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Dans l'univers des contes interdits - Klay, le Carnassier
Dans l'univers des contes interdits - Klay, le Carnassier
Dans l'univers des contes interdits - Klay, le Carnassier
Livre électronique283 pages7 heures

Dans l'univers des contes interdits - Klay, le Carnassier

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À propos de ce livre électronique

Octobre 1950. Pressés par une bise mordante, le jeune Klay Minchester, 10 ans, et Jennie, sa m re enceinte, rencontrent par inadvertance Brett Philip, un barbu coiff  d’un chapeau de brousse noir.

Une visite inattendue dans sa cabane solitaire au fond des bois provoque un éboulement de malheurs, de terreurs et de vérités abominables…

Apparitions de loups fuligineux; livre noirâtre aux relents fétides;
détraquement temporel;
arbres aux formes humano des…

Rumpelstiltskin se terrerait-il derrière cet enfer…?

Dans ce sordide antépisode de Rumpelstiltskin, vous comprendrez bien vite que l’effluve pestilentiel de la mort r veille
et excite les démons, qu’il alimente leurs esprits de stratagèmes barbares pour servir leurs souhaits de toute-puissance… Souhaits qui ne s’exaucent que s’ils sont soudés   l’éternité!
LangueFrançais
Date de sortie28 mars 2022
ISBN9782898190957
Dans l'univers des contes interdits - Klay, le Carnassier

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    Aperçu du livre

    Dans l'univers des contes interdits - Klay, le Carnassier - Maude Rückstühl

    Prologue

    Confessions

    par klay minchester

    Chère Yvanha,

    Je n’userai pas de détours pour te livrer ces confessions brutales, mais hélas bien réelles…

    J’ai tué et dévoré soixante-six femmes et autant de nourrissons ; mères et nouveau-nés ont ainsi déboulé dans mon œsophage et atterri dans le cachot acide de mon estomac. Mes offrandes ambitionnaient toutes les ethnies ; mon âme d’aventurier s’en voyait comblée. Pour légitimer mes voyages aux douaniers ou aux satanés curieux, je rapportais des peaux, des antiquités et toutes sortes d’objets exotiques pour garnir mon commerce de Saint-Fabien-sur-mer, dont tu as hérité.

    Dans cette carrière imposée, amorcée lorsque je n’avais que dix ans, je me suis accordé, par-ci par-là, treize années sabbatiques. Las de massacrer de si beaux êtres, me punir par quelques années de vieillissement était bien peu. Et puis, j’étais impatient de grandir. Je ne pouvais rester enfant toute ma vie ! Vois-tu, pour chaque année épurée de meurtres, je prenais l’équivalent de cinq ans d’âge. Un châtiment qui, plus tard, confondit ma femme, Gloria. Ces matins-là, autour du café, la surprise qui se lisait sur son visage trahissait une cruelle perplexité lorsque l’apparition de nouvelles rides gâtait ma physionomie ou que, soudainement, mes articulations s’enflammaient. Toutefois, sa sublime délicatesse lui liait la langue, si bien qu’elle n’a jamais abordé la chose manifestation. Avec le temps, je me suis persuadé que ce refoulement lui a inoculé l’incurable maladie qui me l’a impitoyablement arrachée… Maudit soit le petit maître innommable !

    Que j’ai aimé cette femme ! Quand elle est morte des suites de son combat contre un foudroyant cancer, une tristesse incommensurable m’a ravagé en même temps que m’envahissait un immense soulagement : enfin, l’œil suspicieux et déconcerté de mon épouse n’épierait plus mes moindres réveils.

    Mon prédécesseur, Brett Philip, avait choisi de vivre dans les bois, au royaume de l’anonymat. Mon châtiment m’avantageait plus que le sien. Lui s’était vu condamner à vieillir de 25 ans si l’envie téméraire d’épargner l’existence d’une mère et de son bébé lui prenait… ce qui lui accordait peu de répit. Il avait aussi choisi la solitude. Sinon, tu imagines la tête de son épouse si elle s’était couchée avec un bonhomme de 45 ans pour se réveiller avec un vieillard de 70 ?

    Le jour où l’horrible lutin s’est acharné sur tes filles et toi, j’ai compris. J’ai compris qu’il possédait la virtuosité d’orchestrer des malédictions, sans scrupule aucun pour ses acolytes…

    En plus du vieillissement instantané, faillir aux meurtres annuels me valait chaque fois une punition exemplaire. Me retirer un pouvoir et tuer ma mère étaient du nombre. Comme il a supprimé ton mari, Enam, et qu’il s’évertue à atteindre tes jumelles, Lucia et Maria.

    Sur mes vieux jours, je réalise enfin que ce démon de Rumpelstiltskin avait berné Brett, jadis, et m’a roulé, moi, en me faisant miroiter le retour de ma véritable mère… Ce maudit nain a fait échouer mes plans, en plus de m’infuser sa perversion.

    Dans ta beauté, Yvanha, femme aussi splendide que candide, et dans ta passion pour les œuvres littéraires, j’avais non seulement retrouvé un échantillon d’âme maternelle, mais également ma virilité, que l’âge et le célibat avaient consumée pour toujours, je le craignais. Les érections matinales étaient revenues après de nombreuses années d’absence. En toute sincérité, Yvanha, tu m’inspirais la masturbation quotidienne.

    Ton innocence t’aveuglait au point de confondre mon amour pour toi avec une solide amitié basée sur une confiance mutuelle infrangible. Il se trouve cependant que, lorsque pris d’un élan héroïque, j’ai agrippé ta petite Maria à la gorge et broyé sa trachée pour la ressusciter ensuite, ton regard a happé la bête sanguinaire terrée en moi, celle à l’origine du scintillement malsain dans mes prunelles. Ton silence dure maintenant depuis trois ans, mais je sais qu’un jour, le lutin maudit rappliquera et que tu te serviras de moi pour protéger tes filles.

    Au tout début, à l’aube de ton intégration dans le charmant village de Saint-Fabien-surmer, tu te pointais régulièrement dans ma maison convertie en boutique d’antiquités pour y échanger clandestinement l’or de ta fille Lucia. Or, ce que j’ai failli te faire dans mon arrière-boutique ou derrière un rocher, sur la grève… Te posséder avec ma vigueur de trentenaire retrouvée, mais la manifestation du satané lutin à Saint-Fabien a déjoué tous mes plans ! Il a littéralement monopolisé toute l’attention, ce salopard !

    Nuit et jour, ton visage magnifique me hantait, je t’imaginais incarner la déesse responsable du miracle de ma puissance sexuelle retrouvée. L’âge importe peu quand le désir soude un mâle à une femelle. N’es-tu pas d’accord ?

    Vois-tu, dans son projet de création, Dieu ne m’avait pas conçu pour servir la méchanceté ni la cruauté. Encore moins l’avidité meurtrière et cannibalesque. J’étais un gamin qui admirait les femmes, leur vouait un respect quasi sacré. Et j’adorais ma mère. Aujourd’hui encore, je m’enflamme en songeant aux tortures horribles qu’on leur inflige, nous, les gens infirmes dotés d’un appendice pernicieux.

    Bientôt, quand je mourrai, je choisirai une romancière que j’envoûterai et je l’assujettirai : elle couchera sur le papier l’histoire de mon horrifique aventure. Alors, peut-être, le monde s’éveillera et commencera à concevoir qu’il existe en ce bas monde des créatures abominables, monstrueuses, avides de gains et insatiables de sadisme, telles que Rumpelstiltskin.

    Des êtres inhumains, de vils personnages si passionnés par le mal qu’ils possèdent l’incroyable don de transformer une âme bienveillante en esprit démoniaque.

    À dix ans, par la bienséance de ma mère ou par l’action d’un maléfice, j’ai été propulsé dans un virage tragique et je suis devenu l’un de ces monstres.

    Pardonne-moi.

    Klay

    Dédiée uniquement à mon héritière, Yvanha Carnatar, qui trouvera cette lettre insérée dans le grimoire (Livre Nécrosé ou encore Livre de Chair, pour les intimes) rangé dans le coffre-fort de mon arrière-boutique.

    Chapitre 1

    Une nuit de mai 1856

    — Aaaaaaïïïïe, ça fait maaaaaaal ! Aide-moi, mon amour ! Aide-moi, aide-moi, AIIIIDE-MOOOOI !

    La souffrance piquait d’hystérie la jeune fille, lui extirpait rugissements et hurlements. Ses brusques secouements de tête provoquaient le bruissement sec de la paillasse éventrée. Cette paillasse confectionnée par Auguste, deux nuits après leur fugue amoureuse.

    — Je vois la tête ! Tu y es presque, ma douce !

    Depuis maintenant neuf mois, les amants étaient recherchés par la noble famille canadienne-française d’Irena, promise au fils d’un riche chez qui la hideur équivalait à l’avarice. Le jeune couple avait toutes les raisons de fuir : Auguste était issu d’une lignée de tâcherons empestant la viande et le sang, en plus de surpasser de quatre ans l’âge d’Irena, qui n’en comptait que seize. Ce fut probablement son amour pour le jeune homme qui avait convaincu la demoiselle de consentir à se teindre cheveux et sourcils au henné noir. En revanche, elle avait refusé de sacrifier la longueur majestueuse de sa chevelure qu’elle soignait avec vénération. Quant à Auguste, il avait abandonné le rasage et accordé à sa barbe le soin, à elle seule, d’altérer son apparence habituelle. Méconnaissables, les tourtereaux s’étaient aventurés dans leur deuxième existence.

    Leur amour avait commencé lorsque, pour s’aérer le corps et l’esprit, la demoiselle avait exceptionnellement suivi au marché du village le coursier employé par son père. Le confinement dans la noble demeure l’intoxiquait. Irena était tombée dans l’œil du jeune boucher séduisant, mine ouverte, cheveux bouclés dont les mèches d’ébène encadraient une physionomie angulaire. Pour sa part, Irena avait le visage accueillant, le regard intelligent et un ténu sourire d’ange. On ne lui permettait guère de sortir du manoir sans ses plus beaux atours. L’esprit rebelle, elle trouvait la coutume bien dommage, acceptant mal de camoufler sa chevelure dans un chapeau et d’être torturée par d’inutiles corsages. Et ce jour, son dévolu s’était jeté sur Auguste, le fils du boucher. Elle avait été foudroyée par un amour aussi infini qu’inexplicable. Profitant de la négociation du coursier avec le commerçant voisin, un maraîcher, Irena s’était hâtée vers le jeune homme. Elle savait qu’il lui était destiné, en lieu et place de la bête immonde à qui elle avait été promise dès le berceau.

    — Je m’appelle Irena, et vous ?

    — Auguste, avait-il soufflé en effleurant les fines mains gantées de satin.

    Il s’était gardé de s’attarder plus longuement à admirer sa beauté d’une savoureuse irréalité.

    — Je demeure au manoir Rosenberg. Venez m’y rencontrer à minuit. Je serai cachée derrière le sapin de Norvège, près de la tour gauche.

    Un client édenté et mécontent, qui reprochait au jeune homme de lui avoir vendu de l’agneau gâté, avait précipité leur accord tacite.

    À minuit moins cinq de ce même jour, Auguste avait découvert la jeune nubile dans une chemise de nuit blanche, frappée d’un rayon lunaire d’albâtre. L’ensemble conférait à l’intrépide une apparence fantomatique.

    — Dès que je vous ai vue, j’ai… avait commencé Auguste, émerveillé par la magnificence de ce rêve, s’il en était un… Irena avait mimé le silence en posant un index sur sa bouche et se retournant vers les bois, avait happé la main de son compagnon, l’entraînant dans les profondeurs forestières. Ils y avaient suffisamment cavalé pour assurer la discrétion de leur rendez-vous. Essoufflée par la course et l’excitation, Irena, tout en levant les bras pour se délester de sa tenue de nuit, avait confié à Auguste :

    — Dès que je vous ai vu, j’ai su que vous étiez l’amour de ma vie.

    Les mains robustes d’Auguste s’étaient posées sur les flancs de la jeune fille. Comme elle était belle ! Ses seins menus pointaient sur un buste étroit, et ses courbes gracieuses comblaient ses fantasmes les plus récurrents. Sa longue chevelure brune flottait sur ses hanches dénudées, tandis qu’elle le regardait avec une tendresse chargée d’expectative.

    — C’est ce que j’ai ressenti aussi en vous voyant, aujourd’hui… mais je connais bien la réputation des vôtres. Ils sont impitoyables. Ils pourraient me tuer…

    — Non, car, s’ils le suggèrent, je menacerai de me pendre. Elle avait dangereusement approché sa bouche délicieuse de celle, entrouverte, d’Auguste. Il sentait les cheveux ondulés titiller ses avant-bras. Son sexe avait durci à la seule idée de rencontrer cette jeune femme… C’en était trop. Il ne se tenait plus.

    — Attendez…, avait-il murmuré en se hâtant de descendre bretelles et pantalons.

    La fougue avec laquelle ils s’embrassaient, se caressaient et s’enlaçaient fustigeait la chasteté. Dans la foulée, Auguste lui avait demandé si elle était déflorée.

    — Non, vous serez le premier et le seul à me cueillir, lui annonça-t-elle avec une assurance qui inspirait la dignité. Cette nuit-là, Irena avait saigné et jamais la lune n’avait été témoin d’échos de douleur aussi porteur d’amour et de tendresse.

    — J’ai… j’ai peur… j’ai AAAAAAAAAAAAH !

    Le crâne ne progressait plus entre les lèvres tendues et, s’il ne voulait pas d’une bien-aimée malheureuse, endeuillée de leur enfant, Auguste devait agir. Il extirpa de sa poche son couteau suisse, sortit la lame et entailla le périnée. Irena lança un cri de mort et le bébé glissa dans les mains de son père. Un garçon ! Exactement le souhait secret d’Auguste ! Il n’eut cependant pas le temps de s’émouvoir davantage. Il plaça tout de suite l’enfant sur le corps nu d’Irena, dont les pleurs vibraient d’un mélange de souffrance et de joie. Ensuite, il les recouvrit d’une couverture de laine. Auguste espérait tant entendre son bébé vagir. Pour avoir assisté sa propre mère, sage-femme à ses heures, il savait que les cris d’un nouveau-né sonnaient comme une véritable bénédiction. Afin de ne pas inquiéter son amoureuse, il créa une étroite ouverture dans l’étoffe pour atteindre le petit visage et le fit réagir d’un index entre les lèvres. Les pleurs de l’enfant résonnèrent instantanément. Son soulagement s’avéra toutefois éphémère, car le bras de sa bien-aimée, mou, sans tonus, glissa, libéra le corps de leur fils. Un silence inquiétant s’opposa aux vagissements.

    Le cœur battant, Auguste dépêcha son regard sur l’entrejambe. Sous les fesses d’Irena s’élargissait un cercle écarlate. Catastrophé, le jeune homme revint au visage pâle et perlé de sueur de sa compagne. Il lui tapota les joues, déclenchant un faible sourire alors qu’elle avait les paupières quasi closes dans la lueur de la lampe à l’huile.

    — C’est un garçon… murmura-t-elle d’une voix chevrotante, à peine audible ?

    L’égaiement capitula devant l’évanouissement, ses yeux se révulsèrent.

    — Non ! Mon amour, réveille-toi ! Réveille-toi !

    Il leur fallait un médecin. Sans perdre une seconde, Auguste emmitoufla maladroitement le bébé dans un tissu de coton et le blottit dans un couffin qu’il recouvrit de son manteau d’hiver. Il enroula Irena dans la couverture de laine, puis l’installa avec leur fils dans la voiture préalablement harnachée au cheval. Quand le labeur avait commencé, Auguste avait préparé l’animal au cas où une complication surviendrait. Jamais il n’aurait cru cependant que se matérialiserait l’une de ses pires craintes ni que celle-ci entraînerait de bien cruelles conséquences…

    — Je ne crois pas que la perte de sang ait causé l’évanouissement de votre compagne. C’est plutôt dû à une chute de pression. L’incision du périnée s’avère extrêmement douloureuse. L’utilisation des forceps aurait été plus sage et je mâche mes mots… Vous ne retournerez chez vous que demain matin. Je vous hébergerai pour la nuit, même si cela s’oppose à mes pratiques… Ma femme et moi préférons ne pas ouvrir la porte de notre résidence aux souffrants.

    — Oui, je comprends, répondit Auguste, penaud.

    — Donnez-moi votre adresse et je vous ferai des visites quotidiennes pendant la première semaine.

    — Oh… c’est impossible, hélas… nous restons à l’extérieur de Sainte-Nyctale.

    En prenant le poignet d’Irena pour en tâter le pouls, le médecin se retourna à demi.

    — Alors je confierai votre compagne aux soins d’un collègue plus près de chez vous. Où demeurez-vous, monsieur Ravin ?

    Il avait bien fallu qu’Auguste mente sur son nom de famille, qui était, en vérité, Chambord. En le confrontant à ses mensonges, le perspicace docteur était aussi buté qu’un chien qui refuse de céder son os.

    — Vous ne portez pas d’alliance. Ni vous ni votre épouse. Croyez-vous être les seuls amants désespérés à exiger de moi que je répare les graves conséquences de leur péché ?

    Forcé d’en venir aux faits, Auguste révéla le chemin pour se rendre à leur cabane dans les bois. Cette imprudence changea à jamais son destin et, en tentant d’y remédier, il causa des torts irréparables.

    Chapitre 2

    L’envolée des anges

    et le pacte du loup

    Irena se rétablissait peu à peu. Elle profitait de son alitement pour nourrir et contempler son fils, tout en recouvrant la vigueur que l’épreuve de l’enfantement lui avait dérobée. Le petit Léonard était un beau garçon avec les yeux noisette de sa mère et les cheveux foncés de son père. Homme de parole, le docteur Cliff s’était rendu chaque semaine à la cabane des jeunes parents. Dans la taciturnité du médecin expérimenté, Auguste décelait une autre vérité qu’un écrasant dédain et, s’il avait échoué dans sa volonté à la découvrir, il la devina lors de la toute dernière visite. Ainsi, le docteur avait lancé au couple, tout en refermant sa mallette :

    — Un bébé en santé, une mère pour ainsi dire rétablie… Il s’arrêta pour balayer l’intérieur de la masure d’un œil altier et commenta, avec une admiration insincère :

    — Un père dévoué et, qui plus est, savant bricoleur… Hum, oui, je crois que vous auriez tout pour être heureux.

    — Oh ! mais nous le sommes, docteur ! le corrigea Irena, sensible à la nuance.

    Auguste avait tempéré les ardeurs de sa compagne en posant doucement une main sur la sienne, un peu comme une couverture jetée sur le feu.

    — Oui, cela se voit, ajouta le médecin en remettant son haut-de-forme. Avez-vous eu vent de l’histoire de la pauvre comtesse du manoir Rosenberg, éplorée par la disparition de sa fille ?

    Sentant la nervosité accélérer les battements de son cœur, Auguste se fit élusif.

    — Oui, vaguement. C’était il y a longtemps, n’est-ce pas ? Irena sentit une marée effervescente naître de ses entrailles et l’envahir. Elle s’était relativement bien entendue avec sa mère, même si elle se montrait beaucoup trop débonnaire. Son caractère fougueux, elle l’avait hérité de son père. À l’instant, les pleurs du nourrisson poussèrent Irena à se détourner de la conversation. Le couffin était posé dans le lit, entre la mère et le mur en bois rond. Cette disposition facilitait les soins au bébé, tout en évitant à Irena de se mettre debout pour le prendre. Afin de dissimuler le trouble sur son visage, elle retira Léonard de sa couchette et tourna le dos au visiteur pour allaiter.

    — Elle s’est pendue, hier.

    L’annonce fut l’équivalent d’une dague enfoncée dans la poitrine de la jeune femme. Elle pinça les lèvres pour étouffer ses sanglots. Auguste, demeuré coi, invita poliment le docteur à continuer leur entretien à l’extérieur. En fermant la porte, il entendit le bébé geindre, et poindre les gémissements difficilement contenus de sa bien-aimée.

    — Vous comprenez, dit-il en entraînant le médecin plus loin, une main hypocrite le poussant dans le dos, ma com-pagne se remet à peine de son mal… Sauf votre respect, aborder un sujet aussi douloureux que la pendaison d’une malheureuse comtesse est inapproprié.

    — Oui, j’ai été un peu grossier. Veuillez me pardonner. Quoiqu’il en soit, je plains la pauvre Irena Rosenberg si on la retrouve, ainsi que le jeune marchand sans le sou avec qui elle a disparu, un boucher pour être plus exact. Tous deux sont demeurés introuvables jusqu’à maintenant.

    Auguste sentait sa respiration le trahir et, bientôt, la sueur viendrait à son front. Ce docteur savait. Il les avait démasqués.

    — Et pourquoi les plaignez-vous donc ? osa demander le jeune père, même s’il redoutait la réponse.

    — Le comte a exigé qu’on lui ramène les amants morts. Il a mandaté des hommes pour les retrouver. Le docteur Cliff avait fixé Auguste d’un air avisé qui semblait signifier : « Avez-vous bien compris ce que je viens de vous dire ? »

    — Oh ! C’est… c’est terrible…

    — Écoutez, cessez de me prendre pour un idiot. Des affiches représentant Irena Rosenberg tapissent les rues. Vous croyez que je ne l’ai pas reconnue ?

    La remarque quasi furieuse scella les lèvres d’Auguste.

    — Vous avez ma parole, continua le docteur d’un ton radouci, je n’ai jamais révélé, pas même à mon épouse, mes escapades jusqu’ici pour aider votre femme. Et ne craignez point que l’on vous retrouve au beau milieu de cette forêt. Parce que vous êtes un couple lié par l’amour, je pense que, malgré l’immoralité de votre histoire, vous ne méritez pas de tomber sur les hommes du clan Rosenberg. Mais si je puis me permettre un conseil, partez. Partez, pour l’amour du ciel ! Très, très loin d’ici, pendant qu’il en est encore temps.

    Auguste avait dégluti avec difficulté. Néanmoins, il offrit au médecin sa plus sincère gratitude avant de faire part de l’avertissement à sa compagne, anéantie par la perte de sa mère. Irena déclara qu’il valait mieux fuir, car elle connaissait son père et le savait d’une « impitoyabilité démentielle ».

    Le lendemain, le jeune homme avait attelé le cheval, mais avait laissé la charrette, trop encombrante dans les sentiers hasardeux de la forêt. Devant lui était assise sa femme, qui portait Léonard contre elle. En cas d’épuisement, elle pouvait s’appuyer à la poitrine d’Auguste.

    Après une journée à cavaler et quelques pauses obligées, la petite famille et son fidèle cheval aboutirent sur un chemin plus large. Ils le traversèrent, car, au-delà de la forêt, ils discernaient le miroitement du soleil sur une eau bleue. Au même moment, un cavalier survint au loin. Comme une bonne distance les séparait, Auguste ne se tourmenta pas. Ils s’arrêtèrent sur la berge sablonneuse d’une rivière paisible. Le jeune homme fixa la bride du cheval à un arbre, tandis que la jeune mère démaillotait

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