105 rue Carnot
Par Felwine Sarr
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À propos de ce livre électronique
On est happés par la sincérité de cette écriture et le dépouillement des voix, qui s’attachent au fait vécu et aux réalités de tous les jours. Les êtres, les choses, les décors nous sont transmis dans leur acuité. Comme si les leçons de vie étaient tirées de l’expérience du quotidien.
Felwine Sarr
Écrivain et universitaire, Felwine Sarr est né en 1972 à Niodior. Il est l’auteur d’une œuvre novatrice et inspirante. Il a publié Dahij (Gallimard, 2009), 105 Rue Carnot (Mémoire d’encrier, 2011), Afrotopia (Philippe Rey, 2016, Grand prix de la Recherche), Ishindenshin (Mémoire d’encrier, 2017) et Habiter le monde (Mémoire d’encrier, 2017). Il anime avec Achille Mbembe le grand rendez-vous intellectuel africain, Les Ateliers de la pensée, à Dakar. Considéré comme l’un des plus brillants penseurs de l’Afrique, Felwine Sarr est parmi les intellectuels les plus féconds dans le renouveau d’une pensée africaine « décolonisée »
En savoir plus sur Felwine Sarr
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Avis sur 105 rue Carnot
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Aperçu du livre
105 rue Carnot - Felwine Sarr
105 RUE CARNOT
Mise en page : Virginie Turcotte
Maquette de couverture : Étienne Bienvenu
Dépôt légal : 1e trimestre 2011
© Éditions Mémoire d’encrier
Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada
Sarr, Felwine, 1972-
105 rue Carnot
(Récits)
ISBN 978-2-897120-16-0
1. Sarr, Felwine, 1972- - Enfance et jeunesse. 2. Sénégal - Moeurs et coutumes - 21e siècle. I. Titre.
DT549.8.S27 2011 966.305 C2011-940539-3
Mémoire d'encrier
1260, rue Bélanger, bureau 201
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H2S 1H9
Tél. : (514) 989-1491
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Version ePub réalisée par :
www.Amomis.com
Amomis.comFelwine Sarr
105 RUE CARNOT
Récits
Amomis.comComme une mélodie…
Cette mélodie me rappela mes premiers accords de guitare. Ils résonnèrent pour la première fois dans notre petit jardin à la Villa Rose où je passais des nuits entières à délasser mes doigts sur le manche rugueux d’une guitare sèche achetée 25 000 F CFA au marché aux puces de Dakar. Au petit matin, j’avais réussi à faire tourner une grille d’accords assez régulièrement et assez longtemps pour ressentir cette chose indicible, cet état second dans lequel plonge la musique et que les musiciens de mon coin appellent la vibes. Depuis, du temps est passé, la vie s’est épaissie et mes mélodies avec. Ma vocation de poète naquit en contemplant du haut du quartier de Médina Coura la ville de Tamba-Counda. Ses toits en tôles ondulées, ses flamboyants tout de guingois, ses rues en latérite qui rougeoyaient comme du fer incandescent sous la braise ardente d’un soleil de novembre. Tous les matins, je quittais le camp militaire Mamadou Lamine Dramé, échoué sur une colline, au bout de la ville, pour me rendre à l’école au quartier Médina Coura en contrebas. De là, je contemplais la ville. Une avenue principale découpait cette bourgade du fond du Sénégal en deux. Elle était bordée de bougainvillées que les Tambacoundais appelaient les indépendances parce que ces arbres avaient été plantés en 1960, l’année de l’indépendance du Sénégal.
Quelques semaines après mon premier poème sur le charme bucolique de cette ville de province survinrent les massacres de Sabra et de Chatila. Je fus profondément choqué. Ce fut l’objet de mon deuxième poème. Une prose empreinte d’une douce candeur et d’une sincère révolte qu’il m’arrive de relire avec émotion et circonspection. Du haut de mes douze ans, je me demandais pourquoi les hommes étaient si cruels. Des années plus tard, ma question reste toujours sans réponse. La cruauté de mes semblables, je m’y suis fait comme on s’accommode de la seule veste rapiécée dont on dispose en plein hiver. Puis vinrent les poèmes d’amour. Sali Bodian Sall était belle. En classe de sixième au collège Jean XXIII nous nous asseyions côte à côte. Le hasard avait voulu que nos patronymes commencent par la même lettre et que les places soient assignées par ordre alphabétique. Mon nom venait juste après le sien et ceci fit mon bonheur. Pendant une année, nous échangeâmes gommes, crayons, ardoises, feutres et stylos à bille. Parfois je l’aidais à finir ses devoirs ou lui expliquais quelque ardu problème de mathématiques un peu avant que le professeur ne fit son apparition. Le théorème de Pythagore et la surface du losange furent mes premières armes de séduction. Cette douce promiscuité me plaisait. À la fin de l’année, elle me devint aussi nécessaire que l’air que je respirais. Parfois nos bras se frôlaient et Sali Bodian me souriait timidement. Tous les jours, après l’école, je l’accompagnais jusqu’au pas de sa porte à Médina Coura avant de regagner le camp militaire. À la fin de l’année, au dernier jour d’école, en la quittant, je glissai dans ses petites mains frêles une enveloppe. Elle contenait une lettre. Le lendemain, je partis traîner autour de chez elle dans l’espoir de la voir sortir. Après deux heures de guet, bredouille, je repérai une boutique un peu cachée à l’angle de la rue d’où je pouvais voir (sans être vu, bien sûr !) toutes les entrées et sorties de sa demeure. La boutique était à une telle distance que dès que je la verrais sortir, en marchant tranquillement, je pourrais la rattraper au coin de la rue et feindre la rencontre fortuite. J’installai mon bivouac chez Ahmed Ould Abdallah, le boutiquier mauritanien, commandai une bouteille de Gazelle et attendit. Vers la fin de la journée, j’aperçus sa frêle silhouette se glisser tel un rai de lumière hors du donjon paternel. Derrière elle suivait un mastodonte, le pas alangui par le poids des bourrelets. Un furtif air de famille et des miettes d’élégances qui résistaient au temps me firent penser que c’était sa mère.
J’étais abattu. Mille tonnes de plutonium 239 venaient de réagir en chaîne dans ma tête. Quelle infortune ! Elle était accompagnée par sa mère. Peut-être espérais-je que le mastodonte aurait oublié quelque objet précieux qu’elle lui demanderait d’aller chercher à la maison. Et puis, où pouvaient-elles bien aller à cette heure-ci ? Une visite familiale ?