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Mythes en stock: Marginales - 248
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Livre électronique175 pages2 heures

Mythes en stock: Marginales - 248

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Découvrez un nouveau numéro en version numérique de la revue littéraire belge Marginales

Nous autres belgicains, pour ce qui est de la modestie, nous sommes imbattables. Cela dit sans l'ironie que l'on pourrait y voir. Sommes-nous conscients, par exemple, de compter parmi les plus féconds concepteurs de mythes du XXe siècle ?

La plupart de ces créatures "made in Belgium" qui se sont mises à envahir la mémoire et même l'inconscient collectifs sont nées sur la planche à dessin de quelques artistes qui tenaient, au départ, ces activités pour secondaires parce que strictement alimentaires. Joseph Gillain, par exemple, ce géant trop méconnu de la BD belge, se considérait d'abord comme un peintre, et se désolait presque que la notoriété lui soit venue d'un volet moins noble (à ses yeux du moins) de sa créativité. Sous le nom de Jijé, il donna vie à Jerry Spring, à Blondin et Cirage, à Jean Valhardi. Quel apport insigne au huitième art ! Ses pairs le vénéraient comme un maître : ils s'appelaient Morris, Franquin, Will, et eux-mêmes furent aussi de fameux mythothètes, si l'on peut se permettre ce néologisme forgé sur le modèle du logothète cher à Roland Barthes. Lucky Luke, le Marsupilami ou Gaston Lagaffe, même Tif et Tondu sont fichés dans nos souvenirs de premières lectures, ont structuré notre vision du monde. Ils ont conquis un immense public au départ d'une rampe de lancement située rue Jules Destrée à Marcinelle. Charles Dupuis, l'éditeur qui veillait aux destinées du journal de Spirou, vient de disparaître. Il a eu droit aux hommages de Richard Miller, le ministre des Arts et des lettres et écrivain qui d'ailleurs figure au sommaire de ce numéro, et il les avait bien mérités !

Des poèmes et nouvelles inspirés par la thématique de la mythologie et de la bande dessinée avec des écrivains comme Richard Miller, Thierry Bellefroid ou encore Anne-Michèle Hamesse.

À PROPOS DE LA REVUE

Marginales est une revue belge fondée en 1945 par Albert Ayguesparse, un grand de la littérature belge, poète du réalisme social, romancier (citons notamment Simon-la-Bonté paru en 1965 chez Calmann-Lévy), écrivain engagé entre les deux guerres (proche notamment de Charles Plisnier), fondateur du Front de littérature de gauche (1934-1935). Comment douter, avec un tel fondateur, que Marginales se soit dès l’origine affirmé comme la voix de la littérature belge dans le concert social, la parole d’un esprit collectif qui est le fondement de toute revue littéraire, et particulièrement celle-ci, ce qui l’a conduite à s’ouvrir à des courants très divers et à donner aux auteurs belges la tribune qui leur manquait.
Marginales, c’est d’abord 229 numéros jusqu’à son arrêt en 1991. C’est ensuite sept ans d’interruption et puis la renaissance en 1998 avec le n°230, sorti en pleine affaire Dutroux, dont l’évasion manquée avait bouleversé la Belgique et fourni son premier thème à la revue nouvelle formule. Marginales reprit ainsi son chemin par une publication régulière de 4 numéros par an.

LES AUTEURS

Jacques De Decker, Richard Miller, Jean-Pierre Verheggen, Véronique Bergen, Philippe-Louis Champbon, Jacques Lefèbvre, Yves Wellens, Monique Thomassettie, Michel Joiret, Anne-Marie La Fère, Claude Javeau, Roger Foulon, André Delcourt, Laurent Demoulin, René Hénoumont, Chantal Boedts, Thierry Bellefroid, Jean-Baptiste Baronian, Jean Jauniaux, Yves Deleu, Françoise Lison-Leroy, Jacques De Decker, Anne-Michèle Hamesse, Ha-Lekhem Ha-Adom, Jacques Henrard, Patrick Roegiers et Luc Dellisse.
LangueFrançais
ÉditeurKer
Date de sortie22 août 2016
ISBN9770025293381
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    Aperçu du livre

    Mythes en stock - Collectif

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    Éditorial

    Jacques De Decker

    Nous autres belgicains, pour ce qui est de la modestie, nous sommes imbattables. Cela dit sans l’ironie que l’on pourrait y voir. Sommes-nous conscients, par exemple, de compter parmi les plus féconds concepteurs de mythes du XXe siècle ? Avec nos moyens réduits et notre irréductible échelle artisanale, nous sommes les David de la créativité populaire, face au Goliath de Hollywood, s’entend. Certes, les créatures disneyennes ont massivement occupé le terrain, et continuent de le faire d’ailleurs, portées qu’elles sont par une machine de production dont les moyens de propagande sont illimités. Mais face à ce bombardement d’images, les fruits de notre imaginaire font plus que bonne figure.

    La plupart de ces créatures « made in Belgium » qui se sont mises à envahir la mémoire et même l’inconscient collectifs sont nées sur la planche à dessin de quelques artistes qui tenaient, au départ, ces activités pour secondaires parce que strictement alimentaires. Joseph Gillain, par exemple, ce géant trop méconnu de la BD belge, se considérait d’abord comme un peintre, et se désolait presque que la notoriété lui soit venue d’un volet moins noble (à ses yeux du moins) de sa créativité. Sous le nom de Jijé, il donna vie à Jerry Spring, à Blondin et Cirage, à Jean Valhardi. Quel apport insigne au huitième art ! Ses pairs le vénéraient comme un maître : ils s’appelaient Morris, Franquin, Will, et eux-mêmes furent aussi de fameux mythothètes, si l’on peut se permettre ce néologisme forgé sur le modèle du logothète cher à Roland Barthes. Lucky Luke, le Marsupilami ou Gaston Lagaffe, même Tif et Tondu sont fichés dans nos souvenirs de premières lectures, ont structuré notre vision du monde. Ils ont conquis un immense public au départ d’une rampe de lancement située rue Jules Destrée à Marcinelle. Charles Dupuis, l’éditeur qui veillait aux destinées du journal de Spirou, vient de disparaître. Il a eu droit aux hommages de Richard Miller, le ministre des Arts et des lettres et écrivain qui d’ailleurs figure au sommaire de ce numéro, et il les avait bien mérités !

    Le propre d’un mythe, c’est qu’il échappe à son cadre d’origine pour vivre de manière autonome. Il a une telle potentialité inventive en lui qu’il peut se métamorphoser à vue, au gré des créateurs qui le prennent en relais. C’est l’exercice auquel les participants à cette livraison de Marginales se sont attelés, en s’attachant plus particulièrement à des figures qui, en cette année 2003, sont fêtées à l’occasion de l’un ou l’autre anniversaire. On s’aperçoit d’ailleurs que la capacité de mettre des images prégnantes sur orbite peut contribuer au fait que ceux qui sont dotés de ce talent se nimbent eux-mêmes d’une aura mythique. C’est le cas, évidemment, de Jacques Brel, disparu il y a vingt-cinq ans, qui ne nous a pas seulement fait rêver de Marieke ou de Mathilde, mais est devenu lui-même une légende. C’est celui d’Hergé aussi, dont Benoît Peeters, vingt ans après sa mort, dans une nouvelle et magistrale biographie, a déployé la dimension romanesque, qu’il a synthétisée en soulignant qu’il était davantage fils de Tintin que l’inverse. Cette contamination du créateur par sa créature se vérifie enfin à propos de Simenon, dont l’ombre portée est en train de se confondre, en cette année de son centenaire, avec celle de Maigret…

    Comment se fait-il, la question a de quoi intriguer, que ces trois phénomènes aient surgi en francophonie belge ? Et pas eux seulement, puisqu’on peut leur adjoindre Bob Morane, dont Henri Vernes publia les premières aventures en 1953, et dont le rayonnement, grâce au pouvoir de répercussion du cinéma, va considérablement croître dans les temps qui viennent ? Est-ce dû à notre pragmatisme, à notre don d’enfance, à notre fantaisie innée ? Au fait que notre littérature ait pris son essor sous le signe picaresque, aventureux et ironique d’Ulenspiegel, de ce Till l’Espiègle dont Gérard Philippe était tellement épris qu’il voulut l’incarner dans un film dont il serait lui-même le maître d’œuvre ? La capacité de rire de bon cœur de soi ne fournit-elle pas aussi une part de l’explication ? Un peuple aussi bonhomme, dérisoire et malade du langage que celui des Schtroumpfs aurait-il pu proliférer ailleurs que sous la plume d’un dessinateur bruxellois ? Cet ancrage, qui paraît aller de soi, n’a pas empêché les petits nains bleus de gambader sous toutes les latitudes.

    Il y a plus de vingt ans de cela, à l’invite de Jacques Sojcher qui ourdissait le numéro spécial de la Revue de l’ULB, lequel sous le titre de La Belgique malgré tout allait être un des temps forts de ce qu’il fut convenu d’appeler la « belgitude », j’avais commis une petite sotie où quelques-uns des mythes hébergés par ce Marginales étaient mêlés à une quête de la Constitution belge. Je n’ai pu résister à la tentation d’inclure ce péché de jeunesse dans l’ensemble que voici. On pardonnera, je l’espère, cette complaisance de directeur : on y verra que si certains protagonistes politiques ont (parfois tragiquement) quitté la scène, ils demeurent vivaces dans un contexte de pure fiction. Est-ce à dire que la vraie dimension de la Belgique est celle de la fable ?

    Margot sous les draps

    Richard Miller

    Margot n’a qu’un œil. Un accident de voiture quand elle était enfant. Chaque homme qui l’a tenue dans ses bras a souhaité soulever le bandeau dissimulant l’œil énucléé. Elle a parfois laissé faire. Tous ont voulu. Sauf Pol.

    Il était entré un midi dans le restaurant où elle servait les plats du jour. Elle ne remarqua pas tout de suite qu’il observait ses allées et venues à travers la salle. Quand elle s’était avancée pour débarrasser les restes du repas, il n’y avait pour ainsi dire pas touché.

    — Cela ne vous a pas plu ?

    — Si, mais je n’ai pas très faim.

    — Désirez-vous autre chose ? Un café ?

    — Je peux vous demander comment vous vous appelez ?

    — Pourquoi ? Vous voulez vous plaindre de moi auprès du patron ?… Je m’appelle Margot.

    Il la regardait sans plus dire un mot. Mais il la regardait sans plus taire un seul de tous les mots que la vie ne lui avait jamais permis de prononcer. Il la regardait comme si elle était plusieurs soleils qui n’en feraient qu’un. Et face à cet homme aux cheveux blonds, Margot sentit les soleils se fondre en elle.

    Pas une seule fois Pol n’a évoqué la blessure de son visage. Non pour éviter de la heurter. Mais parce qu’elle est Margot. Elle est Margot avec son sourire, la douceur de son corps, sa façon de s’emmitoufler dans un pull trop grand pour elle. Elle est Margot en promenade lorsqu’elle glisse la main dans la sienne et que la vie, subitement, prend la forme d’un horizon lointain. Elle est Margot, quand prétextant d’avoir trop chaud, elle ôte un vêtement et se tourne vers lui.

    Au moment de la prendre, il sent qu’elle presse son visage contre son épaule, tendrement. Il la devine et voit cet œil seul dont la prunelle se retire. Margot jouit de leur amour comme si elle respirait une brassée de fleurs. Elle est enfant. La tête lui tourne. Elle respire la peau de celui qu’elle aime.

    Margot sait qu’elle fut heureuse durant trois ans : Pol est sorti de sa vie aussi soudainement qu’il y était entré. Sans le moindre signe annonciateur, il s’est effondré un après-midi, sur le bord du trottoir, terrassé par un infarctus.

    Veillant le corps de Pol, elle veille sa propre vie : les années d’enfance précédant la perte de son œil. Ensuite, durant vingt-deux ans, la tristesse et la gêne, en attente de Pol. Et puis trois fois trois cent soixante-cinq jours et nuits durant lesquels elle avait eu le sentiment de voir quelque chose demeuré jusque-là invisible, pas seulement pour elle, mais pour la terre entière.

    Elle se remémore tout. Y compris cette dispute. Ils s’étaient querellés un dimanche matin. Pour rien, une bêtise. Fâchée, elle lui avait reproché de chercher toujours à avoir raison. : « Je ne t’ai pas attendu pour me débrouiller toute seule ». À son tour, il s’était emporté… Cela avait duré deux heures avant qu’ils ne tombent dans les bras l’un de l’autre et se promettent que plus jamais, plus jamais. La dispute avait duré deux heures. Et celles-ci brusquement, éclatent dans leur histoire et recouvrent tout. Margot sent la douleur la déchirer, en un pleur sans fin. « Trois ans… Nous avons eu trois ans… Moins ces deux heures… Si tu savais comme je m’en veux… Pardonne-moi, Pol… Je donnerais tout… Deux heures… Pourquoi es-tu mort ? ». Un prêtre se tient à ses côtés, un de ces prêtres vieillots encore affublé d’une robe noire. Il porte autour du cou une croix métallisée sur laquelle saigne Jésus de Nazareth encore bébé. Margot l’observe avec plus d’attention. Le prêtre est une femme grossièrement maquillée, dont les lèvres s’écartent sur un bout de langue rouge semblable à un gros bouton.

    Margot soudain se redresse. Son corps est en sueur, ses mains tremblent et ses dents s’entrechoquent. C’est leur chambre. Elle reconnaît chaque meuble, chaque objet, chaque filet de lumière. Pol est là, à ses côtés ; il dort profondément.

    Elle s’étend, reprend son souffle, son corps tout entier à présent tremble. Le cauchemar s’est nourri de ses peurs les plus profondes. Sous sa poitrine elle sent son cœur battre et se calmer peu à peu. Mais la peur de nouveau l’envahit. Elle regarde Pol, hésite à le réveiller. Il ne se fâcherait pas et la réconforterait. Mais l’idée même de l’inquiéter, de lui confier que dans son rêve à elle, la mort l’avait emporté, lui est intolérable.

    Margot s’enfouit à nouveau sous les draps. Elle est petite fille et se parle, cherchant le sommeil, elle se parle, petite fille, pour s’endormir comme les autres enfants. « Szut, Pol est à moi. Je suis au lit avec lui. Les cauchemars ne me font pas peur. Rien ne nous séparera. Szut et reSzut… Je suis jolie au pays des aveugles et je ne resterai pas seule. Moi aussi j’ai des amis… Tu m’entends Szut. Toi et moi… Szut et Margot, chacun un œil, ça fait deux… »

    Margot apaisée est sur le point de s’endormir. Pol à ses côtés ne se doute pas que le songe de l’enfance a vaincu le cauchemar et a fait s’éteindre la nuit. Szut fait partie de la petite Margot, elle qui ne pouvait pas comprendre pourquoi un œil lui manquait. Szut fait partie de Margot, il est le confident, la réponse aux « sorcière », « borgnasse », « n’a qu’un œil », « au tableau, la pirate ! »…

    Le matin, au petit-déjeuner, Margot tend un album de bande dessinée à Pol. L’album est vieux, abîmé : « Tous lisaient des bandes dessinées. Ils adoraient les aventures de Spirou, de Fantasio, de Tintin. Moi, plus je les lisais, plus je me sentais exclue. Mais un jour j’ai reçu celui-ci. Tu ne peux pas t’imaginer le choc que cela m’a fait. Je les regardais, Tintin, Milou, le capitaine Haddock et cet inconnu, au milieu de la couverture, sur un radeau en pleine mer. Je fis semblant de rien et j’attendis avant d’ouvrir le livre, d’être seule le soir, sous les draps, avec une lampe de poche. J’ai dû attendre la page 35 – tu peux vérifier, je m’en souviens – pour le découvrir et connaître son nom « Szut, Piotr Szut », un Estonien. À lui aussi, il manquait un œil. Au cours de toutes ces années je n’ai entendu personne le citer, comme s’il n’avait marqué aucune mémoire. Mais moi, pas un jour de mon enfance je n’ai cessé de m’adresser à lui ».

    Pol se tait. Il regarde la couverture de Coke en stock. Au centre, un personnage aux

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