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Lamidalisme, colonialisme, esclavage et génocide des autochtones au nord Cameroun. Aux confins de l'expérience cachée des "Fali"
Lamidalisme, colonialisme, esclavage et génocide des autochtones au nord Cameroun. Aux confins de l'expérience cachée des "Fali"
Lamidalisme, colonialisme, esclavage et génocide des autochtones au nord Cameroun. Aux confins de l'expérience cachée des "Fali"
Livre électronique352 pages4 heures

Lamidalisme, colonialisme, esclavage et génocide des autochtones au nord Cameroun. Aux confins de l'expérience cachée des "Fali"

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À propos de ce livre électronique

Au nom de la "civilisation" et du "salut", la conquête peule et les colonisations allemande et française des débuts du 19e et du 20e siècles ont soumis les Autochtones du nord Cameroun à des atrocités telles que les massacres, le génocide, l'esclavage, la castration, la discrimination, les brimades, les insultes, les perséc

LangueFrançais
Date de sortie21 août 2021
ISBN9781777859442
Lamidalisme, colonialisme, esclavage et génocide des autochtones au nord Cameroun. Aux confins de l'expérience cachée des "Fali"

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    Aperçu du livre

    Lamidalisme, colonialisme, esclavage et génocide des autochtones au nord Cameroun. Aux confins de l'expérience cachée des "Fali" - Richard Atimniraye Nyelade

    Remerciements

    Le monde est meilleur grâce aux personnes qui veulent aider et soutenir les autres à réussir. Ce qui le rend encore meilleur, ce sont les personnes qui partagent le don de leur temps pour guider les futurs leaders. Merci à toutes celles et ceux qui ont apporté leur contribution de toute nature à l’aboutissement de ce projet historique.

    Nos remerciements vont d’abord à l’endroit de nos épouses et enfants respectifs pour nous avoir soutenus, accompagnés et créé l’environnement idoine pour l’écriture de ce travail monumental.

    En outre, sans les expériences et le soutien des membres de la communauté Nimango (ASFA, JENAD), des ressortissants du nord Cameroun ainsi que des Camerounais et Africains en général, cet ouvrage n’aurait pas vu le jour. Vous avez enrichi ce travail de vos inestimables apports.

    Avoir une idée et la transformer en un livre est aussi difficile qu’il y paraît surtout. L’expérience est à la fois stimulante et gratifiante tant sur le plan interne qu’externe. Nous tenons tout particulièrement à remercier les personnes qui ont contribué à la réalisation de ce projet à travers des conseils et des encouragements continuels. Un grand merci au journaliste Madi Ezéchiel pour la lecture de la première mouture et les belles remarques fournies. Nous exprimons aussi notre gratitude à l’endroit du Professeur Christian Mbarga de St-Thomas University en Colombie Britannique et Léandre Larouche de Trivium Writing pour les conseils d’écriture, d’édition et de publication. Nous sommes reconnaissants au Doyen Alawadi Zelao de l’Université de Dschang d’avoir proposé le sous-titre de cet ouvrage.  Merci à Jean-Paul Samba Epape, Alain Flaubert Takam, Vincent Chatué, Emmanuel Poukpa pour les encouragements continuels.

    Nous ne saurions tarir de gratitude envers l’Université d’Ottawa et tout son personnel enseignant qui ont pourvu l’essentiel de la documentation de cet ouvrage. Les ressources de la Bibliothèque Morisset ainsi que les documents électroniques dont l’accès nous a été facilité grâce à l’affiliation à cette université, nous ont été d’un apport incommensurable.

    Préface

    Parmi les leçons que nous devrions mémoriser par cœur pendant notre scolarité primaire et secondaire figurait en bonne place la découverte de l’Amérique par le navigateur Christophe Colomb dans nos programmes d’Histoire/Géographie. Pendant ce parcours, on nous apprend qu’en 1492, Christophe Colomb est le premier Européen à avoir lancé un mouvement de colonisation de l’Amérique aussi appelé « Nouveau Monde ». Généralement, ces leçons se poursuivaient par l’arrivée d’autres Européens qui ont commencé à explorer et à coloniser le continent grâce à leur « bravoure », et leur « travail dur » jusqu’à ce qu’émergent les États-Unis d’Amérique, le plus puissantpays du monde. De plus, certaines leçons montraient l’œuvre des missionnaires envoyés pour le salut des envoyés pour sauver les âmes des "païens indiens ». Cette histoire quasi romantique mentionnait peu ou pas que des êtres humains à qui l’on donnera le nom d’« indiens » habitaient ces territoires avant l’arrivée des colons occidentaux.

    En dehors des livres d’Histoire/Géographie, la majorité des films américains que nous regardions dans les années 90 nous montrait la performance et la bravoure des Westerns dans le maniement des armes surtout quand il était question d’éliminer les « sauvages indiens » qui faisaient obstacle à leur « mission civilisatrice et salvatrice » de l’Amérique. Ces récits épiques provoquaient très vite l’admiration des téléspectateurs parce qu’ils présentaient les « indiens » comme les assaillants face aux westerns qui agissaient le plus souvent en légitime défense. 

    Presque jamais, ces films n’évoquent les « indiens », c’est-à-dire les autochtones du pays connu aujourd’hui sous le nom des États-Unis d’Amérique. C’est justement à propos d’une telle situation qu’un adage africain affirme : « tant que les lions n’auront pas leurs propres historiens, les histoires de chasse ne peuvent que chanter la gloire du chasseur ». Pourtant grâce aux travaux de plusieurs chercheurs (Corten, 2009) et grâce à l’activisme des autochtones eux-mêmes, l’opinion mondiale est progressivement en train de découvrir les manipulations mises sur pied par les premiers Européens et perpétuées par leurs descendants pour blanchir les horreurs, les massacres et les atrocités qu’ils ont commis contre les innocents autochtones des Amériques qui vivaient en parfaite harmonie avec la société et avec la nature. Des massacres qui frisent même le génocide selon certains auteurs (Madley, 2016). En effet, comme le remarque Pierre Jacquet (2010), à la fin du xixe siècle, on ne compte plus que 260 000 Amérindiens sur les 2 à 20 millions estimés au xve siècle sur le territoire des États-Unis actuels. C’est d’ailleurs pour cela que Pierre Jacquet estime que depuis la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb, jusqu’à nos jours, les États-Unis font preuve d’une « politique étrangère criminelle ». Au vu de toutes ces horreurs, l’on est en droit de se dire que les manipulations dans certains livres d’histoires, dans certains films et par plusieurs autres canaux, nous ont conduits à considérer les bourreaux pour les victimes et les victimes pour les bourreaux. C’est en tout cas ce que pense Daniel Paul (2006) à travers le sous-titre de son ouvrage : « Ce n’est pas nous les sauvages ». Cependant la violence coloniale n’est pas l’apanage des États-Unis d’Amérique.

    Tout comme la colonisation des autochtones d’Amérique par les États-Unis à partir du XVe siècle, les autochtones du nord Cameroun, au nombre desquels les « Fali » ont été une triple colonisation : peule, allemande et française. En dépit de la résistance des autochtones en légitime défense face aux assaillants, ils ont été victimes d’actes horribles et violents tels que des massacres, l’esclavage et la castration (Lovejoy, 1978; Njeuma, 1978; Bah, 2013; Temgoue, 1994; Socpa, 1999; Issa, 2005, 2013). Pendant que plusieurs pensent que l’histoire de la conquête peule du nord Cameroun s’est arrêtée avec l’arrivée des Allemands dès la fin du XIXe siècle, et que celle des Allemands s’est arrêtée en 1919, à la fin de la Première Guerre mondiale, qu’en fin celle des Français s’est achevée en 1960 avec l’accession du Cameroun à l’indépendance, la présente étude montre la complicité des trois forces exogènes dans l’extermination et l’assujettissement des autochtones « Fali » et la permanence de ces actes dans la configuration des rapports sociaux actuels entre ceux qui se revendiquent des forces endogènes ou exogènes.

    Pour ce faire, la présente analyse s’enracine dans le concept de colonialité du pouvoir mise sur pied par Anibal Quijano (2000; 2007) et de mort sociale d’Orlando Paterson (1985). Par la colonialité du pouvoir, Anibal Quijano entend nommer les structures de pouvoir, de contrôle et d’hégémonie qui ont émergé au cours de l’ère moderniste, l’ère du colonialisme, qui s’étend de la conquête des Amériques à nos jours.

    À partir de la perspective de Quijano, cette étude cherche à montrer que la colonialité du pouvoir peut s’observer à travers l’héritage de la conquête peule, des colonisations allemande et française sous la forme d’une matrice qui opère par le contrôle ou l’hégémonie sur l’autorité, le travail, la sexualité et la subjectivité des autochtones du nord Cameroun. Cette hégémonie se manifeste dans les domaines pratiques de l’administration politique, de la production et de l’exploitation, de la vie personnelle et de la reproduction, de la vision du monde et de la perspective interprétative.

    La colonialité du pouvoir aboutit à la mort sociale des autochtones du nord dans le sens où l’entend Orlando Patterson. Patterson définit d’abord l’esclavage comme l’une des forces extrêmes de la relation de domination, approchant les limites du pouvoir total du point de vue du maître, et de l’impuissance totale du point de vue de l’esclave. La mort sociale a eu des effets à la fois internes et externes sur les esclaves, changeant leur vision d’eux-mêmes et la façon dont ils étaient considérés par la société au point où dans un mémorandum adressé au chef de l’État du Cameroun, les autochtones « Fali » du nord Cameroun disent se sentir « comme des étrangers sur leurs terres ancestrales ».

    L’objectif recherché à travers un tel travail n’est pas de réveiller les vieux démons, mais la réparation. Pour ce faire, l’ouvrage recherche la justice sociale et la dignité humaine en rappelant le chemin parcouru dans la formation de ce que nous connaissons aujourd’hui comme le nord Cameroun. Si nous voulons avancer vers l’idéal de l’égalité raciale et ethnique, nous devons nous débarrasser des éléments qui ont contribué à rendre asymétriques les rapports sociaux dans cette partie du pays afin que transparaisse la véritable humanité loin des injustices, des replis identitaires et des réflexes grégaires primaires. Pour y parvenir, il nous faudra nous débarrasser des formes post-conquête de conquête et post-coloniales de colonialisme. En bref, il sera question de nous « déconquêtiser » et de nous décoloniser en nous débarrassant de tout système eurocentrique, mais aussi « fulbécentrique ». Pour comprendre ce que cela signifie, nous devons examiner l’histoire de l’émergence de la conquête et de la colonisation pour aboutir à la réalité contemporaine au nord Cameroun où les autochtones dont le peuple « Fali » sur lequel se concentrera notre travail, se trouvent discriminés politiquement, socialement et culturellement. Mais avant d’y arriver, il serait loisible de donner un aperçu de la vie des « Fali » avant la conquête et la colonisation.

    Introduction

    Des dix régions qui constituent le découpage administratif du Cameroun, le Grand-Nord, composé de trois régions à savoir l’Adamaoua, le Nord et l’Extrême Nord, présente une singularité historique orchestrée par les conquêtes peules et la colonisation allemande et française. L’objet de notre réflexion est de montrer que ces événements consécutifs dans le temps ont eu de graves répercussions tant sur l’aspect physique que sur l’organisation socioculturelle et politique des premiers occupants que nous désignons par le terme « autochtones », contrairement au terme « allochtones » qui renvoie aux occupants de seconde vague ou étrangers (Socpa 1999 : 61). La conquête peule qui ciblait des peuples autochtones du Nord Cameroun fait de leur origine ethnique (non peule) et du fait de leur croyance (non musulmane) et les colonisations allemande et française qui ajoutent l’élément racial et raciste aux atrocités antérieures, nous amènent aujourd’hui à parler de génocide. Parmi ces Autochtones, connus sous l’appellation de « Kirdi », les Nimango dont le terroir ancestral se trouve dans les départements de la Bénoué (chef-lieu Garoua) et du Mayo-Louti (chef-lieu Guider), dans la région du nord Cameroun, présentent un intérêt particulier. Avant de revenir au caractère génocidaire de la conquête et des colonisations au nord Cameroun, un bref survol terminologique s’impose sur les termes « Kirdi » et « Fali ».

    Le mot «Kirdi» est polysémique et serait d’origine baguirmienne et signifie généralement « païen » (Guillou ; Moingeon, 2000). Au nord Cameroun, il renvoie à l’ensemble de populations africaines du type paléo-nigritique qui se revendiquent comme autochtones dans les trois régions qui constituent le nord Cameroun. Ce terme précédemment utilisé par les conquérants peuls avec son équivalent « kado » a été repris par les colonisateurs allemands et français entre la fin du 19e siècle et le début du 20e siècle. Quant au vocable « Fali », il vient du fulfulde « faliibé » et renvoie à l’ensemble des populations qui occupent les chaînes de montagnes allant du mont Alantika au sud jusqu’aux monts Mandara, frontalières avec le Nigéria. Ce terme désigne par ailleurs toutes les populations qui ont utilisé les montagnes comme refuge stratégique contre les empires jihadistes du XIXe siècle même si ces peuples n’ont pas forcément de liens linguistiques et culturels. Le terme « Fali-Nimango » est utilisé ici pour faire la distinction entre les éléments peuplant les plaines de la Bénoué et du Mayo-Louti au nord Cameroun et les autres éléments de Poli, de l’Extrême-Nord et du Nigéria avec qui ils n’ont aucun lien linguistique et culturel direct (Guillou ; Moingeon, 2000).

    En 1944, le juriste polonais Raphaël Lemkin a inventé le terme génocide. Ce terme combine le grec genos (race ou tribu) et le latin cide (tuer). Raphael Lemkin (2008 : 79) définit le concept de génocide de la manière suivante:

    By 'genocide' we mean the destruction of an ethnic group. Generally speaking, genocide does not necessarily mean the immediate destruction of a nation, except when accomplished by mass killings of all members of a nation. It is intended rather to signify a coordinated plan of different actions aiming at the destruction of essential foundations of the life of national groups, with the aim of annihilating the groups themselves. The objectives of such a plan would be disintegration of the political and social institutions, of culture, language, national feelings, religion, and the economic existence of national groups, and the destruction of the personal security, liberty, health, dignity, and even the lives of the individuals belonging to such groups."

    Le génocide est donc défini comme l’anéantissement intentionnel et progressif d’un groupe donné sur la base de son identité commune. Cette identité est souvent fondée sur la nationalité ou l’ethnicité, mais elle peut aussi inclure la race ou l’affiliation religieuse.

    Lemkin a fait campagne pendant de nombreuses années pour qu’un traité international interdise le génocide. Finalement, la Convention des Nations unies sur le génocide — un traité ratifié par l’Assemblée générale des Nations unies — a été mise en œuvre en 1948. La définition du terme donnée par Lemkin a été adoptée par l’ONU. Pour Lemkin, le génocide était défini de manière large et comprenait toutes les tentatives de destruction d’un groupe ethnique spécifique, qu’elles soient strictement physiques par des massacres de masse, ou culturels ou psychologiques par l’oppression et la destruction des modes de vie autochtones.

    La définition de l’ONU, qui est utilisée dans le droit international, est plus étroite que celle de Lemkin, et stipule que le génocide est : « l’un des actes ci-après, commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux », comme tel:

    Déterminer si un événement historique doit être considéré comme un génocide peut faire l’objet d’un débat houleux. Les historiens s’appuient souvent sur des définitions plus larges, comme celle de Lemkin, qui considère la violence colonialiste à l’encontre des peuples autochtones comme intrinsèquement génocidaire. Par exemple, dans le cas de la colonisation de l’Amérique, où le nombre d’Autochtones a diminué de 90 % au cours des premiers siècles de la colonisation européenne, on peut se demander s’il y a génocide lorsque la maladie est considérée comme la principale cause de ce déclin, puisque l’introduction de la maladie n’était généralement pas intentionnelle (Henderson, Donald et al.; 1999) (Edwards, Tai; Kelton, Paul, 2020). Certains spécialistes du génocide font la distinction entre le déclin de la population dû à la maladie et l’agression génocidaire d’un groupe envers un autre (Grenke, 2005). D’autres spécialistes soutiennent que l’intention de génocide n’est pas nécessaire, puisque le génocide peut être le résultat cumulatif de conflits mineurs dans lesquels des conquérants, des colons, ou des agents coloniaux ou étatiques commettent des violences contre des groupes minoritaires (Maybury-Lewis, 2002). D’autres chercheurs enfin, considèrent la colonisation et la conquête comme un génocide, car elles ont été réalisées en grande partie par l’exploitation, l’élimination et la destruction systématique de groupes ethniques spécifiques (Stannard, 1993) (Ostler, 2019) (Resendez, 2016).

    La notion de génocide n’a été introduite qu’au milieu du xxe siècle, mais des ethnohistoriens, politologues ou philosophes l’ont ensuite utilisée dans leurs études d’événements plus lointains. En effet, les conflits liés à l’expansion de divers « empires jihadistes » (Lovejoy, 2015) tels que l’empire de Sokoto et les puissances coloniales européennes, telles que les empires espagnol et britannique, et la création d’États-nations sur les anciens territoires autochtones engendrent souvent des actes de violence voire d’élimination physique intentionnelle contre des groupes autochtones en Amérique, en Australie, en Afrique et en Asie (Jones, 2010). Selon Lemkin lui-même, la colonisation et par conséquent la conquête, sont « intrinsèquement génocidaires » et se font en deux étapes mortifères : la destruction du mode de vie de la population autochtone, puis l’acculturation, les nouveaux venus imposant leur mode de vie au groupe devenu minoritaire.

    Selon David Maybury-Lewis (2002), il y a des formes impérialiste et coloniale de génocide, menées de deux façons : soit par la volonté de « nettoyer » des territoires de leurs habitants d’origine afin d’en exploiter les ressources et en faire des colonies ou lamidats dans le cas de notre étude, soit par l’intermédiaire de l’enrôlement des autochtones en tant que travailleurs forcés au sein de projets d’extraction des ressources.

    Au vu de ce qui précède, l’on peut bien parler de génocide des peuples autochtones du nord Cameroun. En utilisant le terme de « génocide de peuples autochtones» du nord Cameroun, nous ne voulons pas dire qu’à un moment donné de l’histoire, tous les Autochtones ont été tués par les conquérants ou les colons, mais qu’il y avait une intention ouverte de les conquérir voire de les anéantir sur la base de leur origine ethnique (paléonégritique ou kirdi) et sur la base de leur croyance (non musulmane) pour le cas de la conquête peule, et sur la base de leur race (noire) dans le cas des colonisations.

    Les partisans de la vision minimaliste et réductionniste des conquêtes peules les justifient en les considérant comme de simples conflits interethniques du passé et qui n’ont aucune emprise sur la réalité actuelle. Cette thèse ne prospère pas quand on connaît l’organisation de la cavalerie et de l’infanterie chargée de perpétrer les exactions, semer la désolation et étendre l’espace de contrôle. C’est ce que relève aussi Christian Seignobos (2005 : 52):

    Les Fulbe et Foulbéisés, par leur nombre et l’espace qu’ils contrôlent, demeurent l’élément de peuplement le plus important de la province. Ils ont, à la charnière des XVIIIe et XIXe siècles, conquis les espaces ouverts les plus riches : le Diamaré, les plaines du mayo Louti, les régions de Binder-Doumrou, Guidiguis, Kalfou.

    Tous les autres groupes ethniques, excepté l’entité Kotoko-Arabes Showa, ont eu à réagir à la stratégie de conquête des Fulbe et chacun a dû se situer par rapport à eux, spatialement, politiquement et idéologiquement (Martin, 1981 : 314).

    Par ailleurs, si l’on s’en tient à l’analyse de Christian Seignobos (2005 : 52), il y a eu extermination de certains peuples autochtones du nord Cameroun sous la poussée de la conquête peule. C’est dans cette perspective qu’il ajoute:

    Leur irruption conquérante a provoqué chez les groupes proches des massifs des contractions géographiques. Elle a enrayé des processus migratoires comme les remontées Mundang-Tupuri ou les mouvements du Logone aux monts Mandara. Elle a fragmenté de grands groupes comme les Musgum, les Giziga et les Mundang. Elle a aboli des chefferies haa’be puissantes comme celles de Bi-Marva et de Zumaya-Lamordé, asservi voire exterminé des peuples entiers : Zumaya, Baldamu, Boyboy. Elle a accéléré la désagrégation des institutions théocratiques de Goudour et de Sukur. Elle a, enfin, créé des réseaux de clientèles, de tributaires, informels ou réels selon les moments, dans le but essentiel d’alimenter la traite.

    Le fait que Christian Seignobos affirme que les Peuls ont « asservi, voire exterminé des peuples entiers : Zumaya, Baldamu, Boyboy.... » laisse entrevoir déjà le génocide même dans son plénier comme extermination totale d’un groupe racial ou ethnique. Mais dans le cadre de notre étude, nous nous limiterons à l’intentionnalité d’extermination des peuples autochtones, notamment les Fali-Nimango de la Bénoué, en attendant que des recherches soient menées dans le cadre de l’extermination physique.

    Certains génocides reconnus, comme l’Holocauste et le génocide des Tutsis au Rwanda, se sont déroulés sur des périodes précises et ont été caractérisés par des massacres de masse. Mais le génocide de la conquête ou de la colonisation est un processus à évolution lente. Les politiques lamidales et coloniales de destruction des peuples autochtones se sont déroulées de manière insidieuse et sur des décennies. Les actes de violence et l’intention de détruire sont structurels, systémiques et traversent plusieurs sphères politiques, économiques, sociales et culturelles.

    En vertu du droit international, le génocide est à la fois un crime qui engage la responsabilité pénale individuelle et un acte illicite qui engage la responsabilité de l’État ou des micro-États (lamidats). Le génocide des Autochtones au nord Cameroun engage la responsabilité des lamidats comme descendants directs des conquérants sur le sort des peuples autochtones sur lesquels ils ont régné, règnent ou tentent de régner. Le génocide colonial engage la responsabilité des anciennes puissances coloniales du Cameroun (Allemagne, France et Angleterre) et l’État camerounais lui-même, pour de nombreux actes et omissions distincts qui, pris ensemble, violent l’interdiction internationale du génocide appelée responsabilité pour un « acte composite » dans le domaine du droit.

    L’élément central du génocide est l’intention spécifique de détruire le groupe spécifié. Contrairement à un individu, un État est une entité abstraite, sans âme ni esprit. Par conséquent, lorsqu’on évalue la responsabilité d’un État, on évalue l’existence d’une politique ou d’une ligne de conduite manifeste au fil du temps qui démontre l’« intention » de l’État de détruire un groupe particulier soit par une action soit par l’inaction. Pour mieux saisir la responsabilité des lamidats, des puissances coloniales et de l’État du Cameroun dans la marginalisation des Autochtones du nord Cameroun, il faut saisir la différence entre la conquête et la colonisation.

    Historiquement, la colonisation était basée sur le concept de terra nullius : « la terre de personne ». Il s’agissait d’une conception occidentale des droits de propriété, selon laquelle, bien que Dieu ait donné à l’humanité le monde en commun, celui-ci était destiné à être « soumis », c’est-à-dire amélioré. L’acte d’amélioration confère des droits de propriété à celui qui l’améliore. Le revers de la médaille est que la non-amélioration de la terre est une abdication des droits de propriété. La conquête quant à elle, est l’assujettissement d’un peuple et d’un lieu par une conquête militaire. La colonisation est souvent confondue avec la conquête, car ce qui était considéré par les colons comme la terre de personne était souvent celui de quelqu’un. Ce malentendu a ensuite conduit les colons à la conquête.

    Bref, un territoire conquis signifie que le conquérant considère que le territoire fait désormais partie de son « pays » pendant qu’un territoire colonisé est celui où la puissance coloniale établit un gouvernement fantoche qui reste sous son contrôle. Dans l’un comme l’autre cas, la violence, la dépossession, l’asservissement des Autochtones a été le mode opératoire.

    Ainsi, les lamidats tout comme les puissances coloniales ont démontré l’existence d’une politique continue, avec des motivations variées, mais avec une intention sous-jacente qui est restée la même — détruire les peuples autochtones physiquement, biologiquement et en tant qu’unités sociales. D’où la pertinence d’évoquer la notion de « mort sociale ». La mort sociale est la condition des personnes qui ne sont pas acceptées comme pleinement humaines par la société au sens large. Ce terme est utilisé par des sociologues tels qu’Orlando Patterson (1985) et Zygmunt Bauman (1997), ainsi que par des historiens de l’esclavage et de l’Holocauste (massacre des Juifs par le régime allemand nazi dirigé par Adolph Hitler), pour décrire le rôle joué par la ségrégation gouvernementale et sociale dans ce processus. Des exemples de mort sociale sont notamment : l’exclusion raciale et de genre, la persécution, l’esclavage et l’apartheid (Mason, 2003).Quand l’État reste aveugle et muet face à la marginalisation des Autochtones du nord Cameroun par exemple, il devient participant du processus de mise à mort sociale des Autochtones.

    Cet ouvrage a pour but d’apporter quelques éléments de réponse aux interrogations de Roger Botte (2002 : 145) quand il relevait la permanence contemporaine du sceptre de l’esclavage dans les sociétés d’Afrique de l’Ouest et du Centre. C’est dans ce qu’il s’interroge:

    À dire vrai, il s’agit aussi de répondre au paradoxe suivant : alors que dès le début du xxe siècle les pouvoirs coloniaux se prévalaient de l’abolition de l’esclavage et de l’éradication des multiples rapports de dépendance, pourquoi, un siècle plus tard, des catégories comme celles de maître et d’esclave résistent-elles toujours à l’acte juridique et politique que représente la suppression de l’esclavage ? En quoi les stigmates attachés aux caractères sociaux permettent-ils de reproduire les inégalités sociales, même là où la législation formelle les a abolies ?

    Poursuivant ses interrogations rhétoriques, Roger Botte (2002: 145) souligne:

    Pourquoi ni la période coloniale ni le temps des indépendances n’ont-ils suffi à dissoudre tous les effets de l’esclavage et à transformer le statut social des anciens esclaves, puisque des incapacités sociales irréductibles manifestent toujours leur infériorité statutaire dans différents domaines ? Bref, à quoi tient la pérennité de l’empreinte servile alors même que les conditions socio-économiques qui avaient produit l’esclavage ont progressivement disparu

    Lorsque les victimes résistent, défilent et survivent à des politiques destructrices, ces politiques ne sont pas moins génocidaires. Plus que tout, il s’agit d’un témoignage de la résilience et de la force des peuples autochtones. Le génocide ne concerne pas le résultat, mais l’intention de détruire.

    Mettre fin au génocide des peuples autochtones est une obligation légale. Cela exige un processus honnête et actif de décolonisation et de « délamidation ». En d’autres termes, il faudra avoir le courage de défaire et d’inverser les influences néfastes du lamidalisme et du colonialisme sur l’épanouissement des peuples autochtones du nord Cameroun. Cela nécessite des changements structurels qui inversent les paradigmes du pouvoir dans nos institutions. Il faudra redonner le pouvoir aux peuples autochtones en tant que peuples ayant le droit à l’autodétermination afin de redéfinir un Cameroun libéré du génocide sur lequel il s’est construit et qui prospère encore aujourd’hui.

    Dans le cadre de cette étude, nous utiliserons tour à tour les termes : lamibé

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