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Il Était Une Fois Le Maroc: Témoignages Du Passé Judéo-Marocain
Il Était Une Fois Le Maroc: Témoignages Du Passé Judéo-Marocain
Il Était Une Fois Le Maroc: Témoignages Du Passé Judéo-Marocain
Livre électronique730 pages12 heures

Il Était Une Fois Le Maroc: Témoignages Du Passé Judéo-Marocain

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À propos de ce livre électronique

Aprs plus de deux millnaires de prsence en sol marocain, la grande majorit des Juifs du Maroc ont quitt leur pays natal. L'ouvrage Il tait une fois le Maroc retrace l'histoire du Maroc et de sa communaut juive durant les deux derniers sicles, incluant la priode du Protectorat franais. Fervent adepte du rapprochement judomusulman, l'auteur est convaincu que la comprhension du pass, qui fut difficile bien des gards, mais qui nen a pas moins connu dautres moments de convivialit, est essentielle pour pouvoir tablir une nouvelle relation entre tous les ressortissants du Maroc.

LangueFrançais
ÉditeuriUniverse
Date de sortie24 mai 2012
ISBN9781475926095
Il Était Une Fois Le Maroc: Témoignages Du Passé Judéo-Marocain
Auteur

David Bensoussan

Dr. David Bensoussan of Quebec holds a PhD in Applied Sciences from McGill University. He has been involved in philanthropic and community organizations for many years. He is also a member of the Cross Cultural Round Table on Security of Canada and of the Selection advisory Board at Immigration and Refugee Board of Canada. He has published extensively in scientific fields and has filed a large number of patents. He has also written a number of literary works, including a Bible commentary (The Bible in its Cradle), a book of souvenirs (The son of Mogador), a historical novel (King Solomon’s Riddle), a historical essay (Spain of the Three Religions, Once upon a time in Morocco) and an art Book (A Jewish Wedding in Mogador) in collaboration with Asher Knafo. His other accomplishments include receiving a fellowship from the Matsumae International Foundation in Japan in 1988.

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    Aperçu du livre

    Il Était Une Fois Le Maroc - David Bensoussan

    La première édition de cet ouvrage a bénéficié d’une subvention de la Fondation communautaire juive de Montréal

    Mots-clefs:

    Accords d’Aix-les-Bains, Afrique du Nord, Al-Fassy A., Al-Hiba, Al-Kettani, Alliance Israélite Universelle, Amar D., Al-Wazzani, Amazigh, Ben Brarka, Bensoussan D., Bombardements français de 1844 et de 1907, Bou Hmara, Conférences de Madrid et d’Algésiras, Déclaration de Tanger, Glaoui, Hay D., Histoire, Indépendance du Maroc, Israël, Judaïsme marocain, Juif berbère, Juif marocain, Lévy S.D., Lyautey, Maghreb, Maroc, Mellah, Montefiore, Moyen-Orient, Nesry C., Pallache, Pisces, Protectorat, Rachats de captifs, esclaves et naufragés, Raïssouli, Seconde Guerre mondiale, Séfarade, Sépharade, Sionisme, Sultans et rois du Maroc, Tritel.

    All rights reserved. No part of this book may be used or reproduced by any means, graphic, electronic, or mechanical, including photocopying, recording, taping or by any information storage retrieval system without the written permission of the publisher except in the case of brief quotations embodied in critical articles and reviews.

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    Certain stock imagery © Thinkstock.

    ISBN: 978-1-4759-2608-8 (sc)

    ISBN: 978-1-4759-2609-5 (ebk)

    iUniverse rev. date: 05/17/2012

    Contents

    LISTE DES TABLEAUX

    LISTE DES CARTES ET DES ILLUSTRATIONS

    REMERCIEMENTS

    AVANT-PROPOS

    PREMIÈRE PARTIE

    LIMINAIRE

    LES ASSISES DU POUVOIR AU MAROC

    LES BERBÈRES

    LES CROYANCES POPULAIRES

    L’ÉDUCATION TRADITIONNELLE MUSULMANE

    LE SALAFISME

    UN MOUVEMENT ISLAMIQUE ANTI-OCCIDENTAL

    LES VOYAGEURS MAROCAINS EN EUROPE

    LA RÉDEMPTION DES CAPTIFS

    LES NAUFRAGÉS

    L’ESCLAVAGE

    LES RENÉGATS

    L’ARMÉE DE MÉTIER AU MAROC

    SIDI MOHAMED BEN ABDALLAH

    L’ÉPISODE SANGLANT DE MOULAY YAZID

    NÉCESSITÉ ET REJET DES CONTACTS AVEC LES EUROPÉENS

    DEUXIÈME PARTIE

    LIMINAIRE

    LE STATUT DES JUIFS MAROCAINS

    LA SAGA DES PALLACHE

    LES DIPLOMATES JUIFS DE SIDI MOHAMED BEN ABDALLAH

    TÉMOIGNAGES SUR LA CONDITION DES JUIFS AU MAROC

    LES MELLAHS

    MORT DES MONARQUES ET RAZZIAS

    LE CULTE DES SAINTS

    LES ÉVÈNEMENTS DE DEMNAT

    TÉMOIGNAGES DE L’ALLIANCE ISRAÉLITE UNIVERSELLE

    LES JUIFS DANS LES RÉGIONS NON URBAINES

    LES CONVERTIS

    CHRONIQUES HÉBRAÏQUES DE FÈS ET AUTRES TÉMOIGNAGES

    LE VOYAGE DE SIR MOSES MONTEFIORE AU MAROC

    LA PROTECTION CONSULAIRE OU HAMIA

    LA CONFÉRENCE DE MADRID

    LES DÉBUTS DE LA PRESSE AU MAROC: LA PRESSE ÉMANCIPÉEDE TANGER

    LE SIONISME AU DÉBUT DU XXE SIÈCLE

    DE L’ENSEIGNEMENT TRADITIONNEL JUIF AUX DÉBUTS DE L’ENSEIGNEMENT DE L’ALLIANCE ISRAÉLITE UNIVERSELLE

    TROISIÈME PARTIE

    LIMINAIRE

    PRINCIPAUX TRAITÉS INTERNATIONAUX AVANT LE PROTECTORAT

    LE BOMBARDEMENT DE 1844

    LA GUERRE HISPANO-MAROCAINE DE 1860

    RÔLE DÉTERMINANT DES FLOTTES NAVALES EUROPÉENNES

    PRÉSENCE DIPLOMATIQUE DE L’ANGLETERRE

    DRUMMOND HAY

    PERCEPTIONS DU MAROC A L’ÈRE PRÉCOLONIALE

    INSTABILITÉ AU MAROC

    AMBITIONS DE L’ESPAGNE

    COUPS DE POING DIPLOMATIQUES DE L’ALLEMAGNE

    RAÏSSOULI

    BOU HMARA

    AL-WAZZANI

    DES RÈGNES D’ABDELAZIZ ET D’ABDELHAFID AU PROTECTORAT

    LA TRANSITION

    AL-KETTANI

    LE TRITEL

    LE PRÉTENDANT AL-HIBA

    QUATRIÈME PARTIE

    LIMINAIRE

    LE MARÉCHAL LYAUTEY

    LA COLONISATION

    VOLONTAIRES MAROCAINS DE LA GUERRE 14-18

    LA RÉPUBLIQUE DU RIF

    LES FRANCS-MAÇONS

    LE STATUT DES JUIFS MAROCAINS

    LE MELLAH ACCUSE!

    LE SIONISME

    LE DAHIR BERBÈRE

    LE MOUVEMENT NATIONALISTE MAROCAIN

    VOLONTAIRES MAROCAINS DE LA SECONDE GUERRE MONDIALE

    SOUS LE RÉGIME DE VICHY

    LES ÉTATS-UNIS ET LE PROTECTORAT

    L’APRÈS-VICHY

    LES FRANÇAIS DU MAROC

    LA DÉCLARATION DE TANGER

    L’ENTRE-TEMPS DE BEN ARAFA

    CINQUIÈME PARTIE

    LIMINAIRE

    BILAN DU PROTECTORAT FRANÇAIS

    ALLAL AL-FASSI

    MEHDI BEN BARKA

    LA MONARCHIE ET LE POUVOIR

    LE MAROC ET LE NATIONALISME ARABE

    LES NATIONALISTES MAROCAINS ET LES JUIFS

    L’ŒUVRE DE L’ALLIANCE ISRAÉLITE UNIVERSELLE

    LES MOUVEMENTS DE JEUNESSE JUIFS

    LA VOIX DES COMMUNAUTÉS

    CARLOS DE NESRY

    SAMUEL DANIEL LÉVY

    LEADERSHIP DE LA COMMUNAUTÉ JUIVE

    MUTATION CULTURELLE DES JUIFS DU MAROC

    DÉPARTS POUR ISRAËL

    LA COMMUNAUTÉ JUIVE MAROCAINE EN ISRAËL

    LA DIASPORA DES JUIFS DU MAROC

    RÉFLEXIONS SUR L’EXODE DES JUIFS DU MAROC

    SAMY AL MAGHRIBI

    UN RAPPROCHEMENT EST-IL ENCORE POSSIBLE?

    BIBLIOGRAPHIE DES OUVRAGES CONSULTÉS

    QUELQUES DATES-CLEFS DEPUIS L’INSTAURATION DU PROTECTORAT

    LISTE DES TABLEAUX

    Tableau 1: Les dynasties marocaines

    Tableau 2: Les souverains de la dynastie alaouite

    Tableau 3: Sultans et Résidents généraux

    LISTE DES CARTES ET DES

    ILLUSTRATIONS

    1. Carte du Maroc, 1910

    2. Le sultan Abderrahmane

    3. Bijouterie d’inspiration berbère

    4. L’école musulmane

    5. Beauté berbère et fantasia

    6. Piraterie et rachat de captifs

    7. Le Maroc d’antan

    8. Carte des communautés juives au Maroc vers 1950

    9. Samuel Pallache

    10. Musiciens juifsdu Maroc

    11. Mellahs

    12. Juifs de l’intérieur, Juifs citadins et Juifs occidentalisés

    13. Moses Montefiore

    14. La presse tangéroise et tétouanaise

    15. L’éducation juive

    16. Transformation de la communauté juive

    17. Bombardement de Mogador

    18. Le caïd MacLean ; Conférence d’Algésiras

    19. Instabilité au Maroc

    20. Les sultans rivaux

    21. Le maréchal Lyautey—Affiches

    22. La révolte du Rif

    23. Juifs de l’intérieur et écoliers de Fès

    24. Assemblée de Berbères

    25. Le Maroc durant la Seconde Guerre mondiale

    26. Modernisation du Maroc

    27. Le sultan Ben Youssef en exil

    28. Indépendance du Maroc

    29. Les Français au Maroc

    30. Le naufrage du Pisces

    31. Souvenirs du Maroc

    32. Le Maroc et le Moyen-Orient

    33. Patrimoine des Juifs du Maroc

    À Aimé, Raphaël, Albert,

    Madeleine, Michel, Daniel et Katia

    REMERCIEMENTS

    Raphaël Bensoussan, Roland Benzaken, Mbarek Bidane, Michèle Caudan, Jo Cohen, Raphaël Cohen, Charles Dadoun, Nicolas Feuillie, Pierre Geoffroy, Roland Harari, Jean-Claude Kuperminc, Mohamed Maradji, Meyer Marciano, Haïm Melca, Michel de Mondenard, Hamza Driss Ottmani, Marion Rosen.

    AVANT-PROPOS

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    Un adage bien connu veut que l’histoire soit de la polémique, mais que l’inverse ne soit pas fondé. Cela s’applique tout particulièrement à l’historiographie marocaine qui est, le plus clair du temps, teintée d’idéologie: une pléthore d’essais datant de l’ère coloniale, essais dans lesquels, le plus souvent, les simplifications, les réductions des données en matière d’information et le ton condescendant ne font que corroborer les préjugés. Une kyrielle d’archives locales n’ont pas été, à ce jour, encore pleinement explorées par la communauté des chercheurs. Lorsque tel est le cas, il est rare que l’analyse se détache d’une prise de position où prédomine l’anticolonialisme imputant tous les malheurs de l’histoire à la présence des colons. Un grand nombre d’archives juives sont éparpillées à travers le monde soit dans de nombreux instituts soit sont la propriété de particuliers, et les chercheurs n’ont pas encore eu l’occasion de pouvoir s’y pencher. Pour qu’elle soit fondée sur des écrits, la vérité historique, se situe à la croisée de l’ensemble de ces sources.

    L’auteur a tenu à faire état de certains volumes qui traitent de l’histoire du Maroc et de la communauté juive que les lecteurs pourront consulter à loisir. Par moments, l’auteur fait référence à des citations d’extraits choisis. Quelle valeur peut-on imputer au témoignage du voyageur européen venu séjourner dans une contrée aux mœurs si différentes? Comment savoir s’il n’est pas poussé par une idéologie donnée qui lui fait entrevoir êtres et choses? Bien souvent, le voyageur est ignorant des mœurs et de la civilisation auxquelles il se trouve confronté. Il est donc possible de discriminer et de faire la part des choses. L’auteur a retenu des citations qu’il a jugées pertinentes en regard de la perception des citoyens juifs et musulmans du Maroc ainsi que les témoignages des voyageurs et des diplomates européens pour la période traitée, soit du XVIIe siècle à nos jours. Si nous faisons abstraction des redondances anecdotiques de certaines visites protocolaires, la narration des routes empruntées et des péripéties de voyage permet de dresser un tableau assez honnête en regard de la sécurité des voyageurs, des tensions intertribales ou interreligieuses, voire même des tensions prévalant entre le Makhzen et les citoyens. De ces passages se dégage une vue d’ensemble, incomplète, mais néanmoins significative, de ce que fut le Maroc au cours de ces siècles.

    Le manque de témoignages émanant du petit peuple et notamment des populations berbères, sont fort regrettables, car nous sommes contraints de nous fonder sur les témoignages des notables du royaume et des chroniqueurs du Palais. Une grande tradition orale se perd de nos jours; elle renferme fort probablement plusieurs parcelles de vérité. L’étude de la transmission orale de ces deux groupes de la société relève d’une entreprise gigantesque au sujet de laquelle les chercheurs devront se pencher un jour prochain.

    Bien que féru d’histoire, l’auteur n’est pas historien. Il fait se recouper de multiples informations et les synthétise dans une grille, selon ce qu’il considère être sa propre lecture de l’histoire. Néanmoins, il tient à aviser le lecteur de ce que cet ouvrage n’en est pas un d’ordre scientifique car les nombreux récits rapportés par des voyageurs européens s’inscrivent dans une optique particulière. Ces écrits sont souvent tendancieux, car si le Maroc a été traditionnellement considéré comme un pays exotique, il n’en demeura pas moins un pays hostile. En outre, certains auteurs ont été influencés par la mouvance des ambitions coloniales et ont cherché à leur trouver une justification morale. En ce qui concerne les faits, ces témoignages ne sont généralement pas contredits par les sources musulmanes ou juives. Le lecteur doit garder en perspective le fait que l’analyse scientifique de l’ensemble des témoignages reste à faire.

    À la lumière des faits présentés dans cet ouvrage, le lecteur pourra se faire une idée du Maroc précolonial et de la confrontation de ce pays avec des puissances coloniales, dont la France et l’Espagne. En dépit de leur situation précaire, les Juifs du Maroc exercèrent un rôle prépondérant au cours des siècles derniers. À l’heure où la communauté juive n’existe pratiquement plus, l’auteur a jugé utile d’examiner la façon dont elle a évolué au cours des deux derniers siècles.

    Cet essai ne se veut pas être une présentation linéaire de l’histoire du Maroc et de sa communauté juive. La présentation privilégiée par l’auteur nous permet d’entrapercevoir un ensemble de thèmes spécifiques, thèmes qui donnent une idée des conditions de vie, des espérances et des déceptions qui furent le lot d’une société traditionnelle en transition et en mutation vers la modernité.

    Dans la mesure où cet ouvrage contribuera à mieux faire saisir le passé, l’auteur espère qu’il parviendra à ses fins: mieux faire envisager l’avenir. L’Histoire est en marche. Sans la compréhension des erreurs commises par le passé, il est fort possible que l’on soit appelé à les répéter sans même le savoir et que, de la sorte, l’on reproduise des incompréhensions auxquelles l’auteur s’est confronté de nos jours.

    L’ouvrage se divise en cinq chapitres: les deux premiers traitent respectivement des sociétés traditionnelles musulmane et juive du Maroc avant la pénétration européenne. Le troisième traite de l’influence croissante des Européens dans les affaires marocaines au XIXe siècle jusqu’à l’avènement du Protectorat. Le quatrième aborde la période du Protectorat—y compris celle du gouvernement de Vichy—et la transformation du Maroc et de sa société juive durant cette période. L’ouvrage conclut sur l’évolution d’un Maroc indépendant et sur l’exode de sa communauté juive tout en envisageant le devenir des relations des Juifs et des Musulmans d’origine marocaine.

    Pourquoi ce titre: «Il était une fois le Maroc»? Le lecteur pourra en saisir le sens en lisant le paragraphe suivant qui termine l’ouvrage: il y a de cela cinq siècles, des Juifs furent contraints de quitter l’Espagne. Ils en ont gardé la langue, les coutumes qui leur furent propres et une fierté légendaire. Est-ce que l’histoire se répéterait pour les futures générations des descendants des Juifs qui ont senti le besoin de quitter le Maroc? Nous nous trouvons actuellement à un tournant de l’histoire. Si le passé est assumé dans sa totalité et s’il y a distanciation par rapport à l’instrumentalisation du conflit du Proche-Orient, il serait possible de faire éclore une amitié profonde et fraternelle. Dans le cas contraire, il deviendrait probable que, de la même façon que les Sépharades disaient à leurs enfants «Il était une fois l’Espagne» en se référant à un passé lointain, quasi mythique et révolu, les Juifs marocains risqueraient, malgré leur attachement culturel, de dire à leur descendance: «Il était une fois le Maroc.»

    Le défi est posé.

    L’auteur tient à remercier Michèle Caudan pour sa coopération dans l’identification de sources historiques et Charles Dadoun pour sa relecture du manuscrit.

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    1. Carte du Maroc, Georges Huré, 1910

    PREMIÈRE PARTIE

    Le Maroc chérifien traditionnel

    LIMINAIRE

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    Le Maroc traditionnel, celui qui prévalut durant les derniers siècles précédant la période du Protectorat et de la modernisation n’est pas celui du Moyen Âge, époque où se tinrent les grandes invasions d’Espagne. Ce Maroc, le traditionnel, en fut un qui, comme la majorité des pays du monde arabe, vivait dans un état de léthargie et de stagnation tant au plan technologique qu’économique, à comparer avec l’Europe que la Renaissance et la découverte de l’Amérique avaient revitalisée. Ce Maroc fut souverain et résista aux pressions exercées par l’Empire ottoman qui s’étendit jusqu’à l’Algérie, pays voisin. Le sultan en fut l’autorité suprême, mais la succession des monarques se fit rarement sans heurts. Pourtant, les tensions domestiques étaient grandes. Dans les régions de l’intérieur, la dissidence fut importante car certaines populations voulaient se soustraire à l’impôt du gouvernement central, c’est-à-dire au Makhzen. Le sultan devait prendre en considération les opinions religieuses des docteurs de la loi coranique, les oulémas, les ambitions des tribus de même que les rivalités intertribales, ainsi que les pressions militaires de l’Espagne et du Portugal sur ses côtes. Jusqu’au XIXe siècle, la piraterie régna tant sur les flancs de l’Atlantique que sur la côte de la Méditerranée. Elle donna lieu au commerce lucratif d’otages chrétiens et maures.

    Quelques mots encore sur le plan de cette première partie: nous y présentons le régime monarchique, la place de l’islam dans la société ainsi que la dimension berbère du Maroc. Un bon nombre de croyances populaires furent décrites par des voyageurs européens qui préférèrent y voir là un certain exotisme. Ces descriptions qui ont été relatées ne devraient en aucune manière chasser de l’esprit du lecteur la richesse spirituelle de l’islam tant au plan des convictions qu’au regard de la morale. Nous présentons également deux mouvements islamiques qui, bien que marginaux, ont joué un rôle important: celui du salafisme qui symbolisa le retour aux sources de l’islam dans un esprit émancipateur et au sujet duquel certains intellectuels musulmans ne demeurèrent pas insensibles, et celui des Sanoussi qui fut pour sa part essentiellement actif en Libye et au Sud de la Libye. La raison pour laquelle il en est fait mention est que la littérature coloniale lui a imputé (à dessein?) une importance disproportionnée allant bien au-delà de sa zone d’influence. Par ailleurs, le regard que les visiteurs marocains portèrent sur l’Europe est en soi révélateur.

    Nous avons choisi de décrire les règnes de deux souverains de la dynastie alaouite: celui de Mohamed Ben Abdallah qui ouvrit le Maroc aux échanges commerciaux sur la scène internationale et celui de son fils Moulay Yazid dont la cruauté devint une légende de son vivant. Le premier de ces deux souverains parvint à consolider son empire; le second en dilapida les richesses et exerça des répressions vindicatives. Chacun d’entre eux représente des parangons diamétralement opposés du pouvoir absolu dans ce qu’il peut avoir de constructif ou de tyrannique. Précisons que le second s’est encore bien plus démarqué du comportement de la majorité des sultans de la dynastie des Alaouites.

    Ce chapitre conclut sur la prise de conscience d’un nouveau rapport de forces entre le Maroc et les puissances européennes affermies par la révolution industrielle.

    Au cours des derniers siècles, les rapports des pays européens avec le Maroc sont bien documentés, mais dans une perspective européenne. Ils portent essentiellement sur les points suivants: les captifs de la piraterie, les naufragés dont certains furent réduits à l’esclavage, les renégats et les opérations militaires. La majorité de ces témoignages illustrant cette époque ont porté sur plusieurs siècles, donnant des Maures, ces non-Chrétiens, une description peu reluisante puisqu’ils y étaient dépeints comme de cruels barbares. Ces récits de voyage ne constituent pas l’Histoire proprement dite (leur analyse par des chercheurs reste encore à faire) mais en font néanmoins partie. C’est au lecteur qu’il reviendra de faire la juste part des choses—en mettant de côté leur teneur sensationnaliste—et de se faire une idée plus juste de ce que fut le Maroc traditionnel.

    LES ASSISES DU POUVOIR

    AU MAROC

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    Comment définir le pouvoir du sultan au Maroc?

    À la tête de la communauté musulmane, l’Umma, autorité politique, se trouve entre les mains du Calife. L’autorité des chefs politiques est absolue et l’égalité des Musulmans devant la loi se traduit par une soumission totale. La loi islamique est à la base même du droit. Au Maroc, le roi ou Malik porte le titre de Sultan dont le sens est la personne en charge de la gouvernance. Le sultan est également Amir Al-Mominine, Prince des Croyants et son rôle dépasse le cadre du pouvoir politique: il intègre ce dernier de même que l’exercice de l’autorité suprême en matière de religion.

    Au moment de l’investiture et lors d’une cérémonie d’allégeance renouvelée chaque année, la bay’a, les notables reconnaissent l’autorité royale. Le gratin de l’armée, des tribus, des villes et des villages viennent prêter serment d’allégeance. Cette cérémonie revêt également un caractère religieux et le serment renferme souvent des références coraniques tout comme l’évocation testament du calife Abou Bakr à son successeur le calife Omar. En théorie, la bay’a vient confirmer l’autorité du sultan par le peuple. Toutefois, pour pouvoir mettre en doute sa légitimité, il faudrait arriver à prouver que le sultan ne se conforme pas aux prescriptions du Coran ou qu’il ne veille pas à l’accomplissement des devoirs imposés par le Prophète.

    Le sultan est choisi de père en fils à moins qu’il n’en ait été autrement décidé par testament. Ainsi, le roi Slimane avait nommé son neveu Abderrahmane comme héritier. Si le testament du sultan ne désignait personne, il incombait à la famille royale et aux grands commis de s’entendre sur un successeur et de s’assurer que l’armée souscrive à ce choix et que les représentants de la population l’entérinent.

    Qu’en était-il de l’appareil gouvernemental?

    Le Makhzen est un terme qui désigne à la fois le gouvernement central mais aussi la personne désignée pour gouverner au nom de l’autorité royale. Étymologiquement, le terme Makhzen signifie entreposage ou trésorerie. Le Makhzen s’appuyait essentiellement sur l’armée et la bureaucratie, dont le corps de secrétaires de cour, les Kuttab. Toute la correspondance avec le sultan passait par le Makhzen.

    À la veille du Protectorat, l’appareil gouvernemental reposait sur deux vizirs: Ouazir Al-Bhar (Ministre de la Mer) qui s’occupait des affaires étrangères et Ouazir Ech-Chykayat (Ministre des Réclamations) qui recevait toutes les doléances adressées au sultan ou à lui-même. L’Allef (le payeur) s’occupait de la solde des troupes. En temps de guerre, il dirigeait les opérations militaires. L’Amin Al-Oumana, chef des Oumana, était en charge des finances. Il avait sous son autorité immédiate l’Amin Al-Dakhel (chef des recettes) et l’Amin Ech-Chekara (chef des dépenses). L’Amin Al-Hassab, était responsable de la comptabilité et du contrôle des finances.

    Le Makhzen nommait des caïds locaux ou régionaux chargés de percevoir les impôts et, si cela s’avérait nécessaire, de lever des troupes. Le Makhzen pouvait nommer des caïds émanant de tribus et de clans locaux mais cela ne fut pas toujours le cas. Le Makhzen désavoua très rarement les caïds qu’il nomma dans des régions différentes. Le dicton suivant que l’on attribue au cheikh Al-Ilghi, met en évidence la suprématie du Makhzen: «Le Makhzen est toujours un bien pour les populations, même quand il est injuste. L’iniquité organisée d’un seul vaut mieux que l’anarchie que déclenchent des flots de discordes.» Triste consolation pour ceux qui eurent à pâtir de la corruption de certains caïds imposés par le Makhzen… Le privilège du prélèvement des taxes était mis aux enchères. Au nombre des impôts, soulignons l’existence de la Jiziya exigée des non-Musulmans et de la Hediya (offrande) en certaines occasions. Par ailleurs, la Frida était un impôt occasionnel prélevé irrégulièrement. Les droits d’entrée et de sortie étaient perçus aux portes des villes. L’impôt agricole ou Terbib était établi annuellement. Depuis 1908, la taxe mobilière dans les villes était perçue selon un taux variable calculé sur la valeur locative.

    Tableau 1: Les dynasties marocaines

    Note: Des dates plus précises devraient tenir compte des périodes de confusion ou de désordre avant l’instauration d’une nouvelle dynastie ainsi que de sa période d’affirmation sur l’ensemble du territoire.

    Qu’en était-il de la justice?

    En ce qui a trait à la loi religieuse, elle était appliquée par les cadis locaux. Les Oulémas (‘alim) ou Fqih étaient des doctes et des érudits de l’islam (des Talib); aussi ils constituaient le pendant religieux de l’autorité. Les cadis étaient des Fqih qui rendaient la justice. Ils étaient secondés par des notaires ou Adoul et relevaient des Cadis régionaux et, ultimement, du Cadi de Fès. En théorie, les Fqih ne relevaient pas de l’autorité du Makhzen. De ce fait, ils pouvaient avoir une certaine indépendance vis-à-vis de l’autorité. Ainsi, lorsque Muhammad Al-Madani Guanoun s’exprima contre l’utilisation d’instruments de musique à des fins spirituelles, il fut convoqué par le Gouverneur de Fès qui l’accusa de semer le désordre. Le Fqih lui répondit: «Chacun doit faire ce que doit: toi de me mettre en prison, et moi de continuer à dire la vérité.» Certains Fqih optaient pour l’enseignement et recevaient une pension annuelle.

    En parallèle, les pachas qui sont les gouverneurs des villes et les caïds qui sont les représentants du Makhzen dans les régions non urbaines, incarnaient l’autorité du sultan. Toutefois, dans les régions de l’intérieur, une assemblée de notables connue sous le nom de jemâa rendait la justice selon un droit coutumier issu d’une vieille tradition orale. Par ailleurs, le recours au serment devant le tombeau d’un saint était une pratique courante.

    Qu’entend-on par tradition juridique malékite?

    Il y a quatre courants sunnites majeurs allant de l’orthodoxie intégriste à la modération: les Hanbalites dont les Wahhabites représentent la branche militante, sont partisans d’un état islamique. La tradition juridique Malékite se retrouve essentiellement en Afrique du Nord et s’inspire des pratiques des habitants de Médine comme source de jurisprudence, sachant que le prophète Mahomet avait choisi d’y élire sa résidence. Elle ne se limitait pas au Coran et à la Sunna. Les Shafites de l’Asie du Sud-est s’en tiennent aux traditions directement imputables au Prophète et à ses compagnons. Enfin, les Hanafim de Turquie et du Proche-Orient s’accordent une plus grande liberté d’interprétation.

    Il existait aussi de nombreux ordres religieux.

    Oui, à commencer par celui des chérifs. Tout comme la famille royale, ces derniers se réclamaient—et continuent de se réclamer—de la descendance de Fatima, fille du Prophète. Les principales branches des chérifs sont celles des Idrissides, des Saadiens et des Alaouites. Les Chérifs étaient réputés être imprégnés de la bénédiction divine, la baraka. La croyance populaire leur attribuait des miracles et les gens du peuple demandaient leur intercession pour la guérison de la maladie, la fin de la sécheresse, etc. Parfois même, l’espoir de pouvoir toucher la personne jouissant de la baraka, voire même celui de toucher un objet lui ayant appartenu était considéré par le petit peuple comme un moyen de s’imprégner de sa baraka. Les chérifs bénéficiaient d’une exemption de taxes, de dons privés et publics. Certains jouissaient d’un prestige immense ou étaient de véritables seigneurs féodaux, tout comme dans le cas des Wazzani. On faisait parfois appel à eux pour des questions d’arbitrage. Il va sans dire qu’un bon nombre d’entre eux prétendaient descendre du Prophète et, au cours de l’histoire, il devint très difficile de confirmer ou d’infirmer la généalogie des prétendants. Bien que leur autorité fût grande, il arriva que des sultans autoritaires s’opposassent à eux.

    Ajoutons que l’hérédité des qualités des ancêtres est une notion qui existait dans la société berbère, ce qui lui rendit celle de chérif acceptable, surtout si elle était perçue comme étant chargée de puissance numineuse. Par ailleurs, de nombreuses filles ou veuves appartenant à la famille chérifienne alaouite étaient cloîtrées et étroitement surveillées par le Makhzen afin de s’assurer que la pureté du sang du prophète qui coulait dans leurs veines avait été bel et bien préservée.

    Il y avait donc l’armée, les pachas, les caïds, les oulémas et les chérifs

    Et aussi une certaine élite, la Khassa. Nulle surprise si ce fut un Fassi du nom d’Al-Kattani qui dans son ouvrage Salwat Al-Anfas, définit ceux qui, dans la société, avaient un nom, l’échelle de la notabilité allant de l’inspiration prophétique présumée héritée de par l’ascendance au Prophète, à l’érudition islamique et à l’inspiration mystique: les lignées de chérifs avec leur généalogie; les oulémas mystiques ou non; les mystiques non érudits. La société marocaine a eu un grand respect pour les mystiques, même si certains d’entre eux firent état d’une excentricité prononcée.

    Une autre institution était celle de vice-roi ou khalifa. Il y eut traditionnellement trois khalifas au Maroc: celui de Fès, celui de Marrakech et celui du Tafilalet. Ils assumaient des rôles de vice-rois et de fait, de nombreux sultans firent école dans cette institution, y assumant une fonction qui leur permit de mieux apprendre et de mieux maîtriser l’art de la gouvernance. Les khalifas étaient généralement recrutés dans la famille proche du sultan au nom duquel ils gouvernaient. Ils disposaient d’un corps d’armée, présidaient aux prières et se tenaient très informés des affaires de leur «royaume.»

    Il ne faut pas oublier aussi la classe des marchands ou Amin qui constituaient une bourgeoisie d’affaires. Leur importance s’est accrue, notamment parce qu’ils étaient directement impliqués dans le commerce extérieur grandissant. Ils avaient des talents d’administrateurs dont l’État ne pouvait se passer. En effet, au XIXe siècle, l’on assiste à un nouveau phénomène, soit: l’influence politique grandissante des négociants de Fès. La ville de Fès se révolta en 1820. Ce fut une révolte populaire contre les abus du gouverneur, encouragée par des chefs de confréries religieuses mécontents des réserves que Moulay Slimane émettait en rapport avec les fêtes religieuses du moussem dont ils tiraient un très grand prestige et un parti financier non négligeable. La bourgeoisie marchande s’arrangea pour diriger l’insurrection. En 1822, les notables fassis participèrent à la cérémonie d’allégeance du sultan Moulay Abderrahmane, cérémonie qui n’était plus dorénavant le propre de l’establishment religieux. En 1873, la corporation des tanneurs n’accepta l’investiture du roi Moulay Hassan qu’à la condition qu’il annulât le Meks (impôt relatif aux transactions commerciales et au droit des portes) sur toutes les entrées et les marchés de la ville. Le Makhzen pactisa avec la bourgeoisie marchande et lui octroya de nombreux privilèges: prêts spéciaux et monopoles sur l’importation et l’exportation de certains produits. La crise de disette dans les campagnes facilita l’achat à bas prix de terrains par la bourgeoisie de Fès. La protection consulaire obtenue par certains des négociants les exonéra d’impôts et la mise en marché de produits d’importation devenus populaires contribuèrent à l’éclosion de fortunes colossales. Par ailleurs, de nombreuses hautes fonctions au niveau gouvernemental furent attribuées aux familles marchandes et l’appareil gouvernemental fut noyauté par la classe marchande fassie. Parallèlement, les habous furent rattachés de plus en plus au Makhzen et perdirent de leur autonomie.

    L’importance de l’islam semble déterminante dans la structure sociale et politique

    Oui, d’autant plus que les Zaouïas constituaient à travers le pays des centres religieux et culturels dont l’importance atteint parfois celle des seigneuries. Il ne faut pas oublier non plus les structures tribales qui jouaient un rôle important.

    Qu’est la zaouïa?

    La zaouïa est un centre d’enseignement, un lieu de réunion, un lieu de confrérie où l’on récitait des litanies et un centre religieux. Une zaouïa pouvait être appelée à arbitrer des conflits et disposait parfois d’un pouvoir judiciaire. Une zaouïa pouvait être aussi un lieu de culte centré sur une personnalité à laquelle on accordait des dons miraculeux et de nombreux visiteurs faisaient des demandes que les santons transmettaient au ciel en leur nom. Au cours de l’histoire, il arriva que, durant des expéditions punitives du Makhzen, certains rebelles se réfugiassent dans une zaouïa, cette dernière étant censée représenter un sanctuaire inviolable.

    Les zaouïas recevaient des cadeaux de la part de leurs fidèles et des dons émanant de fondations religieuses, les habous. Le Makhzen leur versait également un tiers de la dîme islamique destinée à l’enseignement coranique. Ajoutons que lorsque les dons aux religieux dépassèrent la mesure alors que l’armée elle-même était à court de moyens, il se trouva un conseiller du sultan qui rappela les paroles d’un vizir perse du XIe siècle Nidham Al-Mulk: «C’est l’armée nocturne qui travaille lorsque Votre Majesté se repose tranquillement.» Les zaouïas dépendaient donc indirectement de l’autorité du Makhzen et il arrivait que ce dernier leur confiât certaines tâches gouvernementales.

    Les zaouïas étaient donc puissantes

    Certaines zaouïas furent extrêmement puissantes: les Nassiriya au Tafilalet (depuis 1674), les Sharkaoui au Tadla (depuis 1601) et les Wazzani (depuis 1727). D’autres confréries telles celles des Derkaouas, des Taïebiya, des Tidjanlin, des Chingueti, des Qadrya et des Kettaniya ont eu également une grande influence. Certaines zaouïas furent extrêmement riches grâce aux dons recueillis et elles développèrent des réseaux d’entreprises lucratifs. À titre d’exemple, la ville de Mogador versait annuellement à la zaouïa de Tamegrout rattachée à celle de Nassiriya une tonne de fer et 150 kilos d’acier. D’autres firent tâche d’huile jusqu’à exercer une influence politique non négligeable, en mettant tout leur poids pour décider du choix du successeur d’un souverain défunt. De façon générale, les zaouïas furent plus puissantes dans les régions éloignées du royaume. Le chef de la zaouïa d’Ouezzane tenait l’étrier du souverain lorsque ce dernier se rendait au marabout de Sidi Qassem (Petit-Jean), ce qui constituait aux yeux de beaucoup une consécration du souverain. Celle de Moulay Idriss s’attira l’intervention des souverains pour juger de la répartition des charges entre les nombreux descendants de la dynastie idrisside. Celles de Dila et d’Illigh (XVIIe siècle) se soulevèrent contre le Makhzen et furent détruites par Moulay Rachid. Il en alla de même pour la zaouïa de Cherradia détruite par Moulay Abderrahmane au XIXe siècle. Celle de Tazeroualt dans le Sous résista aux troupes du sultan Moulay Hassan Ie en 1881. Celle des Kettaniya fut fermée par Moulay Abdelhafid en 1910 puis rouverte en 1912 lors de l’investiture de son successeur Moulay Youssef. D’autres encore telles celles d’Amhaouch ou d’Ahançal eurent des rapports tantôt cordiaux tantôt hostiles avec le Makhzen.

    Il y avait également de très nombreux sanctuaires, mausolées, marabouts ou koubbas, rattachés à une chambre d’hôtes ou un caravansérail. Ils recevaient des dons, les Foutouhat destinés à l’entretien des lieux et à nourrir de pauvres pèlerins. Les revenus étaient gérés par les chefs des zaouïas et il arriva que l’on fît appel au Makhzen en regard du droit de gérance ou même de l’usage des fonds ainsi recueillis. De son côté, le Makhzen coopéra avec les zaouïas tant et aussi longtemps qu’elles n’avaient pas d’ambitions politiques.

    Qu’en était-il des allégeances tribales? De la dimension berbère?

    Plusieurs autres classifications peuvent être faites: il y a des nomades et des sédentaires, des Berbères et des Arabes, des Musulmans et des Juifs. Par ailleurs, il existe des divisions administratives du Makhzen qui s’appuient sur des provinces historiques: le Rif, le Gharb, le Sous, le Tafilalet, le Draa. Abordons la dimension berbère:

    Il est remarquable de noter que, tout comme d’autres minorités ont su préserver leur identité suite à la conquête arabe en se repliant sur les hauteurs, l’Aurès, la Kabylie, le Rif et l’Atlas marocain ont conservé leur langue et leurs coutumes berbères. De la même façon, les Maronites au Liban, les Druzes du Moyen-Orient et les Zaydites du Yémen ont préféré installer leurs villages sur des hauteurs en en faisant des montagnes-refuges. Pour revenir à la spécificité berbère, mentionnons la Jahiliya qui est l’ancien code juridique qui existait avant la pénétration de l’islam et qui a continué de prévaloir. Cette coutume avait parfois force de loi, ce qui horripilait les tenants de l’orthodoxie islamique.

    De façon générale, on établit la différence entre trois regroupements linguistiques: celui du Rif (tarifit) dans le Nord, celui du Haut et Moyen Atlas ou tamazigh (tamazight) ainsi que celui de l’Anti-Atlas et du Sous, le chleuh (tachelhit).

    Trouver une description de la société berbère qui soit uniforme constituerait une tâche fort ardue car les groupements et regroupements des clans se sont faits selon une dynamique qui a varié selon les circonstances. Les chercheurs ne sont pas arrivés à s’entendre sur une codification uniforme. À la base de la société berbère, il y avait la famille ou Ikh. Venaient ensuite le clan (Farqa, Jama’a ou Douar), la faction puis la tribu. Le canton ou Toqbilt était un regroupement avec une vie communautaire, une mosquée et un magasin-grenier. Une tribu était formée par un regroupement de 3 à 12 Toqbilt. Les factions et les tribus pouvaient être ralliées dans un Leff. La chefferie était morcelée: le Muqaddam était bien présent dans la vie communautaire, l’Amghar était une autorité locale impliquée dans les alliances intertribales du Leff, mais le caïd représentait le Makhzen. Il arriva que l’Amghar et le caïd prirent tous deux des cadis qui furent leurs adjoints, ce qui sous-tend selon toute probabilité une tension latente entre ces autorités.

    On a souvent mis en opposition Bled El-Makhzen et Bled El-Siba

    L’autonomie relative des tribus berbères fit que le Makhzen dût composer constamment avec les forces locales. Lorsque le peuple souffrait de sa condition difficile, l’autorité locale de la Siba permettait de manifester sa frustration, souvent sous forme de révoltes contre le pouvoir central et échapper ainsi à la lourde pression fiscale. Du point de vue du Makhzen, les contrées berbères de l’intérieur vivaient dans un état semi-anarchique. Le Makhzen pouvait avoir recours à la force, chercher un compromis avec les leaders locaux ou encore ignorer les régions insoumises. Des Moqadem pouvaient demander à être reconnus par le Makhzen et se voir confier des tâches d’administration de fondations religieuses, tels les Habous et les Foutouhat. Ces dahirs chérifiens étaient renouvelés lors de l’avènement d’un nouveau sultan.

    Plusieurs historiens ont établi la distinction entre Bled Al-Siba qui est une région intérieure généralement non soumise, voire même rebelle, et Bled Al-Makhzen qui est la région solidement contrôlée par l’autorité royale. Certains rattachent la Siba au statut de sa’iba, qui est celui d’un esclave affranchi et livré à lui-même. Elle représenterait donc la cassure du lien qui rattache au sultan et la dissidence. Dans de telles contrées non assujetties aveuglément au sultan ni même à la religion, il n’était pas garanti que la loi coutumière berbère ou ‘urf ne remplaçât la loi islamique ou shari’a, ce qui ne signifiait pas que cette dernière était abolie. Il n’en demeure pas moins que les dynasties, citadines pour la plupart, s’appuyèrent aussi sur des populations montagnardes ou nomades.

    Au début du XXe siècle, le chercheur Michaux-Bellaire considérait que seulement un cinquième du territoire marocain faisait partie de Bled Al-Makhzen. Le reste du territoire aurait fait partie de Bled Al-Siba. Ajoutons que certains territoires étaient considérés comme des territoires conquis ou territoires de capitulations Blad Al-Anoua tandis que d’autres du nom de Blad Aç Çolha étaient restés propriété des anciens maîtres du sol qui s’étaient converti à l’islam pour conserver leurs biens fonciers.

    Qu’en était-il des Juifs?

    Minoritaires, ils eurent à payer cher pour leur rôle de bouc émissaire de service pendant les périodes de crise et de famine, et notamment suite au décès d’un souverain. En période de troubles, le pillage des quartiers juifs était quasiment de mise: il en fut ainsi durant les bombardements de Mogador en 1844 ou durant les émeutes de Fès en 1912 par exemple. À quelques exceptions près, les souverains alaouites ont eu des relations d’affection envers leur communauté juive qui leur était dévouée sans condition. Les sultans pouvaient en tout temps compter sur l’intégrité et les talents de nombreux notables juifs dans le domaine de la diplomatie et du commerce.

    En ce qui a trait aux Juifs berbères, il est bon de mentionner que la fonction de rabbin se transmettait de père en fils tout comme s’il y avait un certain mérite des ancêtres à léguer cette charge, ce qui n’est pas sans rappeler le statut du chérif musulman. Le plus clair du temps, le Juif dépendait d’un seigneur ou caïd.

    Revenons à l’autorité du sultan

    Le sultan bénéficiait d’une aura religieuse incontestable: «Le pouvoir appartient à Dieu seul. Il le donne à ceux de ses serviteurs qu’il choisit» (Coran, 12-56). Par le biais du Makhzen, le sultan s’appuyait sur toutes les composantes susceptibles d’avoir un pouvoir politique et dans un sens, il constitua l’arbitre suprême capable de donner sa légitimité à tel ou tel groupement. Les sultans qui ne furent pas fermes se contentèrent souvent de demander que l’on ne transgressât pas la loi coranique, ce qui, dans certains cas, constituait une réponse ambiguë.

    Mais en bout de ligne, le sultan était Chérif, cadi suprême, chef des armées, administrateur en chef par le biais du Makhzen. Il arrivait qu’il consultât son entourage mais il requérait obéissance et fidélité. Il était supposé être infaillible. La tâche était loin d’être aisée car il fallait prendre en considération des groupements tribaux, religieux et économiques, ainsi que différentes personnalités incluant les privilégiés que sont les chérifs. Les dimensions du sacré, du religieux, du civil et du militaire se recoupaient en sa

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    2. Le sultan Abderrahmane à Meknès

    Peinture de Delacroix, 1845, Musée des Augustins, Toulouse

    personne. Cependant, c’est à lui qu’il incombait de faire en sorte que ces forces demeurassent sous son contrôle. Il était ultimement responsable du maintien de l’ordre.

    Le sultan pouvait-il disposer de la vie de ses sujets comme bon lui semblait?

    Le sultan se sentait libre d’appliquer ou non le châtiment conforme à la sourate 5-37 du Coran: «La juste rétribution de ceux qui se rebellent contre Dieu et son messager sur la terre et fomentent sur la terre le désordre est seulement d’être tués ou d’être crucifiés, ou d’avoir les mains et les pieds coupés en sens alternés ou encore d’être chassés de la terre.» En outre, il y a un hadith (parole attribuée au Prophète) qui dit: «Il est de votre devoir d’écouter ceux qui vous commandent et de leur obéir, tant qu’ils ne vous ordonnent pas de faire quelque chose que Dieu désapprouve. S’ils l’ordonnent, il n’y a plus qu’à exécuter et à obéir.» Bien que la législation qui dérive de ces prescriptions soit autrement complexe, il n’en demeure pas moins que dans les faits, la soumission aveugle au souverain a été observée par ses sujets comme étant un devoir et que par ailleurs, bien des souverains se sont comportés en monarques absolus envers le peuple. Du temps du sultan Hassan Ie, le journaliste britannique Walter B. Harris décrivit ainsi la vénération vouée au souverain: «Il était facile de voir combien tous, depuis le plus grand des vizirs jusqu’au dernier des soldats, avaient crainte et aussi presque de l’adoration pour leur sultan.»

    LES BERBÈRES

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    Pourrait-on faire une digression et discuter de l’identité et de l’origine des Berbères?

    L’Afrique du Nord ou Maghreb se compose du Maroc, de l’Algérie, de la Tunisie ainsi que de la Libye: tous ces pays ont été peuplés à l’origine par des tribus berbères et ont subi l’influence de colonisations diverses: carthaginoise sur le littoral maghrébin, grecque en Cyrénaïque, romaine, vandale et byzantine dans toute la partie Nord de l’Afrique jusqu’à l’Atlantique et enfin l’arabe jusqu’au Sahara. Rarement la Berbérie a été unie: des guerres tribales incessantes ainsi qu’un esprit d’indépendance farouche ont fait que les tribus berbères se sont laissé dominer par d’autres puissances tout en maintenant leur autonomie dans les régions intérieures; seule l’invasion arabe parviendra à assimiler graduellement les Berbères, quoiqu’incomplètement.

    Que sait-on sur leur origine?

    De nombreux historiens berbères et arabes (Ibn Khurdabhbih et Ibn Abd Al-Hakam au IXe siècle, Al-Tabari et Ibn Hawqal au Xe siècle, Idrissi au XIIe siècle et Ibn Khaldoune au XIVe siècle) attribuent aux Berbères une ascendance cananéenne. Les Berbères seraient venus en Afrique du Nord après que David eut vaincu Goliath. Une hypothèse plus ancienne avancée par Moïse de Corène et Procope voudrait que les habitants du Canaan fussent arrivés en Afrique du Nord après la conquête du Canaan par Josué. Ceci rejoint une hypothèse talmudique similaire et encore plus ancienne selon laquelle des peuplades cananéennes auraient émigré en Berbérie après la conquête du Canaan par les Hébreux (Sanhedrin 94-71, Lévitique Rabba 17, Tossefta Shabbat 18, Yebamot 63-2, etc.). Certains situent les Berbères au sein de la généalogie biblique: ils descendraient des Kaslouhim, fils de Mitsraïm fils de Cham fils de Noé (Al-Souli Xe siècle). D’autres (Ibn A-Kalbi, IXe siècle) ont attribué aux branches des Ketama et des Sanhadja une origine yéménite et il est probable que cette hypothèse ait germé dans l’esprit de ceux pour qui la légitimité du pouvoir ne pouvait être accordée qu’à une lignée de nobles. En Espagne médiévale, des historiens arabes (dont Ibn Hazm du XIe siècle) rejetèrent cette dernière hypothèse. Ce débat se tint à l’époque où Arabes et Berbères étaient en conflit. Toutes ces théories sont nourries par des légendes locales qu’il est difficile de corroborer avec un degré de certitude satisfaisant.

    Qu’en est-il des grandes familles berbères?

    Il faut préciser que dans les recueils historiques, il n’y a pas de filiation unique sur laquelle il y ait unanimité. Il faut donc avancer avec précaution dans ce domaine. L’hypothèse la plus courante est que les Botr nomades et les Beranès sédentaires descendraient d’un ancêtre commun Berr. Aux Botr se rattacheraient entre autres tribus les Zenata, les Nefoussa, les Miknaça, les Mediouna, les Louata et les Maghraoua. Aux Beranès se relieraient les Masmouda, les Auréba, les Ketama, les Sanhadja, les Aurigha, les Mesrata et les Lemta. Ceci est une présentation très simpliste de la généalogie berbère, car son traitement dans ces pages serait exhaustif. Contentons-nous de cette première classification pour l’instant.

    Qu’en est-il de la langue berbère?

    Ceux qui ont tenté de faire des rapprochements entre les langues berbères (kabyle, rifain, tamazigh, chleuh ou targui) et les autres grands groupements linguistiques indo-européens, sémitiques ou chamitiques, n’ont jamais pu aboutir à une conclusion satisfaisante. En fait, la formation de la langue berbère constitue une énigme non résolue.

    Que sait-on de la Kahéna?

    Avant l’arrivée des Arabes, de nombreuses populations berbères étaient christianisées et d’autres judaïsées. Tout d’abord, les tribus christianisées dirigées par Koceila s’opposèrent à l’invasion arabe puis ce fut au tour des tribus judaïsées dirigées par la reine judéo-berbère connue sous le nom de Kahéna (prêtresse) de continuer la lutte contre l’envahisseur arabe. Il est possible que l’indifférence des tribus christianisées envers les lois antijuives décrétées par les Byzantins ait empêché la formation d’un front uni avec les Juifs judaïsés. La révolte berbère fut longue et ardue. Les Arabes étaient sur le point de se replier lorsqu’une ultime victoire leur permit de conquérir l’Afrique du Nord, puis l’Espagne des Visigoths mais cette fois-ci, avec l’appui des Berbères et des Juifs. Plus que tout autre, la Kahéna a incarné l’affirmation berbère et elle continue encore de représenter un symbole identitaire des Berbères qui veulent faire reconnaître officiellement leur langue dans le contexte de plus en plus arabisé de l’Afrique du Nord d’aujourd’hui. On peut trouver dans les écrits du linguiste et historien kabyle Boulifa Si Amar-ou-Saïd (1865-1931) dont les notes de voyage au Maroc en 1904 ont été préservées, une lecture berbère de l’histoire de l’Afrique du Nord. Cette dernière contraste tant avec les simplifications et les condescendances des voyageurs et des écrivains français du tournant du XXe siècle qu’avec le discours islamo-arabisant qui a été celui de nombreux nationalistes nord-africains après la Seconde Guerre mondiale.

    Y a-t-il eu amalgame entre islamisation et arabisation?

    Bien qu’en théorie, être musulman ne signifie pas être arabe ou même arabisé, dans le cas de l’Afrique du Nord, l’arabisation fut très importante considérant que le nombre d’envahisseurs arabes ne dépassa pas quelques dizaines de milliers et que la population berbère comptait plusieurs millions.

    Du temps des Romains, il y avait une société latinisée à l’intérieur du limes. L’influence des Byzantins ne fut pas aussi grande, parce qu’elle fut centrée sur Carthage et qu’elle fut diminuée suite au schisme donatiste et à l’invasion des Vandales en 429. Les Arabes défirent les Byzantins, puis le chef des tribus christianisées Koceila et enfin la reine des tribus judaïsées, la Kahéna. Les Berbères se rallièrent aux Arabes pour conquérir l’Espagne. La conversion était aisée car elle consistait à répéter une formule de foi qui par ailleurs, exemptait les populations de la taxe de la jiziya imposée aux non-Musulmans. La conversion des Berbères fut peut-être facilitée par le retour des otages islamisés et arabisés que les Arabes prirent parmi les princes berbères. Mais ce processus de conversion connut plusieurs soubresauts. L’historien Ibn Khaldoune affirme que les Berbères abjurèrent l’islam douze fois avant de se convertir définitivement. On pourrait voir dans la révolution kharidjite du VIIIe siècle, laquelle soutenait qu’il n’était pas nécessaire d’être descendant du Prophète pour devenir Calife une forme d’affirmation berbère. Précisons que l’arabisation de l’Espagne aurait pu jouer un rôle important dans l’arabisation des Berbères et que l’invasion des tribus hilaliennes au XIe siècle y contribua sensiblement, notamment au sein des tribus nomades. En outre, les croyances antéislamiques s’accommodèrent fort bien d’une version islamique du maraboutisme.

    Par ailleurs, il est fort possible que l’influence chrétienne au Maroc se limitât aux régions citadines avant l’arrivée des Arabes. La trace des Chrétiens se perd suite aux persécutions perpétrées par l’intolérante dynastie des Almohades au XIIe siècle et la langue latine ne fut plus utilisée au Maroc. Quant aux Juifs, certains étaient latinisés, d’autres hellénisés et ce groupe comprenait les nombreux réfugiés venus de Cyrénaïque suite aux massacres de l’Empereur Hadrien au début du deuxième siècle. L’araméen et l’hébreu étaient cependant les langues traditionnelles héritées de la Judée antique. Ce fut vers le IXe siècle que l’araméen fut abandonné au profit de l’arabe. De fait, le chercheur Haïm Zafrani a souligné que la syntaxe de la langue judéo-arabe d’Afrique du Nord semble avoir été calquée sur celle de la langue hébraïque. Par ailleurs, une grande partie de la population juive fut décimée par les Almohades au XIIe siècle. Dans les faits, l’hébreu continua d’être la langue sacrée et l’araméen la langue de l’exégèse, le judéo-arabe et le judéo-berbère constituant la langue parlée par les Juifs au quotidien.

    Que sait-on sur les Juifs berbères?

    Les Juifs de l’Atlas et du Sud du Maroc constituent un segment distinct du judaïsme marocain, dispersé dans plus de 150 villages. Ils ont quitté le Maroc pour se rendre en Israël après y avoir vécu plus de vingt siècles. Nous devons à l’ethnographe Pierre Flamand la description des communautés du Sud de l’Atlas et des oasis du Maroc dans son ouvrage Diaspora juive en Terre d’Islam. Nahum Slouschz visita les Juifs de l’Atlas au début du XXe siècle et rapporta ses impressions dans l’ouvrage Travels in North Africa. Élias Harrus a laissé une magnifique collection de photos: Juifs parmi les Berbères. Haïm Zafrani s’est penché sur les traditions judéo-berbères et a publié entre autres Une version berbère de la Haggadah de Pessah qui est le récit traditionnel de la Pâque juive. Daniel Schroeter et Joseph Chetrit qui ont publié tous deux de nombreuses études sur le judaïsme marocain se sont également penchés sur la culture des Juifs berbères.

    Ajoutons que beaucoup d’artisans juifs ont été joailliers, y compris au sein des populations berbères. Les Juifs furent longtemps les seuls à travailler l’or, l’argent, les bijoux et les fils d’or et d’argent. Yédidia Stillman a fait une étude sur la profession du joaillier juif au Maroc dans le numéro 17 de la collection Péamim publiée par l’institut Yad Ben Zvi en Israël.

    Quant à l’époque la plus reculée de la présence des Juifs au Maghreb, l’ouvrage de Didier Nebot intitulé Les tribus oubliées d’Israël constitue une excellente source de références sur le passé judéo-berbère en Afrique du Nord. Les ouvrages d’érudition de Nahum Slouzch Hébraeo-Phéniciens et Judéo-Berbères ainsi que Judéo-Hellènes et Judéo-Berbères dévoilent un passé historique fort riche mais trop souvent méconnu.

    Y eut-il des Juifs sahariens?

    Les sources historiques relativement à la présence de Juifs au Sahara sont nombreuses tout comme en témoignent celles de: Al-Bekri, Idrissi, Ibn Batouta, Al-Zukri, le génois Malfante, le voyageur Mordekhaï Abi Serour et Nahum Slouchz. Les légendes relatives à d’anciens royaumes juifs (Touat, Sijilmassa, Draa, etc.) sont nombreuses. Les Daggatoum furent des Juifs nomades. Les forgerons de Maurétanie auraient été surnommés Yohoud (Juifs). Soulignons qu’au plan archéologique, il reste encore au Touat des traces des travaux d’irrigation remarquables. Une inscription hébraïque datant de 1326 y a été retrouvée. La reconstitution de l’histoire des Juifs sahariens et des Juifs de l’Afrique subsaharienne en est à ses débuts. Les travaux de Jacob Oliel et de Michel Abitbol traitent de ce sujet fascinant.

    LES CROYANCES POPULAIRES

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    Qu’en était-il des superstitions au sein de la société musulmane?

    Il faut tenir compte du fait que la société traditionnelle d’Afrique du Nord vénérait un très grand nombre de marabouts et la croyance populaire réservait une grande place aux talismans. Dans l’ouvrage Pratiques des harems marocains, publié en 1925, Aline R. de Lens rapporta la croyance fort répandue à des pratiques magiques et des talismans comme remèdes pour guérir diverses maladies. Edmond Doutte étudia également la question en 1909 dans le volume Magie et religion dans l’Afrique du Nord et

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