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Une vie à sauver: Roman
Une vie à sauver: Roman
Une vie à sauver: Roman
Livre électronique414 pages6 heures

Une vie à sauver: Roman

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À propos de ce livre électronique

L’Histoire n’est jamais qu’un continuum tout tracé. Peut-on imaginer que les époques puissent être traversées ? Loin de vivre la vie dont elle rêve, Lacmée tente de prendre un nouveau départ en acceptant de quitter Paris pour un voyage aux États-Unis. Une jeune femme n’étant jamais à l’abri des dangers dans les rues, elle se fait agresser dans le métro en rentrant d’une soirée. Prête à succomber et à demi consciente sur le quai, elle visionne son sauvetage, irréel et pourtant si vrai. Comment serait-elle encore en vie sinon ? Qui était cet homme semblant sortir tout droit d’une autre époque et à qui désormais son destin était lié ?

À PROPOS DE L'AUTEURE

En troisième année de licence Humanités, Isaure Junkar s’apprête à passer le BEPA pour être cavalière et soigneuse de chevaux. Elle pratique l’écriture depuis toute petite et invente des scénarios de toute sorte.
LangueFrançais
Date de sortie24 févr. 2021
ISBN9791037719294
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    Aperçu du livre

    Une vie à sauver - Isaure Junkar

    Première partie

    Dans l’air du temps

    Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours eu un faible pour le train. Dès lors que je dois me rendre quelque part, j’opte pour ce transport plutôt qu’un autre. Petite, je ne jouais pas aux poupées comme toutes les fillettes ni aux voitures comme la plupart des garçons. Je prenais plaisir à construire un véritable circuit ferroviaire pour ma locomotive et ses wagons, donnés par mon père. En la voyant défiler sur les rails, j’étais comme captivée, je ne me lassais pas du spectacle qu’elle m’offrait. Chaque fois, je m’imaginais voyageant à son bord, m’emmenant dans des contrées lointaines. Quelle étrange lubie me diriez-vous ! Mon tempérament rêveur n’avait pas de limites, tout comme mon imagination. À l’heure où j’écris, je suis d’ailleurs dans un des wagons première classe du train en partance de Strasbourg, direction Paris. J’avais quitté mon métier de journaliste dans un célèbre magazine de mode il y a un mois, et j’étais venue me ressourcer dans ma ville natale auprès des miens. Si avant je culpabilisais de mon impulsivité, maintenant j’étais prête : prête à retrouver la Ville Lumière, pleine de projets et décidée à les concrétiser, enfin. Mon père avait renfloué cette force qui, progressivement, m’avait quittée : « Écris, m’a-t-il dit, fais ce pour quoi tu es faite, ne gâche pas ton talent pour des futilités. » Lui seul me comprend et me soutient, il sera fier de moi lorsque, par la suite, je serai publiée. Pour quel ouvrage, je ne sais pas, quand non plus. Ce que je sais, c’est que l’avenir m’appartient. Mon train à quai, je descends du wagon, munie de ma valise et de mon sac à main de style indien et me dirige vers chez moi. Je possède un magnifique F5 dans le 8e arrondissement, non loin de l’Opéra, de type haussmannien, lumineux et silencieux : l’endroit parfait pour rédiger. Oui, mais que rédiger ? Ce n’était pas ces quelques articles sur « Comment porter la jupe crayon ? » ou « Savoir s’habiller pour un cocktail » qui me permettraient de m’épanouir pleinement. Ce n’était pas cela qui me prenait le plus clair de mon temps. Je travaillais en principe toute la soirée, pour rendre mon article le lendemain matin même à mon éditrice qui le publiait dans Vogue. Puis j’étais libre. Alors je flânais, me rendais dans des musées, découvrais des expositions, ou alors j’écrivais. À l’ombre d’un chêne dans un jardin public, dans un café à l’ambiance rétro, assise sur un banc face à une vue imprenable sur les merveilles de la capitale. Peu importait, tant que l’inspiration était là ; mon bloc-notes dans ma besace et mes moscot de travail me donnant un air d’écrivain, j’étais parée. J’écrivais plusieurs nouvelles à la fois que j’envisageais de réunir en un recueil, mais je voulais vraiment achever mon roman. Or il me manquait un ingrédient pour cela. J’ai toujours écrit sur des choses que je connaissais, ou que je maîtrisais. Jamais sur ce qui m’échappait de trop loin ni sur des sentiments inconnus, ou des expériences que je n’avais jamais vécues. Je me basais beaucoup sur mon propre vécu. Mon roman se trouvait être le chavirement de tout cela, car écrire sur l’amour alors que l’on ne l’a jamais réellement ressenti ne présentait-il pas un risque ? Parler de la perte d’un être cher sans en avoir jamais perdu un et donc jamais ressenti le désespoir qui s’y allie n’apparaît pas de la même manière dans un récit que quelqu’un qui raconte sa propre histoire. N’ayant jamais trouvé ma moitié, celui qui ferait basculer mon cœur, qu’en savais-je de l’amour, du coup de foudre, des âmes sœurs et de tout ce qui bouscule la raison humaine ? Je ne pouvais que me le représenter, mais paraîtrait-ce crédible aux yeux du public ? Serais-je reconnue ? Moi, jeune femme de vingt ans à peine, embauchée par pur hasard lors d’une soirée par la chargée de recrutement des ressources humaines de « Vogue Magazine » par un commentaire jugé apparemment pertinent concernant l’accoutrement d’une femme à morphologie de type pyramide inversée, ne sachant visiblement pas que ce haut moulant ne faisait que mettre l’accent sur ses larges épaules, ce qui ne la mettait pas du tout en valeur. Me voilà donc recrutée dans la rubrique « mode » tandis que je m’orientais vers un doctorat en histoire, que j’étudiais à Nanterre. On ne refuse pas une chance comme telle, qui plus est lorsqu’elle apportait un si bon salaire, la possibilité d’entrer dans un prestigieux milieu et de vivre de manière plus que décente : la vie rêvée d’une provinciale se voulant parisienne.

    De ce fait, mon train entre en Gare de l’Est. J’atterris sur le quai et me voici dans le 10e arrondissement, prête à changer mon existence. Or je ne savais pas que ce n’était plus de mon ressort désormais ; je vais vous raconter ce qui m’arriva.

    Je ne pouvais commencer ma nouvelle vie sans déjeuner dans mon restaurant indien favori. Seule dans cette ambiance tamisée à saveur épicée, je réfléchissais. Il me fallait trouver un éditeur et lui envoyer quelques-unes de mes nouvelles. C’est ainsi qu’en rentrant chez moi, je m’activai à imprimer, agrafer et cacheter des enveloppes que j’envoyai à différentes adresses dans ce but. Cela fait, j’ouvris le dossier qui contenait mon roman – de deux pages seulement – un commencement prometteur. Je n’arrivais néanmoins pas à me concentrer. Voilà que je recommençais donc à voguer sur Internet, ce n’était pas ainsi que j’allais gagner ma vie… Je tombai par hasard sur un article d’un scientifique parlant de voyages temporels. Je m’y attardai car cela m’a toujours attiré. Il y parlait de preuves intangibles et de témoignages de personnes ayant fait un jour l’expérience. J’ai toujours cru en ces choses-là, bien que cela puisse paraître totalement irréaliste. Néanmoins je n’étais pas cartésienne comme la majorité du commun des mortels. Je croyais en une vie après la mort, j’avais une vision spirituelle de ce monde et de l’autre monde. Bref. Certains lieux sembleraient donc être de véritables passerelles vers une dimension parallèle, ou un autre espace-temps. Plusieurs personnes racontent qu’elles auraient voyagé dans le continuum espace-temps, sans s’en rendre compte, qu’elles auraient vécu dans le même lieu à des années ou à des siècles de différence de leur présent. D’autres ne parlaient pas de lieux mais de faits, d’objets antagonistes provenant de notre époque, ayant trouvé utilisateur dans une autre antérieure. Réalité, faits inspirés d’histoires, légendes ou racontars et mensonges ? Comment déceler le vrai du faux ? Des photos laissent à penser que certaines choses sont vraies : comme celle d’une femme à la Belle- Époque qui semblait parler dans un boîtier portatif qu’aujourd’hui nous dénommons « téléphone cellulaire » ; ou de cet homme qui portait en 1891 lors de son portrait photographique, une veste monogrammée Ralph Lauren.

    J’étais ébahie et en même temps dubitative. J’avais besoin d’aller faire un tour.

    Je ne suis rentrée qu’à la tombée de la nuit. J’avais marché jusqu’au Bois de Boulogne, en chemin, j’ai appelé Eliah, mon meilleur ami. Je lui ai annoncé mon retour tout en lui demandant si demain il était libre. Il m’a paru étrange, comme endormi, Il avait certainement dû aller s’occuper de son cheval en pension dans un haras en province, et l’avoir monté toute la journée. Il m’a donc donné rendez-vous devant le Sacré-Cœur, comme à notre habitude, en me disant simplement qu’il avait quelque chose d’incroyable à m’annoncer. Je n’en savais pour le moment pas plus. Tout au long de mon trajet de retour, je me suis sentie observée, juste une impression stupide… À Paris, il y a tellement de monde, après tout, qu’on ne peut ne pas « observer » les gens et l’environnement.

    Huit heures trente déjà. Je pris une douche, puis je me mis à manger. Un velouté de carottes accompagné d’un œuf à la coque avec ce pain alléchant acheté dans une boulangerie artisanale : tomates et basilic. Une fois prête, je m’installai, comme je le faisais d’ordinaire, sur ma terrasse située côté intérieur, m’offrant une vue imprenable étant donné ma hauteur : à savoir quatre étages. Mes plantes se sont bien tenues durant mon absence, mes bégonias et mon chèvrefeuille étaient en pleine floraison, mes framboisiers donnaient des fruits bien rouges, ce qui fit mon ravissement car en adepte des plantes, je chérissais le moindre espace en le dotant de quelque peu de nature : imaginez un jardin en hauteur et en plein centre historique parisien ; le rêve n’est-ce pas ?

    Après mon repas, je décidai de rentrer me blottir sur mon canapé, avec un bon livre et un bon thé. L’air s’était rafraîchi, l’on sentait l’hiver approcher à grands pas, pourtant, nous n’étions qu’au mois d’octobre.

    Je dus m’endormir car en me réveillant le lendemain, je vis le soleil qui commençait à percer. J’observais mon appartement, me croyant encore dans la maison familiale à Wissembourg. Mes larges baies vitrées laissant percer le jour, mes rideaux en soie brassés par la légère brise qui passait à travers l’embrasure de la porte-fenêtre que j’avais laissée entrouverte. Mes meubles de style Art déco, mes tableaux de style impressionniste, peints par moi-même durant mon adolescence, et d’autres répliques de célèbres peintres du XIXe siècle. En me redressant, je remarquai mes lunettes de vue et mon livre ouvert sur le tapis persan en dessous de mon mobilier de salon qui recouvrait le parquet ancien de mes pièces de vie. À tout endroit, l’on pouvait découvrir différents objets ramenés de mes voyages, ou par mes proches, n’ignorant pas mon goût pour l’exotisme. Parmi mes favoris se trouvait une statue de femme noire nue en provenance du Kenya, un vase en porcelaine de Chine, ou ce totem indien ramené par Eliah, qui se rendait souvent en Amérique. Après avoir ramassé ce qui gisait au sol, je me rendis, enroulée dans mon plaid en fausse fourrure, sur mon balcon, situé côté rue. J’observais quelques instants ce paysage urbain qui peu à peu s’agitait sous mes yeux. Pourquoi donc toujours se presser ? Pourquoi sans arrêt courir après cette horloge qui nous dépasse, qui nous poursuit sans trêve ? Comment se sentir libre alors que l’on est sans cesse entravé dans ses moindres faits et gestes, et même dans ses pensées ? Notre présence sur Terre ne constitue-t-elle pour l’Homme qu’une quête irrémédiable et ambitieuse de succès et de réussite toujours plus grande ? Ne peut-on vivre au jour le jour ? Ah, que de questions spirituelles avant le petit-déjeuner, or on ne peut bien commencer un nouveau jour le ventre vide et l’esprit embrumé. J’entrepris donc de remédier à cela. Ma cuisine était ouverte sur mon séjour, délimitée par une arche en pierre, qui laissait filtrer la lumière émanant de la porte-fenêtre donnant cette fois-ci sur la terrasse. De plus, une grande baie vitrée côté est procurait encore plus de luminosité. Comme toujours, je me préparais un œuf à la coque, un fruit, et cette fois-ci, je me fis un porridge au lait de chèvre, encouragé par la froideur extérieure qui m’incitait à un réconfort chaud. J’arrosais tout cela d’un thé vert, dont j’avais maintes gammes dans mon tiroir spécial. Comme il faisait trop froid dehors, je m’installai sur mon tapis douillet, et, déposant mon plateau en bois sur ma petite table indienne, je débutai mon petit-déjeuner. J’aimais ce sentiment de solitude paisible que m’accordait ma première journée de vie au jour le jour. Je feuilletai en même temps mon livre photo. J’avais rassemblé de nombreux clichées de mes plus beaux souvenirs. Je m’y évadais, je me revoyais, montant ce poney dans mon centre équestre à huit ans, jouant dans le sable avec mon frère et ma sœur en Provence, dans la forêt avec mes grands-parents maternels ou avec Eliah à Tahiti. Que de souvenirs… J’avais cette faculté de ranimer le passé, faisant défiler ces images dans mon esprit, ressentant les émotions qui m’envahissaient, sentant encore les effluves de ces moments précis.

    Après avoir fini mon thé, je débarrassais tout, puis je fis la vaisselle et allai prendre une douche. J’adorais me réveiller lentement le matin dans l’ambiance orientale de ma salle de bain. Baignoire en marbre au centre de la pièce, robinetterie début XXe, murs en boiserie, excepté celui où se trouvait la grosse lucarne qui était jonchée de petits galets gris perle. Mon carrelage beige en pierre naturelle y conférait une chaleur agréable. Une fois apprêtée, vêtue d’une robe brune en daim aux manches trois quarts esprit bohème, d’une petite veste noire, tout comme mon béret en laine, et chaussée de bottes cavalières en cuir. Je pris le métro direction Montmartre, m’arrêtant à la station Jules-Joffrin. J’arpentais les ruelles menant au Sacré-Cœur en m’imaginant toutes sortes de scénarios, pouvant correspondre à l’histoire qu’allait me livrer mon meilleur ami. En y arrivant, je le vis accoudé sur le muret face à l’une des plus belles vues de Paris. Ses cheveux châtains, mi-longs mais pas suffisamment pour toucher ses épaules robustes, étaient balayés par le vent. Il portait un jean troué au genou, qui ne paraîtrait jamais aussi chic sur une autre personne ; une veste similaire à la matière de ma robe, mais plus foncée, par-dessus une chemise noire fluide, dévoilant le haut de son torse musclé et halé, ainsi que ses pendentifs qu’il ne quittait jamais. Souvent, je lui signalais sa forte ressemblance avec Johnny Depp, qui se révélait souventes fois dans la rue lorsque des fans croyaient voir leur acteur favori en la personne qui m’accompagnait et me tenait la main. C’est d’ailleurs ce qui lui a permis de percer dans sa carrière. Bien qu’il ait toujours souhaité être acteur, il se retrouva cascadeur. Normalement, il ne pouvait dévoiler pour quels films et de qui il allait être la doublure, il m’en faisait tout de même toujours la confidence sachant que je ne révélerais jamais un secret. En m’apercevant, il me sourit et m’attira contre lui dans une chaleureuse embrassade. Vous pourriez penser que notre relation allait au-delà de l’amitié, ce qui était faux. Il était mon confident, mon frère de cœur, une sorte d’âme sœur, mais cela n’était que de l’amour fraternel. Il ôta ses Ray Ban aviator et m’invita à nous rendre dans notre café préféré place du Tertre.

    Après avoir commandé, nous commençâmes à parler. C’est moi qui l’interrogeai en premier, curieuse d’entendre cette fameuse nouvelle. L’air mystérieux, tout comme son sourire, il m’annonça d’une voix laconique :

    « Si tu veux savoir, j’ai un nouveau contrat…

    J’attendais qu’il m’en dise plus, mais il attendait que je l’encourage à continuer, visiblement amusé de laisser planer le suspense.

    — Et ? Pour quel film cette fois, dis-m’en plus !

    — Haha… Pour un film qui sera tourné aux États-Unis, dans le Montana et le Dakota du Nord, un western m’a-t-on dit…

    — Comment ? Si loin ? questionnai-je ahurie.

    — Oh mais ne t’inquiète pas ! On m’affrète un jet et c’est très bien payé ! Comme si je n’étais jamais tombé de cheval, n’avais jamais fait de rodéo ou de voltige car d’ordinaire, plus on me paye, plus ce que je dois exécuter est risqué. Ah ! Ce réalisateur est drôlement généreux, il en a les moyens après tout ! Il me fit un clin d’œil malicieux.

    — Qui est-ce ? demandai-je, laissant mes autres questions pour plus tard.

    — Si je te le dis, ce ne sera plus un secret… Merci ! remercia-t-il le serveur qui nous apporta nos théières. Le laissant s’éloigner, il changea de sujet :

    — Et toi alors, Que vas-tu faire à présent que tu n’as plus de job ? Toujours en panne d’inspiration ?

    — Hum… Je ne sais pas trop… Je…

    — Pars avec moi, me coupa-t-il.

    Il m’avait prise au dépourvu, je ne m’attendais pas à cette proposition, qui, je dois l’avouer, était fort alléchante. J’avais toujours voulu aller aux États-Unis. J’étais certes déjà allée au Canada, au Pérou ou dans d’autres coins de ce continent, jamais tout de même au cœur de l’archipel de la liberté et du rêve Américain. Eliah me sondait durant mes réflexions intérieures. Je voyais en son être ténébreux qu’il lisait en moi comme dans un livre ouvert. Il savait que j’avais déjà pris ma décision.

    — Quand partons-nous ? lui demandai-je avec un sourire radieux et un air de défi dans le regard.

    — Demain ? Pourras-tu plier bagage à temps ? me provoqua-t-il narquoisement.

    — Je n’emporte que le nécessaire, affirmai-je sur la défensive. Néanmoins, dis-moi pour combien de temps je dois prévoir. Trois mois tout au plus ? Ou moins peut-être vu que tu ne tournes que certaines scènes westerns…

    — Je crois que je t’ai mal informée, c’est en fait un western. Avec de nombreux effets spéciaux, des chevaux, des décors de pleine nature, et cætera.

    — Ah je vois !

    — L’affaire de six à dix mois donc, voire plus. De toutes les façons, on m’octroie un logement plus que satisfaisant : une grande maison typique près de Missoula, par la suite, une autre à Faith. L’avantage de tourner avec de grandes célébrités et un réalisateur mondialement connu…

    — Et ton cheval ? Qui s’en occupera ? Et ton logement ?

    — Ma sœur vient faire ses études ici, je lui cède donc mon appart’ et elle m’a promis d’aller voir Tempête au moins quatre fois par semaine. Ne t’inquiète pas ! me devança-t-il, elle veut bien prendre soin de tes plantes, elle s’y est engagée ! C’est près de son école après tout… Elle a été acceptée à l’école de l’Opéra de Paris, elle me l’a dit au téléphone ce matin.

    Comme je ne répondais pas, il dut croire que je n’étais pas disposée à laisser tant de choses derrière moi ; étant donné son regard inquisiteur et sa moue cabalistique. Il retrouva son attitude calme et ténébreuse quand je m’exclamai :

    — So, let’s go to the United States!

    Nous nous sommes tapés dans la main.

    — Trinquons, proposa-t-il, à notre nouvelle vie !

    — À ton travail, cow-boy ! m’enthousiasmai-je en levant ma tasse de thé. Il me répondit en me décrochant son fameux rictus charmeur.

    Nous avons déjeuné en terrasse, planifiant notre épopée. Nous partîmes chacun de notre côté après le café ; lui pour régler les derniers détails avec l’équipe de tournage, et moi pour préparer mes bagages. Je lui ai préalablement confié le double de la clé de mon appartement car il accueillait sa sœur en fin d’après-midi. Notre avion était le lendemain à neuf heures trente, une voiture passerait me prendre à huit heures pour m’emmener à l’aéroport rejoindre Eliah. Son employeur ne voyait aucune objection à ce que je vienne avec lui, il m’avait affirmé qu’il lui avait dit que s’il le souhaitait, il pouvait prendre sa famille ou d’autres proches avec lui. En effet, il était vraiment bien tombé.

    Je n’avais que peu de temps pour m’organiser et, en réalité, je commençais sincèrement à douter de ma capacité à finir les préparatifs en une demi-journée. Je longeai le square Louise-Michel, redescendant de la butte, pour regagner le huitième arrondissement. Je m’arrêtai faire quelques courses, notamment pour acheter mes produits de beauté fétiches.

    En rentrant chez moi, je ressortis de mon placard ma malle-cabine Louis Vuitton, offerte par mes anciennes collègues de travail pour mon départ, suivie de sa panoplie : vanity, valise à chaussures, valise cabine, coffret à bijoux et sac de voyage, cette fois-ci gracieusement offerts par mon ex-patronne et le directeur du département. Je m’entendais avec tout le monde, ou du moins j’essayai de ne pas laisser paraître mon aversion vis-à-vis de certains. Chose que j’avais apprise dans ma vie car plus jeune, j’étais beaucoup plus impulsive et quand je n’appréciai guère une personne, cela se voyait et n’échappai à personne. En débutant dans la vie active, je découvris qu’il ne valait mieux pas avoir d’ennemis, surtout dans ce milieu très prisé où le moindre geste compromettant pouvait faire basculer votre vie entière. J’avais gardé contact avec certaines femmes dont je m’étais liée d’amitié. J’étais particulièrement proche d’Éloïse, une grande fille blonde assez svelte s’habillant toujours de façon à suivre les dernières tendances. Elle s’occupait de la rubrique mode, ce qui n’était pas étonnant, et travaillait souvent avec une femme d’une cinquantaine d’années qui rencontrait toutes sortes de grands couturiers, stylistes ou autres personnalités influentes en ce domaine. Elles se rendaient à de nombreux défilés et essayaient, telles de véritables investigatrices, de devancer les modes à venir afin de bien informer la gent féminine des futurs achats à effectuer. Je la connaissais déjà de mon enfance, elle était ma meilleure amie à l’école primaire, puis elle avait déménagé à notre entrée au collège et avait suivi ses parents à Paris. Quel heureux hasard était-ce de s’être reconnues dans cette immense ville et de travailler ensemble ! Tout en ouvrant mes bagages, je pensais à elle. Elle me manquait. Certes, j’avais Eliah, mais parfois il est nécessaire pour une femme d’être en contact avec des personnes de son genre. Je décidai de l’appeler. Je m’attendais à avoir des reproches car je n’avais pas donné de signes de vie durant mon absence, si ce n’était l’envoi de quelques photos de moi : en train de faire du vélo ; le panier rempli de victuailles ; devant ma maison avec mes parents ; ou dans le village avec en arrière-plan des colombages et des tuiles à l’esprit de ma région. Elle ne répondit pas. Je lui laissai donc un message vocal, puis m’activai à décider, face à la pièce de seize mètres carrés où j’avais conçu mon dressing, l’attirail qui allait me suivre aux USA.

    Je n’entendis pas mon téléphone sur le coup. Reconnaissant la mélodie du ballet Casse-Noisette qui me servait de sonnerie, je courus, deux paires de chaussures à la main, répondre à l’appel :

    — Allo ?

    — Alors ! Tu ne donnais plus de signes d’existence ? J’ai cru que tu avais cédé à l’appel de la Montagne, ou bien que tu t’étais fait enlever par un bretzel…

    — Ahahah ! Très drôle Éloïse !

    — Eh bien tu me rassures ! Tu m’as ramené du kouglof au moins ?

    — Bien sûr ! Il n’est pas trop rassis, je crois que tu pourras le tremper dans ton café au lait, il sera plus tendre ! plaisantai-je.

    — Oh ! alors toi on ne peut t’arrêter quand tu commences !

    — Et toi quand tu continues !

    — Tu me feras toujours rire ! mais quel est ce bruit derrière, que fais-tu ?

    — Mmm… marmonnai-je des épingles à cheveux plein la bouche et ramassant mon coffret beauté qui gisait à terre totalement chamboulé. Apparemment, je ne pouvais espérer redresser la tour de Pise…

    — Oui ! Oui ! Klaxonne-moi pauvre rustre ! J’aime me sentir adulée ! l’entendis-je crier dans le combiné, certainement était-elle en vadrouille dans les magasins chics. Jusque-là, nous n’avions pas une vraie discussion, un réel dialogue de sourds !

    — Tu es toujours là ? Éloïse ?

    — Oui, c’est ça ! Espèce de pignouf !

    — Éloïse ?

    — Oui ! excuse-moi ! un querelleur en Clio ! que me disais-tu déjà ?

    — Euh… Rien je voulais savoir si tu ne préférerais pas que l’on se voie, disons ce soir ?

    — Ce soir ? Eh bien ! Tu dis avoir quelque chose à m’annoncer ! On a de la chance car exceptionnellement je suis dispo ! Un gala annulé pour cause de migraine… Longue histoire !

    — Super ! Disons dix-neuf heures, Notre resto indien Canal Saint-Martin ?

    — Parfait, je réserve ! À ce soir !

    — Ça marche !

    Je raccrochai, un peu stressée, il ne me restait plus que quatre heures pour tout peaufiner.

    Les tiroirs de ma grosse malle contenaient chacun une catégorie de vêtement différente en particulier de la lingerie. Je pendis sur les cintres de l’autre côté des chemisiers en soie très délicate et froissable. Une fois bouclée, je passai en revue mes bijoux, je déposai dans mon coffre, cachés dans une trappe creusée dans un des placards de ma cuisine, des objets de valeurs, au cas où. Je n’en emporterai que quelques-uns, ceux que je portais essentiellement et certains pour les soirées mondaines. Je n’omis pas d’empaqueter des vêtements d’hiver : bonnets, gants, bottes fourrées, écharpes et deux manteaux. Nous allions dans un état où le climat se trouvait être parfois rude. J’étais fière de moi, quant à dix-sept heures quarante-cinq, mes bagages furent bouclés, prêts à être emportés. De plus, je n’avais pas dépassé la dose allant au-delà du nécessaire. En fait, je m’étais raisonnée en me disant que je pourrai ainsi ramener quelques souvenirs, ou plus particulièrement une garde-robe d’Amérique.

    Je me préparai désormais à sortir. Pour ma dernière soirée avant des mois dans la Ville Lumière, j’optais pour ma robe Paul Poiret vintage, coupe droite hauteur mi-genoux, en soie et satin noir à manche chauve-souris ; brodée de minuscules perles noires et grises. N’aimant pas particulièrement les hauts talons, j’enfilai mes salomés vernis de quatre centimètres ; et préparai mon sac à main simple noir. Puis après avoir simplement coiffé mes cheveux à ondulations naturelles à hauteur d’épaule, je partis en verrouillant la porte de mon appartement. Je n’aimais pas être apprêtée telle une starlette ; je primais toujours le naturel. De ce fait, je ne me maquillais jamais, ou du moins seulement une BB crème, un peu de crayon à sourcils servant à les uniformiser, et un peu de stick à lèvres à la propolis. En sortant de ma résidence, je marchai en direction de la station de métro la plus proche, car bien que préférant la marche, je ne souhaitais pas me risquer à être en retard à mon rendez-vous. Ce que je n’appréciais guère en faisant cela, c’était la foule, que j’avais tendance à fuir. Je me sentais oppressée par ces multiples personnes qui parfois m’observaient, ou me dévisageaient. Ne parlons pas des odeurs, des bousculades, du bruit et de tout le reste. Pas de chance pour moi ce soir-là, à dix-huit heures trente, la station était bondée. Lorsque le train fut à quai, tout le monde y monta, et les personnes assises durent se lever pour laisser de la place à ceux qui entraient. Tout le long du trajet, Cela ne faisait que de se remplir en se vidant très peu. Toute cette proximité me donna la nausée, si bien que je descendis à République en décidant de finir le chemin à pied.

    En sortant de la bouche du métro, je remontai en longeant le canal Saint-Martin. Le soleil commençait à se coucher, donnant à ce quartier une luminosité paisible, sortie tout droit d’un autre temps. C’était vraiment cela que j’adorais à Paris. À chaque ruelle, chaque place, chaque endroit de la capitale, on pouvait ressentir son histoire, ses vibrations, cette transgression historique qui traversait le fil du temps. Je me sentais parfois comme enrobée dans la profondeur d’un espace parallèle, présente, tout en n’étant pas tout à fait ancrée dans la réalité où je demeurais. Je changeai à présent de rive en empruntant la passerelle Richerand. M’arrêtant à son milieu, j’observai le soleil orangé, l’eau paisible et la vie, qui à cette heure commençait à se détendre pour rentrer dans la nuit parisienne digne d’un samedi soir. J’arrivais devant Chez Marcel, Éloïse se trouvait déjà à l’intérieur, assise à notre table habituelle, située dans le salon cosy au fin fond du restaurant. Le serveur, très gentleman, me guida vers elle, et me tint le fauteuil pour que je puisse m’y installer. Éloïse me sourit de ses belles dents étincelantes, tout comme ses pendants d’oreille. Elle portait comme à son habitude en soirée du rouge à lèvres écarlate, ce qui avait le don de mettre en valeur ses magnifiques cheveux raides noirs. Ses yeux verts révélaient son air charmeur, ce qui de nombreuses fois lui valut les compliments de la gent masculine, qui également bien souvent provenaient d’hommes peu fréquentables. Elle portait un pantalon cintré noir et un chemisier bleu céruléen. Elle attendit que je me sois installée pour débuter nos retrouvailles :

    — Alors, dis-moi… Strasbourg ?

    — Oh super, répondis-je d’un ton laconique.

    — Mmm… Quelle réponse enthousiaste ! constata mon amie en gloussant. Serais-tu préoccupée par hasard ? Un homme dans ta vie peut-être, non ? Tu peux tout me dire !

    — Non ! Tu te méprends fortement Él, ce n’est pas cela que me tracasse, en fait je repars…

    — De quoi tu me parles ? Tu ne vas pas déménager pour… disons… ton attrait de la campagne alsacienne ? Rassure-moi… Que ferais-je ici sans toi ?

    — Pas exactement…

    Le serveur arriva avec les cartes, je voyais néanmoins son impatience à obtenir un éclaircissement sur mes dires. Cela pouvait paraître stupide, mais j’avais peur de sa réaction. Soit elle serait triste mais en même temps heureuse de mes projets, soit elle ferait tout pour m’accompagner. Mais quand je lui révélais qu’Eliah était à l’origine de ce voyage et qu’évidemment il en serait, elle déchanta bien vite. En effet, elle n’appréciait guère sa présence. Mon meilleur ami n’avait que faire de mon amitié avec elle, mais préférait l’éviter jugeant que ce n’était pas une fille très philosophe dans l’âme ; si vous voyiez ce que je veux dire. Selon lui, parler chiffons et porter chiffons sont un tout que l’on peut dissocier. J’enfreignais cette loi, car je ne parlais antérieurement que « chiffons » pour gagner ma vie, sans néanmoins y trouver un quelconque enrichissement ; à la différence d’Éloïse, qui elle pensait réellement que c’était là tout l’avenir de la femme de savoir quoi porter chaque jour, coordonner son look et y consacrer l’essentiel de son temps. Elle s’habillait toujours à la mode du moment, en vêtements estampillés, à ma différence, qui préférait le « déjà porté ». Comme elle me contredisait lorsque je lui montrais une de mes nouvelles trouvailles faites dans une boutique vintage au Marais. Et puis je n’aimais pas du tout être à la mode, mon meilleur ami le savait bien. Être habillée comme tout le monde, très peu pour moi. J’aimais me démarquer, mais dans le bon sens. Ce qui m’exaspérait le plus, c’est quand une des pièces de mon dressing se retrouvait en page actu mode des magazines, rien de pire vous dis-je. Éloïse ne me disait jamais que ce que je portais ne m’allait pas. Au contraire, tout comme Eliah, elle disait que je savais redonner vie à un vêtement ancien. Je ne me pensais pas particulièrement belle -on me le disait souvent, ce qui me flattait – mais ma confiance en moi à ce niveau-là, même si elle n’en avait pas l’air étant donné que j’affirmais assez bien ma personne, était limitée. Je doutais souvent de moi. Pourtant Eliah, tout comme Éloïse, me répétait que j’avais un physique de cinéma. À savoir : des cheveux châtain clair, qui tiraient sur le blond foncé ; des yeux marron, très expressifs et profonds ; et un corps svelte, sportif et harmonieux. Mon teint pourtant était assez pâle en hiver, mais reprenait son type méditerranéen avec l’arrivée des beaux jours.

    Bref, dans tous les cas, moins mes deux meilleurs amis se voyaient, mieux c’était, car lorsque cela se produisait, je tentais maladroitement de combler le vide qui souvent s’immisçait vite dans la conversation. En clair, c’était bien là deux personnes à caractère opposé, que vérifiait le proverbe « Qui se ressemble s’assemble ».

    Éloïse continuait de chercher dans le menu quelque chose qui pourrait ravir son palais. Je savais bien pourtant qu’elle allait commander la même chose que d’habitude. Elle cherchait simplement à aborder le reste de la conversation et tentait d’envisager différentes situations, avec ses différentes réactions. Le serveur revint quelques minutes de mutisme plus tard muni d’un calepin et d’un stylo :

    — Ces dames ont-elles choisi ?

    Éloïse m’encourageait du regard à rompre le silence :

    — Je vais prendre un chapati, suivi de gambas « palais de l’Inde » s’il vous plaît.

    — Bien, nota-t-il, et que boirez-vous ?

    — Une bouteille de

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