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Pratiques et recherches féministes en matière de violence conjugale: Coconstruction des connaissances et expertises
Pratiques et recherches féministes en matière de violence conjugale: Coconstruction des connaissances et expertises
Pratiques et recherches féministes en matière de violence conjugale: Coconstruction des connaissances et expertises
Livre électronique1 049 pages8 heures

Pratiques et recherches féministes en matière de violence conjugale: Coconstruction des connaissances et expertises

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À propos de ce livre électronique

Les violences faites aux filles et aux femmes sont au cœur des préoccupations féministes au Québec. En 2013, le Partenariat CRSH de recherches et d’actions entre universités et milieux de pratique Trajetvi a été créé pour mieux documenter les trajectoires de victimisation, de recherche d’aide et de recours aux services des femmes victimes de violence. Dans une perspective interdisciplinaire et intersectorielle, les 22 chapitres de cet ouvrage couvrent 5 grands thèmes explorés par des membres de Trajetvi : les principes théoriques et pratiques relatifs à la violence conjugale, la sensibilisation et la prévention, les contextes de vulnérabilité, la recherche d’aide et le recours aux services ainsi que la justice et le droit en matière de violence faites aux filles et aux femmes. Conçu comme un ouvrage de référence, ce livre propose d’approfondir les connaissances théoriques, empiriques et pratiques sur la problématique.
LangueFrançais
Date de sortie23 mars 2022
ISBN9782760556560
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    Aperçu du livre

    Pratiques et recherches féministes en matière de violence conjugale - Carole Boulebsol

    Introduction

    ¹

    Depuis des décennies, la violence envers les femmes est au cœur des préoccupations des militantes, des intervenantes, des intellectuelles et des chercheuses féministes. Selon la déclaration sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes (Organisation des Nations unies [ONU], 1993), le phénomène

    constitue une violation des droits de la personne humaine et des libertés fondamentales ; est le produit des rapports de force historiquement inégaux entre hommes et femmes ; désigne tous actes de violence dirigés contre le sexe féminin, et causant ou pouvant causer aux femmes un préjudice ou des souffrances physiques, sexuelles ou psychologiques, y compris la menace de tels actes, la contrainte ou la privation arbitraire de liberté, que ce soit dans la vie publique ou dans la vie privée » (art. 1).

    Afin de mieux comprendre et de prévenir les violences faites aux filles et aux femmes, il est pertinent de documenter les trajectoires de ces dernières en matière de victimisation, de recherche d’aide et de recours aux services, de renouveler les cadres d’analyse, d’évaluer les pratiques et de consolider les collaborations entre les différentes expertises, celles des femmes expertes de vécu (comme Sophie, qui signe la préface de cet ouvrage), celles des militantes et des intervenantes communautaires et celles des universitaires. C’est dans cet esprit que les travaux du partenariat de recherche Trajectoires de violence conjugale et de recherche d’aide (Trajetvi) financé par le Conseil de recherche en sciences humaines du Canada (CRSH), se sont déployés depuis 2013. L’objectif général de Trajetvi a été de réaliser des recherches permettant de diminuer les conséquences de la violence et de mieux assurer la sécurité des filles et des femmes ainsi que de leurs enfants. Plus précisément, Trajetvi a voulu analyser et comprendre les liens complexes qui se tissent entre les trajectoires de vie et de violence des femmes vivant en contextes de vulnérabilité et leurs trajectoires de recherche d’aide et de recours aux services, afin de proposer de meilleurs moyens de prévention, d’intervention, d’action et de recherches appliquées. Si la problématique de la violence conjugale a été centrale dans la programmation de recherche, d’autres formes de violence ont également été documentées (violence sexuelle, violence institutionnelle, etc.). Tous les travaux de Trajetvi se sont explicitement inscrits dans une perspective féministe, laquelle a été influencée au fur et à mesure par les principes de l’intersectionnalité. Une telle lunette permet de reconnaître l’influence de l’imbrication de plusieurs systèmes d’oppression sur les expériences des femmes, dont le sexisme, le néocolonialisme, le racisme, le capitalisme ou encore le capacitisme (Crenshaw, 1991 ; Marchand et Ricci, 2010).

    Au printemps 2019, un comité de rédaction, composé de huit membres provenant des milieux universitaires et de la pratique-terrain affiliées à Trajetvi, a été créé afin de démarrer un projet de livre à la fois pertinent pour les chercheuses, les étudiantes, les intervenantes et les gestionnaires de services et d’organismes de l’ensemble des secteurs concernés par les violences faites aux filles et aux femmes : milieux communautaire, scolaire, de la santé et des services sociaux, policier, judiciaire, en particulier. En effet, fort de ces sept années d’expertise et de collaboration féministe, et alors que le financement de ce partenariat par le CRSH arrivait à sa fin, il était important de proposer un ouvrage collectif capable de rendre compte des résultats d’études et de réflexions menées par plusieurs des membres de Trajetvi et de proposer des recommandations pour alimenter les pratiques et la recherche.

    Pratiques et recherches féministes en matière de violence conjugale : coconstruction des connaissances et expertises rassemble 22 chapitres divisés en 5 parties thématiques. Rédigés par 54 autrices issues de 13 universités² et de 10 milieux de pratique³, les différents textes permettent d’aborder plusieurs thèmes transversaux relatifs à la compréhension des théories et des pratiques en lien avec les violences faites aux femmes dans une perspective interdisciplinaire et intersectorielle.

    Notre objectif est de proposer un portrait à multifacettes des réalités des femmes victimes et des intervenantes amenées à les accompagner, ainsi que de partager plusieurs recommandations et outils portés par les partenaires de Trajetvi. Nous souhaitons également fournir quelques pistes de réflexion afin d’améliorer les modalités de collaborations pour des partenariats de recherche, d’optimiser la participation active des femmes victimes – en particulier celles vivant dans des contextes de vulnérabilité – de favoriser un dialogue égalitaire et intégré entre les communautés, les institutions et les universités.

    La première partie rassemble quatre chapitres qui clarifient quelques concepts, perspectives explicatives, approches méthodologiques ou formes d’intervention féministes en matière de violence conjugale. Elle veut aussi asseoir la posture générale de l’ouvrage. Le chapitre 1 (Nolet, Lafortune et Tanguy) présente de manière critique la démarche générale de recherche adoptée et promue par Trajetvi dans sa programmation. Le chapitre 2 (Flynn, Maheu, Godin et Fortin-Otis) présente les définitions de la violence conjugale auxquelles se réfèrent majoritairement les recherches empiriques au Québec et fait état de leurs principaux contextes d’utilisation. Le chapitre 3 (Lapierre et Côté) propose une étude de cas supportant une analyse critique du discours sur la transmission intergénérationnelle de la violence, souvent utilisé pour expliquer des comportements violents perpétrés par des hommes en invoquant leur propre expérience de violences subies pendant l’enfance. Enfin, le chapitre 4 (Marchand, Corbeil, Bigaouette et Olivier-d’Avignon) rend compte de la démarche d’appropriation et d’intégration de l’intervention féministe intersectionnelle au sein du réseau de la Fédération des maisons d’hébergement pour femmes au Québec (FMHF).

    Composée de cinq chapitres, la deuxième partie de l’ouvrage est consacrée aux réflexions et aux initiatives qui s’inscrivent dans le continuum de la sensibilisation à la prévention en matière de violence conjugale. En la matière, les actions de sensibilisation s’adressent à des publics variés et visent notamment à faire connaître les services spécialisés ; à informer les victimes et les proches au sujet des démarches à entreprendre ; à illustrer les conséquences de cette violence sur la victime et son entourage ; à rendre perceptibles les signes avant-coureurs de la violence ; à dénoncer des comportements inacceptables ; et à transmettre des valeurs sociales à l’égard des comportements relationnels en contexte conjugal ou amoureux. La prévention de la violence conjugale s’inscrit dans un continuum visant à intervenir sur les plans individuel, relationnel, communautaire et sociétal. Le chapitre 5 (Genest) s’intéresse aux processus de banalisation ou de désensibilisation de la population aux enjeux de la violence envers les femmes tels qu’ils se trouvent accélérés par les pratiques de marchandisation du romantisme dans les médias de masse. Le chapitre 6 (Fernet, Hébert, Dion, Fortin, Brodeur, Mikan Dupuis, Day Asselin) brosse un portrait comparé de six initiatives de prévention de la violence dans les relations amoureuses à l’adolescence qui ciblent l’entraide par les pairs. Le chapitre 7 (Nolet) aborde la place qu’occupent les réseaux sociaux des femmes victimes de violence conjugale dans leurs conditions de rétablissement. Le chapitre 8 (Riendeau, Tremblay et Messier Newman) présente le modèle d’action intersectorielle Carrefour sécurité en violence conjugale qui tente d’améliorer la sécurité des victimes et de leurs proches. Le chapitre 9 (Tremblay et Potvin) présente, quant à lui, la grille d’évaluation des risques associés à la violence conjugale développée par la maison d’aide et d’hébergement La Séjournelle, en partenariat avec des actrices des milieux de l’intervention psychosociale, judiciaire et universitaire.

    La troisième partie du livre est la plus volumineuse avec sept chapitres, ce qui illustre l’importance, sinon la nécessité, de développer des réflexions et d’adapter des pratiques en fonction de contextes particuliers de vulnérabilité qui engendrent différents facteurs de risques. Les facteurs de risques associés aux contextes de vulnérabilité sont nombreux, variables et toujours aggravants. Ils influencent directement les situations, les décisions et les stratégies des filles et des femmes victimes de violence. Ces contextes et ces facteurs ont pour effet d’éliminer plusieurs options qui pourraient s’offrir aux filles et aux femmes et de diminuer leurs chances de s’en sortir. Le chapitre 10 (Dion, Attard, Fernet et Richardson) s’intéresse au contexte précis de la violence faite aux femmes autochtones, particulièrement touchées par différentes formes de violence et par le contexte historique et actuel d’oppression et de colonisation. Les questions de résilience et de guérison sont aussi discutées en lien avec l’approche de sécurisation culturelle. Le chapitre 11 (Castro Zavala, Lafortune et Sanhueza Morales) présente les démarches d’adaptation des services mises en œuvre par le Regroupement des maisons d’hébergement pour femmes victimes de violence conjugale (RMFVVC), alors qu’une présence grandissante de femmes issues de l’immigration est observée au sein des ressources. Les chapitres 12 (Jimenez, Arcand, Rachédi et Cousineau) et 13 (Lamboley, Cousineau, Jimenez) tentent de comprendre les trajectoires des filles et des femmes victimes d’une réalité peu connue, et donc peu documentée au Québec, soit les violences basées sur l’honneur et le mariage forcé, en tenant compte des éléments individuels, familiaux et migratoires qui caractérisent ces situations. Dans ces contextes, les violences ont la particularité de se décliner sous diverses formes, en plus d’être le fait de différentes personnes liées à la famille ou à la communauté d’appartenance. Le chapitre 14 (Boisvert, Bréart de Boisanger et Tremblay) s’intéresse au vécu particulier de femmes en situation de handicap physique ayant subi des violences au cours de leur vie. Il illustre, entre autres, comment les violences institutionnelles et les discriminations dans diverses sphères publiques s’ajoutent aux violences perpétrées dans la sphère privée. Le chapitre 15 (Flynn, Cribb, Maheu, Bigaouette et Cousineau) porte précisément sur l’expérience de femmes en situation d’itinérance qui ont vécu de la violence de la part d’un partenaire intime. Les récits montrent que l’itinérance peut être le résultat du contrôle du conjoint, de différentes tentatives pour quitter ce dernier ou de la détérioration des conditions de vie en contexte postséparation. Le chapitre 16 (Deraiche et Gough) présente les faits saillants d’une étude sur la dynamique de la violence conjugale postséparation, menée à partir des récits de femmes et d’intervenantes en maison d’hébergement de deuxième étape. Après avoir mis en lumière les stratégies de contrôle exercées par l’ex-conjoint violent, les autrices proposent quelques outils particuliers à l’intervention en contexte postséparation.

    La quatrième partie regroupe trois chapitres qui permettent de saisir l’ordre, la variabilité et l’imbrication des facteurs exerçant une influence sur le recours à l’aide formelle. Les ressources formelles d’aide aux victimes de violence conjugale incluent les services publics et communautaires des domaines de la sécurité, de la justice, de la santé et des services sociaux. Les ressources informelles, quant à elles, sont constituées par les membres de la famille immédiate, le réseau des pairs, les collègues de travail ou l’entourage. Le chapitre 17 (Lévesque, Rousseau et Pétrieux) s’intéresse aux trajectoires d’utilisation des services et de recherche de soutien de femmes victimes de coercition reproductive, une forme de violence qui renvoie à des comportements qui interfèrent avec l’usage de la contraception ou de la planification des naissances en limitant l’autonomie reproductive des femmes. Le chapitre 18 (Tanguy, Cousineau et Fedida) met en relief la pertinence des services d’hébergement de deuxième étape dans le cheminement de dévictimisation des femmes en contexte de violence postséparation, dans la mesure où ils assurent une continuité dans l’offre d’aide et répondent adéquatement aux besoins, malgré la limitation dans les conditions d’accessibilité à ces ressources. Le chapitre 19 (Lapierre, Fernet, Désilets, Cousineau et Gravel) dresse un portrait détaillé des expériences d’utilisation des services d’aide formelle par les femmes victimes. Basé sur une recension systématique des écrits, il présente notamment des informations concrètes sur la prévalence et les types de recherche d’aide, les motivations, les obstacles et les facteurs facilitants.

    La dernière partie rassemble trois chapitres autour de questions relatives à la justice et au droit. Elle vise à prendre la mesure de l’expérience vécue par les femmes aux prises avec une situation de violence et qui entrent en rapport avec différents systèmes de droit (criminel, familial, de la jeunesse, de l’immigration). Rappelons qu’au Canada, en 2021, la violence conjugale est traitée comme un facteur aggravant et non comme un crime au sens du droit. Le droit criminel ou pénal s’exerce lorsqu’apparaissent, au dossier, des actes de méfaits, de voies de fait, d’agressions sexuelles, de harcèlement, d’entrée par effraction, de bris de conditions, de séquestration, de menaces et tout autre élément constituant un crime selon la loi. Les lois et procédures du droit familial traitent pour leur part essentiellement des causes relatives aux actes et aux cadres légaux du mariage, de l’union de fait, de la responsabilité, du partage et de l’exercice du droit parental, de l’adoption et de la filiation des enfants. Le droit de la jeunesse, sanctionné par la Loi sur la protection de la jeunesse, régit et encadre les affaires se rapportant à des personnes mineures qu’elles soient contrevenantes, victimes ou au centre d’un litige parental dans des cas d’enlèvement, d’adoption, de garde, d’exploitation sexuelle ou par le travail, et autres cas nécessitant la représentation des enfants devant les tribunaux. Le droit de l’immigration couvre les différents aspects juridiques de l’admission au Canada, de l’obtention de permis et de visa, des procédures du parrainage, de résidence temporaire ou permanente, du statut de réfugié et des mesures d’exclusion ou d’expulsion qui pourraient complexifier le dossier juridique d’une femme victime de violence. Le chapitre 20 (Laguë Maltais, Bernier et Cousineau) traite de l’expérience des femmes victimes de violence conjugale lorsqu’elles ont affaire aux instances juridiques pour obtenir justice dans le contexte québécois. Les autrices font ressortir des lacunes importantes et leurs conséquences en matière de collaboration et de partage d’informations entre les différents systèmes de droit. Le chapitre 21 (Frenette, Boulebsol, Chagnon, Lapierre et Lampron) rend compte de la perception et de l’expérience de femmes victimes de violence (conjugale, sexuelle et d’exploitation sexuelle) en lien avec le système de justice. Enfin, le chapitre 22 (Bernier, Gravel, Riendeau et Cousineau) vise à mettre en lumière les enjeux de la création de tribunaux spécialisés en violence conjugale en insistant sur l’importance de la formation et de la collaboration des actrices et acteurs judiciaires pour le bon fonctionnement de ce type de dispositif.

    Ce livre s’adresse aux personnes et institutions qui souhaitent se familiariser avec une partie de la recherche et de l’action contemporaines menées au Québec en lien avec la violence conjugale en particulier et la violence faite aux femmes en général. Il est destiné aux étudiantes, praticiennes, chercheuses, mais aussi aux actrices des milieux politiques, institutionnels et communautaires qui veulent mieux comprendre et prévenir ces violences. Le comité de rédaction tient à remercier celles qui ont contribué à cet ouvrage, dont Andrée Laprise pour son excellent travail de révision, et toutes les personnes qui ont accepté d’évaluer ou de commenter ce manuscrit ainsi que les différentes instances qui ont soutenu financièrement ce projet. Sans ce travail de coconstruction et de collaboration, il aurait été impossible de mener à terme ce projet ambitieux. Nous remercions le CRSH et le programme de soutien aux initiatives structurantes de recherche de la Faculté des sciences humaines de l’Université du Québec à Montréal pour leur soutien financier.

    Surtout, un grand merci à toutes ces femmes victimes de violence qui, comme Sophie, l’autrice de la préface, font confiance aux intervenantes et aux chercheuses, partagent leur histoire et résistent à la violence de multiples façons. Nous réaffirmons notre solidarité envers toutes celles qui luttent pour que les violences faites aux filles et aux femmes cessent et nous rappelons ici la nécessité de poursuivre le développement des actions et des recherches partenariales féministes en ce sens.

    Les directrices de l’ouvrage

    1. L’éditeur a fait le choix de ne pas utiliser l’écriture inclusive, et ce, pour des raisons de lisibilité et d’accessibilité pour la clientèle vivant avec des difficultés de lecture. La féminisation a été privilégiée étant donné le sujet traité. À de rares exceptions, le recours au masculin a été privilégié (p. ex. pour évoquer les agresseurs).

    2. Université de Montréal (UdeM), Université du Québec à Montréal (UQAM), Université du Québec à Chicoutimi (UQAC), Université du Québec à Rimouski (UQAR), Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), Université du Québec en Outaouais (UQO), Université Laurentienne, Université Laval (ULaval), Université de Sherbrooke (UdeS), Université d’Ottawa, Université de Moncton, Université Concordia, Université de Concepción.

    3. Fédération des maisons d’hébergement pour femmes, Tel-jeunes, Maison Flora Tristan, Maison d’aide et d’hébergement L’Émergence, Alliance des maisons d’hébergement de 2e étape pour femmes et enfants victimes de violence conjugale, Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale, Relais-femmes, Carrefour sécurité en violence conjugale, Fédération du Québec pour le planning des naissances, La Séjournelle.

    Partie

    1

    Théories et pratiques

    Chapitre

    1

    L’exercice des rôles au sein d’un partenariat de recherche

    ¹

    Anne-Marie Nolet, Edwige Lafortune et Adélaïde Tanguy

    En regroupant des personnes issues de milieux divers, la recherche partenariale offre un contexte dans lequel les équipes sont constituées d’actrices aux expertises et aux cadres de référence complémentaires (Boutin et Le Cren, 2004). Ce contexte permet de décloisonner les différents savoirs et de générer de nouvelles connaissances plus justes et plus proches des réalités étudiées (Clément et al., 1995 ; Lévesque, 2012, 2014 ; Gurnade et Marcel, 2015 ; Soulière et Fontan, 2018). Les questionnements de recherche générés en partenariat sont ainsi mieux ancrés socialement et, lorsque les projets sont menés à terme, ils constituent des outils efficaces de transformation sociale (Manoukian, 2001 ; Audoux et Gillet, 2011 ; Lévesque, 2012, 2014 ; Hatzfeld, 2013 ; Bourrassa et al., 2017 ; Beaudoin, Turcotte et Gignac, 2018).

    Un grand niveau de complexité caractérise cependant le développement des partenariats de recherche. Les personnes provenant des organismes et les organisations impliquées doivent travailler ensemble à long terme (Nolet et al., 2017 ; Ross et al., 2010), trouver des stratégies et des façons de faire afin de déconstruire les rapports de pouvoir entre chercheuses et partenaires des milieux de pratique (Clément et al., 1995 ; Flynn et al., 2020), s’entendre sur la définition de la problématique étudiée (Flynn et al., 2020), tout en reconnaissant les différences qui font leur force, mais qui sont aussi des sources de tensions (Gervais, 2001). Ultimement, elles doivent bâtir des relations d’interdépendance dans lesquelles les expertises de chacune sont valorisées (Nolet et al., 2017).

    Reconnaissant d’emblée la complexité caractérisant l’établissement des partenariats de recherche, le partenariat de recherche et d’action Trajectoires de violence conjugale et de recherche d’aide (Trajetvi) s’est doté de mécanismes de documentation de son évolution, afin de mieux comprendre les dynamiques existant entre les actrices et les enjeux entourant la démarche partenariale. Trajetvi possède d’ailleurs plusieurs particularités qui rendent cette documentation d’autant plus importante : s’étalant sur sept ans, le projet se distingue d’abord par sa durée. Puis, par son envergure : il regroupe 15 membres des milieux de pratique aux mandats diversifiés et 17 membres universitaires répartis dans 5 régions du Québec. Il inclut également un comité d’expertes de vécu faisant partie des équipes de recherche ainsi que des étudiantes. Finalement, le projet se singularise par sa double direction scientifique et communautaire ainsi que par sa structure en quatre « cellules » de travail, permettant de regrouper les personnes en fonction des thématiques qui les intéressent.

    Dans le cadre de la cellule « documentation du partenariat » de Trajetvi, une analyse qualitative réalisée deux ans après le démarrage du projet (Nolet et al., 2017) a permis de constater que les membres de Trajetvi reconnaissent mutuellement la valeur de leurs ressources², mais que les échanges ne vont pas de soi. Plutôt que de bâtir des relations basées sur la complémentarité de leurs expertises, certaines personnes restent sur la défensive, animées par la crainte d’être instrumentalisées à des fins qui ne correspondent pas à leurs objectifs. À l’aide de ces constats, il importe désormais de mieux comprendre les conditions qui permettent (ou non) aux membres de dépasser cette crainte de l’instrumentalisation et de coconstruire ensemble la recherche et les savoirs qui en découlent. Dans cette optique, ce chapitre porte plus précisément sur les manières dont les membres de Trajetvi jouent leurs rôles respectifs, sur les circonstances dans lesquelles elles l’exercent et, ultimement, sur l’effet de cet exercice sur la coconstruction des savoirs.

    1.   La coconstruction des savoirs scientifiques et l’exercice de leur rôle par les membres d’un partenariat de recherche

    Une profonde transformation s’opère depuis quelques décennies en matière de production scientifique des connaissances (Morissette, Pagoni et Pépin, 2017 ; Soulière et Fontan, 2018). Plusieurs autrices remarquent une popularisation des pratiques de construction des savoirs qui s’étendent progressivement à des actrices jusque-là traditionnellement exclues du processus de production de connaissances (Dubost, 2001 ; Manoukian, 2001 ; Hatzfeld, 2013 ; Gurnade et Marcel, 2015 ; Morissette et al., 2017 ; Soulière et Fontan, 2018). Cette rupture avec les procédés de la recherche traditionnelle permet de potentiellement coconstruire les connaissances scientifiques (Coenen, 2001 ; Dubost, 2001 ; Gurnade et Marcel, 2015). Des autrices considèrent qu’une coconstruction des connaissances permet d’intégrer de nouvelles expertises, peut-être mieux adaptées, ou à tout le moins apportant une complémentarité bénéfique, à la compréhension et à l’interprétation de l’objet d’étude (Desgagné, 1997 ; Lévesque, 2012 ; Hatzfeld, 2013 ; Lyet, 2014 ; Gurnade et Marcel, 2015).

    Pour qu’un ensemble d’actrices arrivent à coconstruire ensemble de nouvelles connaissances, différentes conditions doivent cependant être réunies. Les personnes impliquées doivent d’abord fondamentalement valoriser mutuellement leurs ressources et leurs expertises respectives (Nolet et al., 2017). Cette valorisation mutuelle, aussi appelée interdépendance, est nécessaire à l’échange entre partenaires. Elle implique que les actrices de l’activité de recherche reconnaissent l’existence d’une pluralité de savoirs (Desgagné, 1997 ; Desgagné et al., 2001 ; Manoukian, 2001 ; Audoux et Gillet, 2011 ; Lévesque, 2014 ; Lyet, 2014 ; Beaudoin et al., 2018). Chacune des parties doit être prête à remettre en question certaines hypothèses fondamentales (Audoux et Gillet, 2011 ; Lyet, 2014) et à réviser la distribution classique des tâches et des étapes associées à la recherche (Clément et al., 1995 ; Desgagné, 1997 ; Audoux et Gillet, 2011 ; Lévesque, 2012, 2014). Les partenaires doivent aussi porter un regard réflexif sur leurs propres pratiques et admettre que d’autres lectures d’un phénomène peuvent fournir de nouvelles perspectives (Desgagné, 1997 ; Desgagné et al., 2001 ; Manoukian, 2001 ; Audoux et Gillet, 2011 ; Lévesque, 2012, 2014 ; Lyet, 2014). Partenaires et actrices doivent finalement accepter la partialité de leur point de vue et reconnaître leur incapacité à répondre seules de manière absolue à une question posée (Desgagné et al., 2001 ; Manoukian, 2001 ; Hatzfeld, 2013). Ces attitudes nécessaires au développement d’interdépendances sont transversales, c’est-à-dire qu’elles doivent être partagées par l’ensemble des participantes, indépendamment de leur statut ou de leur rôle.

    Pour mener au développement d’une coconstruction de la recherche et des savoirs, ces attitudes doivent se refléter dans les actions des membres d’un partenariat de recherche. Or, la littérature scientifique sur les partenariats de recherche et la coconstruction des connaissances traite peu des comportements concrètement adoptés par les personnes et elle est particulièrement silencieuse en ce qui concerne les personnes qui endossent des rôles de soutien ou périphériques. Ces rôles ont pourtant été jugés de première importance dans d’autres contextes. Par exemple, les rôles de coordination sont présentés comme le point névralgique des initiatives de collaboration entre diverses ressources (Friedman et al., 2007). Dans Trajetvi, les rôles et les statuts déterminés officiellement ne se limitent effectivement pas à ceux de cochercheuses du milieu universitaire et de cochercheuses issues des milieux de pratique, l’équipe étant notamment constituée d’une directrice universitaire, d’une directrice communautaire, d’une coordonnatrice générale, de coordonnatrices de cellules de travail et d’une agente de liaison. Il y a lieu, dans ce contexte, d’apporter les nuances nécessaires en ce qui concerne les comportements des personnes impliquées en fonction de leur rôle dans l’équipe³.

    Tubbs (1992) montre que l’exercice des rôles à l’intérieur d’une équipe est fluide et sujet à changements. Les personnes qui représentent les organisations peuvent, à un certain moment, être davantage orientées vers l’atteinte des objectifs du groupe, tentant notamment de susciter le partage d’opinions et d’informations, de coordonner, d’orienter ou d’évaluer. Elles peuvent aussi être orientées vers le développement et le maintien du groupe, tentant d’encourager, de préserver la communication et de créer des standards et des idéaux. Finalement, elles peuvent être plutôt orientées vers la satisfaction de leurs propres besoins, cherchant par exemple à être reconnues, à donner une apparence de détachement ou à dominer. Cette typologie permet de considérer l’exercice des rôles de manière fluide, les personnes pouvant passer d’une orientation à une autre, ou se positionner entre deux orientations.

    Dans ce chapitre, une diversité de rôles officiellement endossés par les membres de Trajetvi est étudiée. Plus précisément, nous nous intéresserons aux rôles de direction, de liaison, de coordination, de cochercheuse issue du milieu universitaire et de cochercheuse issue des milieux de pratique. Considérant les multiples manières d’exercer un rôle, de même que l’importance de parvenir à créer des relations d’interdépendance permettant la coconstruction des connaissances, nous tenterons de répondre à la question suivante : « Comment l’exercice du rôle des membres de Trajetvi influence-t-il l’interdépendance et la coconstruction des connaissances ? »

    2.   La méthodologie

    Afin de répondre à cette question de recherche, nous avons utilisé une méthodologie qualitative. Plus précisément, les données ont été collectées par le biais d’entrevues semi-dirigées et d’observations participantes.

    Les entrevues semi-dirigées ont été menées auprès de neuf partenaires des milieux de pratique, de trois partenaires universitaires, des deux directrices, de l’agente de liaison et de trois coordonnatrices. La grille d’entrevue était divisée en deux grandes sections. La première portait sur le développement de Trajetvi et des projets associés. Les questions étaient liées aux attentes à l’égard du projet ; à l’atteinte de ces attentes ; aux éléments facilitants ou nuisibles ; aux contributions individuelles ; aux qualités recherchées en lien avec différents rôles ; à l’exercice des rôles et à la place précise des étudiantes au sein du projet.

    La deuxième section avait pour objet le développement des relations avec les autres membres de l’équipe. Les questions portaient sur le développement de nouvelles relations ; sur l’évolution de relations existantes ; sur les éléments ayant facilité ou nui aux relations ainsi que sur les relations avec les étudiantes.

    Les observations ont été réalisées par l’une des coresponsables de la cellule documentation du partenariat. Six réunions auxquelles ont participé un total de 9 chercheuses et de 14 partenaires des milieux de pratique ont été observées. Elles se sont déroulées au sein d’une seule cellule de Trajetvi. Le choix s’est arrêté sur cette cellule en raison de son grand niveau d’activité et du nombre de personnes qu’elle regroupe ; en d’autres mots, parce qu’elle donne lieu à davantage d’interactions. La grille d’observation a été élaborée et révisée par les membres de la cellule documentant le partenariat. Inspirée de Gervais, Chagnon et Houlfort (2016), elle comprend trois dimensions. D’abord, la dimension structurelle inclut des éléments tels que la disposition de la salle, les actrices présentes lors des rencontres, les aspects technologiques et le respect de l’ordre du jour. Ensuite, la dimension relationnelle concerne les attitudes des actrices (comportements verbaux et non verbaux) et leur participation (apports à la rencontre, réactions) lors des rencontres. Finalement, la dimension cognitive fait référence aux prises de décision, aux enjeux abordés (sociaux, politiques, légaux, etc.) ainsi qu’à la compréhension mutuelle qu’ont les membres de ces sujets. Tout comme les entrevues individuelles, les réunions ont été enregistrées.

    Les comptes rendus d’entrevues et de réunions ont été transcrits et codés à partir du logiciel NVivo. L’arbre de codification a été élaboré en fonction des grilles d’entrevue et d’observation, de la littérature scientifique et des concepts retenus dans le cadre de la documentation du partenariat, notamment l’interdépendance. Les différents rôles (coordination, direction, etc.) ont aussi été intégrés à la codification. Une lecture préalable des comptes rendus a été effectuée afin de s’imprégner du contenu des entrevues. Ensuite, l’arbre de codification a permis de procéder à une analyse thématique. Chaque rôle a été analysé à la fois du point de vue de celles qui les endossent et de celles avec qui elles interagissent. Il est rapidement apparu nécessaire de distinguer, pour chaque rôle, trois catégories : 1) Les attentes à l’égard de chacun des rôles. 2) L’exercice des rôles. 3) Les circonstances qui influencent l’exercice des rôles. Enfin, les résultats ont été discutés en lien avec le concept d’interdépendance, afin de mettre en lumière les manières dont les actions des unes affectent celles des autres et, ultimement, la création du partenariat et la coconstruction des connaissances qui en dépendent.

    Afin d’assurer la confidentialité, la prudence a été de mise dans la présentation des résultats. Alors que des noms fictifs sont parfois utilisés, il s’est révélé impossible de procéder ainsi dans ce texte. Puisque des extraits de comptes rendus de réunions sont utilisés, les participantes auraient pu en reconnaître des extraits et, ensuite, faire le lien avec ceux des entrevues des personnes portant les mêmes noms fictifs. De plus, certains rôles sont assumés par une seule personne (p. ex. directrice universitaire, directrice communautaire, coordonnatrice générale, coordonnatrice de chacune des cellules). Pour assurer la confidentialité et le respect de la dignité de ces personnes, les rôles ont, dans la mesure du possible, été regroupés dans des catégories plus larges. Ainsi, nous parlons de direction et de coordination. En ce qui concerne explicitement le rôle de liaison, les informations touchant l’agente de liaison ont été jumelées à certaines informations se rapportant à la directrice communautaire et qui sont en lien avec le rôle de liaison qu’elle endosse continuellement.

    3.   L’ exercice des différents rôles par les membres de T rajetvi

    Chacune des sections suivantes est consacrée à un rôle représenté au sein de Trajetvi. Il s’agit d’abord de situer chaque rôle en regard des attentes des membres. Ensuite, nous verrons comment les personnes occupant ces rôles l’assument. Finalement, le contexte qui influence et explique les manières d’exercer ce rôle sera appréhendé.

    3.1 La direction

    Les participantes aux entrevues semi-dirigées ont mentionné avoir différentes attentes à l’égard de la direction d’un partenariat. Selon elles, une bonne directrice est d’abord « quelqu’un d’enthousiaste et qui doit pouvoir communiquer son enthousiasme ». Elle doit « avoir une vision d’ensemble » du partenariat et être à l’aise avec la prise de décision, afin d’assurer la cohérence et le bon fonctionnement des projets, comme le souligne une coordonnatrice, en référence au rôle de directrice : « Tu dois faire des choix, tu dois dire oui ou non, ça c’est réalisable, ça, ça l’est pas. »

    Toujours en lien avec le rôle de gestionnaire attribué à la direction, une chercheuse considère que ce rôle consiste à encadrer le financement des projets produits dans le cadre du partenariat et à exiger des membres financés qu’ils produisent de nouvelles connaissances prêtes à être diffusées. Un partenariat est, selon elle, une « relation bidirectionnelle » dans laquelle celles qui profitent du financement doivent donner en retour.

    Pour certaines, il relève aussi du rôle de direction de trancher lors de la prise de certaines décisions. Cette tâche requiert de la direction qu’elle fasse un travail émotionnellement exigeant : « Je pense qu’une bonne leader accepte qu’à certains moments, on fasse de la peine à certaines personnes. Ça devrait être quelqu’un qui est capable de mettre ses balises et de dire les choses quand elles doivent être dites. »

    Comme l’annonce le titre du poste, on s’attend ainsi de la direction qu’elle prenne les grandes décisions susceptibles de créer le contexte nécessaire à ce que les buts du projet soient atteints, dans le respect des orientations choisies.

    La direction de Trajetvi, qu’il s’agisse du pendant universitaire ou communautaire, est aimée et reconnue comme ouverte et rassembleuse. Ces qualités, en plus de se manifester par un enthousiasme face aux idées et aux projets nouveaux, s’expriment par des invitations lancées aux membres afin qu’elles participent activement à la recherche. Dans l’extrait suivant, l’invitation de la direction faisait suite à une suggestion de l’agente de liaison voulant que l’outil de collecte de données puisse être revu par l’ensemble des personnes impliquées, une suggestion qui n’avait pas fait l’unanimité. Ainsi, son apport eut l’effet double de mobiliser les partenaires et d’appuyer sa collègue :

    On veut que, quand on va construire nos instruments, vous soyez là, vous soyez capables de donner du feedback et de nous dire s’il y a des choses qu’on ne va pas chercher, mais qui pourraient vous intéresser. On veut qu’il y ait vraiment une participation pleine et entière à toutes les étapes de la recherche. Je voulais juste préciser.

    La direction appuie et explique aussi certaines décisions d’ordre méthodologique. Dans l’extrait suivant, elle répond aux bémols exprimés par une chercheuse au sujet de certaines analyses :

    Une chercheuse : « On essaie de faire de l’analyse de comment les contextes de vulnérabilité ont évolué selon que la personne soit déplacée d’urbain à rural. Je trouve que ça devient un petit peu spécifique en regard de nos objectifs. »

    […]

    Une directrice : « C’est pour ça que, quand on fait des trajectoires de vie, t’as des trajectoires de mobilité, t’as des trajectoires de violence, tu pourrais même avoir le parcours professionnel par exemple. Puis après ça, tu superposes. »

    La direction joue également un rôle de recadrage lorsqu’une option n’est pas envisageable, notamment en fonction des ressources à déployer : « Admettons qu’on en a 42 [participantes], on va prendre les 42, mais ça peut pas être 70. »

    Elle ne se contente cependant pas d’imposer des limites en fonction du budget. Elle explique ces limites et montre qu’elles ne compromettent pas la rigueur de la recherche en cours :

    On s’est donné un seuil parce qu’à un moment donné, faut être capable de financer l’étude. La saturation empirique peut être complète ou partielle. C’est-à-dire qu’on peut à un moment donné, sur certaines dimensions, juger que ce qu’on va chercher dans les entrevues subséquentes nous apporte juste des anecdotes, ce qui nous permet éventuellement de moduler nos entrevues pour approfondir des lieux où on a moins de saturation.

    La direction joue ainsi un rôle multifacettes en rassemblant, en appuyant, mais aussi en recadrant et en orientant. Des participantes aux entrevues disent cependant percevoir chez la direction une certaine difficulté à adopter une vision globale pour la suite du projet. Une chercheuse souligne notamment l’absence de lignes directrices pour le financement des projets, ce qui, selon elle, cause un manque de cohérence entre les projets : « J’ai l’impression que certains chercheurs ont demandé des fonds pour faire avancer leurs affaires, mais en perdant de vue que ça s’inscrivait dans un projet commun [parce que] y a rien d’imposé pour assurer une cohérence. »

    Une autre personne mentionne un manque de leadership dans l’arrimage des projets. Au démarrage de Trajetvi, certaines personnes avaient l’ambition d’avoir un regard transversal et de faire en sorte qu’une même série d’entrevues puisse servir à plusieurs projets. Or cette ambition ne s’est pas concrétisée : « L’argent est allé sur des petits projets. C’est comme toutes des décisions qui ont été prises à différents moments donnés qui ont fait en sorte que ce souhait-là d’avoir [un arrimage des projets], c’est tombé à l’eau. »

    L’une des directrices admet d’ailleurs avoir certaines difficultés à adopter une attitude de fermeté, se disant de nature plus humaine : « Ça, c’est peut-être une des difficultés que moi j’ai, qu’un directeur devrait pas avoir. Devrait être à la fois ouvert mais ferme pour que les choses avancent plus rapidement. »

    Plusieurs éléments contextuels doivent être considérés afin de comprendre l’exercice du rôle de direction au sein de Trajetvi. Le premier élément concerne l’historique des relations entre la direction et les membres de l’équipe. Par exemple, les antécédents positifs entre la directrice communautaire et les membres issues du même milieu ont eu un poids considérable dans sa capacité à créer une collaboration avec une partenaire avec qui les relations étaient difficiles : « C’est pas parce que je suis plus fine, c’est parce que je la connais de longue date. […] Elle a confiance parce qu’on s’est rencontrées dans toutes sortes de circonstances. »

    Un deuxième élément à considérer est le contexte conflictuel dans lequel était plongé le centre de recherche au sein duquel s’inscrivait Trajetvi lors de son démarrage. Le centre en question vivait alors une crise concernant son orientation et, sur le plan relationnel, certaines membres avaient un historique de conflits. Dans un tel contexte, la direction de Trajetvi a dû faire un effort particulier pour rassurer et rassembler ses partenaires.

    Un troisième élément concerne les dispositions des personnes qui entourent la direction : Trajetvi s’étalant sur plusieurs années, au fil du temps, différentes personnes occupant des rôles clés ont dû partir ou ont vécu des moments de crise personnelle. Elles n’étaient alors pas en mesure de prêter main-forte à la direction pour le développement d’un projet fort et cohérent. Pour cette raison, l’une des directrices souligne que, selon elle, elle n’a « pas assez de personnes dans [son] équipe ».

    Un quatrième élément concerne le fait que les postes de coordonnatrices de cellules sont assumés par des étudiantes en apprentissage et susceptibles d’avoir des disponibilités variables : « Si chacune de tes cellules est menée par des étudiantes en formation qui ont autre chose à faire que le projet, ça peut aller n’importe où. »

    Pour expliquer la difficulté à arrimer la recherche, de sorte qu’une même collecte de données puisse servir à plusieurs projets, une chercheuse émet l’hypothèse, lors d’une rencontre partenariale, que l’équipe est jeune et n’a pas encore d’historique de travail en collaboration, ce qui complexifie la mise sur pied d’une telle méthode de travail : « Peut-être qu’on est une trop jeune équipe. Parce que c’est vrai que les anglophones travaillent comme ça. Mais ça fait 15 ans [qu’ils travaillent ensemble]. »

    Sous cet angle, la responsabilité des défis de l’arrimage ne reposerait pas uniquement sur la direction : il s’agirait d’une responsabilité partagée par l’ensemble des membres d’une équipe encore jeune. On peut ainsi espérer que, dans les prochaines années, cette équipe mûrisse et se dirige vers un plus grand niveau de collaboration menant à un meilleur arrimage des projets.

    3.2 La coordination

    De l’avis des personnes rencontrées, une coordonnatrice doit posséder tout un ensemble de qualités : elle doit être ouverte aux idées des membres de l’équipe, être prompte à les contacter pour favoriser la prise en compte des points de vue de chacune, faciliter les différentes démarches nécessaires à la réalisation des projets et susciter la participation. Une participante résume ainsi : « une coordonnatrice c’est quelqu’un qui est capable d’organiser son monde. » Elle est en charge des étapes cruciales dans le déroulement des projets :

    C’est celle qui porte un projet. À la limite qui l’aurait peut-être même initié. Mais qui porte un projet puis qui est capable dans cette recherche-là de dire, « je suis celle qui va identifier les bonnes personnes pour faire la collecte de données, qui va gérer le certificat d’éthique ». Qui va dire un moment donné : « Écoute, ça a aucun sens, si on n’engage pas quelqu’un pour faire les verbatim par exemple, on s’en sortira pas. J’ai besoin d’avoir quelqu’un, pis voici le profil des personnes dont j’ai besoin. »

    En ce qui concerne précisément la coordination générale, elle doit avoir une vision globale, « travailler de concert avec la chercheuse principale » et accompagner les étudiantes afin qu’elles développent leurs aptitudes pour la recherche partenariale : « Je pense que [la coordonnatrice générale] doit être capable d’enseigner. Être capable d’accueillir ce que l’autre vit, peu importe c’est quoi. »

    Concrètement, pour assurer le bon déroulement des projets, les coordonnatrices de Trajetvi effectuent un travail soutenu entre les rencontres, alors qu’une communication est établie en personne, par téléphone ou par courriel. Ces contacts sont amorcés lorsque des membres doivent s’absenter des rencontres partenariales, ou lorsqu’elles peinent à trouver leur place à l’intérieur de l’équipe, notamment lors des réunions. L’objectif de ces contacts est de susciter l’implication d’une grande diversité de personnes, même des moins loquaces en contexte groupal : « J’essaie d’aller les chercher par courriel, de tout le temps leur demander leur opinion plus personnellement. » Les coordonnatrices expriment aussi du soutien aux membres de leurs cellules. Elles les rassurent et leur témoignent leur compréhension à l’égard de leurs contingences. « Je tiens à le répéter, ça va vraiment avec ce que vous avez envie et la capacité aussi. On est bien conscientes de la charge de travail de tout le monde. »

    Si une telle intervention peut être perçue comme une invitation à ne pas participer, elle peut aussi être considérée comme positive par des membres ayant des agendas particulièrement chargés. De plus, elle permet de présenter l’implication des personnes comme découlant d’un choix, ce qui peut avoir un effet positif sur la reconnaissance et la valorisation des unes envers les autres.

    En plus de ce travail orienté vers le développement et le maintien du groupe, les coordonnatrices proposent différentes idées concrètes pour les projets à venir : « Si on veut coconstruire, j’arrive pas avec une proposition déjà toute faite. J’arrive avec des propositions très partielles en disant ça reste à définir, faut qu’on le construise ensemble. »

    Lorsqu’une décision a été prise et que les coordonnatrices ont entamé des démarches pour la mettre en pratique, elles confirment régulièrement l’accord des membres : « Est-ce que vous avez des commentaires ou des questions sur les comités ? Pas de présences qui vous surprennent ? Vous pouvez aussi confirmer parce que j’ai pu faire aussi des erreurs. »

    Elles les questionnent par ailleurs en lien avec de nouveaux enjeux : « On a l’enjeu de temps, on veut avancer, mais en même temps on veut se consulter, puis tout le monde est intéressé à s’impliquer. Donc je me demandais comment vous voyez le processus de décision pour mener la recherche à terme dans les délais, en tenant compte que tout le monde veut s’impliquer. »

    Les coordonnatrices prennent ainsi une place importante dans la conception, le déroulement des projets et la mobilisation des membres. De l’avis d’une des participantes aux entrevues, la coordonnatrice d’une cellule a eu un rôle de premier plan dans le développement d’un projet important : « Elle va arriver avec quelque chose de vraiment bien. Puis on s’est fait une réputation là-bas […], ils nous ont dit qu’on était des champions. »

    Une coordonnatrice est cependant allée beaucoup plus loin : alors que les membres de sa cellule avaient donné leur accord initial à une idée, elle a conçu, appuyé théoriquement et mis en place une proposition, pour ensuite sonder l’avis des membres, a posteriori, tel qu’en témoigne l’extrait de rencontre suivant :

    Pour remettre en contexte, à l’école d’été y était vraiment ressortie l’importance de pas juste utiliser l’approche intersectionnelle dans une dimension théorique, mais vraiment dans une dimension pratique en adressant la diversité culturelle dans nos analyses. […] Donc on en a discuté à la dernière rencontre, puis tout le monde était d’accord pour qu’on implique les femmes à l’intérieur de la recherche, qu’on leur donne la parole en tenant compte de cette dimension-là de diversité. Puis on avait juste dit « OK oui », mais on n’avait pas encore adressé vraiment la façon de faire et c’est ce sur quoi je me suis penchée dernièrement. On a réussi à recruter trois femmes issues des minorités racisées et une Québécoise. Donc ça nous ferait un comité qui pourrait s’appeler : femmes expertes de vécu. C’est une proposition que je vous fais aujourd’hui. J’ai fait des petites recherches pour essayer de voir comment les intégrer. J’ai parlé avec [une chercheuse et une partenaire des milieux de pratique]. Je suis allée voir, puis effectivement c’est documenté l’apport des expertes de vécu dans la littérature. Ça touche les approches antioppressives. […] Donc ça va nous aider à documenter scientifiquement, puis nous permettre de saisir les oppressions de l’intérieur. Donc ce que moi je vous propose, c’est de faire un comité « expertes de vécu » qui respecte l’approche féministe, puis qui serait là pour nous accompagner dans la démarche. Qu’on irait consulter dans les moments où on a besoin de l’expertise du vécu. Par exemple, concrètement les trois femmes vont passer l’entrevue, puis vont pouvoir donner une rétroaction sur le guide par exemple. C’est pas juste nous qui disons : « Voici, on vous pose des questions. » C’est « qu’est-ce que vous en pensez, comment vous les avez reçus, qu’est-ce qu’on pourrait améliorer dans le guide ? » La parole est à vous.

    Bien que la coordonnatrice ait intégré une idée faisant consensus et ait ensuite validé le modèle proposé pour la formation de ce comité d’expertes de vécu, elle est l’actrice ayant principalement participé à sa mise en œuvre. Son apport a été apprécié et fait désormais partie des fiertés de Trajetvi. L’appariement de cette initiative avec les valeurs de l’équipe explique sans doute en partie ce succès : la coordonnatrice connaissait bien son équipe. Malgré le fait que les principes de coconstruction n’aient pas été respectés, les seuls bémols énoncés ont trait à la forme : par exemple, une chercheuse souligne, en rencontre, qu’il est injuste que quelques femmes puissent participer à ce comité d’expertes de vécu, alors que d’autres participantes à la recherche pourraient aussi être intéressées à se prononcer davantage.

    L’importance du rôle de coordination se traduit aussi dans l’exécution des tâches liées à la recherche, voire dans l’orientation de celle-ci, si bien que la coordination se substitue parfois aux chercheuses. À certaines occasions, les offres spontanées des chercheuses sont même évacuées. Dans l’extrait suivant, une chercheuse a proposé son aide pour dénouer un problème dans l’analyse des données, mais cette aide n’est pas retenue, la coordonnatrice répondant être au courant de cette possibilité :

    Une chercheuse : « Ça dans l’analyse, t’as un nœud ? »

    Une coordonnatrice : « On n’est pas rendu là mais on va en avoir un. On va toute avoir inquiète-toi pas. »

    Une chercheuse : « OK. On pourrait compléter certaines données. Fédérer les [données d’un autre projet]. »

    Une coordonnatrice : « Oui je sais [rires]. Moi en m’intéressant à la judiciarisation c’est quelque chose que je suis attentive. Donc les 810 sont en cours de compilation. Suite à l’ensemble de toutes les feuilles qu’on va discuter après, OK, en partant là pour qu’on se fasse une tête, pour moi, on peut trouver d’autres commentaires là, vos commentaires sont bienvenus, on est là pour en parler. »

    Le discours de la coordonnatrice est double : elle ferme une porte à travers un discours ambigu, tout en concluant par une ouverture.

    La substitution des chercheuses par la coordonnatrice se traduit aussi dans l’extrait suivant, où elle défend son point de vue plutôt que de remettre la décision entre les mains des membres de la cellule :

    La coordonnatrice : « Moi je voulais y aller de façon évolutive, pour être capable de couvrir le territoire puis de pouvoir suivre mon échantillonnage. C’était ça ma… »

    Une partenaire des milieux de pratique : « C’est qu’il faut qu’il y ait des femmes avec des enfants dans toutes les régions. Idéalement. »

    La coordonnatrice : « Moi je le voyais […] étendu sur un calendrier pour être capable de voir l’évolution. »

    Alors que la décision pourrait être entre les mains de l’équipe complète, particulièrement des chercheuses, qui possèdent une expertise claire en matière d’échantillonnage, la coordonnatrice s’attache ici à son idéal, qu’elle défend. Un questionnement se pose alors : le rôle de coordonnatrice est-il clairement défini au sein de Trajetvi ? Dans quelle mesure doit-elle être partie prenante des décisions, plutôt que facilitatrice ?

    Une participante aux entrevues émet par ailleurs un bémol en lien avec l’accompagnement des étudiantes : alors qu’elle considère que c’est à la coordination de les accompagner, elle a le sentiment que cet accompagnement n’a pas toujours été fait : « Je trouve ça super intéressant la présence d’étudiantes, je trouve qu’on a commencé à en bénéficier plus, mais je suis pas sûre qu’elles ont été bien encadrées, bien supportées, particulièrement dans la connaissance des groupes [communautaires]. »

    Le contexte dans lequel les coordonnatrices ont pu jouer leur rôle a eu une grande influence sur leur exercice. D’abord, la plupart des postes de coordonnatrices sont assumés par des étudiantes aux cycles supérieurs. Une participante souligne que, selon elle, un projet de recherche en partenariat bénéficie du fait d’avoir des coordonnatrices qui ne sont pas étudiantes, mais bien employées, puisqu’en plus de développer une expertise dans le sujet donné, elles y mettent tout leur temps et n’ont pas d’autres agendas. En effet, les étudiantes doivent parallèlement se concentrer sur leurs études et certaines quittent le projet une fois leurs projets universitaires terminés. Ce contexte crée un certain roulement des personnes qui occupent les postes de coordonnatrices, d’autant plus que Trajetvi est un projet qui s’étend sur plusieurs années. Ce faisant, deux cellules se sont retrouvées sans coordonnatrice pendant des périodes suffisamment prolongées pour mettre en péril les travaux effectués. Cette situation, en plus de susciter des frustrations chez les membres impliquées dans les cellules en question, complexifie l’intégration des coordonnatrices qui reprennent le flambeau. Le contexte est tendu et les membres, à cran, sont peu accueillantes, comme l’illustrent les trois extraits d’entrevues suivants :

    Une coordonnatrice : « Je savais qu’y allait y avoir des personnes pas contentes parce que c’est vrai, y s’est rien fait. »

    Une chercheuse : « Je trouvais que les gens ont pas été super accueillants avec elle. »

    Une coordonnatrice : « Quand on est arrivées à la réunion, y a eu un tourbillon d’insatisfactions. Je me suis faite ramasser. »

    Dans les circonstances, une coordonnatrice rapporte avoir eu de la difficulté à gérer les échanges au cours de sa première réunion, ce qui n’a pas été sans risques pour l’intégration d’une nouvelle membre issue des milieux de pratique :

    J’ai pas géré du tout la première réunion. J’étais incapable. Je pouvais pas finir d’expliquer ce que je voulais dire. Tu te faisais couper complètement la parole. Y avait une nouvelle, c’était violent. Elle m’a envoyé un courriel en me disant : « Écoute, je suis partie d’avance parce que je voyais pas la pertinence de ma présence. » J’ai travaillé à essayer de la garder. C’est important là. Je lui ai dit : « Non, je comprends, je m’excuse. »

    Un contexte dans lequel les participantes sont à cran peut expliquer, au moins en partie, la prise en charge de la recherche et l’attitude parfois défensive de la coordination : alors que rien ne se construit, elle a le mandat de faire avancer le projet. Elle dépend alors de la liaison, garante du maintien et du développement de liens dans l’équipe.

    3.3 La liaison

    Le rôle de liaison est relativement méconnu. Il s’agit d’abord de favoriser la création de liens entre des personnes aux expertises complémentaires et de favoriser la coconstruction des connaissances. Si la reconnaissance de la richesse de cette complémentarité des expertises est importante pour l’ensemble des actrices d’un partenariat de recherche, elle l’est particulièrement pour l’agente de liaison. Sans cette reconnaissance, elle pourrait passer à côté de son mandat premier : « On n’est pas en compétition, on est en complémentarité. Sans les [unes et les autres] on ferait pas de liaison. »

    De plus, l’agente de liaison doit avoir une compréhension de la réalité de l’ensemble des personnes impliquées. De l’avis d’une participante aux entrevues, cette compréhension n’est pas nécessairement un préalable. Ce qui importe surtout est la curiosité naturelle permettant de développer cette compréhension : « Y’a un espèce de regard anthropologique posé sur l’autre. Comprendre comment l’autre pense. Donc y faut être curieux, essayer de comprendre. Ça pour moi c’est la première qualité [d’une agente de liaison]. »

    C’est cette curiosité qui permet à l’agente de liaison de mettre au défi les personnes avec qui elle interagit : « Quand le chercheur pose certaines questions, y est déjà en négociation. L’agent de liaison peut y aller par curiosité. Oui mais avez-vous pensé à ça ? C’est pas elle qui va faire la recherche, donc elle a une plus grande possibilité d’ouverture sur le questionnement. »

    Transversalement à toutes les situations complexes susceptibles d’être rencontrées par une agente de liaison, ce travail consiste, essentiellement, à « ne pas baisser les bras » et à voir les possibilités de développement de relations dans des contextes imparfaits.

    Dans le cadre des rencontres de travail, l’agente de liaison fait équipe avec la coordonnatrice en contribuant au bon déroulement des rencontres et des étapes à venir : elle s’assure que la durée des rencontres soit respectée, elle en formule clairement les objectifs et tente d’assigner aux membres des tâches à effectuer en vue des rencontres suivantes : « Est-ce que c’est un bout de recrutement qui vous intéresse, est-ce qu’il y a un bout d’analyse des données ? Est-ce que vous voulez plus être en réaction de ce qui sera produit ? Donc c’est quoi votre niveau d’intérêt et d’engagement ? »

    Elle propose par ailleurs certaines manières de distribuer le travail au sein des comités : « J’ai reçu un courriel pour avoir une réunion bientôt sur la conceptualisation. Est-ce que ça pourrait être discuté dans cette équipe-là ? » Comme le mandat premier de l’agente de liaison est de créer des liens entre les personnes, l’exercice de son rôle comporte un grand nombre d’interventions visant à rassembler les personnes. Il s’agit parfois de proposer la tenue de rencontres en personne, ce qui peut s’avérer d’autant plus pertinent dans un contexte où les partenaires sont distribuées dans différentes régions : « Si on décide de se faire une journée complète de travail, est-ce que ça serait pas intéressant d’aller au milieu, entre Québec et Montréal, pour que les comités puissent travailler ensemble pis se rassembler. C’est mon idée. D’optimiser un peu la présence de tout le monde, mais dans une journée complète. »

    L’agente de liaison est aussi à l’affût des difficultés et à la recherche de solutions. Lors d’une rencontre de travail, elle souligne la difficulté que peut impliquer la prise de décision en grand groupe. Elle tente de proposer une solution dans laquelle un moins grand nombre de personnes seraient impliquées, mais où les membres pourraient tout de même prendre des décisions pour l’ensemble du groupe. Elle remet ainsi en question l’organisation du travail, tout en valorisant le développement de relations de confiance, point focal de son mandat :

    Si on n’est pas à l’aise ou d’accord avec une tangente que prend un outil, s’il y a un défi d’analyse, de conceptualisation, je pense que l’intérêt c’est de s’impliquer dans le comité pour avancer. Si on est moins dans le comité, je pense qu’il y a une confiance à établir pour que les gens puissent travailler ensemble pis dire : « Ben je peux pas m’impliquer dans le bout conceptualisation des outils, mais il y a du monde qui travaille là-dessus. Ça avance, je leur fais confiance. »

    L’agente de liaison se fait l’écho des partenaires, s’assure qu’elles soient entendues et respectées. Elle s’assure aussi, à l’inverse, que les partenaires comprennent bien les différentes notions abordées. En rencontre, c’est cette préoccupation qui lui a permis de vulgariser la notion de saturation empirique : « En d’autres mots, saturation ça voudrait dire que même si t’en faisais 150, ça te donnerait pas plus d’informations que d’en faire 40. Tu iras pas chercher de nouvelles analyses, de nouveaux contenus. »

    La nature du rôle de liaison, qui se veut centré sur les relations, peut aussi être difficile à saisir et à délimiter, notamment par les personnes qui ont un rôle connexe. Des explications peuvent dès lors être nécessaires : « Elle me disait t’es en train de faire ma job, "je veux pas faire ta job, je suis là pour te donner des idées, des conseils, du feedback de ce que j’entends des partenaires". »

    L’agente de liaison contribue aussi, par ailleurs, à l’écriture de certains projets. Dans Trajetvi, l’implication de la liaison à cette étape a permis d’amorcer une réconciliation auprès d’une partenaire avec qui les relations étaient tendues. Comme le souligne une participante aux entrevues : « Il fallait que ça vienne du terrain neutre. »

    Une grande partie de la tâche de liaison se fait par ailleurs de manière informelle et, à cet égard, la distance géographique peut entraver le travail : « Y a les défis de distance géographique qui ne sont pas réglés. C’est beaucoup plus facile d’être proche pis d’avoir de l’informel puis des discussions de cadre de porte avec celles qu’on croise tout le temps. »

    Le fait que la direction reconnaisse, comprenne l’importance du travail de liaison et le finance permet à l’agente de réaliser pleinement ses tâches. Comparativement à une étudiante, elle dispose de plus de temps pour approfondir ses connaissances au sujet des enjeux entourant la violence conjugale, de même que pour connaître les partenaires et tisser des liens avec elles. Ce temps précieux peut lui permettre d’exercer efficacement son rôle : « Dans la façon dont on a conçu notre demande, une des choses qui étaient très importantes pour nous et qui a été très importante, c’est le fait qu’on a, on avait une reconnaissance et un respect du travail de liaison. Ce n’est pas toujours le cas dans les projets. »

    Qui plus est, l’agente de liaison a un accès facilité aux cochercheuses des milieux de pratique, en raison de son ancrage dans le milieu communautaire. Cela lui permet de les sonder de manière informelle sur les questions liées à la recherche partenariale : « Moi en termes d’agente de liaison, je vais chercher l’opinion de [une partenaire] quand je la croise dans le corridor. Ou quand je croise [une autre partenaire] sur d’autres projets, je lui demande en même temps. »

    Le fait que l’agente de liaison provienne du milieu communautaire et non pas universitaire favorise, selon différentes participantes, la liaison auprès des partenaires des milieux de pratique : « De s’être donné une agente de liaison qui venait des milieux de pratique plus que du milieu de la recherche, pour la cohésion du groupe, j’pense que ça a été winner. »

    Les participantes trouvent cependant dommage qu’il n’y ait pas d’équivalent pour les chercheuses, et mentionnent qu’il pourrait s’agir d’un élément entravant leur implication.

    3.4 La représentation des milieux de pratique

    Dans le cadre d’un partenariat de recherche où l’objectif est de coconstruire les connaissances, les attentes à l’égard des partenaires des milieux de pratique sont multiples. Celles-ci ont d’abord un rôle important sur le plan des revendications politiques : « Je vois les milieux de pratique qui prennent le téléphone : Bon, eh bien, je vais appeler la ministre. […] Ils nous ouvrent des portes qu’on n’aurait pas ailleurs. »

    Leur rôle au sein de la recherche ne se limite d’ailleurs pas au recrutement des participantes ; il s’agit de concevoir les projets et de procéder aux analyses et à leur diffusion avec elles.

    En plus de leur implication à différentes étapes de la recherche, certaines participantes aux entrevues ont mentionné qu’elles aimeraient voir les partenaires des milieux de pratique impliquées également sur le plan de la coordination des projets : « [Il pourrait y avoir] deux cocoordonnatrices : une du monde universitaire, puis une du monde des partenaires. Je pense que ça amènerait une richesse supplémentaire. »

    Certaines partenaires des milieux de pratique faisant partie de Trajetvi sont très impliquées, notamment dans les différents groupes de travail et instances décisionnelles : « Y a beaucoup de comités qui ont poussé. Les colloques, collectifs d’auteurs, on continue à s’impliquer au comité directeur. » Ce sont parfois elles qui, voyant une lacune dans le partenariat, proposent la création de telles instances : « À un moment donné on a réfléchi à voir comment on pouvait partager le pouvoir de décisions. Donc ça a mené à la création du coco [comité de direction]. »

    Au-delà des rencontres en personne, elles s’impliquent aussi en lisant et en commentant les différents documents produits en vue des rencontres et des publications : « J’essaie quand même d’être assez systématique, de lire les documents avant les rencontres. »

    Les partenaires expriment par ailleurs leur appui à leurs collègues lorsque celles-ci ont des idées qui leur plaisent, comme en témoigne cette partenaire en réponse à la proposition de tenir des journées de travail entre Québec et Montréal : « Moi j’aime beaucoup l’idée. Je suis prête à me déplacer parce que je crois beaucoup au travail en face-à-face. »

    Illustrant toute la pertinence et la richesse de la coconstruction au sein de recherches partenariales, les partenaires des milieux de pratique s’intéressent aux résultats de recherche et font des liens entre les constats émergents et les implications par rapport à leur propre milieu. L’interaction suivante, tirée d’une rencontre de travail, est un bon exemple de la manière dont la recherche coconstruite peut donner lieu à des outils de transformation sociale. La documentation d’enjeux présents dans les milieux de pratique est la première étape vers leur résolution :

    Une chercheuse : « C’est pas du tout un focus de notre recherche, mais on a de nombreuses femmes en situation de handicap qui répondent à notre appel. »

    Une partenaire terrain : « Ça c’est très très très intéressant. C’est génial si vous arrivez à aller en rencontrer. Parce que ça c’est un gros problème concret, terrain : comment rejoindre ces clientèles-là ? Nos services ne sont pas tous adaptés. Puis moi je veux amener autre chose par rapport à ça. […] On n’est pas capables de les avoir ! Même si elles viennent, on peut pas les héberger. »

    Les partenaires émettent aussi des critiques en lien avec les processus de recherche partenariale. Alors qu’elle soumettait une idée aux membres de sa cellule, une coordonnatrice s’est butée à une incompréhension du processus en cours, la partenaire en question s’attendant à un processus s’apparentant davantage à une recherche traditionnelle. C’est alors une autre partenaire qui lui a expliqué le fonctionnement d’un partenariat visant la coconstruction : « Elles disaient : "Mais

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