L'autre Goering: L'histoire extraordinaire du frère d'Hermann Goering
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À propos de ce livre électronique
Qui se souvient d’Albert Goering (1895-1966) ? Seul son frère est resté tristement célèbre : Hermann Goering, le chef de la Luftwaffe et impitoyable numéro 2 du régime nazi. Son jeune frère, Albert, fut pourtant son exact contraire : profondément humaniste, antinazi convaincu, il sauva des Juifs et aida des mouvements de résistance !
Des studios de cinéma autrichiens aux usines tchèques de Škoda, Albert Goering eut un parcours si étonnant que personne, au sortir de la guerre, ne voulut croire à son histoire – une vie digne d’un personnage de roman !
C’est précisément ce roman que François Guéroult se propose ici de nous raconter.
Ce roman très bien documenté dévoile le parcours surpenant d'un héros de la Seconde Guerre mondiale dans l'ombre de son frère !
EXTRAIT
- Mai 1945 -
La guerre est finie. Le nazisme n'est plus qu'un monstre abattu. L’humanité a failli s’écrouler et disparaître, mais c’est bien le monstre qui a péri. Et c’est à Salzbourg, en Autriche, que j’assiste à son dernier soupir.
J'ai dû, en effet, à mon grand regret, quitter définitivement Prague, cette ville lumineuse qui m'aura permis, pendant si longtemps, d'avoir l'illusion de traverser les ténèbres avec un rayon de clarté et une chaleur privilégiée. Une nouvelle fois, j’ai dû fuir la Gestapo.
Quelques mois auparavant, de nouvelles accusations avaient été portées contre moi, à la suite d’une dénonciation de la part d’une de mes secrétaires de chez Škoda. Ces accusations de la Gestapo de Prague tenaient en quatre points : on me prêtait l’intention de m’enfuir en Suisse, on me reprochait d’avoir retiré d’importantes sommes d’argent (près d’un million de marks), on rapportait des propos antinazis que j’avais eu l’audace de tenir à haute voix et on me soupçonnait même de nourrir le projet de m’en prendre à mon propre frère, le Reichsmarschall Hermann Goering ! Évidemment, tout n’était pas faux dans ces accusations.
À PROPOS DE L'AUTEUR
François Guéroult est né en 1971 dans le Calvados. Diplômé de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris et du Centre de formation des journalistes, il est actuellement rédacteur en chef adjoint à France Bleu Orléans.
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Avis sur L'autre Goering
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Aperçu du livre
L'autre Goering - François Guéroult
imité.
- Novembre 1966 -
Il pleut sur Munich et sa banlieue aujourd'hui. Des flocons de neige tentent de se mêler à la pluie pour produire une mélasse qui suinte à ma fenêtre. C'est un temps d'automne qui agonise, on sent déjà l'hiver en embuscade - c'est un temps qui me ressemble : moi aussi, j'agonise ; en moi aussi, je sais l'assaut final de l'éternel hiver imminent.
- Albert ! Pourquoi restes-tu donc si longtemps à la fenêtre ? Ce n'est pas ainsi que tes mémoires vont avancer !
Comme d'habitude, la voix de Brunhilde est douce, c'est un reproche qui n'en est pas un. C'est le problème d'épouser son ancienne domestique : il y a un reste d'admiration chez elle qui crée une fausse distance, un infime résidu de déférence que des années d'intimité n'ont pas réussi à dissoudre complètement, et qui me trouble toujours un peu. D'autant qu'il y a longtemps que les raisons objectives susceptibles de faire naître un quelconque sentiment d'admiration et a fortiori de déférence se sont évaporées. Il y a longtemps que le quotidien que j'impose à Brunhilde est une vie de misère, dans cet appartement sans âme, mal chauffé, où seuls les grincements de parquet donnent l'illusion d'un logement de caractère. Et les rares moments où ce quotidien s'améliore, je n'y suis pour rien : un don financier d'un vieil ami, un colis alimentaire qui nous parvient, une revalorisation de l'allocation d'État. Un jour, avec peut-être l'arrière-pensée qu'un succès nous permettrait d'en finir avec cette misère, Brunhilde m'a dit :
- Pourquoi n'essaies-tu pas d'écrire tes mémoires ? Tu en aurais, des choses à raconter !
- À raconter sur quoi ? ai-je répondu en haussant les épaules. Et surtout sur qui ? Sur mon frère, pour attirer les lecteurs ?
- Sur ton frère, bien sûr, mais aussi sur toi.
Sans penser à mal, elle avait mis le doigt sur le drame de ma vie : je suis indissociable de mon frère. Nous ne sommes pourtant pas jumeaux, il était de deux ans mon aîné. Il est probable même que nous ne soyons pas du même père, c'est un secret de famille qui n'en est pas un : mes yeux marron et mes cheveux bruns sont ceux d'un Epenstein, pas d'un Goering aux yeux bleus et aux cheveux blonds ! Sauf que ce baron Hermann von Epenstein, notre parrain commun et dont notre mère était si proche, a grandement contribué aux liens indivisibles qui, malgré tout, nous unissaient, mon frère et moi, puisque c'est avec lui, et chez lui, dans ses châteaux médiévaux, que nous avons passé notre enfance. Et qui peut nier que l'enfance tisse une toile invisible entre les êtres, et qui ne meurt jamais tout à fait ?
Bien sûr, elle a raison, Brunhilde : j’en aurais, sans doute, des choses à raconter. Mais dans quel ordre ? En commençant par quoi ? Tout est, parfois, si embrouillé dans ma tête, tant certaines images ont jauni, tant certaines pages prêtent à confusion, tant un souvenir en rappelle un autre, tant une date me ramène à une autre date – et même si le désordre sera sincère, l’existence m’a trop démontré que la sincérité ne suffit pas toujours.
Bien sûr, elle a raison, Brunhilde : le Troisième Reich fait vendre. Rien que d'y penser, j’en ai envie de vomir. Mais quoi ! L’autobiographie de l'Amiral Dönitz, Dix ans et vingt jours, s'est paraît-il très bien vendue, et il y a fort à parier que les mémoires qu'Albert Speer a écrits en prison seront un best-seller, vu le nombre de journalistes qui se sont précipités à sa sortie de la prison de Spandau, à Berlin, le mois dernier, et vu le nombre de pages que lui consacre ce mois-ci le Spiegel pour sa première interview-confession.
Oui, le Troisième Reich fait vendre, mais moi, malgré mon nom, je fais partie de ceux qui ne l'ont pas servi, je l'ai au contraire détesté, de toutes mes forces, et même combattu, avec mes pauvres moyens. Et comment faire comprendre que dans le même temps, je n'ai jamais réussi à détester complètement ni même à combattre mon frère, qui incarne à lui seul toute l'horreur du régime ? Ce paradoxe, j'ai tenté de l'expliquer en 1945 aux Américains qui m'avaient jeté en prison, puis en 1955 aux ouvriers d'une entreprise de bâtiment à Munich : le fait que je sois le frère d'Hermann Goering n'est pas un crime ; il faut bien différencier l'homme d'État, avec qui je n'ai eu aucune relation, et le frère, avec qui j'ai eu des relations normales comme en ont tous les frères. Mais en avais-je seulement le droit, alors que mon frère, assurément, ne l'était pas, « normal » ? Et puis les hommes n'aiment pas ce genre de subtilités, on préfèrera toujours le noir et blanc au gris nuancé, et tant pis pour ceux qui n'entrent pas dans le cadre qu'on leur a assigné... En 1945 comme en 1955, personne ne m'a cru, alors qui aujourd'hui me croira ?
Pour tous mes proches, je m'appelle Albert, oui. Albert, tout simplement. Mais pour tous les autres, je suis Albert Goering. Et c'est là tout le problème.
- Mai 1945 -
La guerre est finie. Le nazisme n'est plus qu'un monstre abattu. L’humanité a failli s’écrouler et disparaître, mais c’est bien le monstre qui a péri. Et c’est à Salzbourg, en Autriche, que j’assiste à son dernier soupir. J'ai dû, en effet, à mon grand regret, quitter définitivement Prague, cette ville lumineuse qui m'aura permis, pendant si longtemps, d'avoir l'illusion de traverser les ténèbres avec un rayon de clarté et une chaleur privilégiée. Une nouvelle fois, j’ai dû fuir la Gestapo.
Quelques mois auparavant, de nouvelles accusations avaient été portées contre moi, à la suite d’une dénonciation de la part d’une de mes secrétaires de chez Škoda. Ces accusations de la Gestapo de Prague tenaient en quatre points : on me prêtait l’intention de m’enfuir en Suisse, on me reprochait d’avoir retiré d’importantes sommes d’argent (près d’un million de marks), on rapportait des propos antinazis que j’avais eu l’audace de tenir à haute voix et on me soupçonnait même de nourrir le projet de m’en prendre à mon propre frère, le Reichsmarschall Hermann Goering ! Évidemment, tout n’était pas faux dans ces accusations. La dernière a dû, tout de même, et à raison, provoquer l’hilarité d’Hermann... Toute l’affaire s’est dégonflée lors d’une réunion de crise dans un hôtel de Berlin, Hermann lui-même n’y a pas assisté, mais ses émissaires sont parvenus à faire tomber les charges qui pesaient sur moi. Depuis, la secrétaire a été arrêtée pour diffamation et fausses allégations. Mais Karl Hermann Frank, le chef de la Gestapo à Prague, n’a pas digéré cette défaite personnelle à mon égard, la deuxième en trois mois. Aussi, et alors que la situation militaire se précipitait, ai-je reçu un message de mon frère, plus pressant que d'ordinaire, il me conseillait de rentrer au plus vite à Salzbourg et de m'y faire discret. Il ajoutait que bientôt il ne pourrait plus rien pour moi ni pour personne... La Gestapo est comme le monstre de Frankenstein : c’est mon frère qui l’a créée, mais il y a longtemps déjà que son contrôle lui échappe.
Me faire discret, avait-il dit. Mais la discrétion ne m'est pas permise : mes reins me font atrocement mal, c’est le foie sans doute, mon cœur doit lui aussi être atteint, il faut que je me fasse soigner. La Seconde Guerre mondiale s’achève, mais la blessure que j’ai contractée lors du premier conflit s’est réveillée. Quel paradoxe ! Le monstre est abattu, cela faisait douze ans que j’en rêvais, mais je n’ai plus la force de me réjouir : alors que l’humanité redresse enfin la tête, me voici réduit à ma pauvre condition d’homme, réduit à ce corps et à ces tripes qui me font atrocement mal. Et où trouver un médecin dans un tel chaos, dans une telle débâcle, si ce n’est auprès des Américains ? Mila, ma chère épouse, m’a averti que je me jetais dans la gueule du loup. J’ai haussé les épaules : je n'ai rien à me reprocher, je ne suis ni un nazi, ni un criminel de guerre. Et j'ai toute confiance en la clairvoyance des Américains, en leur sens de la justice, en leur goût de la liberté. C'est ainsi que je m’en remets à eux. Et c’est ainsi que quelques jours plus tard, je me retrouve dans une cellule miteuse, à Augsbourg, en Allemagne, une ancienne cité ouvrière que les officiers de renseignement de la VIIe armée américaine ont transformée en prison et en centre d'interrogatoire.
Le lendemain de mon arrivée à Augsbourg, on me fait signe de sortir : c'est l'heure de la promenade, et on me fait comprendre que quelqu'un m'attend. Je sors, et je découvre une silhouette imposante, à peine reconnaissable : c'est Hermann ! Cela fait moins d’un an que je l’ai vu mais je suis littéralement saisi par l’ampleur de sa métamorphose. Ses cuisses sont si énormes qu’elles frottent l’une contre l’autre, ce qui rend sa démarche lente et chaloupée. Il paraît totalement grotesque. C'est donc à ça que ressemble le Reichsmarschall qui faisait trembler l'Europe, l'ancien numéro 2 du régime, craint et respecté à la fois : une masse informe de cent trente-cinq kilos, un être balourd dont le narcissisme et l'excentricité, qui faisaient jadis oublier les rondeurs, semblent s’être dilués dans un amas de graisse accumulée ?
La promenade ne dure que quelques minutes. Hermann s'empresse tout de suite de me supplier, visiblement très abattu :
- Je t'ai vu débarquer ici, quatre jours seulement après mon arrivée, je t'ai reconnu en passant devant ta cellule. Je suis vraiment désolé que tu aies à souffrir à cause de moi. Mais toi, tu seras bientôt libre. Alors prends soin de ma femme et de mes enfants. Promets-le-moi. Adieu.
Il m'explique que, comme moi, il est retourné en Autriche au moment de la capitulation nazie, non loin des lieux de notre enfance. Il me raconte que, comme moi, il s'est rendu avec espoir aux Américains, certain que son rang et son passé d'ancien combattant suffiraient à lui assurer un traitement honorable, mais qu'il a compris qu'il s'était fourvoyé, et que sa détention serait longue, et peut-être même sans issue. Je m'aperçois alors que pour la première fois depuis trente ans, notre destin emprunte un même chemin, où l'épreuve va succéder à la naïveté.
C'est la dernière fois de ma vie que je parle à mon frère.
- Septembre 1945 -
L'homme est assis à son bureau, mais je devine immédiatement qu'il est imposant. Le regard qu'il jette sur moi est bref, mais avec suffisamment d'intensité pour me signifier son mépris. Le vague soulagement que j'ai éprouvé lorsqu'on m'a appris que j'allais, enfin, être véritablement interrogé sur ce qu'on me reproche, plus de quatre mois après le début de ma détention, ce vague soulagement s'évanouit aussitôt. L'homme me parle en anglais d'un ton martial, avec un fort accent américain, insistant sur certaines syllabes, me criant parfois dessus, comme pour compenser sa jeunesse – et le contraste avec la voix monocorde, administrative, indifférente du traducteur est saisissant.
- Mon nom est Bill Jackson. Vous savez où vous êtes ?
- Comment ne le saurais-je pas ? On m'a transféré dans cette prison au mois d’août, ma cellule fait quatre mètres sur deux, avec un plafond très bas, un lit de camp en acier et quelques couvertures sales. J'ai écrit il y a deux semaines au directeur pour dire combien je