Printemps 2124
Un instant après l’aube, au mois d’avril, Zoubeida-la-Vieille est morte. Les bergers l’ont trouvée adossée au lavoir, assise comme si elle faisait un somme à côté de son panier vide pendant que le linge flottait à la surface de l’eau. Comme c’était la doyenne, et la dernière à être née avant l’inversion climatique, le maire a demandé à Raja, sa fille aînée, d’aller sur le tertre faire sonner la cloche de bronze. Cette cloche, m’a-t-on raconté, s’animait autrefois pour signaler les feux de forêt. D’autres tertres que les nôtres, dispersés sur le territoire et surmontés des mêmes cloches, nous faisaient parvenir l’annonce de la catastrophe comme une longue chaîne musicale jusqu’à ce que l’information soit connue de tous les bourgs.
Le son était codé de sorte qu’on sache de quelle direction venait l’alerte, et combien de cloches avaient sonné avant la nôtre. Lorsque le tertre se mettait à vibrer, chacun interrompait l’activité qui l’occupait pour puiser de l’eau. Les gardes champêtres s’enveloppaient dans leurs lourdes capes huilées et disparaissaient dans les collines à la recherche de la fumée. Les incendies étaient alors courants, nourris par la chaleur qu’on nous avait décrite comme une plaie aux mille visages. Mais depuis l’inversion, la cloche ne sonnait guère plus que pour les orages électriques, vestiges d’une époque révolue. Quand elle a retenti pour la mort de Zoubeida, ceux qui n’étaient pas déjà debout ont sauté hors de leur lit comme un seul homme. Le maire a improvisé une triste oraison devant le village réuni. Le vent s’était levé et secouait les arbres fruitiers dans leurs filets. Il a dû hausser la voix pour couvrir le bruit du moulin qui tournait à plein régime. « C’est la vieille Zoubeida qui a fondé ce village au pied des éoliennes, loin des villes mortes. Elle a consacré toute sa vie à cette communauté, en prodiguant aide et conseils à chacun.
– Ah, ça, pour prodiguer des conseils… m’a chuchoté Raja.
– Elle aurait eu des conseils à donner sur son propre enterrement, ai-je renchéri à voix basse. » Nous nous sommes tus en croisant le regard plein de reproches de Sybil, notre amie et l’une des apprentis de Zoubeida.
Pendant ce temps, le maire concluait son éloge funèbre : « Elle laisse derrière elle un chantier naval florissant, que ses apprentis feront prospérer à leur tour. Son arbre sera le saule. Nous le planterons demain sur les rives méridionales du fleuve. Il sera défendu aux bûcherons de l’abattre pour
