innée, trop criante pour être ignorée, à préférer une vie honnête en accord avec la nature.
«Honorer la vérité, réconcilier pour l’avenir»: la rupture de l’ignorance est la pierre d’assise de la Commission de vérité et réconciliation du Canada (2015), qui recueille des témoignages sur les effets de l’assimilation subie depuis le 17e siècle. Jusqu’aujourd’hui, «les jeunes des Premières Nations, Inuits et Métis sont à la recherche de leur identité, ce qui comprend leurs langues et leurs cultures⁶.»
La rupture de l’ignorance est aussi la mission à laquelle je souhaitais prendre part à travers cet essai. Je vous propose donc un voyage avec ceux qui ont su traverser respectueusement les terres d’autrefois, ces lieux transformés sur lesquels nous marchons aujourd’hui, à la rencontre de ceux que nous avons étouffés et que nous devons écouter: les Premières Nations, Inuits et Métis.
Du haut d’une tour assez haute
[L’étranger] devient essentiellement l’homme qui doit remettre en question à peu près tout ce qui semble aller de soi aux membres du groupe qu’il aborde. À ses yeux, le modèle culturel de ce groupe ne possède pas l’autorité d’un système de recettes éprouvées, précisément parce que lui ne partage pas ce modèle…
(Alfred Schütz, L’Étranger)
Au contact d’une autre culture, le jugement est une réaction inévitable: pour saisir l’essence de l’Autre, nous tentons de le catégoriser selon nos propres modèles culturels. Ainsi, la société québécoise véhicule au sujet des communautés autochtones d’innombrables stéréotypes et préjugés, de la critique jusqu’à l’idéalisation…
Ethnocentrisme, ouverture et enculturation
Comment contrebalancer les siècles de désinformation dont nous avons fait les frais en raison de la doctrine de la découverte? En tant que peuples autochtones, nous devons nous réapproprier notre histoire. Dans cet objectif, et pour nous donner de nouveaux repères en la matière, nous déciderons de profiter d’une initiative de la province de financer la réalisation d’une étude sur l’usage traditionnel des terres des Premières Nations. […] Certains membres de ma communauté sont sceptiques. «Pourquoi chercher à prouver que nous étions réellement ici?» demandent-ils. «Nous savons que nous étions ici. Ce sont les Blancs qui devraient investir dans ces recherches.»⁷
(Décoloniser le Canada, cinquante ans de militantisme autochtone, Arthur Manuel)
L’ethnocentrisme, mécanisme incontournable de la pensée, se manifeste lorsque le voyageur analyse une culture étrangère en utilisant les normes et les valeurs de sa propre société. Dans les mots d’Alfred Schütz, «cette idée du modèle culturel du nouveau groupe que se fait l’étranger à partir du schéma interprétatif propre à son groupe natal trouve son origine dans l’attitude d’un spectateur désintéressé⁸.» L’attitude ethno-centrique sera plus marquée chez certains auteurs de la correspondance coloniale française.
On découvrira par exemple dans les lettres de Marie de l’Incarnation que, bien que dévouée, elle est souvent prisonnière de sa propre culture, convaincue de la supériorité de l’éducation française par rapport à celle des Autochtones.
La recherche sur l’époque coloniale pose une difficulté que Gilles Havard résume bien: «Une réflexion critique s’impose sur la nature et la qualité des sources écrites. Les manuscrits de la correspondance coloniale forment la moelle épinière de notre corpus documentaire.». Confronté à cette problématique de l’ethnocentrisme des sources lors de la rédaction de ses nombreux ouvrages, il en énumère les principales difficultés:
Tous ces documents, qui composent un corpus de sources relativement homogène, ne sont évidemment pas marqués par le sceau de l’objectivité. L’information relative aux Amérindiens, en particulier, est rapportée à travers le prisme déformant de l’ethnocentrisme, et il s’avère donc délicat de déterminer avec certitude les raisons qui les ont poussés à agir de telle ou telle façon. Il s’agit de documents écrits, qui nous parlent de l’extérieur de peuples de tradition orale. Les auteurs, qui sont européens ou d’origine européenne, s’inscrivent tous par ailleurs dans une dynamique de conquête: ce sont des acteurs de la colonisation. Ce sont en outre exclusivement des hommes, et leur vision des sociétés indiennes est particulièrement faussée par ce biais de masculinité. Ils ne peuvent pas en somme se livrer à une lecture objective, neutre, ethnographique, des sociétés amérindiennes⁹.
Pour composer l’essai Nos ancêtres, les premiers hippies, j’ai privilégié les textes autobiographiques: ceux dont l’auteur, tantôt ébahi, tantôt choqué, écrit lui-même son expérience personnelle. Ces archives nous permettent de découvrir le «Nouveau-Monde» à travers les lunettes de l’auteur, afin que le lecteur puisse y déceler sa subjectivité plutôt que de se voir imposer une fausse objectivité. Lorsque possible, j’ai comparé les descriptions des coutumes et rituels à celles aux publications d’auteurs des Premières Nations qui s’emparent du crayon des siècles plus tard, décidés à documenter leurs coutumes ancestrales transmises depuis toujours de bouche à oreille, mais étouffées par la colonisation.
La beauté de l’anthropologie, à travers la lecture ou l’expérience du voyage, est cette possibilité de prendre conscience de notre ethnocentrisme: confrontés aux différences et aux similarités d’une autre