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L’émigration des Juifs de Tunisie de 1943 à 1967: Histoire
L’émigration des Juifs de Tunisie de 1943 à 1967: Histoire
L’émigration des Juifs de Tunisie de 1943 à 1967: Histoire
Livre électronique546 pages6 heures

L’émigration des Juifs de Tunisie de 1943 à 1967: Histoire

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À propos de ce livre électronique

Parcourez vingt années de l'histoire judéo-tunisienne.

En l’espace de vingt ans (fin 1940 - fin 1960), des 105 000 Juifs qui vivaient en Tunisie n’en ont subsisté qu’un peu plus de 10 000. L’assimilation française, l’émergence de l’idéologie sioniste à la fin du XIXe siècle, l’épisode dramatique du débarquement allemand et la blessure laissée par la France de Vichy, la montée des nationalismes dans l’ensemble du monde arabo-musulman, ajoutés au contexte géopolitique de l’époque, ont favorisé l’éveil d’une conscience des droits politiques et humains inaliénables chez la population juive de Tunisie. A la fin de l’occupation allemande (mai 1943), des départs ont eu lieu vers la Palestine ; ils s’intensifient à la veille et au lendemain de la création de l’Etat d’Israël. En 1952, l’amorce de la lutte contre l’occupant français, qui se solde par l’accès à l’autonomie interne en août 1954, fragilise cette minorité, inquiète de ne pouvoir accéder pleinement à la citoyenneté sous la nouvelle administration tunisienne, et incertaine quant à son avenir du point de vue social, économique, politique et institutionnel. Jusqu’à l’achèvement du processus d’indépendance tunisienne, l’émigration des Juifs en France et en Israël s’effectue en corrélation avec les réseaux migratoires nord-africains. Les organisations juives mondiales et les associations communautaires juives tunisiennes sont nombreuses à conjuguer leurs efforts pour assister les candidats au départ. L’intégration des émigrants dans leurs pays d’accueil se fait généralement dans la difficulté et la précarité. En 1967, lors de la guerre des Six jours, les manifestations hostiles aux Juifs portent un coup fatal à une possible cohabitation judéo-musulmane en terre tunisienne.

Les tensions entre les musulmans et les juifs de Tunisie incitent depuis des décennies ces derniers à émigrer. L'auteure, docteure en histoire contemporaine, en a fait sa spécialisation et nous partage ici ses recherches.

EXTRAIT

Lors de la première conférence nord-africaine du Congrès juif mondial tenu à Alger du 7 au 10 juin 1952, Maître Charles Haddad, président de la communauté juive de Tunis, attire l’attention sur le dilemme qui se pose aux Juifs, confrontés à ces deux protagonistes cherchant à gagner leur soutien (Résidence générale de France et nationalistes). Il souligne, par ailleurs, l’attachement des Juifs à la France, « source de leur inspiration culturelle et d’émancipation politique », précisant que, dans un tel contexte, leur meilleure alternative est de jouer le rôle de médiateurs au coeur du conflit entre musulmans et Français385. Or, s’agit-il réellement de dilemme ? Car, d’une part, Charles Haddad a précisé que la présence française est plus que nécessaire et que ce point de vue, partagé par la plupart des Juifs de Tunisie, doit rester confidentiel ; d’autre part, il a effectué des démarches pour faciliter l’émigration des Juifs du Sud du pays vers Israël, blâmant l’Agence juive de n’avoir pas pris les mesures nécessaires à leur évacuation. Également présent à ce Congrès en tant que membre de la délégation tunisienne, Mathieu Ganem, fervent sioniste, a ouvertement déclaré que les concessions politiques françaises aux nationalistes seraient nuisibles à la communauté juive tunisienne.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Olfa Ben Achour est docteure en histoire contemporaine, spécialiste de l’émigration des Juifs de Tunisie. Sa thèse dont est issu cet ouvrage est la continuité d’un travail de réflexion qu’elle avait déjà mené sur la condition des Juifs tunisiens sous le Protectorat français et jusqu’à l’indépendance tunisienne. Elle a exercé dans différents instituts universitaires et publié plusieurs articles. Chercheure associée à l’IRMC, elle travaille actuellement sur la question de la patrimonialisation de l’héritage culturel judéo-tunisien.
LangueFrançais
ÉditeurPublishroom
Date de sortie8 oct. 2019
ISBN9791023611410
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    L’émigration des Juifs de Tunisie de 1943 à 1967 - Olfa Ben Achour

    Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit, est illicite et constitue une contrefaçon, aux termes des articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

    « Seulement un jour, toute une série de mouvements nouveaux de l’histoire a démoli notre pauvre équilibre. Nous en sommes restés abasourdis comme ces insectes que l’on retourne, sans plus d’attaches avec le sol, que nous croyions vaguement collés à nos pieds (…) »¹.


    1. Memmi, 1961.

    Effectifs des départs des Juifs de Tunisie vers Israël et vers la France (1943-1968)²


    2. Ce tableau est réalisé par nos soins, notamment à partir d’un croisement de sources archivistiques et bibliographiques. Ces données demeurent très variables ou imprécises : par exemple, pour l’année 1949, Attal R. comptabilise 2 000 départs vers Israël, un nombre que nous avons revu nettement à la hausse en fonction des chiffres fournis par le ministère de l’Intérieur français ; pour l’année 1952, l’Agence juive indique 6 700 départs pour Israël, nombre trop élevé par rapport aux données fournies par le ministère des Affaires étrangères français ainsi que par R. Attal et C. Sitbon ; pour l’année 1964, Laskier indique 1 715 départs vers la France, mais il s’agit uniquement de ceux effectués par le biais de la HIAS ; pour l’année 1967, les chiffres du CASIP-CO-JASOR indiquent un minimum de 4 000 arrivées en France, ce qui ne correspond pas aux chiffres de Sebag qui avoisinent les 2 000.

    Carte des trajectoires 1944-1955

    Carte des trajectoires 1956-1967

    Acronymes et Abréviations

    Abréviations

    AG : assemblée générale

    arch.citée : archive citée

    art.cité : article cité

    a/s : au sujet de

    destin. : destinataire

    Ed. : éditions

    expéd. : expéditeur

    Fasc : fascicule

    mém. : mémorandum

    op.cit : opuscule cité

    PV : procès verbal

    rapp. : rapport

    s.d : sans date

    s.l : sans lieu

    télég. : télégramme

    trad. : traduction

    vol. : volume

    Acronymes relatifs aux institutions, au référencement archivistique et bibliographique

    AIU : Alliance israélite universelle

    AJC : American jewish committee

    AMAE-La Cve : Archives du ministère des Affaires étrangères, La Courneuve.

    ANOM : Archives nationales d’Outre-Mer

    ANT : Archives nationales tunisiennes

    ASH : Association sociale pour l’habitat

    CADN : Centre des archives diplomatiques de Nantes

    CASIP-COJASOR : Comite d’action sociale israélite de Paris – Comite juif d’action sociale et de reconstruction

    CHEAM : Centre des hautes études sur l’Afrique et l’Asie modernes

    CIDE : Caisse israélite de démarrage économique

    CIRE : Caisse israélite de relèvement économique

    FSJU : Fonds social juif unifié

    Hard Core : noyau résiduel de réfugiés (personnes déplacées – DPs) trop faibles (malade, âgées) pour effectuer des démarches en vue d’une émigration ou d’un rapatriement et pour lequel il était difficile de trouver une solution à cause leur état physique ou mental.

    ISHMN : Institut supérieur d’histoire du mouvement national

    JDC ou AJDC : American jewish distribution committee

    ORT : Organisation Reconstruction Travail

    OSE : Organisation de secours à l’enfance

    WIZO : Women’s international zionist organization

    YIVO : Institute for jewish research

    Acronymes relatifs aux mouvements, partis, organismes et organisations juives mondiales, groupes militaires et paramilitaires

    AJC : American jewish committee

    AJDC (ou JDC ou Joint) : Americcan joint distribution committee

    Betar : Berit Trumpeldor

    CHLN : Comité hébreu de libération nationale

    CJM : Congrès juif mondial.

    FNJ : Fonds national juif

    HIAS : Hebrew sheltering and immigrant aid society

    IZL: Irgun Zvai Leumi

    JCA : Jewish colonization association

    KH : Keren hayesod

    KKL : Keren kayemet Le-Israël

    OSM : Organisation sioniste mondiale

    Mapai : Mifleget Poalei Eretz Israel

    Mapam : Mifleget Hapoalim Hame-uhedet

    Mossad : Ha-Mosad le-Modi‘in u-le-Tafkidim Meyuhadim

    Nahal : Noar Halutz Lohem

    NOSA : Nouvelle organisation sioniste algérienne

    Tzahal ou Tsahal : Tzva Haganah LeYisrael

    UJA : United jewish appeal

    Autres acronymes

    GPRF : Gouvernement provisoire de la République française

    PRG : Police des renseignements généraux

    RAU : République arabe unie

    Liste des tableaux

    Tableau 1 : Les pionniers juifs de Tunisie en Israël (1944-1950)

    Tableau 2 : Les bateaux ayant accosté sur les rives tunisiennes et algériennes entre février et décembre 1947, avec des Juifs d’Afrique du Nord à leur bord (immigration illégale)

    Tableau 3 : Répartition des émigrants juifs nord-africains par pays selon le Ministère de l’Intérieur français (année 1949 et début année 1950)

    Tableau 5 : Tableau comparatif des chiffres de Robert Attal et de Mickaël Laskier concernant l’émigration vers Israël de 1950 à 1955

    Tableau et figure 8 : Nombre de familles juives nord-africaines (Tunisie, Algérie, et Maroc) accueillies par le CBIP de Paris de 1955 à 1961 ; évolution du nombre de familles nord-africaines accueillies par le CBIP de Paris de 1954 à 1962

    Avant-propos

    « 

    – Tu es arabe ? […].

    – Non

    – Alors pourquoi tu parles arabe ?

    – Parce que je suis Tunisien.

    – Si tu es tunisien, tu es arabe.

    – Non, je te dis.

    – Alors tu es quoi ? demanda t-il de plus en plus intrigué.

    – Je suis juif.

    – Ah tu es israélien ?

    – Non ! je suis juif tunisien.

    – Tu te moques de moi ! Un Israélien-tunisien, ça n’existe pas, ce n’est pas possible. Tu es certainement un arabe qui habite à Paris »³.

    Rien ne nous semble plus évocateur de la complexité du vécu juif tunisien que cette conversation engagée entre André Nahum et un vendeur de jasmin sur l’une des plages d’Hammamet dans les années 1980, soit à peine une vingtaine d’années après la fin des grandes vagues migratoires des Juifs de Tunisie. Cet échange, assez symptomatique de la méconnaissance – par les nouvelles générations – du passé et de l’ancienneté de la présence juive, soulève indirectement la problématique des populations minoritaires dans une Tunisie post-indépendante marquée par l’affirmation de la composante majoritaire arabo-musulmane. Cette problématique constitue généralement l’axe fondamental de la réflexion sur le processus des départs des Juifs de Tunisie, sur lequel s’appuie l’historiographie relative à l’émigration juive tunisienne et nord-africaine dans son ensemble. Pourtant, les prismes à travers lesquels les départs devraient être examinés sont multiples et parfois très enchevêtrés les uns aux autres, depuis la fin du XIXe siècle jusqu’à l’indépendance. Ils sont à mettre en relation avec l’histoire même du peuple tunisien dans sa longue lutte contre le colonialisme et dans ses rapports avec le monde politique international. Ils doivent aussi tenir compte d’autres factualités historiques, voire de ce qui est décrit comme « un climat émotionnel » relié en amont à « l’intériorisation du statut minoritaire […], à la biculturalité ou la multiculturalité assez répandue dans le monde juif […], aux représentations de l’islam et de la société islamique […] »⁴. La population juive doit en effet être saisie dans sa relation multiséculaire à une société arabo-musulmane qui était politiquement, socialement et culturellement dominante, mais aussi dans son interaction avec les bouleversements induits par la pénétration européenne et la naissance du sionisme en tant que nouvelle conscience politique.

    En effet, au milieu du XIXe siècle, les Juifs tunisiens, encore assujettis au statut de dhimmi en vigueur depuis douze siècles, commencent dès la promulgation du Pacte fondamental de 1857 à connaître une phase d’ouverture et d’émancipation qui va s’affirmer avec l’instauration du Protectorat français (1881) et perdurer jusqu’à l’indépendance⁵. A ce premier document officiel qui a ébranlé les assises socioreligieuses du droit musulman (car s’adressant à tous les habitants de Tunisie sans disctinction d’origine, de religion et de nationalité) s’ensuivra quelques années plus tard une ère de mutations socioculturelles, conséquence de la pénétration coloniale française. Dans la continuité des influences européennes déjà introduites par les Juifs livournais arrivés en Tunisie par vagues intermittentes entre le XVIIe et XIXe siècles, la diffusion de la langue, de la culture et des mœurs françaises, la redistribution spatiale de la population urbaine, l’apparition de nouveaux lieux de sociabilité et l’accès à un enseignement moderne (déjà initié grâce aux écoles de l’Alliance israélite implantées dès 1864), ont permis un certain décloisonnement social et une interaction entre populations juives, musulmanes et européennes⁶.

    Au contact des institutions éducatives, les élèves juifs scolarisés, qui étaient au nombre de 3 074 élèves (garçons et filles inclus) en 1889, passent à 5 333 en 1905, puis à 7 905 en 1912, ce qui représente une progression de 157% en 23 ans⁷. La liberté d’association et de presse – bien que contrôlée par l’administration française – a favorisé le développement d’une expression politique en tant qu’outil d’émancipation de la culture dominante et du carcan socioreligieux communautaire. La culture et les idéaux de la Révolution française véhiculés par des journaux comme La Justice (1907-1935) et par des œuvres littéraires françaises traduites en judéo-arabe, ouvrent davantage la voie à l’occidentalisation par l’assimilation française. Mais celle-ci n’est pas la seule et unique alternative d’affranchissement du joug arabo-musulman : le sionisme s’est également posé comme vecteur de modernité, ouvrant l’accès à une nouvelle conscience politique. Une bipolarisation culturelle et idéologique commence alors à marquer la vie communautaire mais aussi le paysage médiatique et associatif juif tunisien dès les lendemains de la Première Guerre mondiale. Au moment où se forme le parti Destour (1920) cristallisant l’émergence d’un nationalisme tunisien opposé au régime du protectorat, l’élite juive tunisienne avait déjà entrepris – depuis une quinzaine d’années – de revendiquer l’extension de la juridiction française et de la nationalité française à l’ensemble de la population juive⁸. Divisés entre partisans et opposants à la naturalisation française, les Juifs de Tunisie le seront davantage au moment où les activités sionistes, encouragées par la déclaration Balfour (1917), se développeront pour aboutir à la création de la Fédération sioniste de Tunisie (1920). Les victoires respectives de la liste sioniste et libérale laïque lors des premières et secondes élections du Conseil de la Communauté israélite (1922 et 1926) sont caractéristiques d’une culture politique bipolarisée au sein de la communauté juive⁹. Il n’est pas exclu que la loi Morinaud sur la naturalisation française (23 décembre 1923)¹⁰ ait largement contribué à inverser la tendance, d’autant plus que depuis cette date le nombre des Juifs naturalisés n’a cessé de s’accroître : 30 en 1923, 276 en 1924, 872 en 1925, et 1 222 en 1926, soit un total de 2 400 qui correspond à environ 5% de la population juive tunisienne¹¹. D’un autre côté, en 1922, l’adhésion de près de 2 000 membres à la Fédération sioniste de Tunisie met en exergue une forme de dichotomie caractérisant les aspirations politiques de la population juive au lendemain de la guerre, même si parallèlement, les sionistes généraux tentaient de faire la synthèse des revendications sionistes et assimilationnistes françaises¹².

    Se pose alors la question des raisons pour lesquelles les Juifs tunisiens n’ont pas rejoint en masse le combat nationaliste contre l’occupant alors que le colonialisme a conféré « une égalité d’exclus » où Juifs et musulmans étaient « sous l’égide de la conquête coloniale logés à la même enseigne, objectivement réunis dans la même condition de sujets indigènes privés de droits »¹³. Le sentiment nationaliste était pourtant parvenu dans un premier temps à unir Juifs et musulmans dans leurs revendications d’indépendance au nom du peuple tunisien : l’élite intellectuelle juive et musulmane, à la recherche d’une plateforme pour une action commune, a donné corps à un comité arabo-juif (1920)¹⁴, à un journal (La Tunisie nouvelle)¹⁵ et au projet d’une banque arabo-juive. Si ces inititiatives constituent un moment historique où Juifs et musulmans se sont rassemblés contre l’élément colonisateur, pourquoi ont-elles été limitées dans le temps et n’ont-elles pas pu s’étendre à l’ensemble des communautés, juive et musulmane, dont la coexistence était pourtant ancestrale ?

    L’assimilation française, l’essor du mouvement sioniste dès le début du XXe siècle, l’épisode dramatique du débarquement allemand en Tunisie (nov. 1942- mai 1943) avec en toile de fond les sentiments germanophiles des masses arabo-musulmanes si l’on en croit du moins les sources officielles françaises¹⁶, la blessure laissée par la France de Vichy, enfin la naissance de l’État hébreu et la guerre israélo-arabe dans un contexte marqué par la montée des nationalismes dans le monde arabo-musulman, demeurent incontestablement les évènements majeurs qui ont commencé à projeter le judaïsme tunisien hors de son cadre sociologique. Certes, le nationalisme tunisien se présentait pour une majorité de Juifs comme l’expression politique d’un mouvement exclusivement musulman, mais cela ne fut pas le cas de certains qui ont choisi de se joindre aux rangs du Néo-Destour, tandis que d’autres, à la recherche d’un compromis politique, avaient adhéré à l’idéologie communiste et socialiste dont les principes de non-discrimination et de lutte contre l’impérialisme leur permettaient de cristalliser leur propre vision du nationalisme. De leur côté, les partisans du courant assimilationniste avaient, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, une confiance altérée en « une France assimilatrice et généreuse »¹⁷. Quant à l’idéologie sioniste, étroitement liée à la nécessité d’une patrie pour les Juifs, elle placera ces derniers dans la difficile tâche de se positionner vis-à-vis de leurs propres aspirations politiques et nationales. Au cœur de cette multiplicité d’aspirations et d’identifications, le regard du Juif s’est détourné vers un « ailleurs », en se portant à la fois vers la Terre sainte et vers la France.

    Après l’évacuation des troupes allemandes, plusieurs journaux et organisations sionistes ont recommencé à paraître et à s’activer pour informer la population juive de la question palestinienne et réorganiser les souscriptions pour le développement économique du futur État d’Israël. Plusieurs départs ont été organisés en direction de certains kibboutzim, appuyés par l’Organisation sioniste mondiale qui crée en 1946 un service des communautés orientales visant à permettre l’émigration de près de 500 000 Juifs d’Afrique du Nord en Palestine¹⁸. A cette date-là, la population juive tunisienne était de 70 971 Juifs de nationalité tunisienne, concentrés essentiellement à Tunis (42 200 âmes), les autres étant répartis entre le Nord du pays (6 371), le Centre (9 505), le Sud (8 980), et l’extrême-Sud (3 915)¹⁹. En 1946-47, les débuts de l’action de l’Agence juive et du Mossad Le Alya pour organiser l’émigration illégale (Alya Beth) des Juifs d’Afrique du Nord constituent une composante d’un plus vaste programme permettant d’opérer depuis la France d’importants départs clandestins de plusieurs centaines de milliers de Juifs européens survivants, vers la Palestine sous mandat britannique, puis vers l’État hébreu à compter de mai 1948²⁰. En Afrique du Nord, ces départs ont été rendus possibles grâce aux réseaux communautaires et associatifs tuniso-algériens qui avaient appuyé l’ensemble de la logistique mise en place par l’Agence juive et le Mossad. Quelques centaines d’émigrants nord-africains (dont des Tunisiens) ont pu ainsi se rendre en Palestine via l’Algérie puis la France, pour contribuer à la lutte contre les Arabes et à l’implantation de points de peuplement. Avec l’adoption par l’ONU, le 29 novembre 1947, d’un plan de partage de la Palestine et la proclamation le 14 mai 1948 de l’indépendance de l’État d’Israël, le sionisme tunisien a vu son audience s’élargir notamment auprès des communautés, plus traditionalistes, de l’arrière-pays. La création de l’État hébreu correspondait à une renaissance idéologique qui devait marquer les dernières années de la cohabitation arabo-juive en Tunisie, et l’on peut déjà noter l’émigration d’au moins 8 564 Juifs entre 1948 et 1950 – ce qui représentait un peu plus de 8% de l’ensemble de la population juive tunisienne, et d’au moins 14 000 entre 1948 et 1952²¹. Mais, la déception de ces familles « nourries du rêve messianique », confrontées « aux réalités d’un État en construction et aux préjugés d’une population d’origine européenne ignorante des valeurs de la judaïcité nord-africaine »²², a participé au ralentissement – dans un premier temps – du rythme des départs.

    Lorsque la crise des relations tuniso-françaises du début des années 1950 provoque celle du protectorat français en Tunisie, la communauté juive « est apparue, tout au long du processus d’indépendance, partagée entre un soutien actif et militant au Parti communiste tunisien, au Néo-Destour de Bourguiba et principalement pour la frange occidentalisée, à la défense de la présence française »²³. Ayant gardé en mémoire le souvenir du statut inférieur que les Juifs ont connu dans la Tunisie d’avant le protectorat, elle éprouvait un sentiment profond d’insécurité face à l’avenir, s’accentuant au fur et à mesure de la dégradation de la situation sécuritaire et économique du pays. C’est d’ailleurs au cours de cette nouvelle conjoncture que des départs vers la France ont commencé à avoir lieu ; ils ne dépassent pas quelques centaines selon les chiffres du CASIP-COJASOR²⁴.

    La période 1952-1958, très instable sur le plan politique et économique, teintée en arrière-plan par le conflit du Moyen-Orient et la Guerre d’Algérie, est particulièrement marquée par l’internationalisation de la question juive tunisienne. Celle-ci devient l’objet d’enjeux et de manoeuvres politiques entre l’administration française, le Néo-Destour, la Ligue arabe, les milieux juifs américains voire l’administration américaine, et les institutions juives mondiales. En effet, l’Agence juive, l’American Jewish Committee (AJC), le Joint Distribution Committee (JDC) et le Congrès juif mondial (CJM), suivent de près tout incident ou disposition gouvernementale susceptible d’affecter leurs coreligionnaires, engageant régulièrement toute action ou intervention diplomatique utile en leur faveur, et œuvrant à faciliter leur départ²⁵. A Tunis, les représentants de la communauté juive ne manquent pas de faire part de leurs préoccupations et doléances à ces organismes, tout en leur permettant de se placer en intermédiaires entre eux et le gouvernement.

    Si au lendemain de l’indépendance, près de deux tiers des Juifs tunisiens souhaitent vivre l’expérience de la citoyenneté et contribuer à la construction de la jeune nation tunisienne²⁶, à quoi sont dus les départs de milliers de Juifs à peine quelques semaines au lendemain de l’indépendance ? L’exode avait atteint son paroxysme lors de la crise de Bizerte (1961) et des répercussions de la guerre des Six Jours (1967), dans un contexte marqué par l’émergence du panarabisme (naissance de la République arabe unie en 1958), le débat sur l’avenir des institutions juives, la restriction de la liberté de circulation des personnes et des capitaux, et enfin l’exhortation à l’émigration par l’Agence juive et le Mossad.


    3. Nahum, 2003.

    4. Tapia et Fellous (dir.), 2003.

    5. Valensi L. et Hermassi (dir.), 1994. Le statut de dhimmi que l’Islam avait assigné aux « infidèles », fut maintenu au lendemain de la conquête ottomanne, à la seule différence qu’à partir des XVIIe et XVIIIe siècles, les chrétiens purent s’en soustraire grâce aux droits et garanties qui leur avaient été reconnus par le régime des Capitulations (traités conclus entre l’Empire ottoman et certains pays d’Europe garantissant aux chrétiens le droit de se soustraire à l’action des autorités locales et de relever de leurs autorités nationales représentées par leurs agents diplomatiques et leurs consuls). Cette situation s’est étendue à une catégorie de juifs qui, étant souvent au service des commerçants et consulats européens, furent assimilés aux nationaux européens et de ce fait, soustraits à la juridiction locale et exonérés des impôts les plus lourds.

    6. Créée à Paris en 1860, l’AIU avait pour objectif principal de promouvoir l’éducation et le développement professionnel des Juifs dans le monde entier.

    7. Sebag, 1991.

    8. Smaja, 1905.

    9. Le Conseil de la communauté juive fut créé par décret le 30 août 1921 afin de remplacer la Caisse de secours et bienfaisance juive dont le fondement remonte au XIXe siècle. Il cristallisait tous les débats politiques qui divisaient la population juive et permettait l’expression de toutes les tendances lors de l’orgnisation d’élections tous les quatre ans.

    10. Cette loi fut promulguée par la France pour contrecarrer davantage les prétentions italiennes (deux ans auparavant, la politique française était déjà entrée dans une phase offensive de naturalisation avec la promulgation du décret du 8 novembre 1921 accordant la nationalité française jus soli aux étrangers nés en Tunisie à partir de la deuxième génération).

    11. Sebag, 1991.

    12. Larbi Snoussi, 1980. L’assimilationnisme est un courant né au début du XXe siècle, qui défendait l’idée de l’émancipation par la francisation.

    13. Charbit, 2014.

    14. Les Juifs qui avaient été actifs à la suite de cette alliance judéo-musulmane (ou comité arabo-juif) sont : Jacques Semama, Elie Zarah, Elie Uzan, Albert Bessis (Kazdaghli, 1999).

    15. Ce journal est paru pour la première fois le 3 octobre 1920 et a disparu le 6 mars 1921. Il cesse de paraître après des propositions sans suite de fusion avec L’Intransigeant et La Démocratie tunisienne.

    16. Les rapports officiels français ont pu évaluer à 95 % le nombre des Tunisiens partisans de la politique allemande au début de 1943. Rapport de la Résidence générale du mois de janvier et février 1946 cité par Mansar, 1997 (en arabe).

    17. Rey-Goldzeiguer, 1989 ; Nataf, 2006.

    18. Attal A., 1999. Créée le 3 septembre 1897 lors du premier Congrès sioniste de Bâle (Suisse), l’objectif principal de l’OSM était l’établissement en Palestine d’un État pour le peuple juif.

    19. Sebag, 1991.

    20. Créée en 1929 à l’instigation des autorités britanniques, l’Agence juive pour la Palestine est, jusqu’en mai 1948, l’institution politique représentant et administrant les Juifs de la Palestine mandataire. Après la création de l’État d’Israël, l’Agence juive (tout court) devient l’administration en charge de l’immigration. En hébreu, le Mossad signifie « institut » et alya veut dire « montée ». Le Mossad Le Alya est l’organisation qui œuvre pour l’immigration vers la terre d’Israël. Il ne doit pas être confondu avec le Mossad le Modi’in u le Tafkidim Meyuadim (Institut pour les renseignements et les affaires spéciales), l’une des trois agences de renseignements d’Israël, fondée en décembre 1949. Le Mossad Le Alyah Beth veut dire Littéralement « organisation pour l’émigration B », il est créé en 1939 pour se charger de l’émigration clandestine en collaboration avec la Haganah et l’Agence juive.

    21. Attal R., 1960. Ce pourcentage, obtenu en se basant sur un nombre de population d’environ 100 000 âmes, est à revoir à la hausse en fonction du recensement du ministère de l’intérieur français. Voir infra.

    22. Zytnicki, 1999.

    23. Simon et Tapia, 1998. Il est important de souligner ici que le terme « communauté juive » est loin d’être représentatif d’un point de vue sociologique, politique et économique de l’ensemble de la population juive tunisienne, celle-ci n’étant pas une entité uniforme et homogène même si elle rassemblait des individus liés généralement par une histoire commune, des valeurs et certains codes religieux. En effet, la situation des Juifs de Tunisie était parfois très différente selon les lieux de vie et d’implantation (Djerba, Gafsa, banlieue nord de la capitale, Tunis ville etc.), et même selon l’origine (berbères, Juifs arabisés des grandes villes, Juifs livournais, Juifs siciliens, Juifs d’origine andalouse, etc.) La composition du rabbinat tunisien reflétait également cette diversité sociodémographique. Dans un rapport daté d’août 1952, l’AJC précisait déjà les limites que représentait le terme « Communauté juive » : « Lorsque l’on parle de la communauté juive, l’on doit se rappeler qu’il s’agit d’un nombre relativement restreint des Juifs les plus aisés qui sont les seuls à avoir un certain intérêt dans les affaires de la communauté. Il n’y a pas quelque chose que l’on peut qualifier d’intérêt de la masse dans l’organisation et la structure communautaire. Il y a bien sûr ceux qui sont les bénéficiaires des diverses formes d’aide de la communauté, mais qui ne jouent aucun rôle actif dans la vie communautaire ou de son organisation ». (YIVO, arch. de l’AJC, 347.7.1, box 119, rapp. de l’AJC en date du mois d’août 1952, transmis le 24 septembre par Simon Segal au Foreign affairs committee, Near Estearn Affairs Committee).

    24. Il y a jusqu’à présent une lacune sur les chiffres des arrivées de Juifs tunisiens en France au début des années 1950. Bien que nous nous référons aux données fournies par les services du CASIP-COJASOR, celles-ci ne sont ni représentatives de l’ensemble des émigrés Juifs en provenance de Tunisie, ni même de leur installation dans les différentes villes françaises.

    25. Fondé en 1906 à New York, l’AJC est l’une des plus vieilles organisations de défense des Juifs américains et des Juifs du monde entier. Également basé à New York, le JDC fut créé en 1914 afin assister les communautés juives du monde entier à travers un réseau de programmes d’aide sociale et communautaire. Au lendemain de la création de l’Etat d’Israël, le JDC a soutenu des dizaines de milliers de Juifs pour leur installation dans leur nouvelle patrie, en collaborant surtout avec l’Agence Juive. Le CJM (World Jewish Congress) est une fédération de communautés et d’organisations juives, née à Genève en 1936 et dont le siège est aussi à New York. Son but premier est d’être « le bras diplomatique du peuple juif ».

    26. Tapia & Taïeb in Zytnicki, 1999.

    PREMIÈRE PARTIE

    DU RÊVE ANCESTRAL

    A L’ÉMIGRATION ORGANISÉE : LES DÉPARTS DES JUIFS DE TUNISIE (1943-1952)

    ²⁷


    27. Nous traitons dans cette partie des départs des Juifs de Tunisie vers la Palestine-Israël, car durant la tranche abordée (1943-1952), même s’il y a eu des départs vers la France, on ne peut parler de vagues migratoires.

    Si l’organisation de l’émigration juive nord-africaine s’est développée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale vers la Palestine-Israël, il n’en demeure pas moins qu’elle a été déjà impulsée, bien avant la fin de la guerre, par un sionisme, à l’origine sans base idéologique, qui s’est organisé en tissant peu à peu des liens étroits avec le sionisme mondial. Rappelons quelques faits importants : lors du premier Congrès sioniste de Bâle en 1897, le judaïsme nord-africain est représenté par M. Attali originaire de Constantine²⁸, mais on y signale également la présence de Juifs tunisiens tels qu’Isaac Mamou et Jacob Boccara²⁹. Puis, au cinquième Congrès (1901), Théodore Herzl évoque l’existence de cellules sionistes dans plusieurs villes du Maroc ainsi qu’à Alger et Tunis³⁰ :

    « Au cours des dernières années du XIXe siècle, un vent de nationalisme et de sionisme souffla [...] en Tunisie. Abraham Wazan, originaire de Tibériade et ayant vécu à Sousse, prépara un programme d’action détaillé destiné à inculquer l’idée sioniste aux Juifs de Tunisie. [En outre], le rabbi Moshé Hadad, fils de Rabbi Nissim Haddad de Nabeul, partit en Eretz-Israël en 1911 et publia ses impressions de voyage dans son livre Maamar Esther. Il fut, avec son épouse, l’un des fondateurs de l’organisation sioniste Bnei Tsion à Nabeul en 1912 »³¹.

    Quelques mois plus tard, en 1913, quelques Juifs de Tunisie – parmi lesquels se trouvaient le rabbin Khlouf Slama et sa sœur Ghzala, veuve du rabbin Abraham Cohen – entreprennent un voyage à Jérusalem pour s’y installer³². Dans les années 1920, d’autres émigrants sont partis en Palestine en éclaireurs, ils font partie des 0,2% des émigrants d’Afrique du Nord qui se sont installés en Palestine entre 1919 et 1923 (93,3% sont venus d’Europe, 2,1% d’Amérique et d’Océanie, 3,8% d’Asie)³³. Ce n’est qu’en 1943, après le débarquement anglo-américain en Afrique du Nord, que la propagande sioniste (déjà commencé au Maroc et en Tunisie bien avant 1939), prend véritablement de l’ampleur avec le recrutement de futurs combattants pour la création de l’Etat d’Israël.

    Durant la période d’après-guerre, le sionisme nord-africain entre en contact avec des organismes d’immigration implantés en France qui fonctionnent sous le couvert de sociétés privées d’aide aux israélites nécessiteux, financées par les communautés juives et le JDC³⁴. L’un de ces organismes les plus importants est la Fédération des sociétés juives de France qui travaillait sous le nom de « société de bienfaisance et de secours » dont le siège était à Paris (boulevard des Italiens) et à Marseille (rue des Convalescents)³⁵. Parallèlement, des branches de l’Agence juive et du HeHaloutz³⁶ étaient déjà en place à Paris et à Marseille. Lorsqu’au début de l’année 1947 l’Agence juive commence à centraliser les départs clandestins pour la Palestine à partir du territoire français, la France sert alors de plateforme pour le Mossad Le Alya et l’Agence juive, ce qui permet à cette dernière de maintenir le contact avec les organisations juives marocaines, tunisiennes et algériennes chargées de l’émigration. Cette centralisation des départs depuis le territoire français a été choisie pour son caractère peu onéreux et moins complexe du point de vue de l’organisation logistique par rapport à l’immigration illégale à partir de l’Afrique de Nord. Aussi, il fallait garantir une discrétion maximale pour ne pas heurter la sensibilité des populations musulmanes et provoquer des réactions nationalistes susceptibles de troubler l’ordre public et d’ébranler le pouvoir en place. D’ailleurs, même les émissaires qui se rendaient en Afrique du Nord transitaient d’abord par la France afin d’obtenir les visas nécessaires à leur mission.

    Jusqu’à mai 1948, il est rare que des immigrants juifs aient pu entrer en toute légalité en Palestine : en effet, depuis la décision prise par la Grande-Bretagne en 1939 de restreindre drastiquement l’entrée des Juifs en Palestine mandataire, l’Agence juive a chargé le Mossad Le Alyah Beth de les y aider. L’émigration, principalement illégale, s’articule alors autour de deux escales incontournables : Alger et Marseille, plateformes choisies pour leur proximité géographique. Entre février 1947 et mars 1948, pour se rendre en Palestine, la plus grande partie des émigrants sont des Juifs de Tunisie et du Maroc qui ont dû, dans un premier temps, atteindre Alger après avoir traversé les régions frontalières du côté tunisien ou marocain, puis les communes de l’intérieur algérien (Blida, Miliana, Medea, Tizi-ouzou, etc.). Ils sont plus de huit cent cinquante à avoir été hébergés, dans l’attente de leur départ direct vers la Palestine³⁷, à Bab-El Oued dans des refuges rattachés à l’AIU ou à la Fédération sioniste d’Algérie (FSA), ou bien dans des camps comme celui de Tenès (à plus de 100 kilomètres d’Alger). Durant la période précitée, ils sont très peu nombreux (environ 450 émigrants nord-africains) à avoir fait escale dans les camps de transit de Marseille dont le plus connu est « Le Grand Arenas ».

    A partir de mai 1948, le flux devient plus sensible : en 1948-1949, au moins 4 000 Juifs de Tunisie, représentant près de 25% des 20 000 Juifs qui quittent ou ont l’intention de quitter l’Afrique du Nord durant cet intervalle, choisissent de gagner le tout jeune État d’Israël³⁸. Leur nombre, encore minime, correspond à environ 6% de la population juive tunisienne (environ 70 000), un échantillon caractéristique de « la première communauté sioniste nord-africaine », qui, sur une période de cinq ans (1948-1953), ouvrira la voie à plus de 15 000 Juifs partis « sans pression aucune, par idéal sioniste et religieux uniquement »³⁹.

    Les chiffres concernant l’émigration des Juifs de Tunisie en Israël demeurent très imprécis : 285 émigrants entre 1940 et 1947 selon Doris Bensimon-Donath, près de 300 pour la seule année 1947 selon Michaël Laskier. Pour la période allant de 1948 à 1950, 8 564 émigrants selon Robert Attal, 8 000 d’après Laskier dont environ 4 500 entre 1948 et 1949 selon Haïm Saadoun, 5 305 pour la seule année 1949 ministère de l’Intérieur français⁴⁰, 15 000 émigrants entre 1949 et 1950 selon le Dictionnaire encyclopédique du judaïsme⁴¹. Pour l’intervalle compris entre 1948 et 1953, 15 000 émigrants selon Claude Sitbon, dont 11 356 pour la période allant de 1950 à 1953 selon Robert Attal, ce qui nous amène à un total de 16 356 départs entre 1948 et 1953. Enfin, les estimations de l’actuel Président de la Communauté juive de Tunisie, Roger Bismuth, sont de 25 000 départs entre 1948 et 1955⁴². Compte tenu de l’ensemble de ces données variables, il nous semble qu’un nombre avoisinant les 20 000 départs dans la période comprise entre 1948 et 1953, n’est pas très éloigné de la réalité.

    A la fin des années quarante, il y avait un demi-million de Juifs maghrébins en Afrique du Nord qui se sont réduits au nombre de trente mille à la fin des années soixante-dix. En Tunisie, en l’espace de trente ans, sur les 105 000 Juifs n’en ont subsisté que 7 000⁴³. Le mouvement migratoire des Juifs de Tunisie et d’Afrique du Nord en général, s’est pleinement intégré au processus d’émigration clandestine des Juifs de France et d’Europe, planifié – ou aidé, lorsqu’il s’agissait de départs spontanés – par divers organismes sionistes sous le haut patronage du Mossad Le Alya Beth⁴⁴.

    Il s’agit donc de mettre le projecteur sur le facteur idéologique en tant que pilier de travail des institutions juives et/ou sionistes. Dont l’impact a été à l’origine des départs intervenus avant le déclenchement du processus de décolonisation en Tunisie.


    28. Knafo, 2008. Le prénom entier d’Attali n’est pas mentionné par Knafo.

    29. Alain Giami, petits-fils d’Isaac Mamou, dans un document reproduisant le contenu de trois articles parus dans des quotidiens israéliens, évoque la présence de son grand-père (Isaac Mamou) au premier Congrès sioniste de Bâle (1897) en tant que secrétaire de Jacob (ou Yaacov) Boccara. La participation de Mamou au Congrès sioniste de 1920 est également relevée par Claude Sitbon. Notons également qu’Isaac Mamou était le fondateur de l’Association sioniste du Cap Bon. C. Sitbon : http://www.i24news.tv/fr/opinions/131222-la-memoire-juive-peu-connue-de-la-tunisie ; A.Giami : http://www.harissa.com/Dforum/CultureTune/isaacmamou.htm ; I. Mamou : http://www.nabeul.net/?nom-Page=memoiresdetails&memoires=29&PHPSESSID=9630…%3Fref%3Duzels.TV consultés le 16 août 2014.

    30. Knafo, 2008.

    31. Saadoun in Tanoudji (dir.), 2007.

    32. Larbi Snoussi, 1991. Selon Larbi Snoussi, quelques-uns auraient déchanté et repris le chemin du retour.

    33. Bensimon Donath, 1964.

    34. ANOM 302 A, note du 5 mai 1947 (PRG d’Alger).

    35. Temime et Deguigné, 2001.

    36. Né en 1905 aux États-Unis, le Hechaloutz (« The Pioneer ») visait à former et à entraîner les jeunes Juifs en Palestine en vue de pratiquer le travail de la terre, de parvenir à racheter des terrains et de construire la nation. En France, le HeHaloutz, actif dans les années trente, réussit à y former trois hakhcharot (fermes-écoles) sur le modèle des kibboutzim. À la veille de la guerre, il encadre en France 300 jeunes et se consolide au lendemain de la guerre grâce aux fonds de l’Agence juive et de l’AJC. Nicault, 2001.

    37. Saadoun, 1993.

    38. Attal R., 1960. Roland Aloni évoque le nombre de 6 000 départs pour 1948-1949 : http://www.amit4u.net/newsarticle/10683,1261,15907.aspx consulté le 16 décembre 2013. Selon Laskier il y a eu 8 000 émigrants entre 1948 et mars 1950 (Laskier, 1997). Les chiffres indiqués par le ministère de l’intérieur français (plus de 5 000 pour l’année 1949) nous amènent à revoir ces nombres à la hausse.

    39. Attal R. et Sitbon, 1979.

    40. AMAE-La Cve, Tun. 1944-1955, C 456, lettre du Vice-Président du Conseil-ministre de l’Intérieur au ministre des Affaires étrangères en date du 19 juin 1950.

    41. Bensimon-Donath, 1970 ; Laskier, 1997 ; Saadoun, 1993 ; Sitbon in Yardeni, 2010 ; Attal R., 1956 ; Dictionnaire encyclopédique du judaïsme in Poujol, 2000.

    42. Bismuth : http://www.kapitalis.com/politique/326-Juifs-de-tunisie-qui-sont-ils-dou-viennent-ils.html consulté le 21 décembre 2013.

    43. Taïeb, 1979.

    44. Notons que l’Alya Beth nord africaine ne correspond pas tout à fait à celle indiquée dans la chronologie conventionnelle des alyas de l’État d’Israël. Alors que cette dernière couvre essentiellement la période allant de 1939 à 1948, l’Alya Beth nord-africaine se prolonge au-delà de cet intervalle, soit de 1957 à 1961.

    CHAPITRE I :

    IDÉOLOGIE ET INSTITUTIONS SIONISTES : UN TERRAIN FAVORABLE À L’ÉMIGRATION ?

    Encore à leurs balbutiements, les velléités de départ des militants sionistes en Tunisie vont se concrétiser à la suite du débarquement allemand et de l’épisode de Vichy. Elles ne peuvent être dissociées de l’activité des émissaires de l’Alyah Beth qui s’est déployée à cette période, ni de la présence d’un réseau dense de la Haganah qui s’est implanté dans de nombreuses villes de Tunisie⁴⁵. L’entreprise n’a pas été vaine : le 17 août 1944, l’Agence télégraphique juive (Jewish Telegraphic Agency) publie dans la presse hébraïque de Palestine une information sur l’activité sioniste en Tunisie, annonçant le prochain envoi par l’Agence juive de 100 à 200 permis d’immigration destinés à des jeunes israélites de Tunisie désirant se rendre en Palestine⁴⁶. Quelles que soient les conditions qui entourent ces départs, ils sont le fruit du travail de propagande effectué par les groupements sionistes depuis quelques décennies auprès de la jeunesse juive de Tunisie, travail dont les brimades de Vichy et des Allemands ont amplifié la portée et l’impact pendant la guerre :

    « [...] Il faut que vous sachiez, témoigne une Juive tunisienne, que je fais remonter mon alyah à l’occupation allemande en Tunisie, à la conduite de

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