Aveugle: Le ciel de la nuit
Par Frédéric Tournoux et Hamou Bouakkaz
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À propos de ce livre électronique
Victime d’un accident de voiture, Sébastien de Châtenois devient aveugle à l’âge de dix-sept ans et il lui faut réapprendre à vivre. Attiré par les arts et la poésie, il est un personnage pour lequel on éprouve de l’empathie. Sa vie sentimentale va aussi connaître de grands bouleversements car son cœur est partagé entre deux amours.
Il se dévoile à nous dans ce récit rédigé à la première personne et nous révèle ses pensées les plus intimes : « Je découvre avec Anna le sens du plaisir, la plus jolie des morales, si l’on admet que l’amour de la vie est la seule des valeurs. »
Un roman délicat qui raconte avec justesse et poésie l’apprentissage d’une nouvelle façon de vivre
EXTRAIT
La canne oscillait le long des pavés inégaux.
La matinée très douce laissait présager une balade agréable : à l’air frais se mêlaient ces bouffées de chaleur venant caresser par instants mon visage. La Provence semait les oliviers dans la campagne odorante. Ce paysage aux alentours d’Arles respire la vie.
Je pris à gauche dans la forêt, m’engageant dans un sentier où même une carriole ne se fût hasardée et marchai vers l’étang, puis je m’assis non loin de grands aulnes dont les ébats des bergeronnettes troublent parfois la quiétude.
Le dimanche est une journée particulière, meublée de longs moments de solitude. Ma femme, Anna, accompagnée de notre fils, se rend à Nîmes auprès de sa mère, afin de raviver les bonheurs d’antan, évoquer les souvenirs de l’époux disparu et dispenser quelques tendresses. Je les laisse, conscient de préserver une intimité où je n’ai guère ma place.
Ainsi, je viens souvent au bord de l’eau avec l’un de mes ouvrages en braille. Je relisais aujourd’hui Le temps déborde, le recueil d’Eluard publié peu après la disparition de sa chère Nusch, où il mit en exergue : « Derniers reflets de mes amours, qui ont tout fait pour dissiper la nuit qui m’envahit ».
A PROPOS DE L’AUTEUR
Frédéric Tournoux, professeur de lettres, signe ici son troisième roman, après Mademoiselle Rachel (2012), son livre consacré à la grande tragédienne du XIXe siècle, et L’Aiglon (2014). Il rencontre dans les années quatre-vingt le poète Philippe Soupault qui l’encourage à écrire. De 2002 à 2005, il anime un atelier d’écriture pour les détenus de la maison d’arrêt de La Santé à Paris.
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Aperçu du livre
Aveugle - Frédéric Tournoux
2012
Introduction
À PROPOS DE L’AVEUGLE
« JE SUIS AVEUGLE on me plaint et moi je plains tout le monde », dit une chanson du Moyen Âge.
Lorsque le hasard des rencontres m’a mis face à Frédéric, j’étais un jeune étudiant en mathématiques supérieures, déterminé à manger la vie, à se trouver partout où on ne l’attend pas.
Pour avoir le plaisir de monter sur sa moto, de sentir le vent, la vitesse, j’étais prêt à lui ouvrir ma nuit, plus belle que le jour de 99 % des terriens !
Il en va de la cécité comme de toutes les fortunes ! elle est neutre et il appartient à son possesseur de la faire fructifier ou de la porter comme un fardeau.
Qu’importe au fils du marquis de Châtenois d’avoir château en Camargue s’il ne peut compter sur l’amour de sa mère ? J’ai vécu mon enfance dans une précarité totale et j’en ai tiré la seule chose dont je suis assuré aujourd’hui : le seul handicap dont on ne puisse totalement s’affranchir c’est le manque d’Amour.
Accepter d’aimer et d’être aimé est la grande œuvre d’une vie ! C’est à l’aune de cela que je jugerai de l’utilité de la mienne.
Puissent les lecteurs de ce roman percevoir la pudeur, la sensibilité, la capacité d’émerveillement de l’auteur.
En le retrouvant trente ans après notre dernier entretien, j’ai eu l’impression de l’avoir quitté la veille !
Le smartphone et le terminal braille ont remplacé la tablette et le poinçon, l’aveugle que je suis est définitivement désinsularisé, Frédéric quitte l’enseignement, mais l’autre reste et restera toujours la plus belle des surprises, la plus extra-ordinaire des découvertes.
Hamou Bouakkaz
CHAPITRE I
Arles, 1990…
LA CANNE oscillait le long des pavés inégaux.
La matinée très douce laissait présager une balade agréable : à l’air frais se mêlaient ces bouffées de chaleur venant caresser par instants mon visage. La Provence semait les oliviers dans la campagne odorante. Ce paysage aux alentours d’Arles respire la vie.
Je pris à gauche dans la forêt, m’engageant dans un sentier où même une carriole ne se fût hasardée et marchai vers l’étang, puis je m’assis non loin de grands aulnes dont les ébats des bergeronnettes troublent parfois la quiétude.
Le dimanche est une journée particulière, meublée de longs moments de solitude. Ma femme, Anna, accompagnée de notre fils, se rend à Nîmes auprès de sa mère, afin de raviver les bonheurs d’antan, évoquer les souvenirs de l’époux disparu et dispenser quelques tendresses. Je les laisse, conscient de préserver une intimité où je n’ai guère ma place.
Ainsi, je viens souvent au bord de l’eau avec l’un de mes ouvrages en braille. Je relisais aujourd’hui Le temps déborde, le recueil d’Eluard publié peu après la disparition de sa chère Nusch, où il mit en exergue : « Derniers reflets de mes amours, qui ont tout fait pour dissiper la nuit qui m’envahit ».
J’étais de nature plutôt gaie avant que ne survînt cet accident qui me rendit aveugle. Mais j’aperçois depuis dans mes rêves de vagues lueurs qui s’animent et semblent tout à coup se dissiper dans la nuit. Des essaims d’images foisonnent en moi, dont seul le souvenir perpétue l’existence.
Jeunes filles aux yeux verts, robes et capelines qui frissonnent dans le vent. Clairs-obscurs des orages. Le ciel. Les scintillements des visages. L’aube et tous les crépuscules où perle une étoile.
Il y a douze ans – j’étais alors en terminale – je suis devenu non-voyant (usons de ce délicat euphémisme). C’était en Savoie, le soir de Noël. J’étais parti aux sports d’hiver avec des amis. Avant de réveillonner, nous sommes allés à la messe de minuit dans une église d’Annecy, où nous fûmes accueillis par le Salve Regina de Pergolèse. Les voix du contre-ténor et de la soprane semblaient glisser sur les parois, rouler en boucles vers la coupole et se perdre au cœur de la nuit, en de multiples échos qui emplissaient l’espace, comme la respiration même de la pierre.
Au retour, une plaque de verglas nous fit perdre le contrôle de la voiture. J’étais assis à l’avant et, comme je n’avais pas attaché ma ceinture, ma tête alla porter contre le pare-brise, le pulvérisant aussi violemment que ne l’eût fait une pierre. Une pluie rouge envahit mon visage. Je perdis connaissance.
Je laissais les champs de neige éclairés par la lune, les cimes au loin tendues vers le ciel. C’était le commencement d’une longue éclipse.
Lorsque je m’éveillai, mes amis m’entouraient. Il faut s’imaginer sur un lit d’hôpital, soudainement privé de la vue. Un voile marron, presque noir, recouvrait mes yeux. J’étais d’autant plus angoissé que je ne pouvais mesurer la gravité de mon état. Il était midi. J’étais demeuré inconscient pendant près de douze heures, à la suite d’un traumatisme crânien. Le médecin me rendit visite à plusieurs reprises. Je ne voyais plus car j’étais victime d’une hémorragie mais elle allait se résorber. On