Yasmina
Par Ahcene Douas
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À propos de ce livre électronique
Elle avait été élevée dans un site funèbre
où, au sein de la désolation environnante,
flottait l'âme mystérieuse des millénaires abolis.
Son enfance s'était écoulée là, dans les ruines
grises, parmi les décombres et la poussière
d'un passé dont elle ignorait tout.
De la grandeur morne de ces lieux,
elle avait pris comme une surcharge
de fatalisme et de rêve. eétrange,
mélancolique, entre toutes les filles de sa race:
telle était Yasmina la Bédouine.
Ahcene Douas
الدكتور احسن دواس أكاديمي وشاعر ومترجم و أستاذ للنقد والآداب العالمية بجامعة سكيكدة ، صدر له أكثر من عشرين كتابا في الشعر والترجمة والدراسات منها: سفر على أجنحة ملائكية / أمواج وشظايا / ديابوراما رحلية للجزائر الثقافية في القرن التاسع عشر /المرآة والصدى: دراسة سوسيو-ثقافية /حالات توهم في حضرة سيدة المعنى /حكايا السمراء: مختارات من الحكاية الشعبية الافريقية/ حدث الهدهد قال: أنطولوجيا القصة القصيرة في الجزائر
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Aperçu du livre
Yasmina - Ahcene Douas
Yasmina
Elle avait été élevée dans un site funèbre où, au sein de la désolation environnante, flottait l'âme mystérieuse des millénaires abolis.
Son enfance s'était écoulée là, dans les ruines grises, parmi les décombres et la poussière d'un passé dont elle ignorait tout.
De la grandeur morne de ces lieux, elle avait pris comme une surcharge de fatalisme et de rêve. ةtrange, mélancolique, entre toutes les filles de sa race : telle était Yasmina la Bédouine.
Les gourbis de son village s'élevaient auprès des ruines romaines de Timgad, au milieu d'une immense plaine pulvérulente, semée de pierres sans âge, anonymes, débris disséminés dans les champs de chardons épineux d'aspect méchant, seule végétation herbacée qui pût résister à la chaleur torride des étés embrasés. Il y en avait là de toutes les tailles, de toutes les couleurs, de ces chardons : d'énormes, à grosses fleurs bleues, soyeuses parmi les épines longues et aiguës, de plus petits, étoilés d'or... et tous rampants enfin, à petites fleurs rose pâle. Par-ci par-là, un maigre buisson de jujubier ou un lentisque roussi par le soleil.
Un arc de triomphe, debout encore, s'ouvrait en une courbe hardie sur l'horizon ardent. Des colonnes géantes, les unes couronnées de leurs chapiteaux, les autres brisées, une légion de colonnes dressées vers le ciel, comme en une rageuse et inutile révolte contre l'inéluctable Mort...
Un amphithéâtre aux gradins récemment déblayés, un forum silencieux, des voies désertes, tout un squelette de grande cité défunte, toute la gloire triomphante des Césars vaincue par le temps et résorbée par les entrailles jalouses de cette terre d'Afrique qui dévore lentement, mais sûrement, toutes les civilisations étrangères ou hostiles à son âme...
Dès l'aube quand, au loin, le Djebel Aurès s'irrisait de lueurs diaphanes, Yasmina sortait de son humble gourbi et s'en allait doucement, par la plaine, poussant devant elle son maigre troupeau de chèvres noires et de moutons grisâtres.
D'ordinaire, elle le menait dans la gorge tourmentée et sauvage d'un oued assez loin du douar.
Là se réunissaient les petits pâtres de la tribu. Cependant, Yasmina se tenait à l'écart, ne se mêlant point aux jeux des autres enfants.
Elle passait toutes ses journées, dans le silence menaçant de la plaine sans soucis, sans pensées, poursuivant des rêveries vagues, indéfinissables, intraduisibles en aucune langue humaine.
Parfois, pour se distraire, elle cueillait au fond de l'oued desséché quelques fleurettes bizarres, épargnées du soleil, et chantait des mélopées arabes.
Le père de Yasmina, El Hadj Salem, était déjà vieux et cassé. Sa mère, Habiba, n'était plus, à trente-cinq ans, qu'une vieille momie sans âge, adonnée aux dures travaux du gourbi et du petit champ d'orge.
Yasmina avait deux frères aînés, engagés tous deux aux Spahis. On les avait envoyés tous deux très loin, dans le désert. Sa sœur aînée, Fathma, était mariée et habitait le douar principal des Ouled-Mériem. Il n'y avait plus au gourbi que les jeunes enfants et Yasmina, l'aînée, qui avait environ quatorze ans.
Ainsi, d'aurore radieuse en crépuscule mélancolique, la petite Yasmina avait vu s'écouler encore un printemps, très semblable aux autres, qui se confondaient dans sa mémoire.
Or, un soir, au commencement de l'été, Yasmina rentrait avec ses bêtes, remontant vers Timgad illuminée des derniers rayons du soleil à son déclin. La plaine resplendissait, elle aussi, en une pulvérulence rose d'une infinie délicatesse de teinte... Et Yasmina s'en revenait en chantant une complainte saharienne, apprise de son frère Slimène qui était venu en congé un an auparavant, et qu'elle aimait beaucoup :
Jeune fille de Constantine,
qu'es-tu venue faire ici,
toi qui n'es point de mon pays,
toi qui n'es point faite pour vivre
dans la dune aveuglante...
Jeune fille de Constantine,
tu es venue et tu as pris mon coeur,
et tu l'emporteras dans ton pays...
Tu as juré de revenir, par le Nom très haut...
Mais quand tu reviendras au pays des palmes,
quand tu reviendras à El Oued,
tu ne me retrouveras plus
dans la DEMEURE DES FLEURS
Cherche-moi dans la DEMEURE DE L'ETERNITE...
Et doucement, la chanson plaintive s'envolait dans l'espace illimité... Et doucement, le prestigieux soleil s'éteignait dans la plaine...
Elle était bien calme, la petite âme solitaire et naïve de Yasmina... Calme et douce comme ces petits lacs purs que les pluies laissent au printemps pour un instant dans les éphémères prairies africaines, et où rien ne se reflète, sauf l'azur infini du ciel sans nuages...
Quand Yasmina rentra, sa mère lui annonça qu'on allait la marier à Mohammed Elaour, cafetier à Batna.
D'abord, Yasmina pleura, parce que Mohammed était borgne et très laid et parce que c'était si subit et si imprévu, ce mariage.
Puis, elle se calma et sourit, car c'était écrit. Les jours se passèrent ; Yasmina n'allait plus au pâturage. Elle cousait, de ses petites mains maladroites, son