La dame à la jument
Charlotte aimait flâner dans le cimetière, son jardin secret, quand le ciel se parait de dentelle blanche sur son vaste manteau bleu. Le bois, tout autour, enlaçait le petit village de ses bras feuillus et protecteurs. Mésanges, sittelles, pinsons et autres passereaux se chargeaient de la chorale en fond sonore, discrète mais présente et rassurante. Parfois, elle côtoyait des familles, des couples ou, plus généralement, des personnes seules et âgées qui venaient s’incliner sur l’une de ces maisons de pierre. Elle les observait alors de loin, en souriant. Charlotte prit l’allée centrale et sortit du périmètre enclos et consacré. Il était l’heure de rentrer à la maison. Le chemin n’était pas très long, mais légèrement escarpé. Aucun souci pour elle, toutefois, qui était plus légère qu’une plume, plus agile qu’un lapereau. Elle avait si souvent parcouru ce chemin à cheval qu’elle en connaissait chaque ornière, chaque haie qui se colorait de baies violettes les mois chauds, chaque ondulation de collines qui dessinait un horizon mouvant.
Gustave l’avait initiée, elle, pauvre petite citadine, à l’art de monter, des années auparavant. Et lui avait offert, entre autres cadeaux de mariage, sa jument, qu’elle avait aussitôt nommée Ivoire, en raison de la couleur de sa robe, du chanfrein aux jarrets. Elle avait rapidement fait de l’animal puissant une extension de son propre corps et, très vite, plus personne dans la région ne s’étonna de voir, le temps d’un galop effréné, la jeune femme et sa monture les dépasser en un éclair sur une route ou un chemin de la campagne normande. Le salut qu’elle leur criait alors se perdait dans le roulement furieux des sabots.
Gustave les accompagnait parfois et calmait les ardeurs. La sortie équestre où chevelure et crinière se mêlaient dans le vent se faisait dès lors balade, et Charlotte devait retenir Ivoire dans un pas tranquille ou un trot mesuré. La cavalière appréciait tout autant cet exercice où la nonchalance de leur allure était largement compensée par le plaisir de se
