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La vague inversée
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Livre électronique263 pages4 heures

La vague inversée

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À propos de ce livre électronique

C’est l’époque de la crise économique et de l’emploi en Italie. Valeria, une jeune méridionale, aspirante journaliste insatisfaite et Pino, camionneur lombard qui vient de perdre son emploi, et a sa femme et ses enfants à charge, décident de donner un tournant à leur difficile existence au moyen d’un geste impensable: tenter le “voyage de l’espoir” des migrants en Méditerranée en sens inverse. De Lampedusa en Tunisie. Dans le bateau, une quinzaine d’Italiens se retrouvent ensemble, de tous les ȃges et les milieux sociaux, de différentes régions, qui racontent leurs vie set les problèmes qui les ont poussés à partir. Ce sont les premiers Italiens qui voyagent en sens inverse. Essayant justement de chevaucher la vague inversée.

LangueFrançais
Date de sortie4 nov. 2018
ISBN9781386560296
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    Aperçu du livre

    La vague inversée - Patrizia Caiffa

    Préface de Giovanni Maria Flick

    Président Émérite de la Cour Constitutionnelle

    ––––––––

    "C'est pas de notre faute si nous sommes nés dans le mauvais pays, et vous vous n'avez aucun mérite. Rester en Afrique revient à être condamnés à une mort certaine. Partir expose à une mort probable. Vous à notre place qu'auriez-vous choisi?".

    Le secret et l'efficacité de ce livre est dû: au fait qu'il s'efforce de se mettre à leur place, bien que dans des conditions et dans un contexte irréel, nettement meilleur que ceux que doivent affronter les réfugiés qui fuient sur des navires-poubelles ou dissimulés dans le double fond des camions.

    Les deux protagonistes, Valeria et Pino, pourraient être n'importe lequel d'entre nous. Ils n'optent pas pour une mort probable au lieu d'une mort certaine. Dans un contexte léger, presque narquois et ironique, tant il est édulcoré par rapport à la réalité des embarcations et des camps de réfugiés, ils affrontent les difficultés (seulement quelques-unes et dans une moindre mesure) du voyage; le séjour obligatoire dans le camp; l'impact avec la bureaucratie et avec les autres (différents seulement en apparence; la nécessité de s'adapter.

    À la fin - lorsque la vague inversée reprend le bon sens (où plutôt celui que nous percevons comme tel: de la Tunisie à Lampedusa et non l'inverse) – ils prennent une décision inattendue: parce que la vie continue, et devient même meilleure grâce également aux expériences acquises lors de la fréquentation d'autrui sous de nouvelles formes; grâce à la découverte (et à l'acceptation) de nouvelles possibilités et voies de travail.

    Ce n'était pas la vague inversée lorsque - il n'y a pas très longtemps - elle accompagnait le voyage de nos ancêtres qui embarquaient dans les cales des transatlantiques avec leurs baluchons pour les Amériques rêvées; ou avec leurs valises en carton dans le train du soleil vers le brouillard des cheminées des usines du Nord de l'Europe et de l'Italie.

    La vague n'était pas inversée lorsque nos pères constituants, probablement conscients de ce passé et de ce présent de souffrances et d'émigration forcée, écrivaient que "l'étranger auquel on interdit dans son pays l'exercice effectif des libertés démocratiques garanties par la Constitution italienne a le droit d'asile sur le territoire de la République italienne selon les conditions établies par la loi» (art. 10). C'était et c'est une vision nettement plus vaste du droit d'asile traditionnel, lié à la fuite de la mort et des persécutions; une vision moderne et juridique, mais solidaire, du devoir d'accueillir les étrangers car - je songe aux migrations bibliques – «vous [aussi] avez été étrangers dans le pays d'Egypte»; une vision attentive également à la dignité, pas seulement à la sécurité de ceux qui demandent de l'aide et un asile.

    La vague n'était pas inversée quand le monde et l'Europe - après la catastrophe de la guerre, la shoah, l'implication et le massacre des populations civiles, l'usage systématique des armes de destruction de masse – reconnurent les droits fondamentaux au moyen de la Déclaration universelle des droits de l'homme et de la Convention européenne les concernant. Parmi ces droits figurait le droit d'émigrer mais aussi celui inverse d'immigrer, d'être accueillis.

    Ces droits, tous les hommes et les femmes en bénéficient, même ceux qui sont originaires de pays extra européens, pas seulement les citoyens européens. Car la citoyenneté, à l'origine lien d'égalité et de fraternité, ne peut et ne doit pas devenir l' opposé: signe de discrimination, de privilège de quelques citoyens (même s'ils sont plus nombreux) que les autres.

    C'est devenu une vague inversée lorsque l'Europe, au lieu de pratiquer la voie du marché des droits fondamentaux - et à travers eux à la paix -, a commencé à faire marche arrière. Des droits au marché, à la démocratie du spread à la dictature de l'économie et du profit.

    Elle est devenue la vague inversée, enfin, quand nous avons accepté de passer de la logique du sauvetage, à défaut d'accueil, à celle du contrôle et de défense des frontières européennes du bien-être (ou de ce qui en reste).

    Que soient donc les bienvenus ceux qui, comme Valeria et Pino - pour le moins à travers leur expérience individuelle - tentent d'inverser la vague, de remettre les aiguilles de l'horloge, la perspective de l'histoire que nous sommes en train de perdre dans le bon sens. C'est la sensation de sécurité par rapport à la faim, à la soif, à la guerre et à la mort; c'est la sensation de dignité dans les rapports avec autrui, indépendamment de la couleur de sa peau, de la manière dont il s'exprime, de son credo, de son origine culturelle et humaine. C'est le patrimoine de tous, même des autres, pas seulement de quelques privilégiés comme nous sans aucun mérite, mais par hasard.

    Introduction de père Francesco Soddu

    Directeur de Caritas Italiana

    ––––––––

    J'ai dévoré ce livre en très peu de temps et je me suis dit immédiatement: Il faut le publier!. En effet, ce n'est pas seulement un beau roman qui mérite d'être lu avant tout parce qu'il est amusant, c'est bien plus que ça. On rit et on réfléchit, on se plonge dans les personnages et on en ressort rafraichi grâce à une vague inversée, atypique, originale, vraiment tonifiante.

    On y trouve un aperçu significatif de l'Italie qui a été parcourue de long en large, à travers les vieux vices et les nouvelles crises, à travers les préjugés entre le Nord et le Sud et les stéréotypes générationnels, à travers les difficultés que rencontrent les familles et les dilemmes des célibataires. La première chose qui m'a frappé a été le caractère attachant des personnages, leurs histoires et la façon dont ils interagissent entre eux, dans un mélange d'histoires individuelles, mais enracinées dans la complexe réalité contemporaine que nous connaissons très bien et à laquelle nous sommes confrontés tous les jours, tant personnellement qu'en tant que communauté. Puis il y a les grandes questions qui transparaissent entre les lignes de la narration, derrière les histoires des protagonistes, entre les plis des pages. Et pas uniquement.

    En effet, ce qui sert de toile de fond c'est surtout le grand problème du travail, qui fait souvent défaut, il n'existe pas, il est précaire, insuffisant, indigne, il faut l'inventer et le réinventer au cours des différentes saisons de la vie, qui devient pauvreté, fragilité, perte de certitudes et de références, à un niveau personnel, familial et communautaire. En outre, ce roman évoque le thème des flux migratoires auxquels nous devons faire face chaque jour en Italie, en Europe et dans le monde entier, avec tout leur lot de souffrance, mais également d'espoir; parfois d'atrocités, mais très souvent aussi de grande solidarité. Et il y a bien des choses encore que je ne peux certes pas anticiper ou synthétiser en ces quelques lignes.

    Et toutefois il y a un quid, ce quelque chose en plus que normalement on ne saisit pas: il ne s'agit pas d'un seul élément, mais d'un mélange d'éléments nouveaux et singuliers. C'est aussi une vague inversée du point de vue littéraire, car le texte a été écrit à deux, avec deux styles différents qui reflètent la personnalité des protagonistes dans un rappel continu du point de vue de chacun, qui fait de lui quelque chose de vraiment original; comme une caméra qui filmerait la même scène de deux perspectives parfois diamétralement opposées, révélant des visions et des valeurs différentes mais qui vont petit à petit évoluer pour finir par constituer un tableau, dans une mosaïque de plus en plus cohérente qui ne trouvera son unité et sa complétude qu'à la fin. Les schémas et la scène changent, le panorama se fait collines, montagnes, îles, mers, déserts, terrestre et aérien, maritime et fluide dans un crescendo d'attentes et de surprises.

    Un voyage, de nombreux voyages, comme métaphore de la vie, de nombreuses vies qui, bien que n'ayant pas grand chose en commun, voire presque rien, à la fin ont tout, vraiment tout, de la dignité de chacun jusqu'à, et ce n'est pas à négliger, le désir et l'objectif de survivre et de changer. De s'améliorer. Mais en est-il vraiment ainsi?

    L'ironie et la pensée, le sourire et l'amertume, la légèreté et la profondeur, se mêlent dans la simplicité et la fluidité narrative, en même temps que des valeurs plus nobles, dans un mélange bien réussi.

    Un bon café qui réveille de la torpeur de la nuit. Une expérience dans le sillon de la pédagogie narrative qui fait de la vie une école, de chaque instant un trésor, d'une expérience un patrimoine. Il suffit de le saisir.

    La responsabilité et l'opportunité sont donc laissées en premier lieu à chacun d'entre nous, comme cela est souvent le cas, presque toujours dans la réalité, pour les grandes choses comme pour les plus petites, mais qui n'en sont pas moins importantes pour autant. Cette histoire, comme les autres, il ne faut pas que nous en perdions le sens, l'enseignement essentiel, la valeur ajoutée de sagesse, la différence, la fraîcheur qui passe à travers cette vague, cette cascade, dans toutes ses gouttes d'eau: sachons la retenir entre nos mains et ne la laissons plus s'échapper entre nos doigts. Ce serait un gaspillage. Le fini et l'infini coexistent du point le plus petit à l'univers entier; le déterminé et l'illimité pénètrent dans l'histoire de chacun d'entre nous, parfois sans que nous nous en rendions compte.

    La vague inversée va nous aider à être davantage conscients.

    www.caritas.it

    Présentation de Nico Lotta

    Président du vis - Volontariato Internazionale per lo Sviluppo (Bénévolat International pour le Développement)

    ––––––––

    Partir, et vers où?. C'est la question qui hante Valeria, l'une des protagonistes de cette incroyable aventure. Et la réponse va vous étonner!

    Ces dernières années nous nous sommes habitués aux histoires d'embarcations qui traversent la Méditerranée avec à leur bord des groupes de personnes qui rêvent simplement d'être heureux, d'être accueillis dans des lieux où il soit encore possible d'espérer, où soient garantis les droits fondamentaux auxquels tout être humain a droit.

    Et si Lampedusa n'était plus un port d'arrivée mais de départ ? Si les embarcations traversaient notre mer en sens inverse? Et si, à bord, il y avait non pas des Africains, mais des Italiens qui fuient la crise et entreprennent le voyage de l'espoir en sens inverse?

    C'est de la réponse à ces questions qu'est né le voyage de La vague inversée, voyage que nous pourrons tous faire grâce à la lecture de ces pages.

    Un voyage qui va nous permettre de réfléchir sur la dimension globale de la crise qui s'oppose, depuis trop d'années, à des conditions de vie décentes à toutes les latitudes, à partir des villes où nous vivons, de la société que nous avons créée, jusqu'aux camps de réfugiés en Afrique du Nord, où la violation des droits de l'homme est encore plus impitoyable pour des milliers de personnes qui fuient, qui non seulement ne savent plus OÙ elles sont, mais ne savent plus non plus QUI elles sont.

    Le VIS a décidé de faire ce voyage en soutenant le projet de La vague inversée avant tout parce que nous nous reconnaissons dans l'expérience de ceux qui voyagent dans une direction obstinée et contraire, pour reprendre les mots de Fabrizio De Andrè. Les nombreux jeunes qui choisissent de servir les plus pauvres dans nos projets de coopération internationale décident en effet d'être étrangers, de faire un voyage inverse, migrant vers les pays appauvris du Sud du monde.

    Un autre motif qui nous a amené à accepter avec enthousiasme de promouvoir ce livre est le style dont se servent les auteurs pour raconter la pauvreté, la faim, les droits niés. Ces derniers temps, nous avons assisté au retour d'un style piétiste que personnellement je trouve insupportable, et qui porte atteinte à la dignité de nos frères les plus pauvres. On n'hésite pas à exhiber la souffrance, les ventres gonflés et les mouches dans les yeux des enfants, afin d'obtenir des aides pour éradiquer la pauvreté.

    Les auteurs s'éloignent nettement de tout ça, car ils écrivent un roman qui, avec légèreté et ironie, inverse le point de vue à partir duquel nous sommes habitués à regarder le monde qui nous entoure, éliminant les stéréotypes et les lieux communs.

    Ce qui en résulte est un parcours qui nous aide à réfléchir sur la dignité foulée au pied et sur les réelles possibilités de réparation, en racontant des histoires très semblables à bien des histoires dont les auteurs ont été personnellement témoins, parvenant à nous faire sourire à plusieurs reprises.

    La Forteresse de l'Europe a de plus en plus tendance à fermer ses portes, à se refermer sur elle-même, permettant que des êtres humains meurent par milliers à ses frontières, devenant un lieu d'exclusion et non plus d'inclusion. L'idée que ces portes puissent être ouvertes de l'intérieur par un groupe de migrants en sens inverse n'est somme toute pas tellement surréelle.

    Dans un de ses écrits, Bruce Chatwin nous informe que dans la langue tibétaine la définition d' être humain est a-Go ba, ce qui veut dire Voyageur, littéralement celui qui fait des migrations. Migrer est inhérent à l'essence même de l'homme et représente souvent sa seule possibilité de salut.

    Mettons-nous, nous aussi, en voyage en nous faisant submerger par cette vague inversée.

    www.volint.it

    Ce roman est le fruit de l'imagination des deux auteurs. Toute référence à des personnes, des lieux ou des situations est due au hasard.

    13.50 LA CRISE: ENQUÊTE DU CNRC, CHÔMAGE À 49%, UNE FAMILLE SUR DEUX EST PAUVRE

    ––––––––

    (ANSA[1]) – MILAN, 20 JUIN - En Italie le chômage touche cette année 46% de la population, le chômage chez les jeunes atteint un taux record de 68%. 49% des familles vivent sous le seuil de pauvreté mesuré sur la base de la consommation. 26,8% de ces familles vivent dans des conditions de pauvreté absolue. C'est ce qu'il ressort d'une enquête effectuée par le Centro nazionale ricerche sulla crisi (Cnrc), présentée aujourd'hui à Milan. L’impact de la pauvreté relative a augmenté l'année dernière de 10%, dans toutes les régions italiennes. La pauvreté absolue a augmenté de 6%, avec des taux plus élevés au Sud. Outre dans les familles d'ouvriers (de 26,5% à 39,4%) et chez les travailleurs indépendants (de 16,2% à 19%), la pauvreté augmente chez les employés et les cadres (de 12,3% à 15,6%) et dans les familles où les revenus dérivant du travail s'ajoutent à ceux dérivant des retraites (de 15,6% à 20,3%).

    CHAPITRE 1

    1.1. Je rêvais de devenir une aspirante journaliste précaire

    Je rêvais de devenir une aspirante journaliste précaire. Pire encore, de province. Dans ce Sud qui s'est effondré depuis longtemps. À trente-deux ans j'allais sombrer dans une grave dépression suscitée par ma frustration.

    Avec en plus la maladie mortelle mondiale désormais déclarée: la célèbre crise économique, financière, morale, du marché immobilier, du tourisme, de l'industrie des boites pour chats ou d'abattant pour WC. Tous les attributs et les adjectifs sont aujourd'hui disponibles dans la foire commerciale de l'Occident sur le déclin.

    Salvatore, mon rédacteur en chef, avec ses trente ans d'expérience comme chroniqueur revenait sans cesse à la charge:

    – Valeria, crois-moi, change de métier tant qu'il est encore temps. L'heure de gloire du journalisme a sonné. Autrefois on faisait des reportages parmi les gens, dans la rue, ou de par le monde pour raconter des faits importants.

    Et puis, agitant les quotidiens éparpillés sur la table de la rédaction:

    – Regarde ça. Maintenant les journaux ne dépensent plus un euro pour envoyer en mission des envoyés spéciaux ou des correspondants, sauf les quelques privilégiés des chaines de télévision ou des grands quotidiens. On ne fait plus que du copier-coller des agences ou des communiqués de presse qui ont déjà été filtrés par d'autres. Crois-moi: j'ai hâte de partir à la retraite.

    En effet, dans l'open space désordonné et peu soigné du journal le plus célèbre du Sud, je ne voyais que quelques personnes démotivées, perchées les unes à côté des autres comme des poules assignées à résidence. Le bout de mes doigts et mes yeux s'usaient devant un ordinateur sur lequel je cherchais des nouvelles en ligne.

    – C'est vrai, Valeria, – me disait, du bureau d'à côté, Marisa, ma collègue âgée de cinquante ans avec ses boucles et ses lunettes et dont les vêtements endimanchés d'un autre temps bien repassés suscitait l'hilarité de toute la rédaction, la presse est en train de sombrer. Il n'y a plus ni lecteurs ni publicités. Tout le monde licencie. Trouve-toi un bon parti et mène la belle vie sans bosser, c'est moi qui te le dis.

    Et il continuait à en rajouter. L'habilité dissuasive de ceux qui ont la sécurité de l'emploi a été juste la goutte supplémentaire d'une mesure qui était comble depuis longtemps. Je ferais mieux de dire vide. Vide d'argent, d'estime de soi, de temps, de vie, d'avenir.

    On a vite compris que le métier exercé selon les règles de l'art était destiné exclusivement à la progéniture des journalistes ou des politiciens. Va savoir pourquoi autrefois je me demandais naïvement comment il se faisait que, dans les journaux télévisés ou dans les journaux, les noms de famille étaient toujours les mêmes.

    Après les enthousiasmes des premiers temps, motivés par l'approbation de mes chefs, les années suivantes ont été un long et fatigant déclin.

    Plus j'acquérais de l'expérience et de l'assurance et plus mes gains et mes opportunités de travail diminuaient.

    Je ne faisais pas partie des arrivistes sans scrupules ou des "yes women" carriéristes. J'étais seulement, comme beaucoup d'autres, une idéaliste à qui on avait rogné les ailes. J'appartenais à ceux qui - comme moi - avaient, pendant des années, fait leur apprentissage, exploités, sous-payés ou pas rémunérés du tout. Une véritable main-d'œuvre intellectuelle, semblable à celle des immigrés saisonniers exploités dans nos campagnes. Eux au moins ils gagnaient cinquante centimes pour une cagette de tomates.

    Moi, quand j'avais de la chance, je touchais 0,071 de centimes d'euro par ligne et deux euros par article. J'arrondissais mon salaire en faisant des services de presse occasionnels pour les colloques appartenant aux catégories les plus étranges: des professeurs de gastroentérologie sur le seuil de la retraite, des entomologistes improvisés, des associations d'entraides miséricordieuses. Parfois je parvenais à obtenir jusqu'à cinq euros pour un service sur Radio Kiss Sud. Mais c'était toujours après de longues et humiliantes tentatives de propositions aux rédacteurs en chef qui étaient systématiquement refusées. Parce-que-j'ai-pas-le-temps, Parce-ce-que-c'est-pas-une-nouvelle-aguichante, Parce-que-j'ai-pas-d'espace-libre-dans-la-page, Appelle-moi-demain".

    Je travaillais tard pendant la nuit, j'étais confrontée à des gens et à des situations, je dépensais de l'argent pour faire le plein et pour passer des coups de fil. Avec vingt-et-un articles par mois, dix-neuf photos et quelques services télévisés j'encaissais la somme considérable de 180 euros par mois, qu'on me versait sur mon compte au bout de trois mois, après plusieurs rappels. Et il était très dangereux de refuser! Le téléphone ne sonnait plus pendant plusieurs jours. Au suivant! Et je découvrais que j'avais été remplacée par la dernière arrivée parmi les stagiaires qui se paradait, tout juste promue d'une prestigieuse école, avec une inscription automatique au tableau de première catégorie à la clé.

    Sans le savoir, j'étais une esclave consentante et gratuite. Elle aussi elle va mettre beaucoup de temps avant de s'en rendre compte.

    La règle d'or commune à toutes les appartenances politiques idéologiques et culturelles et à tous les journaux était celle que me grommelait au visage Pippo Miano, le fondateur et le directeur de Basso Talese Tv. Du haut de son ventre en forme d'œuf d'autruche il avait déclaré comment allaient les choses: On n'a rien sans rien ("Non c’è nenti pa iatta"[2]). Traduit en dialecte romain: Il n'y a pas de tripes pour les chats ("Nun c’è trippa pe’ gatti). En anglais: There is nothing for the cats. Ou de façon plus élégante sur la page de son site miteux: Le travail de tous les rédacteurs est exercé gratuitement sur une base volontaire et dans la conviction que ce travail puisse constituer une importante contribution à la divulgation de la presse italienne".

    La semaine dernière, mon boss m'a envoyée à Cursi Sirenico, un des nombreux riants petits villages perchés dans nos montagnes. Il n'y a d'ailleurs pas de quoi rire... avec tout le chômage et la délinquance qu'il y a.

    – Il faut que tu réalises un important service, – c'est ce qu'il m'a

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