Les Larmes Du Rêve
Par Mohammed Essaadi
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À propos de ce livre électronique
Prise dans une spirale daventures, elle lutte contre les turbulences de la fortune. Elle connat des hauts et des bas, lamour et la haine et sacharne faire face aux coups de boutoir du Destin, dchan pour briser ses rves et la faire perdre.
Le drame ressuscite les temps de lincertitude et du doute marquant la csure avec le Protectorat franais. Il nous propulse dans les annes 40 et 50 du sicle dernier pour nous faire dcouvrir latmosphre lupanar des bordels des anciennes et nouvelles mdinas de Casablanca. Une ambiance dprave dune poque rvolue faisant coexister deux mondes antinomiques. Le monde mal fam des conclaves de promiscuit, suspects et condamnables, et le monde cachotier et bigot dune socit conservatrice, majoritairement analphabte.
Mohammed Essaadi
Mohammed Essaadi est ingénieur, diplômé de l'Ecole d’Électricité Industrielle de Paris, Charliat. Il est licencié en sciences économiques de la faculté Hassan II à Casablanca. Il a entrepris des études supérieures grâce aux bourses du Ministère des Travaux Publics du Maroc et de la Coopération Technique de la France. Il a été affecté à l'Office National de l'Électricité, l'ONE, dans le département de l'électrification rurale. Puis il a dirigé les Services des Relations Commerciales avant de rejoindre la Direction générale en tant que cadre supérieur. Il est marié et père de deux enfants. Il vit à Casablanca, au Maroc. Il est l'auteur des livres suivants. "Jeunesse Spoliée" publié par Bénévent-France en 2009; "Colette Au Pays des Maures", édité par Authorhouse en 2012; "Les Larmes du Rêve", publié par Authorhouse en 2013. Il écrit des poèmes en anglais dans: snapcafe.wikispaces.com/page/history/essaadi Auteur à suivre via le lien: http://www.facebook.com/pages/Mohammed-Essaadi/190417324416850
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Les Larmes Du Rêve - Mohammed Essaadi
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© 2013 Mohammed Essaadi. All rights reserved.
No part of this book may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted by any means without the written permission of the author.
Published by AuthorHouse 12/11/2013
ISBN: 978-1-4918-8743-1 (sc)
ISBN: 978-1-4918-8744-8 (hc)
ISBN: 978-1-4918-8745-5 (e)
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INDICE
LE DÉRACINEMENT
IRRUPTION D’UN NOUVEAU MONDE
LA MÉTAMORPHOSE
LA FÊTE DES FEMMES
L’AMOUR IMPROMPTU
BOUSBIR JDID
RÊVES D’ADOLESCENT
VOYAGE VERS L’INCONNU
CHOCS CULTURELS
LES FLEURS DU MAL
COMMUNION À L’ÉGLISE ORTHODOXE
LE DÉRACINEMENT
« Les cafés de Casablanca poussent comme les champignons des forêts de Benslimane après l’orage, murmura Bidaoui. Quel monde que cette fin de vingtième siècle. On ne peut plus marcher sur les trottoirs envahis de tables et de chaises. »
Le phénomène surprit non seulement notre bonhomme mais également les étrangers visitant le pays pour la première fois. Un fait sociétal qui préoccupa les sociologues, les politologues et les journalistes, entre autres. Chaque spécialiste se pencha sur le malade avec ses outils d’investigation spécifiques pour identifier le mal et en formuler la médication.
Les uns parlaient d’une maladie contagieuse appelée chômage qui allait s’amplifier, de proche en proche, pour n’épargner aucun pays dans le monde. Les autres y voyaient un air malsain local dit oisiveté se propageant rapidement pour englober également ceux qui ont un travail.
Certains cafés regorgeaient d’employés de bureau et de bon nombre de cadres censés normalement être à leur poste de travail. Des fonctionnaires d’organismes publics et parapublics, tout à coup surpris par le Hydre tentaculaire de la Restructuration menaçant d’avaler des postes d’emplois et de les rejeter au rebut, hors de la vie active. Du jour au lendemain, les cafés se multiplièrent, devenant un large forum pour actifs et inactifs souhaitant exprimer leur frustration et leur inquiétude. Les bureaux ne montraient plus aux visiteurs, patrons ou clients, que des vestes accrochées aux porte-manteaux en signe de présence semi-physique des bureaucrates se trouvant ailleurs.
Dans les cafés, les jeunes chômeurs, fatigués de chercher un quelconque boulot, étalaient leur misère sans perdre l’espoir de trouver, un jour, une activité venant briser leur marginalisation étouffante. Quitte à s’embarquer dans un boat-people, sous un camion Transport-International ou dans le train d’atterrissage d’un avion, pour traverser le Détroit de Gibraltar ou atteindre les côtes des Îles Canaries.
Les cafetiers, satisfaits de cette manne céleste, prétendaient que leurs locaux devenaient une sorte de Bourse de travail, un lieu de rencontre privilégié entre les entrepreneurs, les intermédiaires et les demandeurs d’emplois.
Certains opposants au régime croyaient, dur comme fer, que bon nombre de ceux qui fréquentaient ces lieux publics, étaient constitués de dénonciateurs qu’ils taxaient d’Awacs, ces stations radars sophistiquées, montées sur des avions de guet pour surveiller de vastes territoires aériens. Des Awacs de dernière génération, pilotés de loin par les Services du Deuxième Bureau.
Sortant de ses rêveries, Bidaoui sirota son espresso et héla un cireur qui vint, humblement, se pencher sur ses chaussures sans souffler mot.
-Dis bonjour avant de te précipiter sur les bottes et courber la tête comme un asservi ! Comment t’appelles-tu ?
-Je m’appelle Miloud.
-Tu es nouveau dans ce quartier. Qu’est-ce qui t’amène ici ?
-Je suis à Mers Sultan depuis bien longtemps. Mais je préfère changer de place pour ne pas habituer les gens à ma gueule.
-Je t’avais remarqué à cause de ta calotte jaune. Pourquoi choisis-tu cette couleur ? Elle ne va pas avec ta veste grise et ton vieux pantalon grenat. Tu es accoutré comme un clown.
-La calotte est un souvenir de ma défunte mère. Une couleur qu’elle aimait. Elle disait que le jaune donne de l’intelligence et de l’assurance. Elle nous faisait manger un œuf chaque matin. Le jaune d’œuf, disait-elle, fortifie le cerveau. Elle-même s’habillait de couleurs vives où dominait le jaune. Moi, personnellement, j’aime les couleurs naturelles. Je suis sensible à leur changement saisonnier et au cours d’une même journée. Des choses que nous observons mieux à la campagne. Rien à voir avec le blanc-gris uniforme de Casablanca. Ici, j’ai perdu jusqu’au bronzage naturel de ma peau pour vêtir la couleur pâle de la ville.
-Tu causes bien cireur. Avec l’accent des blédards des Oulad Hriz. Tu as de beaux cheveux. Pourquoi les caches-tu ?
-J’ai honte de me dévêtir en public. Je garde mes vieilles habitudes. La calotte me protège. Mon accoutrement bigarré rayonne du soleil autour de moi. Et je continue encore à baiser la main des vieilles personnes que je rencontre.
-J’habite juste à côté. Tu aimes venir, une fois par semaine, pour mettre de l’ordre dans mon studio. Laver le sol, faire briller les vitres des fenêtres et peut-être partager un repas.
-Oui Monsieur ! Avec plaisir ! Tu n’es pas marié ?
-Non ! Et toi ?
-Quatre femmes et une douzaine d’enfants. En déménageant en ville, j’étais obligé de n’en garder qu’une, la plus jeune.
-Tiens ! Voici mon numéro de téléphone. Je te montrerai la maison tout à l’heure. Tu viendras les mercredi après-midi, vers seize heures. Mais appelle-moi à l’avance.
Miloud cira les chaussures et reçut dix dirhams. Il rendit la monnaie que Bidaoui refusa.
-Merci Monsieur !
Réduit à de gros bras pour nettoyer des chaussures, Miloud soupira profondément.
« Dieu est grand, se dit-il. J’ai vu des terres brûlées et incultes la veille, devenir paradis vert le lendemain. Par la seule volonté de la Providence qui fait tomber Sa Grâce du ciel ! »
Depuis que le campagnard fut contraint de quitter sa Chaouia natal, il ne rêvait que d’y revenir. En attendant, il se mit à étudier la topographie de la ville et à essayer de se mêler à ses habitants pour vivoter.
Et à force de fréquenter les cafés des quartiers de la métropole économique, il se rendit compte que l’autoroute urbaine partageait la cité en deux entités antinomiques.
Les habitants des quartiers situés à l’est, relativement pauvres, se faisaient rarement cirer les chaussures. Ceux résidant dans les quartiers riches à l’ouest de la ville, prêtaient beaucoup d’attention à leur apparence extérieure. En outre, il constata que les habitants des deux rives de l’autoroute ne se rencontraient que très rarement. S’ignorant les uns des autres, ils évoluaient dans des espaces inviolables. Pas d’interpénétration des jeunes des deux bords, y compris sur les plages d’Aïn Diab, sur ceux de Pepsi Cola, de Sidi Abderrahmane et de Madame Choual.
Concernant la multiplication des cafés casablancais, Miloud avait, lui aussi, son mot à dire là-dessus. Mais il n’osait pas l’exprimer en public. Par manque de langage adéquat. Une toute autre rhétorique que ne savent manipuler que les gens de la ville. Homme discret, Miloud préférait n’ouvrir son cœur qu’aux gens qu’il trouvait sympathiques et à ses pairs, constitués majoritairement de portefaix du port, de vendeurs de journaux et de cireurs.
Son exode forcé en ville le confronta à un monde véloce où les plus malins voire les plus bavards occupaient les premiers rangs. Une réalité palpable partout y compris à la radio et à la télé. Le cireur remarqua, avec amertume, son lourd handicap de ne savoir ni lire ni écrire ni même parler comme tout le monde.
Depuis sa tendre enfance, il avait travaillé la terre de ses parents et de ses grands-parents, terre devenue plus tard la sienne. Fier de se lever tôt le matin au cri du coq et de se coucher le soir, au coucher du soleil. Il vivait en harmonie avec la lune et les étoiles, les gerboises et les oiseaux nocturnes. Il savait écouter et parler aux animaux, aux plantes, aux roches et aux maigres eaux des oueds. Une vie simple et paisible, rythmée par l’obscurité et la lumière, par le cycle des saisons et des fêtes religieuses.
Il nourrissait le sol de bouse, labourait la glèbe d’un araire attelé à un bœuf et à un âne, semait et récoltait de quoi faire vivre une grande famille composée de quatre épouses et d’une ribambelle de gosses tous occupés aux travaux champêtres. Les excédents de récolte étaient écoulés aux souks environnants et même au faubourg de Berrechid situé à une trentaine de kilomètres, en contrepartie de quelques bougies et vêtements qui feraient plaisir aux femmes et aux enfants.
Aidé par les siens, il creusa un puits, traça des rigoles, irrigua un verger et des plates-bandes, soigna les bêtes de somme, éleva un troupeau de moutons et de chèvres. Plus tard, il acheta une charrette et se lança à la conquête de souks lointains, ceux de Lajacma, d’El Gara, Médiouna, Settat et Guisser.
Jusqu’au jour où des topographes apparurent, équipés d’appareil de géomètre, de chaînes d’arpenteur et de mires, pour borner ses terres à l’aide de bornes cadastrales. Le Moqadem qui les accompagna, expliqua que l’opération bénéficierait à Miloud puisque ses terrains seraient enregistrés au cadastre ce qui les sécuriserait tout en leur donnant plus de valeur. Le paysan laissa faire. Mais lorsque, beaucoup plus tard, des camions et des excavatrices apparurent, accompagnés par ce qu’on appela les promoteurs, Miloud réalisa le dessein de ces derniers et s’opposa fermement à leur projet de le déposséder de ses terres. Il essaya de les chasser en montrant son gourdin hérissé de clous. En vain. Le sang lui monta à la tête, la colère obscurcit sa raison. Alors, il se jeta sur l’un des promoteurs, le tint par les revers de la veste et lui envoya un coup de tête en pleine figure. Le sang gicla. L’homme tomba au sol. Rageusement, Miloud s’assit sur lui, l’écrasant de son poids et lui assena des coups de poing en pleine figure.
On dégagea la victime à demi-morte et la colonne des envahisseurs prit la fuite. Dans l’après-midi, les gendarmes arrêtèrent l’agresseur qui fut déféré devant le tribunal de Settat et condamné à deux ans de prison ferme pour coups et blessures puis jeté dans une cellule du pénitencier agricole d’Aïn Ali Moumen.
Aïcha, sa femme la plus âgée, lui rendait visite, tous les deux jours, pour lui amener un repas chaud.
Après trois mois d’internement, il fut relaxé. Un arrangement avalisé par l’autorité, réconcilia Miloud aux promoteurs. En contrepartie de ses terres, il reçut un dédommagement pécuniaire car le cultivateur ne disposait d’aucun titre de propriété enregistré pour faire valoir ses droits. Le pot de fer eut raison du pot de terre.
Acculé, l’agriculteur arracha le droit de rester sur ses anciennes possessions jusqu’à trouver une nouvelle terre d’accueil. Pour la première fois de sa vie, il apprit ce que signifie le mot promoteur. Une bande d’hommes voraces issus de différents horizons, banquiers, entrepreneurs voire avocats et médecins. Des criquets pèlerins qui s’abattaient sur les terres agricoles, sur les prés et les prairies, dévorant toute plante verte sur leur passage. Des sauterelles affamées qui n’épargnaient ni bois ni bosquets ni même les racines profondes des arbres centenaires. Des êtres sans loi ni morale, qui mentaient comme ils respiraient et qui juraient par Dieu et par tous les saints morts et vivants. Leurs idoles adorées, les sous !
Évincé de ses terres, Miloud essaya, tout d’abord, de se fixer dans les bidonvilles de Berrechid. Mais il apprit que les criquets voraces allaient s’attaquer à la région pour transformer les villes-bidons, les champs de blé et les anciennes fermes de colons en hideux lotissements hérissés d’immeubles de briques et de parpaings. Alors, il préféra d’aller vivre à Casablanca.
Durant des semaines, il fit la navette entre le bled et la capitale économique. Il visita le bidonville de Bachkou et trouva l’endroit propice. Il n’était pas loin du marché-bazar de Derb-Ghallaf et du centre de la ville mais les baraques se vendaient à prix d’or. On sentait l’approche des criquets.
Les bidonvilles de Ben-Msik et des Carrières Centrales lui plurent plus particulièrement pour leur proximité des souks de fruits, de légumes, de viande et de poisson. Une multitude de marchands à la sauvette y vendaient toutes sortes d’articles, depuis les chaussettes jusqu’aux turbans en passant par les caleçons. Cependant, il apprit que ces bidonvilles faisaient l’objet, périodiquement, d’actes criminels. Des incendies destinés à paniquer la population pour la déloger et libérer des terrains à haute spéculation immobilière. Le bidonville de Sidi Moumen quant à lui, était trop excentré par rapport au centre de la ville et particulièrement insalubre par comparaison aux autres quartiers de zinc et de planches, mais les prix des baraques étaient abordables.
Un soir, Miloud retourna au bled, la tête pleine de projets. Il réunit ses quatre femmes pour les informer des résultats de ses longues et pénibles démarches.
L’entretien fut, en fait, un long monologue tenu en face d’épouses paraissant toutes consentantes. À la fin de la palabre, Aïcha avança vers l’homme, se courba et lui baisa la main.
-Nous nous résignons toutes face au Mektoub. Ce qui est écrit au Ciel, aucune main ne peut l’effacer. La Miséricorde guidera nos pas sur le bon chemin.
Les trois autres femmes s’approchèrent, se courbèrent et baisèrent la main de l’homme avant de disparaître.
Le partage proposé par le mâle fut entériné sans commentaire. Lui, sa plus jeune compagne Zara et leurs deux enfants en bas âge, habiteraient aux Carrières Centrales tandis que les trois autres femmes avec leurs enfants âgés de cinq à quinze ans, s’installeraient à Sidi Moumen.
Miloud expliqua aux femmes dont il allait se séparer que leurs fils pourraient facilement trouver du travail dans le bâtiment et le petit commerce tandis que les filles seraient placées comme bonnes chez les familles aisées.
La nuit venue, le paysan dormit mal. Tourmenté par des cauchemars. Marchant dans des champs arides, hérissés de pierres, il vit, soudain, le soleil se lever de l’occident pour suivre son cours vers l’est. Ce phénomène l’effraya. Il pensa assister aux signes précurseurs de la fin du monde, signes annoncés par les anciens et rapportés par ses parents et grands-parents. Des signes annonciateurs de la fermeture des Portes du Ciel. Un moment fatidique où les prières ne seront plus entendues. La Miséricorde abandonnera les vivants qui seront livrés à eux-mêmes.
Miloud poussa des râlements rauques avant de se dresser sur son lit. La sueur ruisselait sur son corps. Effrayée, Zara sursauta.
-Un simple cauchemar, dit l’homme. Dormons-nous, il est encore nuit.
Quelques semaines plus tard, Miloud et sa jeune épouse s’installèrent aux bidonvilles des Carrières Centrales, à Hay El Mohammadi. Les trois autres femmes à Sidi Moumen. L’homme se mit aussitôt à chercher un travail en rapport avec ses compétences. Mais partout où il allait, on exigeait une carte d’identité. Pour l’établissement de cette carte, le commissariat de police demanda d’autres papiers dont le certificat de résidence. En plus de deux photocopies par pièce administrative. À son tour, le Moqadem de son quartier exigea un extrait d’acte de naissance à faire venir du bled et la bête « dragonienne » s’allongea considérablement pour donner la nausée au paysan, regrettant de perdre sa liberté en perdant ses terres.
Il fut égaré lorsqu’il apprit que son mariage conclu au bled au terme de la lecture de la Fatiha, la première sourate du Saint Coran, n’était pas valable et qu’il fallait établir un nouvel acte de mariage en bonne et due forme, écrit de la main d’un Adoul et en présence de douze témoins.
Alors, il entreprit une longue odyssée dans de farouches contrées jamais traversées jusqu’ici. Partout où il allait, il trouvait des hommes et des femmes faisant de longues queues et s’entre-poussant des coudes et des hanches pour arriver à qui le premier, devant un guichet ou une porte de bureau. Partout où il s’adressait, on lui demandait de « gratter ses flancs » ce qui signifie, soudoyer, graisser la patte. Tout un vocabulaire à apprendre, à assimiler et qu’il ingurgita comme s’il avalait du cyanure.
Il réunit douze témoins mâles parmi les nouveaux voisins du bidonville et arriva en un temps record, moyennent bakchich, de disposer d’un contrat de mariage et d’un carnet de famille portant sa photo et des indications sur son identité, celle de Zara et de leurs deux enfants.
Fort comme un taureau, espiègle comme un serpent, intelligent comme un renard, l’homme fut conseillé de tenter sa chance pour intégrer les Forces Auxiliaires ou les Forces Armées Royales. Mais toutes les démarches entreprises par les soi-disant intermédiaires bien introduits, échouèrent lamentablement en engloutissant une partie de son épargne. Ni la Police ni l’Armée ne voulurent de lui. Bien qu’il disposât d’une carte d’identité. Peut-être à cause de son illettrisme. Et pourtant, il se sentait capable de grandes choses. Faire régner de l’ordre dans la médina avec de la matraque comme le faisait la plupart des agents des forces auxiliaires ne sachant ni lire ni écrire mais s’imposant à la force des biceps.
« Je suis capable de creuser un puits, une tranchée et même un tunnel, se dit-il désespéré. La pioche et la pelle ne m’effraient point. Je peux aménager une route carrossable et construire un étang artificiel, je suis capable de conduire une semi-remorque, un bulldozer et même un char de combat si l’on me donne une petite chance de me former. »
Se sentant marginalisé, Miloud eut l’impression de tomber d’une autre planète. Jamais auparavant, il ne s’était senti si rapetissé, si ridiculisé, si inutile. Sur ses anciennes terres, il était le maître incontesté. Et pourtant, il n’était pas lettré.
D’ailleurs, il ne trouvait rien d’anormal à sa situation actuelle comparativement à ces millions de concitoyens, à ces hommes et ces femmes analphabètes. Et pourtant, bon nombre de personnes illettrés réussissaient dans la vie en pratiquant le commerce, l’artisanat ou en travaillant comme tâcherons.
En courant derrière un boulot à trouver, Miloud côtoya bon nombre de patrons de la « choukara ». Des hommes ladres et autoritaires, manipulant des millions de dirhams sans même savoir signer correctement un chèque. Et pourtant, ils subordonnaient des lettrés qui se courbaient tout bas devant eux pour exécuter les travaux intellectuels exigés par les nécessités de la vie moderne.
« Le monde est fait de tout, pensa Miloud enhardi. Peut-être qu’un jour je deviendrai colonel ou général comme certains bidasses enrôlés dans l’armée française, au temps du Protectorat, et qui sont devenus d’éminents officiers ou ministres après l’indépendance. »
Depuis sa fixation dans la mégapole économique, Miloud fit de grands efforts pour s’intégrer dans son nouvel environnement. Au gré du hasard, il exerça toutes sortes de petits métiers, se soumettant de bon gré à la loi de l’offre et de la demande. De portefaix au port de la ville, il se muta en porteur au marché à la criée. De vendeur à la sauvette, il devint manœuvre dans le bâtiment avant de choisir le métier de cireur qui lui permit de tisser une toile d’araignée, un véritable réseau social.
Sa rencontre hasardeuse avec Bidaoui, l’introduisit dans le monde intime des citadins. Lorsqu’il se rendit, pour la première fois chez ce dernier, se souvint-il, il frappa à la porte avec circonspection. Bidaoui se montra dans l’embrasure, vêtu d’un peignoir rose laissant découvrir ses épaules. Le paysan allait tomber à la renverse.
-Bonjour Miloud. Nous sommes mercredi. Tu es arrivé à l’heure, comme prévu. J’aime la ponctualité. Rentre ! Tu veux boire quelque chose ?
-Non merci, je viens de manger.
-Tu es habitué à une petite sieste comme c’est le cas en ville ?
-Non ! Par où je commence ?
-C’est simple. Tu fais de l’ordre dans la chambre à coucher. Je prends la douche de l’après-midi. J’essaie de ne pas être long.
Miloud ne crut pas ses oreilles. Il entra dans la chambre à coucher où il fut accueilli par un parfum de dame qui troubla ses sens. Le lit était défait. Des draps roses et une couverture fleurie, jetés au sol sur un tapis moelleux, si doux qu’on croirait marcher sur de la mousse. Des oreillers à housse de couleurs différentes, dispersés aux quatre coins de la chambre. Des affiches de jeunes hommes, torse nu et de donzelles déshabillées ornaient les murs.
Miloud hésita à toucher au lit et à ranger des accessoires futiles qu’il vit pour la première fois de sa vie. Dans une armoire entrouverte, il remarqua une panoplie de robes, de jupes et de jeans de toutes étoffes et de toutes tailles. Instinctivement, il caressa une robe. Il sentit de la soie glisser entre ses doigts rugueux et il eut un frisson au dos. De la soie douce comme la peau d’une femme de ville. Rien à voir avec la peau de crocodile des femmes de campagne dont il avait l’habitude. Il gratta sa tête mais rien de raisonnable n’y sortit, à part un tas de sensations fortes qu’il considéra malsaines et qu’il étouffa dans l’œuf.
Ranger une chambre plutôt de femme que d’homme le dérangea. Il pensa claquer la porte et foutre le camp mais la curiosité le poussa à rester. Il n’aurait jamais la chance de rentrer dans une habitation bourgeoise.
-Dans un appartement ne mesurant même pas un are, il y a de l’eau et de l’électricité, des tables et des chaises, une radio et une télévision, cogita-t-il. Deux minuscules chambres avec de petites fenêtres pour respirer l’air de la rue. Rien à voir avec la rusticité des chaumières et les vastes étendues du bled !
Miloud utilisa du mieux qu’il pouvait ses gros bras pour ramasser les étoffes fines. Il étala les draps roses sur le lit, les tira pour éviter les plis puis les couvrit soigneusement sous la couverture fleurie. Il disposa les oreillers du mieux qu’il pût et rangea dans la bibliothèque, deux ou trois livres jetés négligemment au sol. Il essuya les vitres des fenêtres, nettoya le sol et retourna à la chambre à coucher pour fermer la garde-robe laissée ouverte. Lorsqu’il vit Bidaoui sortir de la douche, nu comme un ver, il eut le souffle coupé.
-Prends la grande serviette sur la table et enveloppe-moi dedans, ordonna Bidaoui. J’aime prendre une deuxième douche les après-midis. Ça fait du bien. Tu n’as jamais vu un homme nu ? Pourtant, les hommes du bled sont près de la nature. Ils vivent dans les champs, entourés d’animaux qui ne se fient qu’à leurs instincts.
Miloud s’exécuta
